Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20171122


Dossier : A-221-17

Référence : 2017 CAF 228

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM:

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

 

ENTRE :

JOHN MARK LEE JR.

appelant

et

LE SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA, LA SECTION D’APPEL DE LA COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 22 novembre 2017.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE NEAR

 


Date : 20171122


Dossier : A-221-17

Référence : 2017 CAF 228

CORAM:

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

 

ENTRE :

JOHN MARK LEE JR.

appelant

et

LE SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA, LA SECTION D’APPEL DE LA COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

[1]  Les intimés demandent le rejet de l’appel au motif qu’il n’a aucune chance raisonnable de succès.

[2]  L’appelant est détenu dans un pénitencier fédéral. Son avis d’appel soulève un seul moyen d’appel. L’appelant allègue que la Cour fédérale [traduction] « n’a pas tenu compte de [sa] demande de contrôle judiciaire modifiée » et a omis de l’examiner. Par conséquent, « aucune décision concernant la demande de contrôle judiciaire modifiée » n’a été rendue.

[3]  D’après la preuve déposée par les intimés, aucun avis de demande modifié n’a été présenté à la Cour fédérale. Ainsi, selon les intimés, le seul moyen d’appel soulevé par l’appelant ne saurait être retenu.

[4]  Les intimés se fondent sur l’article 74 des Règles pour demander le rejet sommaire de l’appel. L’article 74 des Règles autorise la Cour à ordonner que « soit retiré du dossier de la Cour un document qui n’a pas été déposé en conformité avec les présentes règles, une ordonnance de la Cour ou une loi fédérale ». Or, les intimés ne précisent pas l’ordonnance de la Cour, la loi fédérale ni la règle à laquelle le défendeur aurait contrevenu. En fait, les intimés demandent le rejet sommaire de l’appel au motif qu’il n’a aucune chance d’être accueilli. L’article 74 des Règles ne permet pas le rejet de l’appel pour ce seul motif.

[5]  Toutefois, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le rejet sommaire d’un appel dans des circonstances comparables à celles en l’espèce a été autorisé à ce stade‑ci de la procédure : voir, par exemple, Lessard-Gauvin c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 147, 453 N.R. 380; Fotinov c. Banque Royale du Canada, 2014 CAF 70. Ni l’une ni l’autre de ces décisions n’indique le pouvoir de la Cour qui lui a permis de le faire. En outre, les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, n’autorisent pas expressément la radiation d’un avis d’appel à ce stade‑ci de la procédure.

[6]  À mon avis, la compétence de la Cour pour rejeter sommairement un appel à ce stade‑ci tire son origine du plein pouvoir qu’ont les Cours fédérales de gérer leurs processus et leurs procédures : voir, par exemple, Canada (Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557 aux paragraphes 47 et 48 dans le contexte d’une demande, mais qui s’applique tout autant en l’espèce; voir aussi Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance vie RBC, 2013 CAF 50, 443 N.R. 378 au paragraphe 35; Pfizer Canada Inc. c. Teva Canada Ltd., 2016 CAF 218, 141 C.P.R. (4th) 165 au paragraphe 17; Philipos c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 79, 483 N.R. 328 au paragraphe 10.

[7]  La Cour suprême a reconnu que les Cours fédérales ont de pleins pouvoirs, qu’elle a décrits comme analogues à la compétence inhérente de la cour supérieure de la province d’être maître de ses propres processus et procédures. Voir l’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626, 224 N.R. 241 aux paragraphes 35-36, l’arrêt de la Cour suprême le plus complet à ce jour sur la nature des pouvoirs des Cours fédérales, arrêt qui demeure fondamental et qui fait autorité.

[8]  L’idée est que les pleins pouvoirs des Cours fédérales émanent de leur statut constitutionnel de tribunal, et non d’une disposition législative précise de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, ou des Règles des Cours fédérales. Les Cours fédérales ne sont tout simplement pas des organes du gouvernement comme les autres; elles font partie de la branche judiciaire suivant le partage des pouvoirs opéré par la Constitution. Les Cours fédérales étant des tribunaux, et pour remplir leurs fonctions dans le cadre de la branche judiciaire, elles doivent avoir certains pouvoirs pour gérer leurs processus et procédures.

