Date : 20180502
Dossier : A-448-16
Référence : 2018 CAF 85
CORAM :
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LE JUGE PELLETIER
LA JUGE GAUTHIER
LA JUGE GLEASON
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ENTRE :
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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appelant
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et
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CHRISTIANE ALLARD, MARIE-ANDRÉE FREDETTE, HÉLÈNE GAGNON,
MEHDI HADDOU, ALAIN LAJOIE, SONJA LAURENDEAU, JULIE NAGEL,
DANIEL PERRON, FRANCE PROVOST, MARIE-CLAUDE SIMARD,
HÉLÈNE SOUCY ET GENEVIÈVE TOUPIN
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intimés
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Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 9 janvier 2018.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 2 mai 2018.
MOTIFS DU JUGEMENT :
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LA JUGE GLEASON
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE PELLETIER
LA JUGE GAUTHIER
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Date : 20180502
Dossier : A-448-16
Référence : 2018 CAF 85
CORAM :
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LE JUGE PELLETIER
LA JUGE GAUTHIER
LA JUGE GLEASON
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ENTRE :
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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appelant
|
et
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CHRISTIANE ALLARD, MARIE-ANDRÉE FREDETTE, HÉLÈNE GAGNON,
MEHDI HADDOU, ALAIN LAJOIE, SONJA LAURENDEAU, JULIE NAGEL,
DANIEL PERRON, FRANCE PROVOST, MARIE-CLAUDE SIMARD,
HÉLÈNE SOUCY ET GENEVIÈVE TOUPIN
|
intimés
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MOTIFS DU JUGEMENT
LA JUGE GLEASON
[1]
La Cour est saisie de l’appel d’une décision rendue par la Cour fédérale (le juge Leblanc) dans l’affaire Allard c. Canada (Agence d’inspection des aliments), 2016 CF 1235, par laquelle elle a annulé une décision relative à un grief de classification rendue par l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’ACIA). Plutôt que de renvoyer le grief de classification pour réexamen, la Cour fédérale a entrepris de déterminer la classification applicable au poste en question.
[2]
Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la Cour fédérale a commis une erreur en annulant la décision visée par le contrôle judiciaire et en prenant la mesure inhabituelle consistant à déterminer la classification applicable aux postes en litige. Par conséquent, j’accueillerais le présent appel.
I.
Faits
[3]
Un énoncé des faits s’impose pour mettre en contexte les questions en litige dans le présent appel.
[4]
Les intimés sont des vétérinaires et, à l’époque pertinente étaient des employés de l’ACIA. L’ACIA est un « organisme distinct »
au sens des articles 11 et 11.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, c. F-11. Sa loi constitutive l’habilite à classifier les postes de ses employés (Loi sur l’Agence canadienne d’inspection des aliments, L.C. 1997, c. 6, art. 13).
[5]
En exerçant ce pouvoir, l’ACIA a élaboré une norme de classification relativement à ses vétérinaires. La norme en question énonce cinq facteurs en fonction desquels les postes sont évalués, c’est-à-dire la nature des travaux, la complexité du travail, la responsabilité professionnelle, les responsabilités administratives et la portée des recommandations et des activités. La norme de classification prévoit six niveaux possibles pour chaque facteur et des postes-repères correspondant à plusieurs niveaux. Les postes-repères servent à comparer les fonctions d’un poste en litige, afin d’en valider le classement à l’un des niveaux prévus dans la norme.
