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Date : 20000907


Dossier : A-310-99


CORAM :      LE JUGE SHARLOW, J.C.A.

        

ENTRE :



ALLIANCE ANIMALE DU CANADA, ANIMAL PROTECTION INSTITUTE,

CANADIAN ENVIRONMENTAL DEFENCE FUND, LA NATION DÉNÉE et

ZOOCHECK CANADA INC.

    

Appelants

(Demandeurs)

     - et -





LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT


Intimés




Audience tenue à Toronto (Ontario), le jeudi 29 juin 2000

ORDONNANCE rendue à Ottawa (Ontario), le jeudi 7 septembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR :      LE JUGE SHARLOW, J.C.A.





Date : 20000907


Dossier : A-310-99


CORAM :      LE JUGE SHARLOW, J.C.A.

        

ENTRE :



ALLIANCE ANIMALE DU CANADA, ANIMAL PROTECTION INSTITUTE,

CANADIAN ENVIRONMENTAL DEFENCE FUND, LA NATION DÉNÉE et

ZOOCHECK CANADA INC.

    

Appelants

(Demandeurs)

     - et -





LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT


Intimés





MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SHARLOW, J.C.A.


[1] Les appelants ont demandé l'autorisation de déposer de nouveaux éléments de preuve dans le présent appel. Il s'agit de l'affidavit de M. Bill Erasmus, chef national de l'appelante la Nation dénée, déposé sous serment le 20 septembre 1999. Le présent appel fait suite à la décision rendue oralement par le juge Gibson le 15 avril 1999 dans l'affaire Alliance animale du Canada c. Canada (Procureur général), [1999] 4 C.F. 72 (1re inst.). Ce dernier a rejeté (sauf sur un point) la contestation des appelants quant à la validité du Règlement modifiant le Règlement sur les oiseaux migrateurs (C.P. 1999-526, en date du 25 mars 1999, DORS/99-147) (le Règlement modificateur). Le Règlement modificateur a été publié pour la première fois dans la Partie I de la Gazette du Canada le 30 janvier 1999.

[2] Les intimés s'opposent à cette requête. Cependant, si la requête était accueillie, ils cherchent subsidiairement à obtenir une ordonnance portant radiation de quelques passages de l'affidavit de M. Erasmus, ainsi qu'une ordonnance les autorisant à contre-interroger M. Erasmus et à déposer, en réponse, un affidavit. Les appelants ne s'opposent pas au contre-interrogatoire de M. Erasmus, mais souhaitent l'imposition de dates d'échéance et veulent contre-interroger l'auteur de tout affidavit déposé en réponse à celui de M. Erasmus.

[3] Le Règlement modificateur a pour effet de prolonger la saison de chasse en ce qui concerne certaines oies des neiges et oies de Ross. Cette prolongation de la saison de chasse est devenue applicable en 1999 dans certains secteurs du Québec et du Manitoba. L'objet avoué du règlement est de vérifier ce que les experts gouvernementaux estiment être une situation de surabondance d'oies des neiges. On craignait que la surabondance d'oies des neiges ait de graves répercussions sur ces mêmes oiseaux, ainsi que sur la diversité biologique de l'écosystème arctique.

[4] Les éléments de preuve qu'on cherche à déposer dans l'instance ont trait aux droits revendiqués par l'appelante la Nation dénée. Le nom « Nation dénée » connote l'idée qu'il s'agit d'une organisation représentant le peuple déné. Or, il n'en est rien. M. Erasmus fait valoir dans son affidavit que la Nation dénée est une société constituée en vertu des lois des Territoires du Nord-Ouest et que les membres de la Nation dénée sont regroupés en 30 communautés dans les Territoires du Nord-Ouest et en une communauté au Manitoba. Je présume que chacune de ces communautés est composée de personnes s'estimant être Dénées. Cependant, tous les membres du peuple déné ne vivent pas au sein de communautés appartenant à la société nommée Nation dénée. Si on se fie à l'affidavit de M. Erasmus, Lac Brochet (Manitoba) est une communauté dénée qui n'appartient pas à la Nation dénée. Il appert de son affidavit qu'il existe également d'autres communautés dénées en Alberta et en Saskatchewan qui ne font pas partie de la Nation dénée.

