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Date : 20171211


Dossiers : A‑66‑16

A‑73‑16

Référence : 2017 CAF 243

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE WOODS

 

ENTRE :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

appelant

et

CONOCOPHILLIPS CANADA RESOURCES CORP.

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 12 juin 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 11 décembre 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20171211


Dossiers : A‑66‑16

A‑73‑16

Référence : 2017 CAF 243

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE WOODS

 

ENTRE :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

appelant

et

CONOCOPHILLIPS CANADA RESOURCES CORP.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE WOODS

[1]  Les présents appels réunis concernent une demande présentée au ministre du Revenu national (le ministre) par ConocoPhillips Canada Resources Corp. (ConocoPhillips), au titre du paragraphe 220(2.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi), en vue de la renonciation à la production d’un document, à savoir un avis d’opposition à la nouvelle cotisation établie à son égard pour son année d’imposition qui s’est terminée le 30 novembre 2000.

[2]  Le ministre a refusé d’accorder la renonciation au motif que le paragraphe 220(2.1) ne s’appliquait pas aux avis d’opposition.

[3]  Le paragraphe 220(2.1) de la Loi dispose ce qui suit :

220(2.1) Le ministre peut renoncer à exiger qu’une personne produise un formulaire prescrit, un reçu ou autre document ou fournisse des renseignements prescrits, aux termes d’une disposition de la présente loi ou de son règlement d’application. La personne est néanmoins tenue de fournir le document ou les renseignements à la demande du ministre.

220(2.1) Where any provision of this Act or a regulation requires a person to file a prescribed form, receipt or other document, or to provide prescribed information, the Minister may waive the requirement, but the person shall provide the document or information at the Minister’s request.

[4]  ConocoPhillips a demandé le contrôle judiciaire de la décision du ministre. La Cour fédérale (le juge Boswell) a accueilli la demande et a annulé la décision du ministre au motif qu’elle découlait d’une interprétation déraisonnablement étroite du paragraphe 220(2.1) (2016 CF 98). En conséquence, l’affaire a été renvoyée au ministre afin qu’il exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 220(2.1).

[5]  Le ministre a interjeté appel de la décision de la Cour fédérale. Comme il est expliqué plus loin, j’ai conclu que la Cour fédérale avait commis une erreur et, par conséquent, j’accueillerais l’appel.

A.  Les faits

[6]  Voici un résumé des faits pertinents, qui sont énoncés dans la demande de renonciation présentée par ConocoPhillips le 15 août 2011 ainsi que dans la décision du ministre datée du 29 août 2012.

[7]  ConocoPhillips et d’autres sociétés participent au projet des sables bitumineux de Syncrude dans le Nord de l’Alberta.

[8]  Les participants au projet de Syncrude, y compris ConocoPhillips, ont déposé devant la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire concernant les montants calculés par le ministre en vertu d’un décret de remise, le Décret de remise relatif à Syncrude, pour l’année d’imposition 2000. La demande de ConocoPhillips a été mise en suspens en attendant l’issue des causes types concernant Imperial Oil Resources Limited et Imperial Oil Resources Ventures Ltd. (collectivement appelées Imperial Oil).

[9]  Si les participants au projet de Syncrude obtenaient gain de cause, ConocoPhillips aurait un revenu supplémentaire au sens de la Loi pour son année d’imposition se terminant le 30 novembre 2000.

[10]  Par ailleurs, si le litige concernant Imperial Oil se prolongeait, l’établissement d’une nouvelle cotisation à l’égard de ConocoPhillips pour le revenu supplémentaire pourrait être frappé de prescription. ConocoPhillips a refusé de fournir une renonciation pour régler la question de la prescription, et le ministre a par conséquent établi une nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2000 sur une base préventive, avant le règlement du litige concernant Imperial Oil. La nouvelle cotisation a augmenté le revenu imposable de ConocoPhillips d’environ 17 000 000 $.

[11]  ConocoPhillips a payé le montant de la nouvelle cotisation, comme l’exige la loi. Elle a également signifié un avis d’opposition.

