Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20170713


Dossier : A‑94‑16

Référence : 2017 CAF 153

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE NEAR

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

LE SYNDICAT DES TRAVAILLEURS

ET TRAVAILLEUSES DES POSTES

appelant

et

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

intimée

et

ETCOF INC. (EMPLOYEURS DES TRANSPORTS ET COMMUNICATIONS

DE RÉGIE FÉDÉRALE)

intervenante

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 8 décembre 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 13 juillet 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NADON

MOTIFS CONCOURANTS :

LE JUGE RENNIE

MOTIFS DISSIDENTS :

LE JUGE NEAR

 


Date : 20170713


Dossier : A‑94‑16

Référence : 2017 CAF 153

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE NEAR

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

LE SYNDICAT DES TRAVAILLEURS

ET TRAVAILLEUSES DES POSTES

appelant

et

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

intimée

et

ETCOF INC. (EMPLOYEURS DES TRANSPORTS ET COMMUNICATIONS

DE RÉGIE FÉDÉRALE)

intervenante

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NEAR (motifs dissidents)

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’un appel interjeté par le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes contre la décision référencée 2016 CF 252, en date du 26 février 2016, par laquelle la Cour fédérale a rejeté sa demande de contrôle judiciaire visant la décision du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada (le TSSTC) en date du 27 novembre 2014. Par cette dernière décision, un agent d’appel du TSSTC (l’agent d’appel) avait conclu que l’obligation d’inspection du lieu de travail que fixe à l’employeur l’alinéa 125(1)z.12) du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, chap. L‑2 (le Code), ne s’applique qu’aux lieux de travail relevant de l’autorité dudit employeur, et que par conséquent l’intimée, soit la Société canadienne des postes, n’est pas tenue de faire en sorte que soient inspectés annuellement tous les endroits extérieurs à son immeuble sis à Burlington (Ontario).

II.  La disposition applicable

[2]  L’alinéa 125(1)z.12) du Code dispose ce qui suit :

Obligations spécifiques

Specific duties of employer

125 (1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève :

125 (1) Without restricting the generality of section 124, every employer shall, in respect of every work place controlled by the employer and, in respect of every work activity carried out by an employee in a work place that is not controlled by the employer, to the extent that the employer controls the activity,

[…]

z.12) de veiller à ce que le comité local ou le représentant inspecte chaque mois tout ou partie du lieu de travail, de façon que celui-ci soit inspecté au complet au moins une fois par année;

(z.12) ensure that the work place committee or the health and safety representative inspects each month all or part of the work place, so that every part of the work place is inspected at least once each year;

[3]  Un membre du comité local conjoint de santé et de sécurité, employé représenté par l’appelant, a déposé le 28 août 2012 une plainte selon laquelle seul l’immeuble de la Société canadienne des postes sis à Burlington était inspecté, alors que selon lui l’obligation d’inspection s’appliquait aussi aux itinéraires des facteurs.

[4]  Cette plainte a donné lieu à une enquête au terme de laquelle, en date du 21 septembre 2012, une agente de santé et sécurité (l’agente de SST) a donné une instruction relevant quatre contraventions au Code, dont une seule est pertinente au présent appel. Selon l’agente de SST, l’intimée avait omis de faire en sorte que le comité local de santé et de sécurité inspecte annuellement la totalité du lieu de travail, en violation de l’alinéa 125(1)z.12) du Code. En effet, constatait-elle, le comité local avait limité ses inspections à l’immeuble de Burlington. L’intimée a interjeté appel de cette instruction devant le TSSTC.

[5]  Le 27 novembre 2014, l’agent d’appel a modifié l’instruction de l’agente de SST et annulé le constat de contravention à l’alinéa 125(1)z.12). Se fondant sur son interprétation de cet alinéa, l’agent d’appel a conclu que l’obligation d’inspection ne s’appliquait « pas à tout endroit où un facteur accomplit son travail à l’extérieur du bâtiment physique » sis à Burlington (paragraphe 99 des motifs).

[6]  L’agent d’appel établit d’abord que l’expression « lieu de travail » employée au paragraphe 125(1) doit recevoir une interprétation large, de manière à s’appliquer à tous les endroits où travaille l’employé, « peu importe si l’employeur a autorité ou non sur ces endroits ». Suivant cette interprétation, le lieu de travail des facteurs de Postes Canada comprend les points de remise et les itinéraires (paragraphes 91 et 92 des motifs).

[7]  L’agent d’appel constate ensuite que le paragraphe 125(1) établit une nette distinction entre le cas où le lieu de travail relève de l’autorité de l’employeur et le cas où il n’en relève pas. Il conclut que ce paragraphe s’applique à « l’employeur qui a autorité tant sur le lieu de travail que sur la tâche, ou seulement sur la tâche » (paragraphe 93 des motifs). Selon l’agent d’appel, la simple lecture de l’énoncé des obligations énumérées au paragraphe 125(1) révèle que certaines d’entre elles s’appliquent à tout employeur, qu’il ait ou non autorité sur le lieu de travail, pourvu qu’il ait autorité sur la tâche accomplie, et que d’autres ne peuvent être remplies que si le lieu de travail relève de son entière autorité (paragraphe 93 des motifs).

[8]  L’agent d’appel conclut ensuite que « l’obligation d’inspecter le lieu de travail [énoncée à l’alinéa 125(1)z.12)] vise à permettre le recensement de risques et à créer une possibilité d’éliminer tout risque éventuel ou de faire le nécessaire pour qu’il soit éliminé »; par conséquent, raisonne‑t‑il, l’employeur doit avoir autorité sur le lieu de travail pour pouvoir remplir cette obligation (paragraphe 96 des motifs). Or, poursuit l’agent d’appel, l’intimée n’a pas physiquement autorité sur les points de remise ni sur les itinéraires, de sorte qu’elle ne peut supprimer les risques qui s’y présenteraient. Il conclut que l’intimée n’est pas en mesure d’assurer l’inspection qu’exige l’alinéa 125(1)z.12) en ce qui concerne les endroits extérieurs à son immeuble (paragraphe 99 des motifs).

[9]  Le 19 décembre 2014, l’appelant a demandé le contrôle judiciaire de la décision de l’agent d’appel au motif du caractère déraisonnable de l’interprétation donnée par celui‑ci de l’alinéa 125(1)z.12) du Code.

III.  La décision de la Cour fédérale

[10]  Le juge saisi de la demande de contrôle judiciaire a examiné, suivant le critère de la raisonnabilité, l’interprétation de l’alinéa 125(1)z.12) du Code retenue par l’agent d’appel, non sans noter que le nombre des issues possibles acceptables pouvait se révéler relativement restreint, étant donné que la question en litige mettait principalement en jeu l’interprétation d’un texte législatif.