[5] M. Erasmus affirme que c'est en mars 1998 que la Nation dénée a été mise au fait, pour la première fois, de l'intention du Canada d'entreprendre des démarches en vue de réduire la population d'oies des neiges. En septembre et en novembre 1998, la Nation dénée a présenté des observations auprès de plusieurs représentants fédéraux quant à la possibilité de prendre des mesures à cet égard et a fait valoir son droit d'être consultée, étant donné les conséquences que les mesures envisagées sont susceptibles d'avoir sur le peuple déné. Le 12 février 1999, après que les règlements envisagés eurent été publiés dans la Gazette du Canada, M. Erasmus a écrit une lettre au ministre de l'Environnement à l'époque pour lui faire savoir, notamment, [TRADUCTION] « que le Service canadien de la faune porte atteinte aux droits issus de traités en faisant la promotion de mesures ayant des incidences directes sur nos communautés, en l'absence d'une consultation adéquate et en bonne et due forme avec le peuple autochtone, tel que l'exige le droit judiciaire » .

[6] En février 1999, l'appelante l'Alliance animale du Canada a informé la Nation dénée de son intention de déposer un avis de requête introductif d'instance. L'Alliance animale a invité la Nation dénée à intervenir à titre de demanderesse. L'Alliance animale a proposé de demander la tenue urgente d'une audition, faisant valoir qu'une décision devait être rendue sur la validité du Règlement modificateur avant que celui-ci n'entre en vigueur comme prévu le 15 avril 1999. L'avis de requête a été déposé le 4 mars 1999. S'exprimant au nom de la Nation dénée, M. Erasmus a convenu que la Nation dénée prendrait part à l'instance.

[7] Il appert qu'on s'attendait à ce que la Nation dénée présente des éléments de preuve pour étayer les arguments que font ressortir les passages suivants de l'avis de demande :


     [TRADUCTION]
     8. Le Règlement se fonde sur des conclusions de faits erronés tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments disponibles qui auraient dû être pris en compte, en ce sens que [...]
     (b) le ministre et le gouverneur en conseil ont omis de prendre en compte ou d'examiner les incidences environnementales, sociales et culturelles, tant directes que cumulatives, liées au fait d'autoriser et d'encourager la chasse, par millions, à ces oies, notamment en omettant de documenter ou d'évaluer les effets extrêmes qu'entraînerait une telle mesure à l'égard des disponibilités alimentaires, ainsi qu'à l'égard de la vie culturelle et sociale de centaines de communautés autochtones et de milliers d'autochtones vivant dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut, de même que dans plusieurs provinces;
     [...]
     9. Les mesures prises par le ministre dans la formulation des règlements et de leur contenu ne tiennent pas compte ou vont à l'encontre des directives et des politiques soit adoptées par le ministre, soit sur lesquelles il se fonde, soit qu'il est tenu de suivre, contrevenant de ce fait au principe du droit administratif des « attentes légitimes » . Plus précisément :
     [...]
     c.      Le ministre a omis d'observer la politique de réglementation fédérale du Conseil du Trésor du Canada en application de la Loi sur la gestion des finances publiques, en ce sens que le ministre a notamment :
         [...]
         ii.      omis de procéder à l'analyse « avantages-coûts » prévue dans la politique qui tient compte des coûts tels l'impact, à l'égard des communautés autochtones, de l'élimination envisagée d'un grand nombre d'oies des neiges et d'oies de Ross [...].
     10. Les mesures prises et envisagées par le ministre et le gouverneur en conseil dans la formulation et la prise de ces règlements ont contrevenu aux droits des autochtones, protégés par la Constitution, d'être consultés au sujet des mesures, des programmes et des activités autorisés par le gouvernement concernant les ressources fauniques, à l'égard desquelles les autochtones ont des droits ancestraux, issus de traités et protégés par la Constitution, et de participer à ces mesures et programmes, et constituent un déni fondamental permanent de ces droits.
     11. En outre, ces règlements sont inopérants sur le plan constitutionnel dans la mesure où le ministre et le gouverneur en conseil ont ignoré et contrevenu à leur obligation de fiduciaire à l'égard des autochtones, qui les oblige, notamment, à obtenir des renseignements quant aux répercussions probables que le règlement aura sur les autochtones, les collectivités autochtones et la faune dont ils dépendent pour leur subsistance ou à l'égard de laquelle ils ont des droits, à examiner objectivement ces renseignements avant de formuler et de recommander des propositions semblables, et à s'abstenir de prendre ces mesures en cas de répercussions négatives probables.