[12]  Le litige concernant Imperial Oil a été réglé le 13 mai 2010, date à laquelle la Cour suprême du Canada a rejeté la demande d’autorisation de pourvoi contre la décision de la Cour (répertoriée sous la référence Procureur général du Canada c. Imperial Oil Resources Limited, 2009 CAF 325, 2009 D.T.C. 5193, demande d’autorisation de pourvoi devant la CSC rejetée, 33539).

[13]  Les participants au projet de Syncrude ayant en fin de compte été déboutés, ConocoPhillips aurait dû avoir droit au remboursement de l’impôt payé en trop en vertu de la nouvelle cotisation établie sur une base préventive.

[14]  Toutefois, le ministre a refusé de verser un remboursement au motif qu’une autre nouvelle cotisation avait été établie pour l’année d’imposition 2000 le 7 novembre 2008, à l’égard de laquelle aucun avis d’opposition n’avait été signifié. Cette nouvelle cotisation apportait d’autres redressements que ConocoPhillips avait acceptés, mais elle comprenait également le revenu supplémentaire qui avait été ajouté dans la nouvelle cotisation établie sur une base préventive.

[15]  ConocoPhillips affirme qu’elle n’a pris connaissance de cette nouvelle cotisation que le 14 avril 2010. Par conséquent, elle a tenté de signifier un avis d’opposition le 7 juin 2010 après qu’une copie de l’avis de nouvelle cotisation lui a été acheminée le 3 mai 2010.

[16]  Le ministre a refusé d’examiner l’avis d’opposition au motif qu’il était hors délai. Selon le ministre, le délai pour signifier un avis d’opposition ou pour demander une prorogation de délai a expiré le 5 février 2010. Les parties s’entendent pour dire que la dernière nouvelle cotisation a invalidé la nouvelle cotisation initiale établie sur une base préventive, ainsi que l’avis d’opposition y afférent.

[17]  ConocoPhillips a présenté à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire du refus du ministre d’examiner l’avis d’opposition. ConocoPhillips a soutenu que l’avis d’opposition avait été signifié dans le délai prescrit parce que l’avis de nouvelle cotisation n’avait pas été donné en bonne et due forme avant qu’elle en reçoive une copie, le 3 mai 2010.

[18]  La Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire de ConocoPhillips (2013 CF 1192). Toutefois, la décision a été infirmée en appel devant la Cour au motif que seule la Cour canadienne de l’impôt avait compétence pour trancher la question (Ministre du Revenu national c. ConocoPhillips Canada Resources Corp., 2014 CAF 297, 2015 D.T.C. 5022, demande d’autorisation de pourvoi devant la CSC rejetée, 36304 (le 8 octobre 2015)).

[19]  À l’audience, les avocats de ConocoPhillips ont fourni des renseignements sur d’autres réparations possibles. Une option consiste à accorder un décret de remise en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F‑11. Ce genre de décret vise à offrir une réparation uniquement dans des circonstances exceptionnelles. ConocoPhillips a demandé cette réparation il y a un certain temps et, à la date d’audience, le ministre ne lui avait pas encore répondu. Une autre option est de déposer une demande devant la Cour canadienne de l’impôt, comme la Cour l’a suggéré dans sa décision antérieure dans cette affaire, mentionnée ci‑dessus.

B.  La nature de la renonciation

[20]  Avant de discuter de la décision du ministre et de celle de la Cour fédérale, il convient de décrire la nature de la demande de renonciation de ConocoPhillips. Selon les avocats de ConocoPhillips, la décision de la Cour fédérale n’indique pas clairement si elle a compris toutes les nuances de sa demande.

[21]  À titre d’information, la signification d’un avis d’opposition au titre du paragraphe 165(1) de la Loi lance un processus d’examen au cours duquel le ministre, avec diligence, examine l’opposition et annule, ratifie ou modifie la cotisation ou établit une nouvelle cotisation (paragraphe 165(3)). Le ministre est autorisé à établir une nouvelle cotisation en vertu du paragraphe 165(3) même si le délai habituel pour établir une nouvelle cotisation est échu (paragraphe 165(5)).

[22]  ConocoPhillips demande que ce processus d’examen soit lancé sans avoir à signifier un avis d’opposition. Elle soutient qu’un avis d’opposition n’est pas nécessaire, même si elle reconnaît qu’une fois la renonciation accordée, le ministre peut demander la production d’un avis d’opposition conformément au paragraphe 220(2.1) de la Loi.

