Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20170526


Dossier : A‑190‑16

Référence : 2017 CAF 114

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE SCOTT

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

PAUL RITCHIE

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 8 mars 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 26 mai 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE SCOTT

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE WOODS

 


Date : 20170526


Dossier : A‑190‑16

Référence : 2017 CAF 114

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE SCOTT

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

PAUL RITCHIE

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SCOTT

[1]  M. Paul Ritchie (l’appelant) interjette appel de la décision de la Cour fédérale, par laquelle la juge McDonald, a rejeté le 11 mai 2016 (2016 CF 527) sa demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP) datée du 10 mars 2015. La CCDP avait rejeté la plainte en matière de droits de la personne déposée par l’appelant contre les Forces armées canadiennes (les FC ou l’intimé), et refusé, conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C.1985, ch. H‑6 (la Loi), de la renvoyer au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) au motif qu’un examen de la plainte n’était pas justifié.

[2]  L’audition du présent appel a été fixée au 8 mars 2017. Le 23 février 2017, l’intimé a écrit à la Cour pour demander des directives concernant son intention de déposer une deuxième requête afin d’obtenir une ordonnance de confidentialité. Par ordonnance datée du 20 décembre 2016, le juge Webb de notre Cour avait rejeté une première requête en confidentialité au motif qu’elle était prématurée en l’absence d’une ordonnance identique de la Cour fédérale protégeant les mêmes documents. L’intimé a donc demandé à la Cour fédérale de rendre une ordonnance de confidentialité, ce qu’elle a fait. Par ordonnance en date du 17 février 2017, la juge Gagné a fait droit à la requête et rendu une ordonnance protégeant 29 documents annexés sous des onglets numérotés individuellement à la pièce A de l’affidavit confidentiel du major Philip Nicholson versé au dossier A‑190‑16 de la Cour d’appel fédérale. Le 22 février 2017, le bureau du procureur général à Halifax et le greffe de la Cour fédérale ont reçu une lettre anonyme dans laquelle on menaçait de communiquer par voie électronique les 29 documents protégés par l’ordonnance de confidentialité émise par la Cour fédérale.

[3]  À la suite de la demande de directives, la Cour a tenu une conférence téléphonique avec les deux parties et émis une directive selon laquelle la seconde requête de l’intimé en confidentialité serait examinée à l’audience sur le fond du présent appel, c’est‑à‑dire le 8 mars 2017. Le 7 mars 2017, l’appelant a transmis à la Cour et à l’intimé, entre autres destinataires, un courriel indiquant qu’il ne participerait pas à l’audience fixée au lendemain parce qu’il croyait comprendre que le temps réservé à l’audience du 8 mars serait consacré exclusivement à la requête en confidentialité plutôt qu’à l’examen de son appel sur le fond. La Cour a alors émis une deuxième directive pour dissiper tout malentendu, réitérant qu’elle entendait examiner la requête en confidentialité au cours de l’audience sur le fond de l’appel fixée au lendemain, le 8 mars 2017.

[4]  Le 8 mars 2017, l’appelant ne s’est pas présenté. La Cour a suspendu l’audience et les tentatives pour rejoindre l’appelant se sont avérées vaines. Comme il est d’usage dans de tels cas (Forner c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 136, [2016] A.C.F. no 450 (QL)), la Cour a décidé que l’appel serait entendu sur la base des représentations écrites déposées par les parties et a pris sa décision en délibéré, tant sur la requête de l’appelant en permission de présenter des nouveaux éléments de preuve fondée sur l’article 351 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), que sur la requête de l’intimé en confidentialité présentée aux termes des articles 151 et 152 des Règles.