[8] À toutes fins utiles, les affidavits déposés au soutien de ces arguments devaient être préparés en deux semaines. Cependant, la Nation dénée n'a pas produit d'affidavit en temps utile pour les fins de l'examen par le juge Gibson.

[9] Il a été plaidé qu'il existait une certaine controverse quant à la mesure dans laquelle se recoupent les secteurs peuplés par les oies des neiges et les oies de Ross avec les secteurs dans lesquels les communautés appartenant à la Nation dénée vivent ou chassent. Je ne propose pas de répondre à cette question. Pour les fins de l'espèce, je suis prête à présumer, sans pour autant décider de l'issue du litige, que les passages cités précédemment dans l'avis de demande visent certains droits susceptibles d'être revendiqués par certains Dénés à l'égard du Règlement modificateur et que certains de ces Dénés vivent au sein de communautés appartenant à la Nation dénée.

[10] Dans la décision qui fait l'objet du présent appel, le juge Gibson a fait référence aux droits qu'on cherche à revendiquer au nom du peuple déné et il a énoncé ce qui suit, aux paragraphes 66 à 72 de la décision portée en appel (citations omises) :

     [66] La Nation dénée faisait partie des demandeurs devant la Cour et elle avait manifestement qualité pour soulever ces questions. Malheureusement, elle n'a déposé aucune preuve, bien qu'il ait été indiqué dans la demande de contrôle judiciaire que cette preuve allait bientôt être déposée. Je n'accorde aucune importance aux pièces jointes à un affidavit déposé au nom d'un autre demandeur qui sont présentées comme étant des copies de lettres de la Nation dénée au ministre de l'Environnement et à d'autres personnes dans lesquelles la Nation dénée exprime ses préoccupations concernant les propositions relatives au Règlement modificateur et demande que des consultations aient lieu ou que celles-ci soient plus exhaustives.
     [67] Il ne fait aucun doute que le Règlement modificateur a des répercussions sur les intérêts ancestraux des Premières nations protégés par la Constitution et, peut-être même aussi, sur les intérêts issus de traités. La preuve dont je suis saisi démontre qu'il y a eu des consultations, comme il en a été question précédemment, même si ces consultations n'ont pas toutes été de même niveau dans les différentes régions du pays et avec les différentes populations visées, y compris les Premières nations.
     [68] Il n'a pas été contesté devant moi que les Premières nations comptent sur les oies des neiges pour se nourrir et peut-être pour d'autres fins. Bien qu'il soit clair que l'objectif de la chasse du printemps soit de réduire de façon importante, peut-être considérablement, les « populations surabondantes » , il est difficile de concevoir que le résultat aura vraisemblablement, du moins à court terme, pour effet d'influer négativement sur les intérêts ancestraux, issus de traités et protégés par la Constitution des Autochtones. Par ailleurs, la preuve dont je suis saisi n'établit pas clairement que ces intérêts ont été traités directement.
     [69] Depuis quelques années, un certain nombre de jugements ont traité des obligations de la Couronne à l'égard des Premières nations dans des situations où il s'agissait de droits ancestraux ou issus de traités. Je ferai brièvement référence à certains de ces jugements.
     [70] Dans l'arrêt R. c. Sparrow, traitant de mesures de conservation du poisson dans la province de la Colombie-Britannique, le juge en chef et le juge La Forest, qui ont prononcé le jugement de la Cour, indiquent ceci à la page 1119:
         Nous reconnaissons que la norme de justification à respecter est susceptible d'imposer un lourd fardeau à Sa Majesté. Toutefois, la politique gouvernementale relativement à la pêche en Colombie-Britannique commande déjà, et ce, indépendamment du par. 35(1), que, dans l'attribution du droit de prendre du poisson, le droit des Indiens de pêcher à des fins d'alimentation ait la priorité sur les intérêts d'autres groupes d'usagers. Le droit constitutionnel énoncé au par. 35(1) exige que Sa Majesté assure que Ses règlements respectent cette attribution de priorité. Cette exigence ne vise pas à miner la capacité et la responsabilité du Parlement de créer et d'administrer des plans globaux de conservation et de gestion concernant la pêche au saumon. L'objectif est plutôt de garantir que ces plans réservent aux peuples autochtones un traitement qui assure que leurs droits sont pris au sérieux.