[23]  L’objectif ultime de ConocoPhillips est d’obtenir une nouvelle cotisation au titre de la procédure d’opposition de façon à réduire son impôt à payer.

C.  La décision du ministre

[24]  En réponse à la demande de renonciation de ConocoPhillips, l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) (par l’intermédiaire du gestionnaire, Ressources et Premières Nations, Direction des appels en matière fiscale et de bienfaisance) a informé la société, au moyen d’une lettre datée du 29 août 2012, que le ministre n’avait pas compétence pour renoncer à un avis d’opposition au titre du paragraphe 220(2.1) de la Loi.

[25]  Voici les trois motifs invoqués :

  • Le régime des dispositions de la partie 1 de la Loi portant sur les oppositions et les appels constitue un code complet.

  • Le paragraphe 220(2.1) de la Loi constitue une disposition générale et n’écarte pas les paragraphes 165(1) et 166.1(7), qui sont plus précis.

  • Un libellé différent est utilisé aux paragraphes 165(1) et 220(2.1), ce qui laisse entendre qu’un sens différent était prévu. Le ministre a renvoyé aux termes « peut » et « signifier » au paragraphe 165(1) et aux termes « exiger » et « produise » au paragraphe 220(2.1).

D.  Les décisions de la Cour fédérale

[26]  Dans son jugement principal, la Cour fédérale a conclu que la décision du ministre était déraisonnable et a renvoyé la demande de renonciation au ministre afin qu’il exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 220(2.1).

[27]  La Cour fédérale a d’abord examiné la question de la norme de contrôle et a conclu que la norme de la décision raisonnable s’appliquait, en dépit du fait que les parties convenaient que la norme applicable était celle de la décision correcte.

[28]  Compte tenu de la jurisprudence applicable, la Cour était d’avis que la norme déférente de la décision raisonnable devrait s’appliquer lorsqu’un tribunal interprète sa propre loi constitutive (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654).

[29]  Quant à la question de fond, la Cour a pris note des différences dans le libellé de la loi invoquées par le ministre et a décidé qu’elles n’étaient pas suffisantes pour limiter la portée du paragraphe 220(2.1).

[30]  Lorsqu’elle a abordé l’argument du ministre selon lequel un avis d’opposition était nécessaire pour s’opposer en bonne et due forme à une nouvelle cotisation et pour lui conférer le pouvoir d’établir une autre nouvelle cotisation, la Cour a déclaré que le ministre pouvait par la suite demander la production d’un avis d’opposition en vertu du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 220(2.1). Selon la Cour, si le ministre choisissait de ne pas demander un avis d’opposition, « [cela] empêcherait ConocoPhillips de faire avancer la question », sauf si elle contestait la décision du ministre par la voie d’un contrôle judiciaire et qu’elle obtenait gain de cause (décision de la Cour fédérale, au paragraphe 59).

[31]  Dans un jugement supplémentaire portant sur les dépens, ceux‑ci ont été adjugés à ConocoPhillips. Cette question fait l’objet d’un appel distinct interjeté par le ministre (dossier A‑73‑16).

E.  La norme de contrôle

[32]  Dans le présent appel d’un contrôle judiciaire, la Cour doit décider si la Cour fédérale a choisi la bonne norme de contrôle applicable à la décision du ministre, et si elle l’a appliquée correctement (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 à 47).

[33]  La Cour fédérale a décidé que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable. ConocoPhillips soutient que cette norme déférente n’est pas appropriée en l’espèce parce que le ministre n’est pas un décideur objectif et que son expertise dans cette affaire n’est pas plus grande que celle des tribunaux.

[34]  La décision de la Cour fédérale d’appliquer la norme de la décision raisonnable à la décision du ministre est logique pour les motifs donnés par la Cour. Quoi qu’il en soit, ma conclusion dans le présent appel ne dépend pas de la norme de contrôle. Je suis d’avis que la décision du ministre est à la fois raisonnable et correcte.

F.  Interprétation de la Loi

[35]  Le présent appel porte essentiellement sur l’interprétation des lois : La disposition portant sur la renonciation générale prévue au paragraphe 220(2.1) s’applique‑t‑elle aux avis d’opposition?