[11]  Le juge saisi de la demande a conclu au caractère raisonnable de l’interprétation donnée par l’agent d’appel, au motif qu’elle tenait compte de la vaste portée des obligations de protection de la santé et de la sécurité des employés que le Code fixe à l’employeur, tout en évitant d’imposer à ce dernier des obligations qu’il serait incapable de remplir. Selon le juge, il n’était pas déraisonnable de la part de l’agent d’appel de conclure que l’intimée ne pouvait remplir l’objet de l’obligation d’inspection sans avoir autorité sur le lieu de travail. Le juge a admis que le paragraphe 125(1) établit une distinction entre l’autorité sur la tâche accomplie et l’autorité sur le lieu de travail, et que cette dernière détermine l’applicabilité de l’obligation énoncée à l’alinéa 125(1)z.12).

IV.  La question en litige

[12]  La seule question en litige est celle de savoir si l’interprétation donnée par l’agent d’appel de l’alinéa 125(1)z.12) du Code est ou non raisonnable.

V.  La norme de contrôle

[13]  Notre Cour, lorsqu’elle a à trancher un appel visant une demande de contrôle judiciaire, doit établir si le juge saisi de cette demande a retenu la norme de contrôle appropriée et l’a appliquée correctement. Pour ce faire, elle se « met[…] à la place » du juge de la Cour fédérale; voir l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, aux paragraphes 45 à 47, [2013] 2 R.C.S. 559.

[14]  Les deux parties soutiennent que la décision de l’agent d’appel doit être contrôlée suivant le critère de la raisonnabilité. Quoique je ne sois pas lié par leur accord, je conclus qu’elles ont raison en cela; voir l’arrêt Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes c. Société canadienne des postes, 2011 CAF 24, au paragraphe 18, 330 D.L.R. (4th) 729). La question à trancher est donc celle de savoir si, vu l’ensemble du contexte, l’agent d’appel a donné une interprétation raisonnable de l’alinéa 125(1)z.12) du Code; voir l’arrêt Zulkoskey c. Canada (Emploi et Développement social), 2016 CAF 268, au paragraphe 15.

VI.  Analyse

[15]  Selon la méthode privilégiée d’interprétation législative, [TRADUCTION] « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur »; voir le paragraphe 21 de l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, 36 O.R. (3d) 418 [arrêt Rizzo].

[16]  Le paragraphe 125(1) du Code prévoit deux cas : i) le lieu de travail et la tâche accomplie relèvent de l’autorité de l’employeur; ii) le lieu de travail ne relève pas de son autorité, mais la tâche accomplie, elle, en relève. S’il est vrai que les énoncés de ces deux cas sont séparés par la particule and dans le texte anglais du paragraphe 125(1), ce mot peut revêtir un sens disjonctif ou conjonctif suivant le contexte; voir l’arrêt Seck c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 314, au paragraphe 47, 234 A.C.W.S. (3d) 118.

[17]  La conclusion de l’agent d’appel selon laquelle certaines des obligations énumérées au paragraphe 125(1) ne peuvent s’appliquer à l’employeur qui n’a pas autorité sur le lieu de travail me paraît raisonnable. Par exemple, l’agent d’appel constate que l’employeur ne peut assurer, au titre de l’alinéa 125(1)a), la conformité aux normes réglementaires des bâtiments dont il n’est pas propriétaire et qu’il n’a pas le droit de modifier. En outre, comme l’intimée l’a fait valoir, l’employeur n’est pas en mesure d’installer des garde-fous et clôtures, conformément à l’alinéa 125(1)b), dans un lieu de travail qui ne relève pas de son autorité. Par contre, ajoute l’agent d’appel, même l’employeur qui n’aurait pas autorité sur le lieu de travail pourrait assurer la conformité aux normes de sécurité de l’équipement utilisé par ses employés, au titre de l’alinéa 125(1)t), à condition que la tâche accomplie par ceux‑ci relève, elle, de son autorité.

[18]  Me paraît en outre raisonnable la conclusion de l’agent d’appel selon laquelle l’obligation d’inspecter le lieu de travail énoncée à l’alinéa 125(1)z.12) ne peut être d’application que si l’employeur se trouve dans le premier des deux cas prévus au paragraphe 125(1), c’est‑à‑dire s’il a autorité sur ledit lieu de travail. Il ne fait aucun doute que l’intimée n’a pas autorité, d’un point de vue physique, sur les points de remise pris un à un, dont un bon nombre sont situés sur des propriétés privées, ni sur les itinéraires des facteurs (paragraphe 98 des motifs). Les parties ont également souscrit, en appel, à l’interprétation donnée par l’agent d’appel de l’objet de l’obligation d’inspection : « permettre le recensement de risques et […] créer une possibilité d’éliminer tout risque éventuel ou de faire le nécessaire pour qu’il soit éliminé » (paragraphe 96 des motifs). Est également raisonnable la constatation de l’agent d’appel comme quoi l’intimée « n’a pas d’accès exclusif aux propriétés privées et […] ne peut pas non plus modifier ou réparer les lieux si un risque se matérialise » (paragraphe 99 des motifs). Il était par conséquent raisonnable de la part de l’agent d’appel de conclure que l’intimée ne dispose pas d’une capacité ou d’une autorité suffisantes en dehors de son immeuble de Burlington pour remplir l’objet de l’alinéa 125(1)z.12).

[19]  Contrairement à ce que soutient l’appelant dans ses observations, l’agent d’appel n’omet pas de prendre en considération le second des deux cas prévus au paragraphe 125(1), soit celui où la tâche accomplie relève de l’employeur, mais pas le lieu de travail. L’agent d’appel constate que la possibilité de remplir certaines obligations dépend de l’autorité dont on dispose sur le lieu de travail physique. Il n’est pas possible pour l’employeur d’assurer l’inspection d’un lieu de travail qui ne relève pas de son autorité, aussi entièrement qu’en relève la tâche accomplie. Je tiens pour raisonnable la conclusion de l’agent d’appel comme quoi l’intimée se trouve dans le second des cas envisagés par le paragraphe 125(1) : elle a autorité sur les tâches accomplies par les facteurs, mais pas sur les itinéraires ni sur les points de remise. Par conséquent, l’obligation de faire en sorte que soient inspectées ces parties du lieu de travail au titre de l’alinéa 125(1)z.12) ne peut s’appliquer à l’intimée.