         Il y a, dans l'analyse de la justification, d'autres questions à aborder, selon les circonstances de l'enquête. Il s'agit notamment des questions de savoir si, en tentant d'obtenir le résultat souhaité, on a porté le moins possible atteinte à des droits, si une juste indemnisation est prévue en cas d'expropriation et si le groupe d'autochtones en question a été consulté au sujet des mesures de conservation mises en oeuvre. On s'attendrait certainement à ce que les peuples autochtones, traditionnellement sensibilisés à la conservation et ayant toujours vécu dans des rapports d'interdépendance avec les ressources naturelles, soient au moins informés relativement à la conception d'un régime approprié de réglementation de la pêche.
     La dernière phrase citée s'applique certainement aussi à la conception d'un régime approprié de préservation des populations d'oiseaux migrateurs ou à la modification de ce régime, y compris au besoin à la réglementation.
     [71] Dans l'arrêt R. c. Badger, le juge Cory écrit à la page 812 :
         Il ne fait pas de doute que les droits ancestraux et les droits issus de traités diffèrent, tant de par leur origine que de par leur structure. Les droits ancestraux tirent leur origine des coutumes et des traditions des peuples autochtones. Pour paraphraser les propos du juge Judson dans l'arrêt Calder [. . .] ils expriment le droit des peuples autochtones de continuer à vivre de la même façon que leurs ancêtres. [Citation omise.]
     Il poursuit dans les termes suivants à la page 813 :
         En outre, les droits ancestraux et les droits issus de traités ont en commun un caractère sui generis particulier. [. . .] Dans chaque cas, l'honneur de la Couronne est en jeu dans le cadre de ses rapports avec les peuples autochtones. [Citations omises.]
     Et encore plus loin dans la même page, il ajoute:
         Le texte du par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 appuie l'application d'une analyse commune aux atteintes à des droits ancestraux et à des droits issus de traités.
     Finalement, à la page 814, le juge Cory conclut de la façon suivante:
         Bref, il est manifeste qu'une loi ou un règlement portant atteinte prima facie à des droits ancestraux doit être justifié.
     D'après la preuve dont je suis saisi, je ne peux tout simplement pas conclure que le Règlement modificateur constitue une atteinte prima facie aux droits des Autochtones.
     [72] Dans l'arrêt Halfway River First Nation v. British Columbia (Minister of Forests), une affaire traitant des mesures de conservation en Colombie-Britannique, le juge Dorgan écrit ceci à la page 312 :
         [TRADUCTION] Le ministère des Forêts soutient que l'obligation de consultation ne se pose pas tant que les groupes d'autochtones n'ont pas établi qu'il y a eu une atteinte prima facie à leurs droits, dont il est question dans l'arrêt Sparrow , lorsque la consultation n'est pas considérée comme étant la deuxième étape du critère de l'atteinte aux droits. À mon avis, cette interprétation n'est pas compatible avec la jurisprudence citée et elle est inappropriée compte tenu de la relation qui existe entre la Couronne et les peuples autochtones.
         D'après les arrêts Jack, Noel et Delgamuukw, la Couronne a l'obligation de tenir des consultations raisonnables avec une Première nation qui peut être visée par sa décision. Pour que l'on puisse conclure que la Couronne a tenu des consultations raisonnables, elle doit s'informer complètement des pratiques et des opinions de la nation visée. En agissant ainsi, elle doit aussi s'assurer que le groupe touché dispose de tous les renseignements au sujet de la législation ou de la décision proposée et de ses répercussions potentielles sur les droits ancestraux.
     J'ai été saisi de certains éléments de preuve, assez limités, indiquant que les défendeurs avaient rempli leurs obligations au regard de cet élément du critère. Bien qu'il soit malheureux que la preuve fournie par les défendeurs à cet égard n'ait pas été plus complète, en l'absence de toute autre preuve déposée au nom de la Nation dénée, ou en fait au nom de toute autre Première nation, je suis convaincu qu'il n'y a tout simplement pas de fondement à partir duquel je pourrais conclure, à l'encontre des défendeurs, qu'ils ont manqué à leurs obligations à l'égard de la Première nation dans l'élaboration et l'adoption du Règlement modificateur.