[36]  L’approche générale en matière d’interprétation des lois est bien établie et est énoncée aux paragraphes 39 et 40 de la décision de la Cour fédérale :

[39]  En abordant la question de savoir si l’interprétation par le ministre de son pouvoir, en vertu du paragraphe 220(2.1) de la LIR, est raisonnable, je commence par faire remarquer qu’il est bien établi en droit que les lois doivent être lues selon la règle moderne de Driedger relativement à l’interprétation des lois, à savoir que :

... [traduction] il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

Tel que cité dans l’ouvrage de Ruth Sullivan, Statutory Interpretation, 2e édition (Toronto : Irwin Law, 2007) à la page 41 [Sullivan]. Voir aussi Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27, 154 D.L.R. (4e) 193, au par. 21.

[40]  La LIR, comme toute autre loi fédérale, doit également être lue à la lumière de l’article 12 de la Loi d’interprétation, L.R.C., 1985, ch. I‑21, de telle sorte que le paragraphe 220(2.1) « s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet ». En outre, la Cour suprême a expressément indiqué dans l’arrêt Stubart Investments Ltd. c. Canada, [1984] 1 RCS 536, [1984] CTC 294, aux par. 57 à 61, que, dans les affaires fiscales, la règle moderne d’interprétation des lois devrait être suivie plutôt que l’approche habituelle stricte à l’égard de l’interprétation des lois (voir aussi : David G Duff et al, « La Loi de l’impôt sur le revenu et le droit privé au Canada », 5e éd. (Lexis Nexis : Markham, 2015) [Duff], aux par. 107, 116 et 117).

[37]  Je suis d’avis que la Cour fédérale a commis une erreur en appliquant mal la règle moderne de Driedger, telle qu’elle est décrite ci‑dessus. La Cour fédérale a tenu compte à juste titre d’une interprétation téléologique du paragraphe 220(2.1), qui, selon elle, « vise à réparer l’injustice qui se pose parfois par une application stricte des exigences de la LIR relativement au dépôt et à l’avis » (décision de la Cour fédérale, au paragraphe 56). Toutefois, la Cour n’a pas tenu compte de l’objectif d’autres dispositions, plus particulièrement le paragraphe 166.1(7) de la Loi. Si elle l’avait fait, elle n’aurait pas pu tirer la conclusion qu’elle a tirée parce qu’elle n’a pas interprété le paragraphe 220(2.1) conformément à la règle de Driedger, c’est‑à‑dire d’une façon « qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur ».

[38]  Dans la prochaine section, je discuterai du régime relatif aux oppositions prévu aux articles 165 à 166.2 de la Loi.

G.  Le régime législatif relatif aux oppositions

[39]  Un avis d’opposition signifié au titre de l’article 165 de la Loi lance un processus officiel de règlement des différends par lequel le ministre est tenu de procéder à un nouvel examen d’une cotisation. Le paragraphe 165(1) dispose ce qui suit :

165 (1) Le contribuable qui s’oppose à une cotisation prévue par la présente partie peut signifier au ministre, par écrit, un avis d’opposition exposant les motifs de son opposition et tous les faits pertinents, dans les délais suivants :

165 (1) A taxpayer who objects to an assessment under this Part may serve on the Minister a notice of objection, in writing, setting out the reasons for the objection and all relevant facts,

a) s’il s’agit d’une cotisation, pour une année d’imposition, relative à un contribuable qui est un particulier (sauf une fiducie) ou une succession assujettie à l’imposition à taux progressifs pour l’année, au plus tard au dernier en date des jours suivants :

(a) if the assessment is in respect of the taxpayer for a taxation year and the taxpayer is an individual (other than a trust) or a graduated rate estate for the year, on or before the later of

(i) le jour qui tombe un an après la date d’échéance de production qui est applicable au contribuable pour l’année,

(i) the day that is one year after the taxpayer’s filing‑due date for the year, and

(ii) le quatre‑vingt‑dixième jour suivant la date d’envoi de l’avis de cotisation;

(ii) the day that is 90 days after the day of sending of the notice of assessment; and

b) dans les autres cas, au plus tard le quatre‑vingt‑dixième jour suivant la date d’envoi de l’avis de cotisation.

