Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20170915


Dossier : A-119-16

Référence : 2017 CAF 188

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LA JUGE WOODS

 

ENTRE :

 

 

DELIZIA LIMITED

 

 

appelante et créancière saisissante

 

 

et

 

 

SUNRIDGE GOLD CORP.

 

 

intimée et tierce saisie

 

 

et

 

 

ÉTAT DE L’ÉRYTHRÉE

 

 

débiteur judiciaire

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 5 avril 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 15 septembre 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LA JUGE WOODS


Date : 20170915


Dossier : A-119-16

Référence : 2017 CAF 188

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LA JUGE WOODS

 

ENTRE :

 

 

DELIZIA LIMITED

 

 

appelante et créancière saisissante

 

 

et

 

 

SUNRIDGE GOLD CORP.

 

 

intimée et tierce saisie

 

 

et

 

 

ÉTAT DE L’ÉRYTHRÉE

 

 

débiteur judiciaire

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1]  Delizia Limited (Delizia) a interjeté appel de la décision rendue par le juge Brown le 8 avril 2016 (2016 CF 392), ainsi que du jugement rendu le même jour dans une affaire concernant Nevsun Resources Ltd. (Nevsun) (2016 CF 393). Même si les appels (A-118-16 et A‑119-16) n’ont pas été regroupés, on observe un recoupement important des faits pertinents et des observations qui se rapportent aux deux appels.

[2]  La Cour fédérale a accueilli les appels de Sunridge Gold Corp. (Sunridge) et de Nevsun, et a annulé l’ordonnance provisoire de saisie-arrêt et l’ordonnance définitive de saisie-arrêt qui avaient été délivrées à l’encontre de chacune des entreprises. Ces ordonnances de saisie-arrêt portaient sur la créance échue de l’État de l’Érythrée (Érythrée) envers Delizia.

[3]  Pour les motifs qui suivent, je rejetterais le présent appel. Des motifs distincts seront publiés en ce qui concerne l’appel relatif à Nevsun.

I.  L’historique

[4]  Delizia a vendu du matériel aérien militaire à l’Érythrée en 2003, mais n’a pas reçu le paiement intégral pour cette vente. En se fondant sur les modalités prévues au contrat, Delizia a entrepris une procédure d’arbitrage devant l’Institut d’arbitrage de la Chambre de commerce de Stockholm. L’Érythrée n’a pas pleinement participé à la procédure d’arbitrage et une sentence arbitrale de 2 175 775 $US a été rendue en faveur de Delizia le 18 avril 2006. En incluant les frais d’arbitrage et les intérêts, ce montant est passé à 4 062 428,70 $ en date du 17 juillet 2013, date à laquelle la juge Mactavish a rendu l’ordonnance enregistrant la décision arbitrale et rendant jugement pour ce montant (l’ordonnance de reconnaissance). Il s’agissait d’une procédure ex parte. Ni l’avis de l’instance ni l’ordonnance de reconnaissance n’a été signifié à l’Érythrée.

[5]  À la suite de la délivrance de l’ordonnance de reconnaissance, Delizia a présenté, en vertu du paragraphe 449(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), une demande ex parte relativement à une ordonnance de saisie-arrêt pour faire valoir ses moyens (une ordonnance provisoire de saisie-arrêt) contre Sunridge. Cette ordonnance a été accordée le 31 juillet 2013 (numéro de dossier T-1157-13) et prévoyait [traduction] « que toutes les créances échues ou à échoir [de Sunridge] envers [l’Érythrée] soient saisies-arrêtées pour exécuter le jugement » et ordonnait également à Sunridge de comparaître devant la Cour fédérale pour justifier pourquoi Sunridge ne devrait pas payer les créances échues de l’Érythrée envers Delizia.

[6]  Sunridge est une entreprise canadienne d’exploration et de mise en valeur de gisements de minerai. Depuis 2003, Sunridge participe à l’exploration et à la mise en valeur d’un projet de cuivre, de zinc, d’or et d’argent en Érythrée (la mine d’Asmara). De 2003 à 2006, Sunridge et une entreprise australienne ont exploité une entreprise liée à la mine d’Asmara en vertu d’une entente de coentreprise. En 2006, Sunridge a racheté les intérêts de l’entreprise australienne dans la coentreprise et a poursuivi ses activités à la mine d’Asmara par l’intermédiaire d’une succursale qu’elle a établie en Érythrée.