[11] La disposition sur laquelle se fondent les appelants pour étayer leur requête visant le dépôt de nouveaux éléments de preuve, dans le cadre du présent appel, est la règle 351, qui prévoit :

     Dans des circonstances particulières, la Cour peut permettre à toute partie de présenter des éléments de preuve sur une question de fait.

[12] Au risque de simplifier les choses à l'extrême, il m'apparaît que les faits que cherche à établir l'affidavit de M. Erasmus sont que (1) le peuple déné compte sur les oies des neiges pour se nourrir et pour d'autres fins, (2) que le Règlement modificateur touche défavorablement le peuple déné, (3) que le peuple déné jouit d'un droit garanti par la Constitution d'être consulté au préalable relativement à l'adoption du Règlement modificateur et (4) que, avant l'adoption du Règlement modificateur, il n'y a eu aucune consultation par laquelle la Couronne se serait acquittée de son obligation à l'égard du peuple déné.

[13] Le point de départ pour les fins de l'application de la règle 351 est la décision rendue par le juge MacGuigan, de la Cour d'appel, dans l'arrêt Frank Brunckhorst Co. c. Gainers Inc. et al., [1993] A.C.F. no 874 (C.A.)(QL). Il a déclaré que la Cour

     [...] doit être convaincue que [la preuve] (1) ne pouvait, avec diligence raisonnable, être découverte avant la fin de l'audition qui fait l'objet de l'appel, (2) qu'elle est crédible et (3) qu'elle est pour ainsi dire déterminante quant à une question dans l'appel.

[14] Je traiterai de ces trois conditions dans l'ordre inverse.

[15] La troisième condition prévue par l'arrêt Brunckhorst est que l'élément de preuve qu'on cherche à faire admettre doit être déterminant, pour ainsi dire, quant à l'issue de l'appel. Les faits que cherche à établir M. Erasmus en produisant l'élément de preuve sont grandement contestés. En outre, le procureur de la Couronne fait valoir que l'élément de preuve produit par M. Erasmus à cet égard n'est pas déterminant parce que les appelants ont mal interprété la jurisprudence portant sur l'exigence de consultation. Dans ces circonstances, il m'est impossible de conclure qu'en soi l'affidavit de M. Erasmus est, pour ainsi dire, déterminant quant à la question du caractère adéquat des consultations qui ont été tenues avant l'adoption du Règlement modificateur. Cependant, on pourrait probablement trancher cette question de façon déterminante si on examinait son affidavit de concert avec tout affidavit que les intimés déposeraient en réponse au premier, de même qu'avec les transcriptions des contre-interrogatoires qui pourraient avoir lieu. Compte tenu de tous les éléments de preuve qu'on cherche à faire admettre, je suis prête à présumer que la troisième condition de l'arrêt Brunckhorst sera remplie si la requête et les requêtes incidentes sont accueillies.

[16] La deuxième condition de l'arrêt Brunckhorst porte que l'élément de preuve qu'on cherche à faire admettre doit être crédible. Cette condition reconnaît qu'il existe des limites intrinsèques au fait, pour une cour d'appel, de tenter d'apprécier des éléments de preuve relatifs aux faits qui font l'objet du litige. Il s'agit d'une question qu'il vaudrait mieux, dans la grande majorité des cas, laisser à l'appréciation du juge de première instance, qui est le plus en mesure d'évaluer la crédibilité des témoins. Dans les circonstances de l'espèce, toutefois, les éléments de preuve sont tous sous forme documentaire. Si la Nation dénée avait préparé ses documents en temps utile, le juge Gibson aurait disposé de l'affidavit de M. Erasmus, et peut-être aussi de l'affidavit qui aurait été produit en réponse à celui-là, de même que des transcriptions des contre-interrogatoires menés relativement aux deux affidavits. Lorsque les éléments de preuve prennent cette forme documentaire, on peut supposer qu'une cour d'appel se trouve dans la même position que le juge de première instance pour tirer des conclusions de fait.