[6]
Outre cette norme, l’ACIA a également mis sur pied une procédure de grief de classification qui permet aux employés de remettre en question la classification de leur poste. Dans le cadre de ce processus, le grief de classification est renvoyé à un comité de classification, composé habituellement d’un spécialiste de la classification, d’un gestionnaire qui connaît bien les fonctions du poste en litige et d’une autre personne qui connaît l’application des normes de classification. Les travaux du comité de classification ne sont pas de nature contradictoire. L’employé ou son représentant peut présenter des observations au comité et ce dernier peut également demander des renseignements d’un représentant de l’employeur qui connaît bien le travail du poste faisant l’objet du grief. Dans ce cas, il est interdit au représentant de l’employeur de prôner un résultat précis. Ces discussions sont habituellement tenues en l’absence de l’autre partie. Dans le cas où les discussions du comité avec l’employé, son représentant ou l’employeur révéleraient de nouveaux renseignements que le comité juge importants, ces renseignements doivent être communiqués à l’autre partie. Le comité doit produire un rapport qui résume les positions des parties et énonce ses motifs en détail. S’il est accepté par le Vice-président, Ressources humaines, de l’ACIA, ce rapport établit la classification du poste en litige.
[7]
En plus de ce qui précède, les conventions collectives entre l’ACIA et les agents négociateurs de ses employés permettent aux employés de déposer un autre type de grief pour contester la description de leurs postes. Ces griefs peuvent être renvoyés à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la CRTEFP).
[8]
À l’époque pertinente, les intimés occupaient tous le poste de « Spécialiste des programmes du Centre opérationnel, médecine vétérinaire réglementaire »
. L’ACIA a élaboré une description longue et détaillée de ce poste, qui établit ses responsabilités principales. De manière générale, les titulaires agissent comme spécialistes dans un ou plusieurs domaines vétérinaires et dirigent les activités liées à leurs spécialités au sein de chaque centre opérationnel de l’ACIA. Toutefois, la description de travail du poste reconnaît que certaines tâches peuvent être exécutées à l’échelle nationale ou internationale, telles que représenter l’ACIA dans les négociations internationales ou bilatérales « liées aux politiques et programmes canadiens touchant les exigences zoosanitaires et la salubrité des aliments »
.
[9]
L’ACIA a attribué au poste des intimés le niveau 3 de la norme de classification. Cependant, le poste était proche de la limite supérieure, certains facteurs appartenant au niveau 4. Le classement du poste oppose depuis longtemps l’ACIA aux titulaires et à leur agent négociateur; de l’avis de ces derniers, le poste correspond au niveau 4 et de l’avis de l’ACIA, il appartient bel et bien au niveau 3.
[10]
En 2010, les personnes qui occupaient le poste à l’époque ont déposé un premier grief de classification. Devant le comité de classification chargé d’entendre le premier grief, il est devenu manifeste que la description de travail relative au poste ne faisait pas l’unanimité. Selon les représentants des deux parties, elle ne décrivait pas fidèlement le travail accompli par les titulaires. Dans leur représentations, les gestionnaires et superviseurs ont décrit, de leur point de vue, les tâches exécutées par les titulaires. Dans certains cas, ils étaient d’avis que les tâches étaient moins importantes que ce qu’indiquait la description de travail du poste. Le premier comité de classification s’est demandé s’il était habilité à modifier la teneur d’une description de poste mais il a néanmoins considéré la preuve déposée et a conclu que le poste faisant l’objet du grief avait été bien classé, à savoir au niveau 3.
[11]
Les employés ont demandé le contrôle judiciaire de cette décision. Dans Allard c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2012 CF 979 (Allard no 1), la Cour fédérale (le juge de Montigny) a annulé la décision. La Cour fédérale a appliqué la norme de la décision correcte et a conclu que le premier comité de classification avait excédé sa compétence en modifiant la description de travail du poste et avait ainsi usurpé le rôle d’un arbitre de la CRTEFP. La Cour fédérale a également conclu que ce faisant, le premier comité de classification avait brimé les droits que l’équité procédurale assure aux demandeurs, étant donné que le Comité avait « modifi[é] le contenu de la description de travail des demandeurs sans leur donner la possibilité de se faire entendre par un arbitre »
(au para. 38).