[7]  Selon ses lois ([traduction] Proclamation 68/1995 de l’Érythrée (une proclamation visant à promouvoir la mise en valeur des ressources minérales)), l’Érythrée a le droit d’acquérir une participation de 10 % dans tout investissement minier en Érythrée sans coût pour elle ainsi qu’une participation supplémentaire au capital social par entente. Le juge de la Cour fédérale a conclu, et Delizia ne conteste pas cette conclusion, que, le 4 juillet 2012, l’Érythrée a exercé son option d’acquérir 40 % des actions de la société qui serait constituée pour mettre en valeur la mine d’Asmara.

[8]  Vers le 27 juin 2014, Sunridge et Eritrea National Mining Corporation (ENAMCO), une société contrôlée par l’Érythrée, ont conclu une convention des actionnaires qui prévoyait la constitution en personne morale d’une entreprise (Asmara Mining Share Company (AMSC)) afin de poursuivre les activités d’exploration et de mise en valeur de la mine d’Asmara. Cette convention reflétait l’option qu’avait exercée l’Érythrée pour acquérir 40 % des actions de cette entreprise. AMSC a été constituée en personne morale le 1er octobre 2014. Les permis d’exploration et autres actifs liés à la mine d’Asmara ont été transférés à AMSC et 40 % de ses actions ont été émises à ENAMCO.

[9]  Une ordonnance définitive de saisie-arrêt datée du 9 janvier 2015 (2015 CF 34) a été délivrée par le protonotaire contre Sunridge. En délivrant cette ordonnance, le protonotaire est arrivé à la conclusion que certains frais du permis d’exploration correspondaient à des créances échues de Sunridge envers l’Érythrée. Le protonotaire a également conclu que l’émission des actions par AMSC à ENAMCO correspondait effectivement à une vente d’actions par Sunridge à l’Érythrée et que celle-ci n’aurait pas dû se produire en raison de l’ordonnance provisoire de saisie-arrêt. Il a été ordonné à Sunridge de payer la somme de 4 371 618 $ (à mettre en état). L’ordonnance prévoyait également que [traduction] « toutes les créances échues ou à échoir de Sunridge envers l’État de l’Érythrée, y compris celles envers ENAMCO » étaient saisies‑arrêtées en faveur de Delizia.

[10]  En appel de l’ordonnance définitive de saisie-arrêt devant la Cour fédérale, le juge de la Cour fédérale a procédé à un examen de novo de la décision du protonotaire, car l’ordonnance avait un effet déterminant sur le résultat. Il est ressorti de cet examen que les frais de permis d’exploration étaient exemptés de la saisie en raison des dispositions du paragraphe 12(1) de la Loi sur l’immunité des États, L.R.C., 1985, ch. S-18. Delizia n’a pas contesté cette conclusion dans le présent appel.

[11]  Le juge de la Cour fédérale a également conclu qu’il ne pourrait saisir-arrêter l’émission des actions par AMSC que s’il pouvait lever le voile corporatif. Compte tenu de sa conclusion selon laquelle il ne pouvait pas lever le voile corporatif, le juge de la Cour fédérale a conclu qu’il n’y avait aucune créance échue ou à échoir de Sunridge envers l’Érythrée pouvant faire l’objet d’une saisie-arrêt en vertu des Règles. Il a donc annulé l’ordonnance provisoire de saisie-arrêt et l’ordonnance définitive de saisie-arrêt.

[12]  Le juge de la Cour fédérale a fait remarquer que, puisqu’il avait conclu qu’il n’y avait aucune créance échue ou à échoir de Sunridge envers l’Érythrée pouvant faire l’objet d’une saisie-arrêt en vertu des Règles, il n’avait pas à se demander si la non‑signification à l’Érythrée de la manière prévue dans la Loi sur l’immunité des États rendait nulles l’ordonnance provisoire de saisie-arrêt et l’ordonnance définitive de saisie-arrêt. Cependant, puisque l’application de cette loi a été pleinement débattue devant lui, il s’est penché sur cette question et a conclu que, puisque l’Érythrée n’avait pas reçu signification de l’acte introductif d’instance ayant mené à l’ordonnance de reconnaissance, l’ordonnance provisoire de saisie-arrêt et l’ordonnance définitive de saisie-arrêt étaient nulles.

II.  Les questions en litige

[13]  Les questions en litige en l’espèce sont les suivantes :

  • a) La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en procédant à une audience de novo ?

  • b) La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il n’y avait aucune créance échue ou à échoir de Sunridgeenvers l’Érythrée pouvant faire l’objet d’une saisie-arrêt en vertu des Règles?

III.  La norme de contrôle applicable

[14]  La norme de contrôle applicable à toute conclusion de fait est celle de l’erreur manifeste et dominante et, pour toute question de droit, la norme applicable est celle de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235) (Housen).