[17] Les intimés ne contestent pas la crédibilité de M. Erasmus en général et sa décision de s'exprimer au nom du peuple déné. Cependant, l'avocat des intimés soutient que M. Erasmus prétend présenter des éléments de preuve portant sur des traditions culturelles et orales dénées qui seraient typiquement produits, au cours d'un procès, par un historien ou un autre témoin expert. Je n'accepte pas que l'absence d'attestations universitaires de M. Erasmus constitue un motif qui jette nécessairement le discrédit sur la valeur de l'élément de preuve qu'il présente quant à l'importance des oies des neiges aux yeux du peuple déné. Je conclus que la seconde condition énoncée dans l'arrêt Brunckhorst est remplie.

[18] La première condition énoncée dans l'arrêt Brunckhorst consiste à savoir si les éléments de preuve auraient pu être découverts si on avait fait preuve de diligence raisonnable avant l'audition de l'appel. Les faits pertinents étaient sans doute connus longtemps avant la date du dépôt de l'avis de demande. Cependant, les appelants affirment qu'il ne s'agit pas simplement de savoir si l'élément de preuve existait ou était connu avant l'audition de la demande de contrôle judiciaire, mais également s'il y avait des motifs légitimes empêchant le dépôt de la preuve à ce moment-là. Ils font valoir que la question est de savoir si M. Erasmus a déployé suffisamment d'efforts pour atteindre le consensus qu'il croyait être nécessaire. Ils soutiennent que les circonstances particulières auxquelles M. Erasmus a eu à faire face devraient m'amener à conclure que l'exigence de diligence raisonnable a été remplie.

[19] La raison pour laquelle l'affidavit de M. Erasmus n'a pas été prêt à temps pour l'audition est qu'il s'est écoulé trop de temps avant que M. Erasmus obtienne le consensus qu'il croyait être nécessaire au sein de l'organisation de la Nation dénée avant de pouvoir présenter l'élément de preuve en question pour étayer la demande de contrôle judiciaire. Je ne peux accepter qu'il s'agisse d'un motif raisonnable pour l'omission de produire des éléments de preuve pertinents lors de l'audition.

[20] La Nation dénée a choisi de devenir partie à l'instance tout en étant consciente des contraintes de temps et tout en sachant que, si un large consensus était requis pour continuer, elle serait incapable de présenter ses éléments de preuve à temps pour l'audition. Rien ne donne à penser que la Nation dénée ait envisagé de se retirer de l'instance avant l'audition de la cause et de se réserver le droit d'instituer de nouvelles procédures seulement lorsque ses éléments de preuve seraient prêts, comme elle aurait pu le faire. La Nation dénée n'a pas non plus cherché à obtenir l'ajournement de la partie de l'audition traitant des droits qu'on cherche à revendiquer au nom du peuple déné, stratégie qui aurait permis de trancher les autres questions d'abord. Rien ne porte à croire que M. Erasmus soit la seule personne qui aurait pu témoigner à l'égard de l'élément de preuve qu'on cherche à faire admettre en preuve aujourd'hui. Compte tenu de tous ces facteurs, je suis d'avis qu'il n'a pas été satisfait à la première condition de l'arrêt Brunckhorst.