[9]  Dans certains arrêts rendus après Liberty Net, la Cour suprême a fait allusion à ces pouvoirs – dans un cas en obiter dans un seul paragraphe, et dans un autre cas dans une remarque enfouie a posteriori dans une note : voir, respectivement, R. c. Cunningham, 2010 CSC 10, [2010] 1 R.C.S. 331, au paragraphe 19, et Windsor (City) c. Canadian Transit Co., 2016 CSC 54, [2016] 2 R.C.S. 617. Peut-être parce que la question des pouvoirs est très brièvement abordée, les deux arrêts ne citent pas l’arrêt Liberty Net. Pourtant, tous deux évoquent vaguement que les pleins pouvoirs des Cours fédérales sont « nécessairement accessoires » aux pouvoirs déjà conférés par la loi, plutôt qu’aux pouvoirs découlant du statut de la Cour fédérale à titre de tribunal faisant partie de la branche judiciaire.

[10]  En fait, s’agissant des pouvoirs conférés aux Cours fédérales, l’arrêt Cunningham semble mettre les Cours fédérales sur le même pied que les tribunaux administratifs et autres organes décisionnels administratifs de l’ensemble du gouvernement. Or, l’arrêt Cunningham n’est pas la seule décision à aborder la question.

[11]  Là encore, il y a l’arrêt Liberty Net. Et, dans un bref commentaire dans un autre arrêt, la Cour suprême semble avoir reconnu que les Cours fédérales sont des cours supérieures établies en vertu du pouvoir de créer des cours fédérales conféré dans la Loi constitutionnelle de 1867, et non comme de simples organes décisionnels administratifs : Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350, au paragraphe 136 (non cité dans les arrêts Cunningham et Windsor); voir aussi le libellé clair de l’article 4 de la Loi sur les Cours fédérales.

[12]  À mon avis, les décisions de la Cour suprême dans les arrêts Charkaoui et Liberty Net sont inattaquables. Les Cours fédérales ne peuvent être assimilées à des tribunaux administratifs. Comme l’indique la Cour suprême dans l’arrêt Liberty Net, les Cours fédérales — comme la Cour suprême, les cours provinciales (supérieures et autres), la Cour de l’impôt et les cours martiales — sont des cours à part entière faisant partie de la branche judiciaire et, de ce fait, possèdent tous les pleins pouvoirs conférés aux tribunaux pour gérer leurs processus et leurs procédures.

[13]  Espérons que la Cour suprême confirmera cette position lorsqu’elle aura de nouveau l’occasion d’analyser les pouvoirs des Cours fédérales. Somme toute, la Cour suprême et les Cours fédérales (grâce à leur prédécesseure, la Cour de l’Échiquier) sont toutes deux des cours de justice d’origine législative créée en vertu de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, et simultanément établies par une seule loi conjointe, l’Acte de la Cour Suprême et de l’Échiquier, S.C. 1875, ch. 11. De ce fait, pour ce qui est de leurs pleins pouvoirs — c.-à-d., leur capacité à titre de tribunal de gérer leurs processus et leurs procédures — la Cour suprême et les Cours fédérales doivent être considérées comme des jumelles identiques. À cet égard, aucune des deux ne peut être considérée comme étant inférieure à l’autre.

[14]  Les pleins pouvoirs des Cours fédérales d’administrer leurs processus et procédures sont teintés des notions contemporaines sur la nature et l’objet des procédures intentées devant les Cours fédérales. L’élément fondamental à retenir en l’espèce est la culture du litige nouvelle et nécessaire que nous présente la Cour suprême dans l’arrêt Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87. Les Cours fédérales sont une propriété publique à laquelle de nombreux plaideurs faisant valoir des arguments défendables doivent pouvoir recourir en temps opportun : Canada c. Olumide, 2017 CAF 42.

[15]  De ces principes, il s’ensuit que les procédures manifestement sans fondement — des demandes manifestement vouées à l’échec — devraient être assujetties à l’exercice des pleins pouvoirs des Cours fédérales de gérer leurs processus et procédures. Il n’y a pas lieu d’autoriser la poursuite de ces procédures et elles ne devraient pas suivre leur cours.