[12]
La Cour fédérale a indiqué ce qui suit au paragraphe 40 de ses motifs dans l’affaire Allard no 1 :
[…] une lecture attentive des motifs du Comité sous les rubriques « Nature des travaux », « Complexité du travail » et « Responsabilité professionnelle » révèle que le Comité a de toute évidence été influencé par les commentaires des surveillants et des gestionnaires, selon qui plusieurs des travaux et activités principales des demandeurs sont effectués à l’échelle régionale ou provinciale et non au niveau international. Non seulement cette perception a-t-elle induit le Comité à réécrire implicitement la description de travail, mais c’est également l’une des raisons principales pour lesquelles le Comité a écarté les postes-repères et les deux postes de relativité proposés par la représentante syndicale. Ce faisant, le Comité a fait fi du libellé de la description de travail, qui mentionne à plusieurs endroits le caractère national et même international des tâches et responsabilités décrites, pour s’en remettre plutôt au témoignage des surveillants et des gestionnaires à l’effet que ces tâches étaient effectuées à l’échelle régionale ou provinciale.
[13]
Par la suite, la description de travail du poste a été examinée par les parties qui, à la suite de discussions supplémentaires, ont convenu que la description actuelle était fidèle. Les griefs de classification ont ensuite été renvoyés à un comité de classification différemment constitué pour un nouvel examen.
[14]
Devant le deuxième comité, comme devant le premier, seuls deux facteurs étaient en jeu, à savoir, la nature et la complexité du travail requis par le poste. Un représentant de l’agent négociateur des intimés a présenté des observations écrites et orales au comité afin de souligner des exemples où les titulaires avaient exécuté des tâches à l’échelle nationale ou internationale. Le comité n’a pas cherché de clarifications supplémentaires de l’employeur, étant donné que l’un des membres du comité connaissait les tâches liées au poste.
II.
La décision du comité de classification
[15]
Le 6 juillet 2015, le comité de classification a publié son rapport unanime, qui a été approuvé le lendemain par le Vice-président, Ressources humaines, de l’ACIA. Dans son rapport, le comité de classification a décidé que les deux facteurs en litige correspondaient au niveau 3 et a par conséquent maintenu le classement du poste déterminé par l’ACIA. Pour ce faire, il a examiné les arguments avancés par le représentant des intimés et a motivé sa conclusion avec détail, comparant le poste à plusieurs des postes-repères contenus dans la norme de classification.
[16]
Plus précisément, le comité a conclu que le poste faisant l’objet du grief ressemblait plus au poste-repère (PR) 5 Vétérinaire, maladies infectieuses au niveau 3, qu’aux postes-repères de niveaux supérieurs proposés par le représentant des intimés à titre de comparaison. Avant de tirer cette conclusion, le comité a comparé la nature des tâches exigées des différents postes, concluant que les postes supérieurs étaient assortis de responsabilités accrues. Il a également indiqué que le travail des postes supérieurs était souvent effectué à l’échelle nationale, tandis que les responsabilités des défendeurs se rapportaient à l’échelle régionale.
III.
La décision de la Cour fédérale
[17]
Dans la décision faisant l’objet de l’appel, la Cour fédérale, souscrivant à l’affaire Allard no 1 et ayant appliqué la norme de la décision correcte, a conclu que le comité avait une fois de plus fait fi de certains aspects de la description de travail du poste et avait donc brimé les droits que l’équité procédurale assure aux demandeurs. La Cour fédérale a exprimé l’opinion suivante :
[37] […] le Comité a commis la même erreur que son prédécesseur en faisant fi du libellé de la description de travail, une chose qu’il ne pouvait se permettre de faire sans usurper le rôle d’un arbitre de grief de contenu de description de tâches et enfreindre, par le fait même, les principes de justice naturelle puisqu’il se trouvait ainsi à court-circuiter la procédure prévue par la convention collective et les politiques de l’Agence pour débattre de la justesse du contenu d’une description de travail.