(b) in any other case, on or before the day that is 90 days after the day of sending of the notice of assessment.

[…]

[40]  Le régime relatif aux oppositions est très détaillé et prévoit des délais précis pour présenter une opposition. En général, un contribuable dispose de 90 jours pour présenter par écrit une opposition. Si le délai est expiré, le contribuable peut demander au ministre de lui accorder une prorogation de délai en vertu du paragraphe 166.1(1) de la Loi. Cette disposition prévoit ce qui suit :

166.1 (1) Le contribuable qui n’a pas signifié d’avis d’opposition à une cotisation en application de l’article 165 ni présenté de requête en application du paragraphe 245(6) dans le délai imparti peut demander au ministre de proroger le délai pour signifier l’avis ou présenter la requête.

166.1 (1) Where no notice of objection to an assessment has been served under section 165, nor any request under subsection 245(6) made, within the time limited by those provisions for doing so, the taxpayer may apply to the Minister to extend the time for serving the notice of objection or making the request.

[41]  Sur réception d’une demande présentée au titre de cette disposition, le ministre est tenu de l’examiner (paragraphe 166.1(5) de la Loi). Il est important de souligner que le pouvoir du ministre d’accorder une prorogation de délai n’est pas illimité. La loi ne permet au ministre d’accorder une prorogation que si les conditions prévues au paragraphe 166.1(7) sont réunies. Le paragraphe 166.1(7) dispose :

166.1(7) Il n’est fait droit à la demande que si les conditions suivantes sont réunies :

166.1(7) No application shall be granted under this section unless

a) la demande est présentée dans l’année suivant l’expiration du délai par ailleurs imparti pour signifier un avis d’opposition ou présenter une requête;

(a) the application is made within one year after the expiration of the time otherwise limited by this Act for serving a notice of objection or making a request, as the case may be; and

b) le contribuable démontre ce qui suit :

(b) the taxpayer demonstrates that

(i) dans le délai par ailleurs imparti pour signifier l’avis ou présenter la requête, il n’a pu ni agir ni charger quelqu’un d’agir en son nom, ou il avait véritablement l’intention de faire opposition à la cotisation ou de présenter la requête,

(i) within the time otherwise limited by this Act for serving such a notice or making such a request, as the case may be, the taxpayer

(A) was unable to act or to instruct another to act in the taxpayer’s name, or

(B) had a bona fide intention to object to the assessment or make the request,

(ii) compte tenu des raisons indiquées dans la demande et des circonstances de l’espèce, il est juste et équitable de faire droit à la demande,

(ii) given the reasons set out in the application and the circumstances of the case, it would be just and equitable to grant the application, and

(iii) la demande a été présentée dès que les circonstances le permettaient.

(iii) the application was made as soon as circumstances permitted.

[42]  Je fais remarquer, en particulier, que cette disposition prévoit que le ministre ne peut accorder une prorogation de délai que si la demande a été présentée dans un délai d’un an. Cette condition est stricte et pourrait entraîner une iniquité, mais il ressort clairement du libellé détaillé de la disposition que c’est voulu.

[43]  L’historique législatif de ces dispositions mentionné par les avocats du ministre renforce la thèse selon laquelle le délai strict ne constitue pas une erreur. Les dispositions législatives pertinentes depuis 1917 démontrent que le législateur a, de temps à autre, examiné la question de la prorogation du délai pour s’opposer et que les conditions imposées sont habituellement strictes.

[44]  Si le ministre refuse d’accorder une prorogation, le contribuable peut déposer une autre demande de prorogation devant la Cour canadienne de l’impôt en vertu du paragraphe 166.2(1) de la Loi. Les circonstances dans lesquelles la Cour canadienne de l’impôt peut accorder une prorogation de délai sont limitées par le paragraphe 166.2(5), qui reprend généralement les restrictions imposées au ministre au paragraphe 166.1(7), notamment en ce qui concerne le délai d’un an.

[45]  La Cour canadienne de l’impôt est souvent saisie de demandes de prorogation de délai, et elle applique invariablement le délai d’un an de manière stricte, comme l’exige clairement la loi. Les considérations d’équité n’entrent pas en jeu.