IV.  Analyse

A.  L’audience de novo

[15]  La première question à trancher consiste à se demander si une audience de novo aurait dû être tenue. La décision de la Cour fédérale a été rendue le 8 avril 2016. Le 31 août 2016, notre Cour a rendu sa décision dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 R.C.F. 331. Dans cet arrêt, notre Cour a conclu que les normes de contrôle énoncées dans l’arrêt Housen s’appliquent aux appels de décisions discrétionnaires des protonotaires.

[16]  En tenant l’audience de novo, le juge de la Cour fédérale prenait sa propre décision à l’égard des questions de droit. Cela équivaut à l’application de la norme de la décision correcte à ces questions. Par conséquent, aucune erreur n’a été commise en ce qui a trait aux questions de droit.

[17]  En ce qui concerne les questions de fait, la seule conclusion de fait à laquelle s’attaque Delizia est la conclusion du juge de la Cour fédérale selon laquelle la constitution en personne morale d’AMSC et l’émission d’actions par cette dernière visaient des objectifs commerciaux légitimes. Cette conclusion de fait a été rendue à l’égard de la question de savoir si l’émission d’actions par AMSC à ENAMCO était une opération qui contrevenait à l’ordonnance provisoire de saisie-arrêt. Puisque le protonotaire a conclu que cette émission d’actions était un transfert d’actions de Sunridge à ENAMCO, il ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si la constitution en personne morale d’AMSC visait des objectifs commerciaux légitimes. Étant donné que le protonotaire n’a formulé aucune conclusion concernant cette question, il était loisible au juge de la Cour fédérale de le faire et, par conséquent, la tenue d’une audience de novo, à mon avis, n’a pas nui au résultat.

B.  L’émission d’actions

[18]  Delizia soutient qu’il n’était pas nécessaire de lever le voile corporatif pour conclure que l’émission d’actions par AMSC contrevenait à l’ordonnance provisoire de saisie-arrêt. Delizia affirme que cette émission d’actions était en fait un transfert d’actions de Sunridge à ENAMCO.

[19]  L’organigramme de Sunridge et de ses filiales a été établi par le juge de la Cour fédérale dans ses motifs et Delizia n’a pas contesté son exactitude. La structure de Sunridge et de ses filiales est la suivante :

(La structure de l’entreprise)

[20]  Les parties n’ont rien mentionné dans le dossier qui pourrait permettre de déterminer à quel moment l’une ou l’autre des entreprises de la Barbade a été constituée en personne morale. On ne sait pas avec certitude si les permis d’exploration et les autres actifs ont été transférés par Sunridge ou par Sunridge Eritrea Operating Ltd à AMSC. À mon avis, il n’est pas nécessaire de décider quelle entreprise en particulier a transféré les actifs à AMSC. Même si l’émission d’actions par AMSC provenant des actions autodétenues pour une contrepartie inférieure à la juste valeur marchande de ces actions peut constituer un transfert de biens de Sunridge à ENAMCO, ce transfert (ou l’entente portant sur un tel transfert) ne donnerait pas lieu en soi à une créance échue ou à échoir de Sunridge envers ENAMCO, qui pourrait être saisie‑arrêtée en vertu de l’ordonnance provisoire de saisie-arrêt.

[21]  À titre d’exemple, supposons qu’une personne (la première personne) détienne des actifs d’une valeur de 1 000 000 $ et qu’elle transfère ces actifs à une société pour 100 actions ordinaires. Supposons que la société particulière émette (ou ait émis précédemment) 100 autres actions ordinaires à une deuxième personne (la deuxième personne) pour 1 $. Chaque actionnaire détiendrait alors des actions dont la juste valeur marchande est de 500 000 $. Même si, d’après la décision de la Cour dans Canada c. Kieboom, [1992] 3 C.F. 488, on peut considérer cela comme un transfert d’une partie du capital-actions du premier actionnaire dans la société en faveur du deuxième actionnaire, cela ne veut pas dire en soi qu’une créance a été créée ou payée. Cela voudrait simplement dire qu’un droit sur un bien a été transféré pour une contrepartie inférieure à la juste valeur marchande.