I.  Résumé des faits

A.  Les allégations de différence de traitement

[5]  L’appelant a servi dans la Marine royale canadienne des FC du 22 août 2008 au 22 août 2012. Il affirme avoir été victime de discrimination et de harcèlement à plusieurs reprises durant ses quatre années de service en raison de son homosexualité, et ce, surtout lors de son entraînement à l’École de génie naval de Halifax (Nouvelle‑Écosse). Plus précisément, il relate les événements suivants : i) on faisait en toute impunité des remarques sectaires et de dénigrement des gais; ii) un commandant divisionnaire l’a un jour traité de « pédé »; iii) il n’a pas bénéficié du même niveau de soutien que ses collègues dans sa formation et ses évaluations; iv) on a constamment cherché à le traiter différemment et à lui attribuer des tâches différentes des autres; et v) on lui a dénié diverses possibilités offertes à d’autres au cours de son service militaire, et ses évaluations de cours n’étaient pas correctes.

B.  L’enquête et la décision de la CCDP

[6]  L’appelant a déposé une plainte auprès de la CCDP le 23 janvier 2012. Il y alléguait qu’il avait été victime de discrimination par les FC en raison de son orientation sexuelle. Comme un grief contre les FC était pendant dans une affaire connexe, la CCDP a d’abord décidé de ne pas examiner sa plainte. Toutefois, après que le grief eut été accueilli en partie, la CCDP a, à la demande de l’appelant, réactivé la plainte, qui a été confiée à une enquêteuse en septembre 2014.

[7]  Après examen des éléments de preuve produits par les parties, l’enquêteuse s’est entretenue quatre fois avec l’appelant et a fixé d’autres entrevues avec neuf membres des FC, dont des officiers, des instructeurs et un condisciple de l’appelant qui avait suivi ses cours avec lui. Au terme d’une enquête de deux mois, l’enquêteuse a déposé son rapport le 11 décembre 2014 et a recommandé à la CCDP de rejeter la plainte. L’enquêteuse a conclu qu’il existait des explications raisonnables concernant la différence de traitement et que la discrimination et le harcèlement allégués n’étaient [traduction] « pas très sérieux » et que les incidents relatés restaient des cas isolés qui ne justifiaient pas un renvoi au Tribunal.

[8]  La CCDP a transmis le rapport aux deux parties en précisant que chacune d’elles pouvait y répondre en présentant des représentations écrites d’au plus 10 pages. Dans leurs représentations, les FC ont approuvé les conclusions et la recommandation de l’enquêteuse, tandis que l’appelant a produit une réponse de sept pages dans laquelle il a exprimé son désaccord sur plusieurs aspects du rapport. Les parties ont ensuite été invitées à présenter des répliques. Les FC l’ont fait, mais pas l’appelant.

[9]  Après avoir analysé les arguments des parties, les éléments de preuve et le rapport, la CCDP a informé l’appelant que sa plainte ne serait pas renvoyée au Tribunal pour complément d’enquête.

C.  La décision visée par l’appel – le jugement de la Cour fédérale

[10]  L’appelant a déposé une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale dans laquelle il a contesté la décision de la CCDP de ne pas renvoyer sa plainte au Tribunal. La juge a rejeté sa demande, estimant que l’appelant n’avait prouvé ni un manquement à l’équité procédurale ni le caractère déraisonnable des conclusions de la CCDP.

[11]  Selon la juge, les conclusions de l’enquêteuse étaient raisonnables car elles étaient appuyées par les éléments de preuve et une analyse adéquate. L’enquête et le rapport n’étaient pas sans défaut, mais la juge a estimé que la CCDP devait bénéficier d’une grande marge d’appréciation à l’égard de sa décision d’appuyer la recommandation de l’enquêteuse étant donné la nature factuelle de la plainte et le rôle d’ordre public de la CCDP, qui est de déterminer si une plainte devrait ou non être renvoyée au Tribunal pour complément d’enquête.