[18]
Après avoir décidé que la décision du comité de classification devait être annulée, la Cour fédérale s’est penchée sur la réparation qu’il convenait d’ordonner. Indiquant que le choix de la réparation est discrétionnaire, la Cour a jugé bon de déterminer la classification du poste en litige vu le temps qui s’était écoulé depuis le début du litige, le fait que, selon elle, l’ACIA ne s’était pas conformée à l’ordonnance de la Cour dans la décision Allard no 1 et ses propres vues à l’égard de la classification convenable du poste. La Cour fédérale s’est ainsi exprimée :
[54] […] l’Agence […] a déjà eu une seconde chance de statuer sur le grief de classification logé par les demandeurs mais elle a commis les mêmes erreurs que la première fois. Je rappelle aussi que le différend qui oppose les parties ne porte que sur deux des cinq facteurs d’évaluation établis par la Norme de classification. Suivant la décision rendue dans Allard [no1] et celle que je rends aujourd’hui, l’évaluation des deux facteurs litigieux s’est à toutes fins utiles décidée, dans les deux cas, sur la base de considérations que le Comité, et le comité ayant traité du Grief de 2010 avant lui, ne pouvait invoquer sans excéder sa compétence.
[55] Si l’on exclut ces considérations, je suis porté à penser que la preuve au dossier conduit à un résultat inévitable, soit celui que les facteurs Nature des travaux et/ou Complexité du travail doivent recevoir une cote numérique de difficulté de 4.
[19]
La Cour fédérale a choisi de ne pas répondre à la prétention des intimés selon laquelle le comité de classification avait enfreint les droits que l’équité procédurale assure aux intimés en s’appuyant sur les connaissances de l’un de ses membres concernant le travail accompli par les titulaires du poste faisant l’objet du grief.
IV.
Questions en litige
[20]
Le présent appel soulève les questions suivantes :
1. La Cour fédérale a-t-elle erré en employant la norme de la décision correcte après avoir mal circonscrit la nature de la décision du comité de classification et conclu à un excès de compétence ou à un manquement à l’équité procédurale?
2. La décision du comité de classification est-elle raisonnable?
3. Le comité de classification a-t-il par ailleurs brimé les droits que l’équité procédurale assure aux intimés en faisant appel aux connaissances de l’un de ses membres concernant le travail accompli par les titulaires du poste faisant l’objet du grief?
V.
Discussion
[21]
Abordons ces questions, à commencer par la norme de contrôle.
A.
La Cour fédérale a-t-elle erré en choisissant d’appliquer la norme de la décision correcte après avoir mal circonscrit la nature de la décision du comité de classification?
[22]
Dans un appel comme celui en l’espèce, la Cour, suivant la directive énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 (Agraira), doit décider si la Cour fédérale a choisi la bonne norme de contrôle. Si ce n’est pas le cas, elle doit appliquer la norme de contrôle qui convient et effectuer le contrôle judiciaire de la décision du comité de classification selon cette norme. Autrement dit, la Cour doit se mettre à la place de la Cour fédérale et procéder de nouveau à l’analyse qu’exige le contrôle judiciaire (Agraira aux paras. 46-47).
[23]
Je suis d’avis que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que la décision du comité de classification était assujettie à la norme de la décision correcte et que l’interprétation offerte par le comité a brimé les droits que l’équité procédurale assure aux fonctionnaires s’estimant lésés. La norme de contrôle que la Cour fédérale aurait dû appliquer est celle de la décision raisonnable, qui commande la retenue.
[24]
Un comité de classification est un décideur spécialisé en droit du travail. Il est bien établi que les décisions des décideurs spécialisés en droit du travail qui ressortissent de leur compétence sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, caractérisée par la retenue (ou précédemment selon la norme de la décision manifestement déraisonnable), comme la Cour suprême du Canada le dit depuis plus d’un demi-siècle (voir, par exemple, Union internationale des employés des services, Local no. 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association et al., [1975] 1 R.C.S. 382 aux pp. 388-389, 41 D.L.R. (3d) 6; S.C.F.P. c. Société des Alcools du N.-B., [1979] 2 R.C.S. 227 à la p. 233, 26 N.R. 341; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 aux paras. 7, 26, [2011] 3 R.C.S. 708; Nor-Man Regional Health Authority Inc. c. Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59 aux paras. 31, 42, [2011] 3 R.C.S. 616; Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée., 2016 CSC 29 au para. 15, [2016] 1 R.C.S. 770).