[20]  L’appelant soutient que les conclusions de l’agent d’appel concernant les politiques de santé et de sécurité de l’intimée démontrent l’aptitude de cette dernière à remplir l’objet de l’alinéa 125(1)z.12), d’où il suit que sa décision est déraisonnable. Je ne puis souscrire à cet argument. L’agent d’appel fait observer que l’intimée s’efforce de repérer et de supprimer les risques aux points de remise et qu’elle effectue des vérifications d’itinéraires dans certains secteurs (paragraphes 100, 107 et 108 des motifs). L’avocat de l’appelant a fait valoir que l’intimée peut suspendre la livraison du courrier en cas de danger. À mon sens, ces observations ne peuvent être assimilées à la conclusion que l’intimée serait en mesure d’assurer l’inspection annuelle de toutes les parties du lieu de travail situées en dehors de son immeuble. Si l’obligation d’inspection s’appliquait aux lieux de travail ne relevant pas de l’autorité de l’employeur, on n’attendrait pas simplement de l’intimée qu’elle s’efforce de repérer et de supprimer les risques, et qu’elle effectue des vérifications d’itinéraires dans certains secteurs : elle serait plutôt tenue par la loi de faire en sorte que soient repérés et supprimés tous les risques afférents à tous les itinéraires des facteurs, y compris les risques qui se présentent sur les propriétés privées.

[21]  L’interprétation de l’agent d’appel, si elle limite l’applicabilité de l’obligation d’inspection, ne met pas en cause l’objectif de protection de la santé et de la sécurité des employés que se fixe le Code. L’agent d’appel constate que le Code doit recevoir une interprétation large (paragraphe 91 des motifs); que le paragraphe 125(1) contraint l’employeur dans toute la mesure du possible (paragraphe 95 des motifs); et que le Règlement oblige l’employeur à mettre en œuvre des programmes de prévention des risques (paragraphe 100 des motifs). À mon avis, l’interprétation de l’agent d’appel va dans le sens des objectifs d’intérêt public du Code tout en évitant d’étendre l’obligation d’inspection du lieu de travail au‑delà des limites de la raison et de la logique; voir l’arrêt Blue Mountain Resorts Limited  v. Ontario (Labour), 2013 ONCA 75, aux paragraphes 25 à 27, 114 O.R. (3d) 321; et l’arrêt Rizzo, au paragraphe 27.

[22]  La conclusion que j’ai formulée plus haut me paraît suffire à trancher le présent appel. Il convient cependant de prendre acte des conclusions de l’intervenante, ETCOF Inc. (Employeurs des transports et communications de régie fédérale). ETCOF semble donner à entendre que, selon l’article 135 du Code, le mandat des comités locaux se limite aux lieux de travail qui relèvent de l’autorité de l’employeur. ETCOF n’était pas représentée devant l’agent d’appel, et l’examen par le TSSTC de ses observations aurait été utile à notre Cour. Quoi qu’il en soit, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur cette question pour trancher le présent appel. Au mieux, les observations de l’intervenante ont pour effet de confirmer l’importance d’interpréter le Code de manière textuelle, contextuelle et téléologique, ce que l’agent d’appel a fait à mon sens en ce qui concerne l’alinéa 125(1)z.12).

VII.  Conclusion

[23]  Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais l’appel avec dépens.

« D. G. Near »

j.c.a.


LE JUGE NADON

[24]  J’ai lu, en version préliminaire, l’exposé des motifs sur lesquels mon collègue le juge Near fonde sa conclusion que nous devrions rejeter le présent appel. Comme il me paraît que le juge Gleeson de la Cour fédérale (le juge) a commis une erreur en concluant au caractère raisonnable de la décision 2014 TSSTC 22, rendue par un agent d’appel du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada (le TSSTC) le 27 novembre 2014, je suis respectueusement en désaccord avec la décision proposée par mon collègue.

[25]  Pour les motifs dont l’exposé suit, j’estime que la décision de l’agent d’appel est déraisonnable et que, par conséquent, le juge aurait dû l’annuler. En conséquence, j’accueillerais le présent appel.

[26]  Le juge Near a donné dans ses motifs un exposé des faits et une formulation de la question en litige auxquels je ne trouve rien à redire et qu’il serait inutile de répéter.

[27]  Je commencerai, comme il se doit, par un examen de la décision de l’agent d’appel. Ce dernier était saisi, sous le régime du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, chap. L‑2 (le Code), d’un appel visant une instruction donnée par une agente de santé et sécurité, dont j’extrais le passage suivant :

[TRADUCTION] L’employeur [c’est‑à‑dire l’intimée] a omis de veiller à ce que le comité local de santé et de sécurité inspecte chaque mois tout ou partie du lieu de travail, de façon que chaque partie de celui‑ci soit inspectée au moins une fois par année. L’activité d’inspection actuelle du lieu de travail par le comité local de santé et de sécurité se limite à l’immeuble sis au 688 de la rue Brant, à Burlington (Ontario).

Plus précisément, l’agente de santé et sécurité estimait que l’obligation d’inspection du lieu de travail comprenait l’obligation d’inspecter les endroits extérieurs à l’immeuble de l’employeur, sis à Burlington (Ontario).

[28]  Premièrement, se fondant sur le paragraphe 122(1) du Code qui définit le « lieu de travail » comme étant « [t]out lieu où l’employé exécute un travail pour le compte de son employeur », l’agent d’appel conclut que ce terme est assez large pour inclure les itinéraires des facteurs et les points de remise. Par conséquent, raisonne‑t‑il, le lieu de travail est un lieu où l’employé travaille, que ce lieu relève ou non de l’autorité de l’employeur.

[29]  Par cette conclusion, l’agent d’appel rejetait l’argument de l’intimée selon lequel une interprétation si large de l’expression « lieu de travail » ne se justifiait pas, étant donné qu’elle assimilerait à un lieu de travail chacun des endroits où passent les facteurs. Selon l’intimée, il serait absurde de l’obliger à inspecter chacun de ces endroits.

[30]  L’agent d’appel porte ensuite son attention sur le paragraphe 125(1) du Code, dont il note que le texte établit une nette distinction entre le lieu de travail relevant de l’autorité de l’employeur et celui qui n’en relève pas, ajoutant que le libellé de ce paragraphe ne précise pas lesquelles des obligations énumérées dans ses alinéas s’appliquent respectivement à l’un ou l’autre de ces cas.

[31]  L’agent d’appel exprime ensuite l’idée que certaines des obligations énumérées aux alinéas du paragraphe 125(1) sont de telle nature que l’employeur ne peut les remplir à moins que le lieu de travail ne relève de son autorité, tandis que d’autres peuvent être remplies par lui pour autant que les tâches qu’accomplissent ses employés relèvent, elles, de ladite autorité. À son avis, l’obligation énoncée à l’alinéa 125(1)z.12) entre dans la première de ces catégories, parce que son exécution exige le repérage et la suppression des risques.