[12]  La juge a aussi conclu que la CCDP n’avait pas porté atteinte aux droits procéduraux de l’appelant. Premièrement, la limite de 10 pages imposée par la CCDP pour la présentation des représentations écrites n’était pas inéquitable selon elle. Deuxièmement, s’agissant de l’argument de l’appelant qui affirmait avoir été lésé parce qu’il n’avait pas reçu personnellement une copie des représentations et réponses des FC, la juge a estimé qu’il était approprié que la CCDP envoie les représentations des FC à l’avocat qui était censé représenter l’appelant et qu’elle présume que l’avocat transmettrait lesdites observations à l’appelant. L’appelant connaissait les éléments de preuve qu’il devait réfuter et il a eu une possibilité raisonnable de répondre aux divers points soulevés avant que la CCDP ne rende sa décision finale. La juge a aussi rejeté l’argument de l’appelant selon lequel l’enquêteuse avait été partiale dans la conduite de son enquête.

[13]  Au cours de l’audience devant la juge, l’appelant a fait référence à des pièces et des faits non étayés. Comme ces éléments de preuve n’étaient pas à la disposition de la CCDP lorsqu’elle a analysé sa plainte et qu’ils étaient sans rapport avec les arguments qu’il avait présentées à la Cour fédérale, la juge a refusé de les accepter.

II.  Questions en litige

[14]  Le présent appel soulève trois questions :

  • i) La Cour devrait‑elle permettre à l’appelant de présenter de nouveaux éléments de preuve?

  • ii) La juge a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la décision de la CCDP était raisonnable?

  • iii) La juge a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la CCDP n’avait pas porté atteinte aux droits procéduraux de l’appelant?

III.  Norme de contrôle

[15]  Dans un appel formé contre une décision de la Cour fédérale rendue dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire, la Cour doit se demander si le juge de première instance a choisi la bonne norme de contrôle et si cette norme a été appliquée correctement (Agraira c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 à 47). La Cour doit en fait se mettre à la place du juge de première instance et examiner la décision sous-jacente, en l’occurrence la décision de la CCDP.

[16]  Je suis d’avis que la juge n’a pas commis d’erreur en adoptant et en appliquant la norme de la décision raisonnable pour la décision de la CCDP de rejeter la plainte de l’appelant et la norme de la décision correcte pour les questions d’équité procédurale soulevées par l’appelant (Gandhi c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 26, au paragraphe 10 [Gandhi]).

IV.  Argumentation des parties

A.  L’appelant

(1)  La présentation de nouveaux éléments de preuve

[17]  L’appelant soutient n’avoir jamais été représenté par un avocat durant la procédure de la CCDP. Il voudrait présenter en preuve une série de courriels qu’il a échangés avec l’avocate de l’intimé, affirmant que ces courriels démontreraient qu’il n’était alors pas représenté par un avocat. Selon lui, ces éléments de preuve étayeraient son allégation de parjure à l’encontre de l’avocate de l’intimé et prouveraient les erreurs de fait entachant la décision de la Cour fédérale. Dans une ordonnance antérieure, datée du 6 juillet 2016, le juge Stratas a renvoyé à la Cour la question de savoir si ces nouveaux éléments de preuve devraient être considérés comme recevables.

(2)  La décision de la CCDP était déraisonnable

[18]  Selon l’appelant, la décision de la CCDP était déraisonnable puisqu’elle se fondait sur un rapport qui révèle une enquête fondamentalement viciée. D’après lui, l’enquêteuse a commis de nombreuses erreurs de fait dans sa manière d’analyser la plainte, en laissant notamment de côté d’importants aspects de celle‑ci, comme son grief à l’encontre des FC, et elle n’a pas contrevérifié les affirmations des témoins avec la preuve. Il soutient que ces erreurs révèlent de graves défauts de l’enquête. La CCDP a donc rendu une décision déraisonnable en ajoutant foi au rapport de l’enquêteuse. L’appelant est en désaccord avec la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle il n’était pas fondé de compter sur une enquête parfaite. Selon lui, une telle conclusion a comme résultat de le priver, ainsi qu’à la communauté lesbienne, gaie, bisexuelle, transgenre et queer (les LGBTQ) la pleine protection à laquelle ils ont droit selon la Loi. Il affirme donc que cette conclusion est contraire à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11, R.‑U. (la Charte).