[16]  S’agissant de la requête en rejet sommaire dont nous sommes saisis, les intimés ont déposé un affidavit accompagné d’une sortie papier d’une [traduction] « recherche de renseignements sur les instances » à la Cour fédérale. Cette recherche permet de relever tous les documents qui ont été déposés à la Cour fédérale. À partir de cet élément de preuve, nous constatons qu’aucun avis de demande modifié n’a été présenté à la Cour fédérale, ni aucune requête en modification. Aucune autre preuve admissible n’indique le contraire.

[17]  Par conséquent, le seul moyen d’appel invoqué par l’appelant n’a aucune chance d’être retenu. Comme elle n’a reçu aucun avis de demande modifié ni aucune requête en modification, la Cour fédérale n’avait aucune obligation de traiter l’un ou l’autre de ces documents.

[18]  Bien que l’appelant n’ait pas fait appel du bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire rejetée par la Cour fédérale, je souhaite en dire quelques mots à titre d’indication.

[19]  Les documents à notre disposition ne sont pas clairs et sont parfois difficiles à comprendre, mais il semble que l’appelant disposait d’une option valable.

[20]  En Cour fédérale, dans sa demande de contrôle judiciaire, l’appelant contestait une décision de la Commission des libérations conditionnelles. L’appelant avait interjeté appel de cette décision devant la section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles et en avait également demandé le contrôle judiciaire. La section d’appel a fait connaître sa décision et a rejeté l’appel interjeté par l’appelant contre la décision de la Commission des libérations conditionnelles. La Cour fédérale a rejeté le contrôle judiciaire de la décision de la Commission des libérations conditionnelles au motif que la section d’appel constituait un tribunal subsidiaire adéquat et que, de ce fait, la décision de la section d’appel devait être l’objet de la contestation. Dans les documents dont nous disposons, l’appelant n’a toujours pas demandé le contrôle judiciaire de la décision de la section d’appel.

[21]  Les faits semblent indiquer que l’appelant aurait souhaité modifier sa demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale afin de contester la décision de la section d’appel qui venait d’être rendue. Or, comme l’indiquent les inscriptions enregistrées, la modification qui, selon l’appelant, avait été consignée par écrit, n’a pas été versée ou n’a pas été versée régulièrement au dossier de la Cour fédérale.

[22]  Même si l’appelant avait régulièrement déposé sa requête en modification à la Cour fédérale, cette dernière était dans l’obligation de la rejeter. La décision de la section d’appel devait être contestée par un avis de demande distinct, étayé par un dossier de preuve portant sur cette décision et par un mémoire des faits et du droit; en outre, l’intimé avait parfaitement le droit de déposer des documents en réponse à la demande.

[23]  D’après les documents dont je dispose, je remarque deux éléments. Premièrement, l’appelant affirme avoir présenté sa [traduction] « modification » contestant la décision de la section d’appel à la Cour fédérale dans les délais prescrits : voir la réponse datée du 19 octobre 2017, au paragraphe 6. Deuxièmement, il semble que l’intention de l’appelant était manifestement de contester la décision de la section d’appel dès que celle‑ci a été rendue. L’appelant n’a tout simplement pas choisi la bonne voie pour contester cette décision.

[24]  Si l’appelant souhaite toujours contester la décision de la section d’appel, il devrait présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision devant la Cour fédérale et présenter une requête en prorogation du délai pour le faire. La requête en prorogation de délai est assujettie à un critère juridique. Une explicitation claire et récente du critère se trouve dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204, 433 N.R. 184. J’encouragerais l’appelant à s’assurer que, dans la mesure du possible, ses observations écrites sur la requête soient axées sur ce critère, et rien d’autre.

[25]  Par conséquent, pour les motifs qui précèdent, je rejetterais l’appel.

« David Stratas »

j.c.a.

« Je suis d’accord

Johanne Trudel, j.c.a. »

« Je suis d’accord

D.G. Near, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-221-17

INTITULÉ :

JOHN MARK LEE JR. c. LE SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA, LA SECTION D’APPEL DE LA COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES, ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 novembre 2017

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

John Mark Lee Jr.

 

EN SON PROPRE NOM

 

Aminollah Sabzevari

Pour les intimés

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour les intimés

 

 

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