[25]
Ainsi, la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer à des décisions comme celle du comité de classification. En effet, les affaires de classification sont parmi les questions les plus spécialisées et les plus obscures qu’un décideur en droit de travail puisse être appelé à trancher. Par conséquent, les décisions en la matière sont toujours contrôlées par cette Cour et — mis à part la présente espèce — par la Cour fédérale selon la norme de la décision raisonnable (voir, par exemple, Gladman c. Canada (Procureur général), 2017 FCA 109 (Gladman) au para. 30; Morrisey c. Canada (Procureur général), 2017 CF 345 (Morrisey) aux paras. 15-16, conf. à l’égard de la norme de contrôle applicable par 2018 FCA 26 au para. 12; McEvoy c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 164 (McEvoy) au para. 17, 465 N.R. 384; Roopnauth c. Canada (Revenu national), 2016 CF 1307 au para. 18; Bourdeau c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1089 aux paras. 30-31; Peck c. Parcs Canada, 2009 CF 686 au para. 17; Beauchemin c. Canada (Agence Canadienne d’Inspection des Aliments), 2008 CF 186 aux paras. 19-23).
[26]
Vu ce qui précède, la présomption suivant laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique en l’espèce ne peut être écartée que si l’une des quatre exceptions reconnues dans la jurisprudence de la Cour suprême s’applique. C’est le cas lorsque la question faisant l’objet du contrôle judiciaire porte sur : (1) une question constitutionnelle (autre que celle de savoir si l’exercice du pouvoir discrétionnaire enfreint la Charte ou ne respecte pas ses valeurs), (2) une question d’importance capitale pour le système juridique et étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre, (3) la délimitation de la compétence respective de deux tribunaux spécialisés concurrents ou plus ou (4) une soi-disant « véritable »
question de compétence, bien que l’existence de cette quatrième exception ait été remise en question dans certaines décisions de la Cour suprême (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux paras. 54, 58-61, [2008] 1 R.C.S. 190; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 aux paras. 30-34, [2011] 3 R.C.S. 654; Société Radio-Canada c. SODRAC 2003 Inc., 2015 CSC 57 aux paras. 35, 39, [2015] 3 R.C.S. 615; Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16 au para. 46, [2015] 2 R.C.S. 3; Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47 aux paras. 22-26, [2016] 2 R.C.S. 293).
[27]
Aucune de ces quatre exceptions ne s’applique à l’espèce. Les seules exceptions potentiellement applicables sont les deux dernières, qui appellent en l’occurrence une analyse visant à décider si le comité de classification a excédé sa compétence et usurpé les fonctions d’un arbitre de la CRTEFP. Or, je ne crois pas que l’on puisse décrire en ces termes la décision du comité et j’estime que la Cour fédérale a commis une erreur en tirant la conclusion contraire.
[28]
Plus précisément, le comité de classification n’a pas prétendu réécrire la description de travail du poste des intimés; il a simplement interprété la description existante à la lumière des éléments de preuve. Il a ensuite déterminé le classement du poste suivant la norme de classification. C’est exactement ce que tous les comités de classification sont appelés à faire.
[29]
Ainsi, la tâche du comité de classification était fondamentalement différente de celle d’un arbitre de la CRTEFP saisi d’un grief portant sur une description de travail. Dans ce cas, il incomberait à l’arbitre de la CRTEFP de réécrire la description de travail du poste (ou d’ordonner à l’employeur de le faire) s’il concluait qu’elle ne représentait pas fidèlement le travail des titulaires. Ce n’est pas l’analyse effectuée par le comité de classification.