(3)  Les droits procéduraux de l’appelant

[19]  L’appelant soutient qu’on a été porté atteinte à ses droits procéduraux parce que l’enquêteuse n’a pas examiné sa plainte d’une manière approfondie et impartiale. Il affirme en outre qu’un manquement à l’équité procédurale est également démontré par les failles bien étayées de l’enquête. À cet égard, il renvoie à : i) l’absence d’une réelle possibilité pour lui de répondre aux conclusions de la CCDP, en raison de la limite de 10 pages imposée pour sa réponse écrite au rapport d’enquête; ii) l’impossibilité pour l’enquêteuse d’examiner convenablement sa plainte à cause de ses voyages à l’étranger durant l’enquête; iii) la partialité de l’enquêteuse compte tenu de ses motivations douteuses, durant l’enquête qu’il qualifie de délibérément restreinte, et la conclusion du rapport selon laquelle la CCDP n’était pas tenue de déterminer s’il avait été effectivement victime de discrimination; iv) les qualifications insuffisantes, selon lui, de l’enquêteuse pour mener une enquête visant les FC et portant sur les droits des personnes LGBTQ. Il se demande également si la juge de la Cour fédérale avait les connaissances et l’expérience requises pour revoir la décision de la CCDP et soutient qu’elle a recouru à un stéréotype en le désignant comme un « homosexuel » dans son jugement.

[20]  L’appelant fait aussi valoir que les échanges de courriels entre l’enquêteuse et un militaire sur des serveurs de messagerie non sécurisés ont mis en péril la confidentialité de ses renseignements personnels et constituent un grave manquement à son droit à la vie privée. Il affirme que l’avocate de l’intimé a été déloyale et a commis un parjure quand elle a mentionné qu’il avait été représenté par un avocat. Il soutient qu’elle est à l’origine de la divulgation publique de ses renseignements personnels quand ils ont été déposés au greffe de la Cour conformément à l’article 318 des Règles, alors qu’elle aurait dû masquer les renseignements personnels ce qu’il avait déjà cherché à obtenir par des demandes de confidentialité d’accès à l’information.

B.  L’intimé

[21]  L’intimé affirme que la Cour devrait rejeter l’appel.

(1)  Les nouveaux éléments de preuve

[22]  Selon l’intimé, l’appelant n’est pas parvenu à démontrer la recevabilité des nouveaux éléments de preuve parce que les éléments qu’il cherche à produire sont non pertinents au regard des questions en litige dans l’appel ou pour l’issue de l’appel, qu’ils rendent compte d’allégations non étayées et qu’ils ne sont pas recevables dans une procédure de contrôle judiciaire.

(2)  La décision de la CCDP était raisonnable

[23]  L’intimé soutient que la CCDP a exercé d’une manière raisonnable son pouvoir discrétionnaire en refusant de renvoyer la plainte au Tribunal pour complément d’enquête. En l’absence de vices fondamentaux entachant l’enquête et le rapport qui lui a fait suite, la décision de la CCDP appelle la retenue judiciaire en raison du mandat d’ordre public dont elle est investie et du contexte de la présente affaire. L’intimé affirme que, bien que le rapport de l’enquêteuse ne soit pas parfait, c’est la norme de la décision raisonnable qui est applicable. Cette norme ne requiert pas une perfection absolue pour chaque étape de l’enquête de la CCDP. Une analyse neutre et approfondie de la plainte suffit.