[21] Je suis enclin à rejeter la présente demande sur le seul fondement des trois conditions de l'arrêt Brunckhorst. Cependant, dans l'arrêt Glaxo Wellcome plc c. Ministre du Revenu national (1998), 225 N.R. 28 (C.A.F.), le juge Stone a accepté que des circonstances autres que celles énumérées dans l'arrêt Brunckhorst peuvent également être prises en compte. Dans cette affaire, le juge a accueilli une requête en vue du dépôt en appel de nouveaux éléments de preuve, en dépit du fait que les conditions de l'arrêt Brunckhorst n'aient pas été remplies, parce qu'il a conclu que l'admission de la preuve à cette étape du procès aurait pour effet de permettre une utilisation plus efficace des ressources judiciaires. Si la preuve n'avait pas été admise en appel, il aurait peut-être été loisible à l'appelant d'instituer de nouvelles procédures en se fondant sur cette même preuve.

[22] La thèse de l'existence d'un pouvoir discrétionnaire résiduel au-delà des conditions énoncées dans l'arrêt Brunckhorst est également étayée par la décision rendue par le juge Sopinka dans l'arrêt Amchem Products Inc. et al. c. Workers' Compensation Board (C.-B.) (1992), 192 N.R. 390, au paragraphe 6 :

     [TRADUCTION] Dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire, des éléments de preuve seront habituellement rejetés s'il aurait été possible de les découvrir en faisant preuve de diligence raisonnable avant l'appel, et en outre, s'il n'est pas établi que les éléments sont tels qu'ils seraient pour ainsi dire déterminants s'ils étaient admis. Voir Dormuth et al v. Untereiner et al , [1964] R.C.S. 122. Dans des cas spéciaux, il est toutefois possible d'exercer le pouvoir discrétionnaire pour admettre des éléments qui ne satisfont pas à ces critères : voir Brown c. Gentleman, [1971] R.C.S. 501.

[23] L'arrêt Brown c. Gentleman a trait à la faillite et les éléments de preuve qu'on cherchait à faire admettre devant la Cour suprême du Canada étaient des documents que l'appelant souhaitait produire pour contredire une conclusion de fait tirée par la cour d'appel. Les éléments de preuve auraient dû être découverts ou divulgués avant le procès par l'intimé, qui se trouvait à être le syndic de faillite. Dans l'arrêt Amchem Products, la Cour suprême du Canada était saisie d'un pourvoi contre une ordonnance faisant droit à une injonction interlocutoire ayant pour effet d'empêcher des parties demeurant en Colombie-Britannique de poursuivre les intimées devant un tribunal étranger. Les éléments de preuve qu'on cherchait à faire admettre devant la Cour suprême du Canada faisaient partie du dossier d'instance de ce tribunal étranger.

[24] Je suis incapable de relever les faits de la présente affaire qui sont analogues à ceux des arrêts Glaxo Wellcome, Brown c. Gentleman ou Amchem Products. Cependant, j'ai examiné la question de savoir si, malgré l'omission de la Nation dénée d'agir avec toute la diligence voulue dès le départ, les intérêts de la justice exigent que soient tranchées au cours de la présente instance les questions portant sur les droits qu'on cherche à revendiquer au nom du peuple déné.

[25] J'aurais pu être enclin à tirer une conclusion favorable à cet égard si j'avais été convaincue qu'à moins d'admettre en l'instance ces éléments de preuve, le peuple déné ne pourrait se prévaloir d'aucun recours devant les tribunaux pour obtenir réponse à ces questions. Il importe de noter à cet égard que le juge Gibson n'a pas conclu à l'absence du bien-fondé des revendications; simplement qu'en l'absence de tout élément de preuve produit par la Nation dénée, il ne disposait d'aucun fondement pour conclure au caractère invalide du Règlement modificateur du fait que le peuple déné n'a pas été consulté au cours du processus. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé la production d'observations écrites additionnelles sur la question de la chose jugée.

[26] Ayant examiné les observations écrites, je suis d'avis que, dans la mesure où la Nation dénée est une personne morale, il serait loisible aux tribunaux de statuer dans le futur que la question du caractère adéquat des consultations préliminaires tient lieu de chose jugée : Canada c. Chevron Canada Resources Ltd., [1999] 1 C.F. 349 (C.A.F.); Thomas v. Trinidad and Tobago (Attorney General) (1990), 115 N.R. 313 (P.C.). Dans l'affaire Henderson v. Henderson (1843), 3 Hare 100, le V.-C. Wigram a déclaré à la page 115 :

     [TRADUCTION] À l'exception des cas spéciaux, le plaidoyer de chose jugée s'applique non seulement aux questions sur lesquelles les parties ont demandé à la Cour de statuer, mais à toute question se rapportant à l'objet du litige et que les parties auraient alors pu invoquer si elles avaient fait preuve d'une attention raisonnable.