[30]
En concluant que le comité de classification avait excédé sa compétence et usurpé le rôle d’un arbitre de la CRTEFP parce qu’il avait fait fi de certaines parties de la description de travail, la Cour fédérale a essentiellement introduit la notion de la question préliminaire ou accessoire, délaissée depuis longtemps, dans le contrôle judiciaire de la décision du comité de classification. Selon cette notion, la cour qui effectue le contrôle qualifie de juridictionnelles (et donc susceptibles de contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte) des questions préliminaires ou accessoires que le décideur administratif doit examiner sous le régime d’une loi ou de la convention collective. Dans l’arrêt S.C.F.P. c. Société des Alcools du N.-B. rendu en 1979, la Cour suprême du Canada a rejeté cette démarche, indiquant que les tribunaux « devraient éviter de qualifier trop rapidement un point de question de compétence, et ainsi de l’assujettir à un examen judiciaire plus étendu, lorsqu’il existe un doute à cet égard »
(à la p. 233). La Cour suprême du Canada, à la majorité, a confirmé dans un jugement récent que l’approche de la question préliminaire ou accessoire ne doit pas être suivie (Québec (Procureure générale) c. Guérin, 2017 CSC 42 au para. 32, [2017] 2 R.C.S. 3).
[31]
Je ne suis donc pas d’avis que le comité de classification a excédé sa compétence en l’espèce. Si je devais arriver à la conclusion contraire et conclure à une erreur en la matière, le résultat serait le suivant : les décisions de classification seraient assujetties à un contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte chaque fois que la cour chargée du contrôle n’accepte pas l’interprétation faite par le comité de classification de la description de poste. Pareil résultat est insoutenable. Ce qu’il faut plutôt se demander est de savoir si le comité a interprété la description de travail raisonnablement et s’il a raisonnablement conclu que le poste appartient au niveau 3.
[32]
Il s’ensuit de ce qui précède que le comité de classification n’a aucunement brimé les droits que l’équité procédurale assure aux intimés ainsi que le suggère la Cour fédérale, puisque le comité n’a pas usurpé les fonctions d’un arbitre de la CRTEFP. L’absence de manquement à l’équité procédurale ressort clairement de la réponse des intimés à la question de savoir s’ils auraient tout de même des préoccupations après avoir eu la possibilité de faire des commentaires sur l’ébauche du rapport du comité de classification. La réponse est un « oui »
sans équivoque, les intimés contestant l’interprétation faite par le comité de la description de travail. Or, c’est là une question de fond — et non de procédure — qui concerne la décision du comité. Par conséquent, aucun manquement à l’équité procédurale n’a été démontré et la norme de contrôle applicable à la décision du comité de classification est celle de la décision raisonnable. En somme, ce comité de classification a rendu précisément le même type de décision qu’il incombe à tous ces comités de prendre et, conformément à la jurisprudence bien établie, sa décision doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable.
B.
La décision du comité de classification est-elle raisonnable?
[33]
Passons à la question de savoir si la décision du comité de classification est raisonnable. Comme le dit la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir, une décision est raisonnable si elle possède les attributs de la transparence, de l’intelligibilité et de la justification et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit (au para. 47).
[34]
Lorsque le tribunal administratif motive sa décision, les critères de la transparence et de l’intelligibilité concernent principalement la qualité des motifs. En l’espèce, il est facilement satisfait à cette double exigence, le comité de classification ayant fourni des motifs complets, logiques et bien expliqués.
[35]
De même, la décision du comité de classification satisfait à l’exigence de la justification puisque ce dernier était amplement fondé à tirer ses conclusions au regard des deux facteurs en litige dans le grief de classification. Plusieurs similitudes existaient entre le poste visé par le grief et le poste-repère le plus semblable, selon le comité, soit le poste-repère (PR) 5 Vétérinaire, maladies infectieuses au niveau 3. L’appelant a utilement indiqué certaines de ces ressemblances dans les tableaux décrits aux paragraphes 30 et 31 de son mémoire (que j’ai reproduits en Annexe aux présents motifs).