(3)  Il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale

[24]  L’intimé fait valoir que l’enquête de la CCDP a été neutre et approfondie, et que l’appelant connaissait la preuve qu’il devait réfuter, puisqu’il avait été informé du rapport d’enquête et des représentations des FC et qu’il avait eu la possibilité d’y répondre à chaque fois. L’intimé affirme que l’inconduite que l’appelant impute à la juge de la Cour fédérale, à l’intimé et à son avocate n’est pas étayée par la preuve; c’est une allégation vexatoire qui reflète uniquement l’opinion personnelle de l’appelant. Selon l’intimé, rien n’appuie l’allégation de l’appelant selon laquelle l’enquêteuse était partiale ou n’avait pas l’expertise requise pour mener son enquête, car il s’agit d’attaques personnelles non étayées.

[25]  En outre, l’intimé invite la Cour à rejeter les allégations de l’appelant se rapportant à une prétendue atteinte à ses droits à la vie privée parce que cette question n’est pas déterminante dans la présente affaire, qu’elle n’a été soulevée ni devant la CCDP ni devant la Cour fédérale, et qu’elle ne devrait pas être instruite maintenant par la Cour. L’intimé est d’avis que, par le dépôt de sa plainte, l’appelant a consenti à ce que ses renseignements personnels soient divulgués aux parties concernées.

V.  Analyse

A.  La Cour devrait-elle prendre en compte les nouveaux éléments de preuve que l’appelant souhaite présenter en vertu de l’article 351 des Règles des Cours fédérales?

[26]  L’appelant voudrait présenter comme nouveaux éléments de preuve une série de courriels échangés avec l’avocate de l’intimé en vue de démontrer que cette dernière a commis un parjure en déclarant qu’il était représenté par un avocat. Il soutient que ces nouveaux éléments de preuve établissent qu’il n’était pas assisté par un avocat devant la CCDP et que la juge de la Cour fédérale a transposé cette erreur de fait dans son jugement.

[27]  Selon l’article 351 des Règles, la Cour ne peut accorder l’autorisation de présenter de nouveaux éléments de preuve en appel que dans des circonstances restreintes. Une telle autorisation ne peut être accordée que si les éléments nouveaux « ne pouvaient pas être découverts plus tôt en faisant preuve d’une diligence raisonnable, s’ils sont pour ainsi dire déterminants quant à une question en litige dans l’appel et s’ils sont crédibles » (Gap Adventures Inc. c. Gap, Inc., 2012 CAF 101, 433 N.R. 267, aux paragraphes 6 à 11; L’évaluateur de la bande indienne de Seabird Island c. BC Tel, 2002 CAF 288, [2003] 1 R.C.F. 475, au paragraphe 28; Amchem Products Inc. c. Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board), [1992] A.C.S. no 110 (QL), 192 N.R. 390).

[28]  La preuve que l’appelant voudrait présenter n’a aucune incidence sur l’issue de la présente affaire quant à la question de savoir si la décision est ou non raisonnable, ou quant à savoir s’il y a eu ou non manquement à l’équité procédurale. Comme les nouveaux éléments de preuve ne sont déterminants pour aucune des questions soulevées par l’appel, l’appelant n’a pas démontré qu’il est fondé à les présenter à la Cour (Canada (Procureur général) c. Baltruweit, 2003 CAF 324, au paragraphe 10).

[29]  Par conséquent, cette preuve ne sera pas admise.

B.  La juge de la Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la décision de la CCDP était raisonnable?

(1)  Les erreurs que renfermerait le rapport d’enquête ne sont pas déterminantes

[30]  Je dois rejeter l’allégation de l’appelant selon laquelle la décision de la CCDP est déraisonnable. Des faits inexacts ou vagues, qui sont sans conséquence sur la question de savoir si des actes discriminatoires se sont vraiment produits, ne permettent pas, à eux seuls, de conclure qu’une décision est déraisonnable (Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), 1994 CanLII 3463 (CF), [1994] 2 C.F. 574 (1re instance), conf. par (1996), 205 N.R. 383 (C.A.F.); Phipps c. Société canadienne des postes, 2016 CAF 117, 484 N.R. 7, au paragraphe 7 [Phipps]). S’il n’est pas prouvé que la décision contestée repose pour l’essentiel sur des faits inexacts, il n’y a pas d’erreur susceptible de contrôle justifiant l’intervention de la Cour. Comme la Cour l’écrivait déjà dans l’arrêt Tahmourpour c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 113, 332 N.R. 60 [Tahmourpour], la présence de défauts mineurs dans une enquête et dans le rapport d’enquête ne suffit pas à justifier l’infirmation d’une décision :