[27] Un tel résultat n'est cependant pas inévitable. Malgré ma conclusion, dans le cadre de la présente requête, que la Nation dénée n'a pas fait preuve de diligence raisonnable quant au dépôt de ses éléments de preuve, un tribunal pourrait dans le futur être convaincu qu'il s'agit d'un cas exceptionnel dans lequel un plaidoyer de chose jugée ne devrait pas empêcher la Nation dénée de soulever les mêmes questions dans une nouvelle instance. Tout compte fait, je suis d'avis, sans en être certaine, que la Nation dénée se verra vraisemblablement empêchée par la doctrine de la chose jugée de soulever ces questions au cours d'une nouvelle instance.

[28] De façon encore plus importante, cependant, je suis convaincue que ces questions peuvent être soulevées par une autre partie. La Nation dénée a fait valoir que ses 31 communautés membres sont véritablement parties à l'instance, ou à tout le moins intéressées, et qu'elles sont liées par le résultat au même titre que la Nation dénée, et qu'elles seraient par conséquent elles aussi empêchées par la doctrine de la chose jugée de revendiquer les droits visés en l'espèce. Compte tenu des éléments dont je dispose, je ne peux conclure, sur le plan juridique, que la société connue sous le nom de Nation dénée s'identifie à ce point à ses membres qu'aucune communauté membre ne pourrait invoquer les droits visés en l'espèce. En outre, le dossier indique que certaines communautés dénées n'appartiennent pas à la Nation dénée. Un plaidoyer de chose jugée n'aurait pas d'incidence sur le droit d'une telle communauté, ou même de toute personne dénée, de revendiquer dans le cadre d'une autre instance les droits qui font l'objet de la présente affaire.


[29] Gardant à l'esprit tous les éléments qui précèdent, je ne suis pas convaincue que les intérêts de la justice nécessitent la délivrance d'une ordonnance permettant le dépôt de l'affidavit de M. Erasmus dans le cadre du présent appel. Pour ce motif, la requête des appelants est rejetée. La requête déposée par les intimés est également rejetée puisqu'elle est conditionnelle à une issue favorable à la requête des appelants. Les dépens incombent aux appelants.




                                 Karen R. Sharlow

                            

                                     J.C.A.

Traduction certifiée conforme


Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.









COUR D'APPEL FÉDÉRALE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                  A-310-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Alliance animale du Canada et autres c. Le procureur général et autre
LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 29 juin 2000
MOTIFS DE L'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR :      Le juge Sharlow, J.C.A.
EN DATE DU :                  7 septembre 2000

    

ONT COMPARU :

Leslie Bisgould                  Pour les appelants
Peter Hacejek                      Pour les intimés

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling, Lafleur & Henderson

Toronto (Ontario)                  Pour les appelants

Morris Rosenberg

Ottawa (Ontario)                  Pour les intimés





Date : 20000907


Dossier : A-310-99


OTTAWA (ONTARIO), LE 7 SEPTEMBRE 2000


EN PRÉSENCE DE :      MADAME LE JUGE SHARLOW


ENTRE :



ALLIANCE ANIMALE DU CANADA, ANIMAL PROTECTION INSTITUTE,

CANADIAN ENVIRONMENTAL DEFENCE FUND, LA NATION DÉNÉE et

ZOOCHECK CANADA INC.

    

Appelants

(Demandeurs)

     - et -





LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT


Intimés




ORDONNANCE

     La requête des appelants déposée en date du 29 mai 2000 pour obtenir l'autorisation de déposer des éléments de preuve additionnels sur une question de fait dans le cadre du présent appel est rejetée. La requête déposée par les intimés est également rejetée puisqu'elle est conditionnelle à une issue favorable à la requête des appelants. Les dépens incombent aux appelants.


                             Karen R. Sharlow

                        

                                 J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.

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