[32]  Comme, selon lui, l’intimée n’a pas accès aux propriétés privées et se trouve par conséquent incapable de prendre des mesures pour supprimer les risques qui se présenteraient sur de telles propriétés, il ne fait aucun doute pour l’agent d’appel que le lieu de travail des facteurs ne relève pas de l’autorité de l’employeur. Par conséquent, raisonne‑t‑il, on voit mal comment l’intimée pourrait remplir son obligation de veiller à l’exécution des inspections prévues à l’alinéa 125(1)z.12).

[33]  L’agent d’appel constate ensuite que nul n’a contesté devant lui le fait que l’intimée « n’a pas autorité, d’un point de vue physique, sur les points de remise ou les parcours correspondant aux itinéraires des facteurs », tout en ajoutant qu’il appert cependant de la preuve qu’elle a autorité sur les tâches accomplies par ceux‑ci, « jusqu’à et y compris la façon dont ils tiennent leur sacoche et parcourent leur itinéraire » (paragraphe 98 des motifs de l’agent d’appel). L’intimée, ferai‑je remarquer, ne conteste pas la conclusion de l’agent d’appel selon laquelle elle a autorité sur les tâches remplies par les facteurs à l’extérieur de son immeuble sis à Burlington (Ontario).

[34]  Par conséquent, l’agent d’appel conclut que l’alinéa 125(1)z.12) ne s’applique pas aux parties du lieu de travail des facteurs situées à l’extérieur de l’immeuble postal de Burlington (Ontario).

[35]  L’agent d’appel attire ensuite l’attention sur le fait que l’intimée a mis en place des politiques, des programmes et des procédures d’évaluation ayant pour objet de protéger la santé et la sécurité de ses employés. Il s’arrête en particulier sur le programme de prévention des risques dans le lieu de travail (le PPRLT), élaboré par l’intimée afin que soient repérés et signalés les risques courus par les facteurs sur leurs itinéraires. Ce programme, selon lui, « illustre à la perfection la façon dont le Code et son Règlement sont mis en œuvre pour préserver la santé et la sécurité d’employés qui accomplissent toutes sortes de tâches dans toutes sortes de lieux de travail » (paragraphe 100 des motifs de l’agent d’appel).

[36]  L’agent d’appel a en conséquence modifié l’instruction de l’agente de SST qui relevait une contravention à l’alinéa 125(1)z.12). Par conséquent, l’appelant a demandé le contrôle judiciaire de cette décision de l’agent d’appel devant la Cour fédérale.

[37]  Dans une décision en date du 26 février 2016 (2016 CF 252), le juge a rejeté la demande de l’appelant. Il estimait raisonnable la décision de l’agent d’appel, se disant convaincu qu’elle était « justifiée, transparente et intelligible » et qu’elle appartenait « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (paragraphe 59 des motifs du juge). Selon le juge, l’interprétation donnée par l’agent d’appel de l’alinéa 125(1)z.12) démontrait « une sensibilité visant à préserver la nature générale des obligations de l’employeur de veiller à la santé et à la sécurité de ses employés sans imposer d’obligations à l’employeur dont il ne serait pas en mesure de s’acquitter » (paragraphe 58 des motifs du juge).

[38]  Plus précisément, le juge a souscrit à la distinction établie par l’agent d’appel entre le lieu de travail relevant de l’autorité de l’employeur et celui qui n’en relève pas. Il a aussi admis le caractère valable et important de cette distinction pour l’interprétation du paragraphe 125(1). Je reproduis ci‑dessous le paragraphe 55 de ses motifs :

[55]  De plus, je suis d’avis que la conclusion de l’agent d’appel voulant que la défenderesse exerce une importante autorité sur la tâche accomplie n’est pas intrinsèquement incohérente avec la décision ni ne mine le caractère raisonnable de la décision. L’agent d’appel précise que le paragraphe 125(1) établit une distinction claire entre l’autorité exercée sur un lieu de travail et l’autorité exercée sur une tâche accomplie. Il a trouvé que cette distinction était importante et valable pour l’interprétation du paragraphe 125(1). Ayant conclu que le paragraphe faisait la distinction entre l’autorité sur le lieu de travail et l’autorité sur une tâche accomplie, et ayant déterminé que l’autorité sur le lieu de travail était un facteur déterminant pour les obligations imposées par l’alinéa 125(1)z.12), il n’était pas nécessaire, à mon avis, que l’agent d’appel aborde la question de l’autorité de l’employeur sur la tâche accomplie.

[39]  L’appelant conteste maintenant la décision du juge devant notre Cour. Je suis d’accord avec le juge Near pour dire que la décision de l’agent d’appel relève du critère de la raisonnabilité. Comme il le fait observer au paragraphe 13 de ses motifs, il nous incombe d’établir si le juge a retenu le critère approprié (ce qui est le cas) et s’il l’a bien appliqué. À cette fin, nous devons en fait nous mettre à la place du juge de la Cour fédérale; voir l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 à 47.

[40]  Le juge Near conclut au caractère raisonnable de l’interprétation donnée par l’agent d’appel de l’alinéa 125(1)z.12). Plus précisément, il admet comme raisonnable le point de vue de l’agent d’appel selon lequel, une fois établi que l’employeur ne peut remplir certaines des obligations énumérées aux 45 alinéas du paragraphe 125(1) à moins d’avoir autorité sur le lieu de travail, il s’ensuit nécessairement qu’on ne peut interpréter ce paragraphe comme obligeant l’intimée, qui n’a pas autorité sur les parties du lieu de travail situées en dehors de l’immeuble de Burlington, à faire en sorte que soient effectuées les inspections prescrites à l’alinéa 125(1)z.12).

[41]  Mon collègue souscrit également à la conclusion de l’agent d’appel selon laquelle, comme l’objet de l’obligation énoncée à l’alinéa 125(1)z.12) est de permettre le repérage et la suppression des risques courus par les facteurs sur leurs itinéraires et aux points de remise, l’autorité sur ces parties du lieu de travail forme une condition nécessaire à l’exécution de cette obligation. Le juge Near estime cette conclusion raisonnable pour le motif suivant :

Si l’obligation d’inspection s’appliquait aux lieux de travail ne relevant pas de l’autorité de l’employeur, on n’attendrait pas simplement de l’intimée qu’elle s’efforce de repérer et de supprimer les risques, et qu’elle effectue des vérifications d’itinéraires dans certains secteurs : elle serait plutôt tenue par la loi de faire en sorte que soient repérés et supprimés tous les risques afférents à tous les itinéraires des facteurs, y compris les risques qui se présentent sur les propriétés privées.