[39] Tout contrôle judiciaire d’une procédure de la Commission doit reconnaître que l’organisme est maître de son processus et doit lui laisser beaucoup de latitude dans la façon dont il mène ses enquêtes. Une enquête portant sur une plainte concernant les droits de la personne ne doit pas être astreinte à une norme de perfection. Il n’est pas nécessaire de remuer ciel et terre. Les ressources de la Commission sont limitées et son volume de travail est élevé. Celle‑ci doit alors tenir compte des intérêts en jeu : ceux des plaignants à l’égard d’une enquête la plus complète possible et l’intérêt de la Commission à assurer l’efficacité du système sur le plan administratif. Voir, par exemple, à ce sujet l’arrêt Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), paragraphe 55; Commission canadienne des droits de la personne, Rapport annuel 2001 (Ottawa, Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux, 2002), p. 33.

[31]  L’enquêteuse devait conduire une enquête approfondie et impartiale. La perfection absolue n’est pas la norme. Les efforts qu’elle a déployés pour évaluer la plainte de l’appelant répondaient à cette norme, et l’appelant n’a pas démontré que l’impartialité de l’enquêteuse et la méthode qu’elle a employée sont douteuses.

[32]  J’admets que le rapport d’enquête renferme des erreurs factuelles, mais ce ne sont pas importantes, et elles n’ont pas conduit à des conclusions foncièrement viciées. Ainsi, le rapport mentionne erronément que l’appelant était affecté en Colombie-Britannique pour un entraînement (dossier d’appel, volume 2, page 510, rapport d’enquête, page 4), alors qu’en réalité, il était basé à Halifax.

[33]  Comme deuxième exemple d’erreur qui aurait été commise, l’enquêteuse se serait trompée aux dires de l’appelant en concluant qu’il avait été [traduction] « libéré du service à sa propre demande en 2012 » (ibidem). L’appelant affirme avoir été libéré des FC en raison de son homosexualité. Cela pourrait être une erreur importante si le dossier étayait une telle conclusion, mais le dossier brosse un tableau différent.

[34]  Le dossier révèle que l’appelant a en fait été libéré en 2012, à la fin de sa période de service obligatoire. Les documents versés au dossier établissent qu’il a présenté une demande de libération volontaire des FC en juin 2011, ce qui témoignait de son désir de mettre fin à son service. Peu après, le 27 juillet 2011, l’appelant a voulu retirer cette demande, mais finalement il a quand même été libéré conformément à la demande de libération volontaire qu’il avait transmise.

[35]  Étant donné que l’appelant avait lui-même demandé de quitter les FC un an plus tôt, on peut raisonnablement affirmer que la décision des FC de le libérer à l’expiration de sa période de service obligatoire n’est pas attribuable à de la discrimination, mais au fait qu’il avait lui‑même déjà demandé qu’il soit mis fin à son service. Par conséquent, lue dans ce contexte, l’affirmation de l’enquêteuse selon laquelle l’appelant a été libéré en 2012 à [traduction] « sa propre demande » ne constitue pas en soi une erreur de fait.

[36]  D’autres erreurs alléguées sont résumées au paragraphe 32 de la décision de la juge de première instance. À mon avis, ces erreurs de fait ne sont pas des erreurs fondamentales qui rendent déraisonnable la décision de la CCDP, car les conclusions de fait qui seraient erronées ne sauraient avoir une incidence sur la décision de la CCDP même si les faits se révélaient inexacts.