[46]  Par le biais de ces dispositions, le législateur a établi un régime détaillé qui s’applique à tous les contribuables qui souhaitent contester une cotisation d’impôt. L’intention du législateur était clairement d’assujettir à des conditions la capacité des contribuables à invoquer le processus d’opposition, notamment au moyen de délais stricts pour signifier un avis d’opposition et pour demander une prorogation de délai.

H.  L’interaction entre la renonciation et le régime relatif aux oppositions

[47]  ConocoPhillips cherche à utiliser la disposition générale de renonciation prévue au paragraphe 220(2.1) de la Loi pour lancer le processus d’opposition sans avoir à se conformer aux conditions législatives qui s’appliquent. Cette application du paragraphe 220(2.1) aurait pour effet de conférer au ministre un pouvoir qui lui est refusé de façon détaillée au paragraphe 166.1(7).

[48]  La disposition générale de renonciation ne peut pas être appliquée pour écarter une disposition plus précise. C’est ce que Ruth Sullivan appelle la règle de [traduction« l’exception implicite » en matière d’interprétation des lois dans son ouvrage Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd., aux pages 363 à 367 (Markham : LexisNexis Canada Inc., 2014).

[49]  Le principe a été décrit dans James Richardson & Sons, Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1984] 1 R.C.S. 614, 84 D.T.C. 6325, à la page 6329, où la Cour a renvoyé à la décision anglaise Pretty v. Solly (1859), 53 E.R. 1032 :

[traduction] Il est de règle que, lorsqu’une même loi comporte une disposition particulière et une disposition générale et que cette dernière, prise dans son sens le plus large, l’emporte sur la première, la disposition particulière doit s’appliquer et la disposition générale doit être interprétée comme ne visant que les autres parties de la loi auxquelles elle peut s’appliquer.

[50]  Ce principe s’applique en l’espèce, et le ministre avait le droit de l’invoquer.

[51]  ConocoPhillips laisse entendre que, même si le paragraphe 220(2.1) ne vise pas à écarter le paragraphe 166.1(7), il peut tout de même servir à renoncer à un avis d’opposition parce que la renonciation peut être appropriée dans certaines situations qui ne sont pas visées par les dispositions sur les oppositions et les appels. ConocoPhillips fait valoir que sa demande de renonciation entre dans cette catégorie parce qu’il n’est pas réellement nécessaire de déposer un avis d’opposition. Selon elle, le paragraphe 220(2.1) constitue une soupape appropriée en l’espèce.

[52]  En toute déférence, cet argument doit être rejeté. L’intention du législateur n’était pas que le paragraphe 220(2.1) constitue une soupape pour les oppositions. Un contribuable doit être visé ou non par le régime relatif aux oppositions. ConocoPhillips soutient qu’elle n’est pas visée par le régime relatif aux oppositions et aux appels. Toutefois, elle souhaite l’être. Les délais de prescription précis prévus par le régime relatif aux oppositions doivent être appliqués en l’espèce.

[53]  Enfin, j’aimerais mentionner que les parties ont soulevé plusieurs autres arguments. J’en ai tenu compte, mais finalement il n’est pas nécessaire d’en discuter dans les présents motifs.

I.  Conclusion

[54]  Pour les motifs qui précèdent, je conclus que le paragraphe 220(2.1) ne s’applique pas aux avis d’opposition. La décision du ministre était raisonnable et correcte.

[55]  J’accueillerais les deux appels, j’annulerais les jugements de la Cour fédérale, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire de ConocoPhillips et j’adjugerais les dépens au ministre tant en appel qu’en première instance.

« Judith Woods »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Johanne Gauthier, j.c.a. »

« Je suis d’accord

Yves de Montigny, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

A‑66‑16 et A‑73‑16

APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR LE JUGE BOSWELL LE 27 JANVIER 2016 et LE 8 FÉVRIER 2016, DOSSIER No T‑1811‑12

INTITULÉ :

MINISTRE DU REVENU NATIONAL c. CONOCOPHILLIPS CANADA RESOURCES CORP.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 juin 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 DÉCEMBRE 2017

 

COMPARUTIONS :

Josée Tremblay

Shubir (Shane) Aikat

 

POUR L’APPELANT

 

Al Meghji

Brynne Harding

 

POUR L’INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous‑procureure générale du Canada

 

POUR L’APPELANT

 

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

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