(Paragraphe 20 des motifs du juge Near. Les italiques sont dans l’original.)

[42]  En fin de compte, le juge Near se déclare convaincu que l’agent d’appel a donné des dispositions en cause une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique, de sorte que sa décision est raisonnable.

[43]  Soit dit en tout respect, je ne puis souscrire à cette conclusion. L’interprétation donnée par l’agent d’appel de l’alinéa 125(1)z.12) me paraît déraisonnable pour deux motifs. Premièrement, cette interprétation constitue en fait une réécriture de l’alinéa. Deuxièmement, il était déraisonnable de la part de l’agent d’appel de conclure que l’intimée ne peut remplir l’obligation énoncée à l’alinéa 125(1)z.12) parce qu’elle n’a pas autorité sur le lieu de travail, c’est‑à‑dire qu’elle n’a pas accès, ou un accès exclusif, aux propriétés privées, de sorte qu’il ne lui serait pas possible de repérer et de supprimer les risques courus par les facteurs sur leurs itinéraires et aux points de remise.

[44]  La disposition en cause, l’alinéa 125(1)z.12) du Code, est ainsi libellée :

Obligations spécifiques

Specific duties of employer

125 (1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève :

125 (1) Without restricting the generality of section 124, every employer shall, in respect of every work place controlled by the employer and, in respect of every work activity carried out by an employee in a work place that is not controlled by the employer, to the extent that the employer controls the activity,

[…]

z.12) de veiller à ce que le comité local ou le représentant inspecte chaque mois tout ou partie du lieu de travail, de façon que celui-ci soit inspecté au complet au moins une fois par année;

(z.12) ensure that the work place committee or the health and safety representative inspects each month all or part of the work place, so that every part of the work place is inspected at least once each year;

[45]  Je reproduis aussi l’article 124, auquel renvoie le paragraphe 125(1) :

124 L’employeur veille à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail.

124 Every employer shall ensure that the health and safety at work of every person employed by the employer is protected.

[46]  Les parties conviennent qu’[TRADUCTION] « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur »; voir le paragraphe 21 de l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, 36 O.R. (3d) 418 (arrêt Rizzo).

[47]  Il n’est pas contesté non plus que les dispositions telles que celles de la partie II du Code, dont l’objet est la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, doivent recevoir une interprétation libérale afin que soit rempli cet objet du régime et atteints ses objectifs; voir l’arrêt Rizzo, au paragraphe 36; et l’arrêt Blue Mountain Resorts Limited v. Ontario (Labour), 2013 ONCA 75, 114 O.R. (3d) 321, aux paragraphes 24 et 25.

[48]  À mon humble avis, les termes du paragraphe 125(1) du Code sont clairs et exempts d’ambiguïté. Ce paragraphe dispose que tout employeur est tenu de remplir dans deux cas les obligations énumérées dans ses alinéas. Le premier de ces cas est celui où le lieu de travail des employés relève de l’autorité de l’employeur. Le second est celui où le lieu de travail ne relève pas de son autorité, mais où la tâche accomplie par ses employés, elle, en relève. Suivant le sens ordinaire et grammatical des termes du paragraphe, si l’une ou l’autre de ces conditions est remplie, l’employeur doit s’acquitter de toutes les obligations énoncées aux alinéas de ce paragraphe, y compris l’alinéa 125(1)z.12). Je ne vois pas comment on pourrait lire autrement les dispositions en cause.

[49]  À mon avis, l’agent d’appel n’a pas vraiment essayé d’interpréter l’alinéa 125(1)z.12). En effet, plutôt que d’entreprendre ce travail conformément aux règles d’interprétation reçues, il a décidé qu’il fallait lire le paragraphe 125(1) de telle sorte que le second cas prévu ne s’applique pas aux obligations que l’employeur, selon lui, n’était pas en mesure de remplir. Ainsi, parce qu’elle était incapable de repérer et de supprimer les risques courus par les facteurs sur leurs itinéraires et aux points de remise situés sur les propriétés privées, l’intimée échappait au champ d’application de l’alinéa 125(1)z.12). Ce faisant, l’agent d’appel a omis de prendre en considération l’un des deux cas définis au paragraphe 125(1) aux fins de son application : celui où le lieu de travail ne relève pas de l’autorité de l’employeur, mais où la tâche accomplie, elle, en relève.

[50]  Je suis convaincu que l’interprétation donnée du paragraphe en question par l’agent d’appel ne lui était indubitablement pas permise et revêt un caractère déraisonnable. Comme je le disais plus haut, j’estime qu’il a réécrit la disposition en cause afin d’arriver à la conclusion qu’il a formulée. À mon humble avis, si la signification attribuée au paragraphe 125(1) par l’agent d’appel était conforme à l’intention du législateur, ce dernier l’aurait sans aucun doute libellé très différemment ou, à tout le moins, ne l’aurait pas libellé comme il l’a fait.

[51]  Il faut se rappeler qu’il n’est pas permis aux tribunaux judiciaires ou administratifs d’utiliser l’objet de dispositions législatives pour contrecarrer ou écarter l’intention manifeste du législateur. Comme l’a fait observer le juge Gonthier au nom de la majorité de la Cour suprême du Canada, encore que dans un contexte différent, au paragraphe 42 de l’arrêt Barrie Public Utilities c. Association canadienne de télévision par câble, 2003 CSC 28, [2003] 1 R.C.S. 476,

[…] les cours de justice et les tribunaux administratifs doivent avoir recours aux énoncés d’intention pour établir, et non pas pour contrecarrer l’intention du législateur. À mon avis, le CRTC s’est fondé sur les objectifs de politique pour écarter l’intention du législateur qui ressort clairement du sens ordinaire du par. 43(5), de l’art. 43 dans son ensemble et de la Loi considérée comme un tout.

[52]  Le fait que l’exécution des obligations énoncées aux alinéas du paragraphe 125(1) puisse présenter des difficultés ou des problèmes pour l’intimée, ou tout autre employeur, ne justifie pas à mon humble avis que l’agent d’appel s’écarte de l’intention manifeste qu’exprime ce paragraphe. Le principe à retenir dans un tel cas est que, si le législateur a omis de prendre en considération toutes les conséquences ou répercussions de son texte législatif, c’est à lui qu’il appartient, et non aux tribunaux judiciaires ou administratifs, de remédier à la situation.