[22]  Ce serait comme si la première personne s’était entendue avec la deuxième personne pour vendre un actif pour un montant inférieur à la juste valeur marchande de celui-ci. Supposons qu’une personne accepte de vendre un actif d’une valeur marchande de 1 000 000 $ à une autre personne pour 800 000 $. Dans la mesure où la contrepartie est égale à la juste valeur marchande de l’actif (800 000 $ dans cet exemple), aucune créance correspondant à ce montant n’est échue ou à échoir du vendeur envers l’acheteur. Le vendeur a simplement l’obligation de transférer l’actif en question au moment où il reçoit la contrepartie de l’acheteur. Le seul autre montant dans cet exemple correspond à la différence entre la juste valeur marchande de l’actif (1 000 000 $) et le prix d’achat (800 000 $). En quoi cela créerait-il une créance de 200 000 $ échue du vendeur envers l’acheteur? Supposons que ces montants représentent la contrepartie et la juste valeur marchande lorsque l’entente est conclue, mais que, avant la clôture, la juste valeur marchande de l’actif diminue à 800 000 $, sans faute de la part du vendeur. Même s’il y avait une différence de 200 000 $ lorsque l’entente a été conclue, il n’y a aucun fondement sur lequel l’acheteur pourrait s’appuyer pour recouvrer ces 200 000 $ du fournisseur et, par conséquent, cette différence de 200 000 $ ne peut pas être une créance.

[23]  Pour que l’entente déclenche l’émission d’actions par AMSC, en l’espèce, selon le paragraphe 449(1) des Règles, l’obligation de déclencher l’émission d’actions par AMSC devrait être une créance suivant cette règle. Les procédures de saisie‑arrêt sont régies par les articles 449 à 457 des Règles et les brefs d’exécution (au sens de l’article 2 des Règles) à l’égard de biens sont régis par les articles 433 à 448. L’ordonnance provisoire de saisie-arrêt en l’espèce a été délivrée en vertu du paragraphe 449(1) des Règles.

[24]  Le paragraphe 449(1) des Règles est ainsi libellé :

449 (1) Sous réserve des règles 452 et 456, la Cour peut, sur requête ex parte du créancier judiciaire, ordonner :

449 (1) Subject to rules 452 and 456, on the ex parte motion of a judgment creditor, the Court may order

a) que toutes les créances suivantes du débiteur judiciaire dont un tiers lui est redevable soient saisies-arrêtées pour le paiement de la dette constatée par le jugement :

(a) that

(i) les créances échues ou à échoir dont est redevable un tiers se trouvant au Canada,

(i) a debt owing or accruing from a person in Canada to a judgment debtor, or

(ii) les créances échues ou à échoir dont est redevable un tiers ne se trouvant pas au Canada et à l’égard desquelles le débiteur judiciaire pourrait intenter une poursuite au Canada;

(ii) a debt owing or accruing from a person outside Canada to a judgment debtor, where the debt is one for which the person might be sued in Canada by the judgment debtor,

be attached to answer the judgment debt; and

b) que le tiers se présente, aux date, heure et lieu précisés, pour faire valoir les raisons pour lesquelles il ne devrait pas payer au créancier judiciaire la dette dont il est redevable au débiteur judiciaire ou la partie de celle-ci requise pour l’exécution du jugement.

(b) that the person attend, at a specified time and place, to show cause why the person should not pay to the judgment creditor the debt or any lesser amount sufficient to satisfy the judgment.

(Non souligné dans l’original.)

(emphasis added)

[25]  Dans Choken c. Bande indienne de Lake St. Martin, 2004 CAF 248, [2005] 1 R.C.F. 69, notre Cour a fait les observations suivantes :

20  Il est raisonnable de dire que les termes « créances échues ou à échoir », pris dans le contexte d’une procédure de saisie-arrêt, s’appliquent à une somme d’argent qui est exigible ou qui le deviendra dans l’avenir par suite d’une obligation existante et certaine et dont on peut obtenir le paiement immédiatement ou plus tard par voie d’action […]

[26]  L’entente déclenchant l’émission d’actions par AMSC en faveur d’ENAMCO n’a pas eu pour conséquence qu’une somme d’argent a dû être payée par Sunridge à ENAMCO ou à l’Érythrée d’un montant égal à la différence entre la juste valeur marchande des actions et la contrepartie à payer par ENAMCO. Sunridge avait simplement l’obligation de déclencher l’émission de ces actions par AMSC. Cette obligation découlait de la proclamation qui conférait à l’Érythrée le droit à une participation de 10 % sans coût pour elle et l’exercice de son droit d’acquérir une participation supplémentaire au capital-actions à un prix convenu.