[36]
Il n’était pas non plus déraisonnable pour le comité de conclure que le poste faisant l’objet du grief était fondamentalement différent des postes supérieurs invoqués par le représentant des intimés, en raison de l’envergure nationale des autres postes. Contrairement aux affirmations des défendeurs, le comité n’a pas fait fi des passages de la description de travail prévoyant la possibilité, pour les titulaires, d’accomplir des tâches à l’échelle nationale. Selon le comité, le poste exige principalement des titulaires qu’ils agissent à l’échelle régionale. C’est ce qui ressort clairement de l’aperçu du poste présenté dans la description de travail :
Le spécialiste des programmes du Centre opérationnel a généralement la plus grande expertise dans son domaine de spécialité au sein d’un Centre opérationnel donné (Atlantique, Québec, Ontario ou Ouest), et il y est reconnu comme étant la seule personne capable de fournir des renseignements qui font autorité en la matière.
[Je souligne.]
[37]
En outre, plusieurs autres passages de la description de travail soulignent la nature régionale du poste faisant l’objet du grief. Une fois de plus, l’appelant a utilement présenté certains de ces exemples dans le tableau au paragraphe 32 de son mémoire (que j’ai également inclus dans l’Annexe des présents motifs).
[38]
À la lumière de ce qui précède, j’estime que la conclusion du comité n’était aucunement déraisonnable. Il s’ensuit que la Cour fédérale a annulé à tort sa décision.
C.
Le comité a-t-il manqué à l’équité procédurale en omettant de consulter l’employeur?
[39]
Abordons le dernier point soulevé par les intimés, à savoir si le comité de classification, en faisant appel à la connaissance que possédait l’un de ses membres quant au poste faisant l’objet du grief, avait brimé les droits que leur assure l’équité procédurale. De l’avis des intimés, ceci n’est pas permis, car la procédure de grief de classification interdit à un représentant de l’employeur de prôner un résultat précis si le comité choisit de consulter l’employeur. Les intimés soutiennent que, de la même manière, le membre du comité de classification, ayant des connaissances quant au poste faisant l’objet du grief, ne pouvait trancher le grief sur le fondement de tels renseignements et que le comité était tenu de consulter l’employeur pour ce faire.
[40]
À mon avis, cet argument n’est nullement fondé. Le processus de griefs de classification de l’ACIA prévoit que, normalement, un comité de classification doit être composé d’un spécialiste de la classification, d’un gestionnaire qui connaît les tâches du poste en litige et d’une autre personne qui connaît l’application des normes de classification. Ces exigences ont pour seul objet de veiller à ce que le comité dispose des connaissances requises pour trancher le grief. Par conséquent, les travaux du comité ont respecté à tous égards le processus élaboré par l’ACIA.
[41]
En outre, la teneur des droits que les intimés peuvent revendiquer en matière d’équité procédurale se situe à l’extrémité inférieure du continuum, comme l’enseigne la jurisprudence de la Cour (Gladman au para. 40; McEvoy aux paras. 20-21; Chong c. Canada (Procureur général) (1999), 170 D.L.R. (4th) 641 (Chong) aux paras. 12-14, 162 F.T.R. 85 (C.A.F.). Elle comprend néanmoins le droit d’être informé des faits défavorables à leur thèse qui surviennent et d’y répondre (Gladman aux paras. 39-40; McEvoy au para. 21; Chong aux paras. 13-14).
[42]
En l’espèce, rien ne permet de croire que le comité de classification avait connaissance de faits que les intimés ignoraient ou avait fondé sa décision sur de tels faits. L’avocate des intimés n’en a indiqué aucun et rien de la sorte ne ressort du dossier. Je conclus par conséquent que les droits que l’équité procédurale assure aux intimés n’ont pas été brimés dans le cadre de la procédure du grief de classification.
D.
Quelques commentaires sur la réparation choisie par la Cour fédérale
[43]
Si ce qui précède suffit pour trancher le présent appel, je crois que quelques remarques s’imposent sur la réparation choisie par la Cour fédérale.