[53]  Au paragraphe 16 de ses motifs, le juge Near rappelle, en se fondant sur le paragraphe 47 de l’arrêt de notre Cour intitulé Seck c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 314, 234 A.C.W.S. (3d) 118, que la particule and peut revêtir selon le contexte un sens disjonctif ou conjonctif. À mon humble avis, il est évident que le mot and, au paragraphe 125(1), ne peut être interprété comme signifiant « ou ». Le texte français de la disposition porte « ainsi que », qui signifie à l’évidence « et » et non pas « ou ». La locution « ainsi que », en effet, ne peut avoir qu’un sens conjonctif, jamais disjonctif. Le Harrap’s Standard French and English Dictionary (Edinburgh, Harrap Books, 1991) donne du mot « ainsi » la traduction suivante :

2. conj. So, thus… (b) as also.

[54]  De même, Le Petit Robert de la langue française (Paris, Dictionnaires Le Robert, 2004) définit comme suit la locution « ainsi que » :

De la même façon que. → comme … Tout comme. → et.

[55]  Quoi qu’il en soit, même si l’on attribue à la particule and un sens disjonctif en l’occurrence, le paragraphe n’en prévoit pas moins l’application des obligations aux deux cas : l’employeur « est tenu » (shall) « de veiller à ce que le comité local […] inspecte chaque mois tout ou partie du lieu de travail » dans l’un ou l’autre cas.

[56]  Par conséquent, il ne fait pour moi aucun doute que le paragraphe 125(1) du Code prévoit l’applicabilité de toutes les obligations énoncées dans ses alinéas aux lieux de travail relevant de l’autorité de l’intimée et aux tâches accomplies dans les lieux de travail qui n’en relèvent pas, pour autant que ces tâches, elles, en relèvent. Comme je le rappelais plus haut, l’agent d’appel a constaté que l’intimée avait autorité sur les tâches accomplies par ses facteurs, « jusqu’à et y compris la façon dont ils tiennent leur sacoche et parcourent leur itinéraire » (paragraphe 98 des motifs de l’agent d’appel). Comme je l’ai également précisé ci‑dessus, l’intimée ne conteste pas cette conclusion. Par conséquent, les conditions fixées par le paragraphe 125(1) sont remplies en l’espèce, de sorte que l’obligation énoncée à l’alinéa 125(1)z.12) s’applique à l’intimée.

[57]  À mon sens, la seule interprétation raisonnable qui s’offrait à l’agent d’appel était que l’intimée est tenue de remplir l’obligation énoncée à l’alinéa 125(1)z.12), étant donné que relèvent de son autorité les tâches accomplies par les facteurs dans les parties du lieu de travail situées à l’extérieur de ses immeubles. Aucun élément du contexte ou de l’objet des dispositions législatives en question, ajouterai‑je, n’appuie l’interprétation donnée du paragraphe 125(1) par l’agent d’appel. Par conséquent, la conclusion de ce dernier n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard du droit. Et comme la décision de l’agent d’appel repose essentiellement sur son interprétation du paragraphe 125(1) du Code, il était contraint, à mon humble avis, par le texte, le contexte et l’objet dudit Code; voir l’arrêt de notre Cour intitulé Canada (Procureur général) c. Commission canadienne des droits de la personne, 2013 CAF 75, 444 N.R. 120, aux paragraphes 13 et 14. D’où il suit que la décision de l’agent d’appel est déraisonnable.

[58]  Bien qu’à mon avis cette conclusion suffise à trancher le présent appel, j’exposerai maintenant le second motif pour lequel la décision de l’agent d’appel doit être tenue pour déraisonnable.

[59]  Comme je l’ai déjà dit, j’estime que la décision de l’agent d’appel est également déraisonnable du fait de sa conclusion que l’intimée n’est pas en mesure de s’acquitter de l’obligation énoncée à l’alinéa 125(1)z.12). Cette obligation de l’employeur, comme il y est dit en termes clairs, consiste à veiller à ce que le comité local ou le représentant en matière de santé et de sécurité inspecte au moins une fois par année le lieu de travail des employés. En l’espèce, cela signifie que l’intimée doit veiller à ce que soient inspectés au moins une fois par année les itinéraires des facteurs et les points de remise.

[60]  L’agent d’appel a conclu que l’alinéa 125(1)z.12) obligerait l’intimée non seulement à inspecter les itinéraires des facteurs et les points de remise, mais aussi à repérer et à supprimer les risques que courraient ses employés dans ces parties du lieu de travail. Par conséquent, du point de vue de l’agent d’appel, l’intimée ne peut s’acquitter de l’obligation énoncée à l’alinéa 125(1)z.12) puisque ces parties du lieu de travail ne relèvent pas de son autorité. Comme solution de réserve, l’agent d’appel fait observer au paragraphe 100 de ses motifs que l’intimée a mis en œuvre divers programmes et politiques, dont le PPRLT constitue un « exemple notoire », pour « recenser et […] signaler les risques détectés aux points de remise ». Donc, bien que selon lui l’obligation énoncée à l’alinéa 125(1)z.12) ne puisse s’appliquer à l’intimée au motif qu’elle n’est pas en mesure de la remplir, l’agent d’appel s’est déclaré convaincu que celle‑ci, au moyen de ses programmes, déployait en fait les efforts nécessaires pour repérer et supprimer les risques courus par les facteurs sur leurs itinéraires et aux points de remise.

[61]  Je suis convaincu que l’appelant a raison de soutenir que, selon la preuve produite devant l’agent d’appel, l’intimée était tout à fait en mesure de repérer et de supprimer les risques que présentaient les itinéraires et les points de remise pour la santé et la sécurité des facteurs. À ce propos, l’appelant attire l’attention sur la politique 1202.05 de l’intimée, intitulée Dangers et obstacles à la livraison en cours d’itinéraire. Ce document de 18 pages définit comme suit la portée de la politique :

Le présent document décrit les étapes nécessaires que doivent prendre les agents de livraison, les employés membres des Factrices et facteurs ruraux et suburbains (FFRS) ainsi que les superviseurs et les chefs afin de déterminer et d’éliminer les dangers et les obstacles à la livraison.

[62]  Le document définit d’abord, de manière passablement détaillée, les risques ou dangers et les obstacles en question. Il expose ensuite les responsabilités respectives à cet égard des livreurs, des FFRS, des superviseurs et des surintendants, expliquant à chacune de ces catégories les manières de repérer les risques et les obstacles à la livraison, et les mesures à prendre pour régler avec les usagers les problèmes ainsi relevés. Par exemple, la politique dispose que la rétention et/ou la déviation et la suspension du courrier peuvent se révéler nécessaires pour régler tel ou tel problème de cette nature.