[27]  En l’espèce, Delizia ne conteste pas la conclusion selon laquelle l’Érythrée a exercé son option d’acquérir une participation de 40 % dans le projet minier avant la délivrance de l’ordonnance provisoire de saisie-arrêt. Lorsque les actifs ont été transférés à AMSC et que 40 % de ses actions ont été émises à ENAMCO, il s’agissait simplement de l’exécution de l’obligation qui découlait de l’exercice par l’Érythrée de son option. Cela ne représente pas une somme d’argent due par Sunridge envers l’Érythrée, mais plutôt une obligation de conclure le marché afin de donner à l’Érythrée (ou à ENAMCO) sa participation de 40 % dans le projet de la mine d’Asmara. Il s’agissait d’une obligation de déclencher l’acquisition d’un capital-actions dans le projet par l’Érythrée. En conséquence, l’émission des actions par AMSC ne constituait pas une opération assujettie à l’ordonnance provisoire de saisie-arrêt.

C.  Lever le voile corporatif

[28]  À mon avis, il n’est pas nécessaire d’établir si le voile corporatif doit être levé en ce qui a trait à l’émission des actions d’AMSC à ENAMCO. Toutefois, puisque les opérations futures liées à la mise en valeur et à l’exploitation de la mine d’Asmara seront menées par AMSC, Sunridge n’aura des créances à échoir que si le voile corporatif est levé et que les obligations d’AMSC sont réputées être les obligations de Sunridge.

[29]  Comme je l’ai mentionné, avant la délivrance de l’ordonnance provisoire de saisie-arrêt, l’Érythrée avait exercé son option d’acquérir une participation de 40 % dans le projet de la mine d’Asmara. Sunridge et l’Érythrée avaient le droit de prendre les mesures nécessaires pour s’acquitter de leurs obligations commerciales légitimes. L’Érythrée avait le droit d’acquérir une participation de 40 % dans ce projet (et non pas une participation de 40 % à l’égard de l’ensemble des actifs de Sunridge). La constitution en personne morale d’une société distincte en vue d’exploiter une mine et de permettre à différentes personnes d’acquérir une participation au capital-actions est une opération commerciale courante. La constitution en personne morale d’AMSC et l’émission des actions à ENAMCO n’étaient qu’un moyen d’y parvenir. Rien n’indique que la constitution en personne morale d’AMSC pour faciliter cette opération a été faite dans le but de permettre à l’Érythrée d’éluder le paiement de sa créance envers Delizia. Il s’agissait simplement d’une entente commerciale courante en vue de former une entreprise dans le but d’exploiter une mine et de permettre à une autre personne de participer au capital-actions.

[30]  Pour les mêmes motifs que ceux exposés dans 2017 CAF 187, à mon avis, rien ne justifie de lever le voile corporatif de Sunridge Holding (Barbados) Ltd., de Sunridge Eritrea Operating Ltd et d’AMSC, et de conclure que les créances d’AMSC seront les créances de Sunridge. Sunridge avait le droit, en l’espèce, d’organiser ses affaires d’une façon qui répondait à ses besoins et à ses obligations envers l’Érythrée.

V.  Conclusion

[31]  En conséquence, je suis d’accord avec le juge de la Cour fédérale pour dire qu’il n’y a aucune créance échue ou à échoir de Sunridge envers l’Érythrée ou ENAMCO qui pourrait faire l’objet d’une saisie-arrêt en vertu des Règles. Comme l’a fait remarquer le juge de la Cour fédérale, cette conclusion de l’absence de telles créances permet de régler la présente affaire. Étant donné que tout commentaire sur l’application de la Loi sur l’immunité des États concernant l’omission de signifier l’avis de l’audience à l’Érythrée ne serait, en conséquence, qu’une remarque incidente, je m’abstiendrais de commenter cette question.

[32]  Par conséquent, je rejetterais l’appel avec dépens.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

D. G. Near j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J. Woods j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL DU JUGEMENT DE LA COUR FÉDÉRALE DATÉ DU 8 AVRIL 2016 NO T-1157-13 (2016 CF 392)

DOSSIER :

A-119-16

 

INTITULÉ :

DELIZIA LIMITED c. SUNRIDGE GOLD CORP. ET ÉTAT DE L’ÉRYTHRÉE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 avril 2017

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LA JUGE WOODS

DATE DES MOTIFS :

Le 15 septembre 2017

COMPARUTIONS :

Laurent Debrun

Pour l’appelante et crÉANCIÈre saisissante

Robert W. Cooper, Q.C.

Andrew Crabtree

Pour l’intimÉe et tierce saisie

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kaufman Laramée, LLP

Montréal (Québec)

Pour l’appelante et crÉANCIÈre saisissante

Cooper Litigation

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour l’intimÉe et tierce saisie

 

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