[44]
Comme l’indique la Cour fédérale, la cour qui procède au contrôle judiciaire peut ordonner une réparation à sa discrétion et, le cas échéant, ordonner un résultat particulier (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. LeBon, 2013 CAF 55 aux paras. 11-15, 444 N.R. 93). Toutefois, ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles qu’il convient de donner des directives à un tribunal administratif sur la façon de trancher une question qui relève de sa compétence. Dans l’arrêt Canada (Ministre du développement des ressources humaines) c. Rafuse, 2002 CAF 31, 286 N.R. 385, la Cour indique ce qui suit au paragraphe 14 :
[14] Bien que la Cour puisse donner des directives quant à la nature de la décision à rendre lorsqu’elle annule la décision d’un tribunal, il s’agit d’un pouvoir exceptionnel ne devant être exercé que dans les cas les plus clairs […].
[45]
Certes, il n’est pas possible de catégoriser toutes les situations susceptibles de constituer ces circonstances. Or, généralement, ce pouvoir discrétionnaire ne devrait être exercé que lorsqu’une seule issue possible raisonnable s’offre au décideur. Dans les cas où, comme en l’espèce, les questions en litige sont hautement factuelles et nécessitent une expertise spécialisée importante, la cour effectuant le contrôle devrait hésiter à conclure à l’existence d’une seule telle issue. En effet, les intimés n’ont invoqué aucune affaire où cette Cour ou la Cour fédérale aurait déterminé la classification d’un poste en litige. Chaque fois qu’elles ont annulé la décision d’un comité de classification, l’affaire a été renvoyée au comité pour nouvel examen (voir, par exemple, Morrisey, 2018 FCA 26 au para. 23; Canada (Procureur général) c. Gilbert, 2009 CAF 76 aux paras. 23-24, 388 N.R. 59; Kohlenberg c. Canada (Procureur général), 2017 CF 414 aux paras. 88, 91; Boucher c. Canada (Procureur général), 2016 CF 546 aux paras. 27-29).
[46]
Par conséquent, la réparation ordonnée par la Cour fédérale ne convenait pas.
VI.
Dispositif proposé
[47]
À la lumière de ce qui précède, j’accueillerais le présent appel, j’annulerais le jugement de la Cour fédérale et, rendant la décision qu’elle aurait dû rendre, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire des intimés. J’adjugerais à l’appelant ses dépens devant cette Cour et la Cour fédérale. Les parties ont convenu que le montant global des dépens, devant les deux Cours, soit fixé à 3 500 $ tout inclus. J’estime que le montant des dépens est convenable dans les circonstances; par conséquent, j’adjugerais de tels dépens.
« Mary J.L. Gleason »
j.c.a.
« Je suis d’accord.
J.D. Denis Pelletier j.c.a. »
« Je suis d’accord.
Johanne Gauthier j.c.a. »
Annexe
Tableau au paragraphe 30 du mémoire de l’appelant :
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(a)
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(b)
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(c)
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(d)
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(e)
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(f)
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Tableau au paragraphe 31 du mémoire de l’appelant :
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(a)
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(b)
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(c)
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Tableau au paragraphe 32 du mémoire de l’appelant :
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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A-448-16
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INTITULÉ :
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. CHRISTIANE ALLARD ET AL.
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Ottawa (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 9 janvier 2018
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MOTIFS DU JUGEMENT :
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LA JUGE GLEASON
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE PELLETIER
LA JUGE GAUTHIER
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DATE DES MOTIFS :
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LE 2 MAI 2018
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COMPARUTIONS :
Me Sean F. Kelly
Me Zorica Guzina
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Pour l’appelant
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Me Lise Leduc
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POUR LES INTIMÉS
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Nathalie G. Drouin
Sous-procureure générale du Canada
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Pour l’appelant
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Goldblatt Partners LLP
Ottawa (Ontario)
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POUR LES INTIMÉS
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