[63]  On voit donc que la politique 1202.05 comporte un protocole détaillé pour les agents de livraison et les superviseurs concernant les risques et les obstacles à la livraison, où sont exposées les mesures à prendre pour repérer ces problèmes, enquêter sur eux et les régler avec les usagers. Selon cette politique, il incombe aux superviseurs de signaler les risques et les obstacles, d’effectuer les enquêtes y afférentes et de se rendre sur les lieux où restent à régler les problèmes de cette nature. Les superviseurs ont également le pouvoir de dévier le courrier ou d’en suspendre la livraison jusqu’à la suppression du risque ou de l’obstacle constaté en un lieu donné.

[64]  Autrement dit, l’intimée est en fait capable, au moyen de ses divers programmes et politiques, de repérer et de supprimer les risques courus, et les obstacles rencontrés, par les facteurs sur leurs itinéraires et aux points de remise. D’après la preuve, il est à mon humble avis déraisonnable de dire, comme le fait l’agent d’appel, que l’intimée est incapable de repérer et de supprimer les risques courus par les facteurs sur leurs itinéraires et aux points de remise parce qu’elle n’a pas accès, ou un accès exclusif, aux propriétés privées.

[65]  Comme le démontrent les politiques existantes de l’intimée, l’autorité sur les propriétés privées n’est pas une condition nécessaire pour remplir l’obligation énoncée à l’alinéa 125(1)z.12). Le fait est que l’intimée, même sans disposer d’une autorité directe sur le lieu de travail, se trouve en mesure de faire en sorte que les itinéraires des facteurs et les points de remise soient inspectés aux fins de repérage et de suppression des risques et des obstacles.

[66]  Quoi qu’il en soit, je suis convaincu que l’intimée est capable d’assurer l’exécution de l’obligation énoncée à l’alinéa 125(1)z.12). Cependant, elle pourrait avoir à changer ou à modifier son protocole, étant donné qu’elle devrait confier l’inspection annuelle au comité local, plutôt que de demander à ses employés de relever les risques dans le cadre de leur travail. Autrement dit, il se pourrait qu’elle doive modifier la manière dont s’effectue l’inspection des itinéraires des facteurs et des points de remise, mais il ne fait pour moi aucun doute qu’elle continuera d’obtenir les résultats que ses politiques lui permettent déjà d’atteindre.

[67]  En conséquence, la conclusion formulée par l’agent d’appel selon laquelle, vu la preuve produite devant lui, l’intimée ne pourrait s’acquitter de l’obligation énoncée à l’alinéa 125(1)z.12) est à mon humble avis déraisonnable.

[68]  Avant de conclure, j’aimerais m’arrêter un moment sur un argument avancé par l’intervenante.

[69]  Se fondant sur le paragraphe 135(1) et l’alinéa 135(7)k) du Code, reproduits ci‑dessous, l’intervenante fait valoir que le rôle du comité local se limite au lieu de travail pour lequel il est constitué.

135 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employeur constitue, pour chaque lieu de travail placé sous son entière autorité et occupant habituellement au moins vingt employés, un comité local chargé d’examiner les questions qui concernent le lieu de travail en matière de santé et de sécurité; il en choisit et nomme les membres sous réserve de l’article 135.1.

135 (1) For the purposes of addressing health and safety matters that apply to individual work places, and subject to this section, every employer shall, for each work place controlled by the employer at which twenty or more employees are normally employed, establish a work place health and safety committee and, subject to section 135.1, select and appoint its members.

[…]

135 (7) Le comité local, pour ce qui concerne le lieu de travail pour lequel il a été constitué :

135 (7) A work place committee, in respect of the work place for which it is established,

[…]

k) inspecte chaque mois tout ou partie du lieu de travail, de façon que celui-ci soit inspecté au complet au moins une fois par année;

(k) shall inspect each month all or part of the work place, so that every part of the work place is inspected at least once each year; and

Or, selon l’intervenante, ce lieu de travail est en l’espèce l’immeuble de l’intimée sis à Burlington (Ontario).

[70]  Par conséquent, raisonne l’intervenante, [traduction] « la portée du mandat du comité local n’inclut pas l’inspection des lieux de travail qui ne relèvent pas de l’autorité de l’employeur » (paragraphe 15 du mémoire des faits et du droit de l’intervenante; souligné dans l’original). En résumé, l’intervenante soutient que les responsabilités du comité local s’appliquent exclusivement au lieu de travail relevant de l’autorité de l’employeur.

[71]  Cette thèse me paraît erronée. Premièrement, il faudrait pour l’accepter que nous ne tenions pas compte du texte du paragraphe 125(1). L’obligation énoncée à l’alinéa 125(1)z.12) diffère légèrement de celle qu’on trouve à l’alinéa 135(7)k), étant donné que, selon le libellé explicite du paragraphe 125(1), la première s’applique à un plus grand nombre de situations professionnelles que la seconde. Deuxièmement, l’intervenante nous invite tacitement à lire l’alinéa 125(1)z.12) comme si sa partie introductive portait la clause « sous réserve de l’alinéa 135(7)k) ». Or, je ne vois aucun motif d’interpréter ainsi l’alinéa 125(1)z.12).

[72]  Troisièmement, le fait reste que le paragraphe 125(1) est clair et exempt d’ambiguïté. Il dispose, je le dis encore une fois, que l’employeur est tenu de s’acquitter des obligations énumérées dans ses alinéas lorsque sont remplies soit l’une ou l’autre des deux conditions y énoncées, soit les deux. Aucun élément du texte de l’alinéa 135(7)k) ne permet au lecteur de limiter la portée du paragraphe 125(1).

VIII.  Conclusion

[73]  En conséquence, j’accueillerais l’appel avec dépens, j’annulerais le jugement de la Cour fédérale, et, rendant le jugement qui aurait dû être rendu, j’accueillerais avec dépens la demande de contrôle judiciaire formée par l’appelant contre la décision de l’agent d’appel et je rétablirais l’instruction de l’agente de santé et sécurité en ce qui concerne la contravention numéro un.

« M. Nadon »

j.c.a.


LE JUGE RENNIE (motifs concourants)

[74]  J’ai eu l’avantage de prendre connaissance des motifs de jugement proposés par mes collègues, les juges Nadon et Near. Mon interprétation de l’alinéa 125(1)z.12) diffère des leurs. La clause de réserve « dans la mesure où cette tâche, elle, en relève » qu’on trouve au paragraphe 125(1) mène à la conclusion, à mon humble avis, que le législateur n’avait pas l’intention d’appliquer également à toutes les activités, en toutes circonstances, l’obligation d’inspection énoncée à l’alinéa 125(1)z.12).

[75]  Mon collègue le juge Near considère comme raisonnable la conclusion de l’agent d’appel selon laquelle l’autorité sur le lieu de travail permet de trancher la question de savoir si l’obligation énoncée à l’alinéa 125(1)z.12) s’applique ou non à l’intimée. Comme le juge Nadon le fait remarquer, cette analyse est incomplète; elle écarte en fait le reste de la disposition. Le juge Nadon, quant à lui, conclurait que l’obligation est d’application dans le cas où le lieu de travail relève de l’autorité de l’employeur et dans le cas où la tâche accomplie en relève, mais pas le lieu de travail, attribuant ainsi un sens conjonctif à la disposition en cause, qui s’appliquerait par conséquent également à l’un et l’autre cas.

[76]  Chacun de mes collègues paraît ainsi ne considérer la clause de réserve « dans la mesure où cette tâche, elle, en relève » que comme ayant pour effet de poser une alternative absolue, c’est‑à‑dire soit de prévoir l’applicabilité entière de l’alinéa 125(1)z.12) à la tâche accomplie, soit d’exclure celle‑ci du champ d’application.

[77]  À mon sens, aucune de ces interprétations ne donne effet à l’intention manifeste du législateur. Les termes « dans la mesure où » exigent un examen, fondé sur les faits et les circonstances de chaque espèce, de la mesure dans laquelle l’obligation peut s’appliquer à la tâche accomplie. Plus précisément, le point de désaccord entre mes collègues pris ensemble et moi-même tient à la question de savoir si les termes « la mesure où la tâche relève de l’autorité de l’employeur » (je paraphrase la disposition) déterminent la présence ou l’absence d’une obligation entière, ou bien l’existence d’une obligation dont l’étendue est à établir selon les aspects de ladite tâche qui relèvent de l’autorité de l’employeur et ceux qui n’en relèvent pas.

[78]  Je pense comme mon collègue le juge Nadon que toutes les obligations énoncées au paragraphe 125(1) s’appliquent par présomption, aussi bien à l’employeur ayant autorité sur le lieu de travail qu’à l’employeur ayant autorité sur la tâche accomplie mais pas sur le lieu de travail. Cependant, je ferais un pas de plus dans l’analyse. Une fois établi, comme il l’est en l’espèce, que la tâche accomplie relève de l’autorité de l’employeur, il faut se poser la question découlant du libellé explicite de la disposition – soit celle de savoir dans quelle mesure cette tâche relève de ladite autorité. Il me paraît que la mesure de l’autorité exercée sur la tâche accomplie détermine nécessairement l’étendue de l’obligation d’inspection.

[79]  Il est vrai que la Société canadienne des postes a autorité sur un grand nombre des modalités de la distribution du courrier – le choix et l’établissement des itinéraires, la manière de les parcourir à pied ou en véhicule, la façon de porter la sacoche et ainsi de suite –, mais je ne souscris pas à la thèse que l’obligation d’inspection s’appliquerait à tous ces aspects dans une mesure parfaitement égale. À mon avis, ce n’est pas parce que certains aspects des tâches accomplies par les employés de la Société canadienne des postes relèvent de son autorité – elle peut par exemple ordonner aux postiers de prendre les transports en commun plutôt qu’un taxi pour rentrer au bureau de poste à la fin de leur tournée –, que l’obligation d’inspection s’applique nécessairement dans la mesure maximale, par exemple à la sécurité des transports en commun, comme l’appelant semble le soutenir. De même, la Société canadienne des postes peut donner des instructions sur la manière de se comporter avec les chiens dangereux, mais cela ne veut pas nécessairement dire que l’obligation d’inspection va jusqu’à l’évaluation du risque que représente tel chien. De même encore, la Société canadienne des postes peut donner aux travailleurs postaux des instructions concernant la manière de marcher sur les trottoirs glacés et leur fournir des semelles à crampons, mais il ne s’ensuit pas qu’elle ait l’obligation d’inspecter tous les trottoirs d’une ville ou de vérifier l’efficacité des opérations municipales de déneigement des trottoirs ou d’épandage d’abrasif.

[80]  Je pense que l’intention du législateur, exprimée par le choix attentif de ses termes, était que l’étendue de l’obligation d’inspection soit déterminée par l’étendue de l’autorité sur la tâche accomplie. Le législateur reconnaît qu’il y a des aspects des tâches accomplies par les employés qui échappent à l’autorité de l’employeur. Dans chaque espèce, l’examen de la tâche et de l’autorité de l’employeur sur celle‑ci exige une analyse des faits, tenant compte de la nature de cette tâche et du détail des risques qu’elle présente.

[81]  En l’espèce, l’agent d’appel a conclu que les tâches accomplies par les facteurs relevaient de l’autorité de l’intimée, « jusqu’à et y compris la façon dont ils tiennent leur sacoche et parcourent leur itinéraire ». N’ayant pas été contestée devant notre Cour, cette conclusion est en fait contraignante pour nous. En conséquence, et pour ce seul motif, je souscrirais à la décision proposée par le juge Nadon. Il se pourrait qu’une affaire ultérieure donne au Tribunal de santé et sécurité au travail Canada l’occasion de réexaminer la question de la portée de la tâche accomplie et d’isoler les aspects de celle‑ci qui échappent à l’autorité de l’employeur, mais nous n’avons aujourd’hui à nous prononcer que sur la présente espèce.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


(APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR M. LE JUGE GLEESON LE 26 FÉVRIER 2016 DANS LE DOSSIER NO T‑2574‑14)

DOSSIER :

A‑94‑16

 

 

INTITULÉ :

SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DES POSTES c. SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES ET ETCOF INC. (EMPLOYEURS DES TRANSPORTS ET COMMUNICATIONS DE RÉGIE FÉDÉRALE)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 DÉCEMBRE 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE nadon

 

MOTIFS CONCOURANTS :

LE JUGE RENNIE

 

MOTIFS DISSIDENTS :

LE JUGE NEAR

DATE DES MOTIFS :

LE 13 JUILLET 2017

 

COMPARUTIONS :

Paul Cavalluzzo

 

POUR L’APPELANT

 

John B. Laskin

Stephen Bird

 

POUR L’INTIMÉE

Christopher D. Pigott

Deanah Shelly

 

POUR L’INTERVENANTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cavalluzzo Shilton McIntyre Cornish srl

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

Torys srl

Toronto (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉE

Bird Richard

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉE

Fasken Martineau Dumoulin srl

Toronto (Ontario)

 

pour l’intervenante

 

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