[37]  Quoi qu’il en soit, la procédure suivie a donné à l’appelant l’occasion de soulever, et de corriger, les erreurs de fait avant que la CCDP ne rende sa décision finale. Le rapport d’enquête n’est qu’un élément du dossier. Les observations des parties ainsi que les éléments de preuve additionnels qu’elles ont présentés ont aussi été pris en compte par la CCDP quand elle a rendu sa décision finale. En définitive, la CCDP a tenu compte des explications raisonnables fournies par les FC à propos des diverses allégations de harcèlement et de discrimination, exercé son pouvoir discrétionnaire et suivi la recommandation de l’enquêteuse de ne pas renvoyer la plainte au Tribunal pour complément d’enquête. Il convient de faire preuve de déférence envers la CCDP en l’absence d’une preuve matérielle qui donnerait à penser que cette décision est déraisonnable (Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392, au paragraphe 38 [Sketchley]).

(2)  Il était raisonnable de la part de la CCDP de s’appuyer sur le rapport d’enquête

[38]  Aux premiers stades d’une plainte, le travail d’enquête de la CCDP ne consiste pas à déterminer s’il y a eu discrimination. Lorsqu’elle confie le traitement d’une plainte à un enquêteur, le rôle de ce dernier est plutôt de déterminer si la plainte devrait être renvoyée au Tribunal pour complément d’enquête. Il s’agit d’un processus largement tributaire des faits et de considérations d’ordre public. La CCDP doit bénéficier d’une importante marge de manœuvre et il faut faire montre d’un niveau élevé de retenue judiciaire envers elle lorsque l’une de ses décisions est revue (Bergeron c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, [2015] A.C.F. no 834 (QL), au paragraphe 45; Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c. Jagjit Singh Farwaha, 2014 CAF 56, 455 N.R. 157, aux paragraphes 90 à 99; Sketchley).

[39]  Il faut faire preuve de déférence à l’égard de la CCDP quand elle évalue si la valeur probante des éléments recueillis par l’enquêteur et si les observations des parties justifient le renvoi d’une plainte au Tribunal pour complément d’enquête (Colwell c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 5, 387 N.R. 183, au paragraphe 14 [Colwell]). Contrairement à ce que l’on peut lire au paragraphe 40 de l’arrêt Tahmourpour, précédent invoqué par l’appelant, l’enquêteuse n’a pas omis d’examiner « une preuve manifestement importante ». Au contraire, ses conclusions attestent une analyse approfondie et détaillée. Après examen de l’ensemble du rapport d’enquête, la Cour estime qu’il n’y a aucune raison qui justifierait de modifier les conclusions de la juge de première instance, car le dossier appuie les motifs donnés et la décision de la CCDP (Colwell, au paragraphe 15).

[40]  Après examen attentif de chacune des conclusions exposées dans le rapport de 22 pages de l’enquêteuse, je n’ai pas été en mesure d’y déceler une seule erreur susceptible de révision. Des explications raisonnables ont été présentées par les FC pour chacun des incidents de discrimination allégués par l’appelant ou pour la différence de traitement dont il aurait fait l’objet. Selon l’enquêteuse, les faits en question n’avaient aucun rapport avec l’orientation sexuelle de l’appelant et ne pouvaient pas être considérés comme démontrant la discrimination. Dans les autres cas où le harcèlement ou la discrimination allégués étaient étayés, l’enquêteuse a estimé qu’ils n’étaient pas suffisamment sérieux pour justifier un complément d’enquête et qu’il s’agissait de cas isolés (voir le résumé des conclusions : dossier d’appel, volume 2, pages 527 et 528, rapport d’enquête, pages 21 et 22, aux paragraphes 197 et 198).

[41]  La recommandation de l’enquêteuse a été faite eu égard à [traduction« l’ensemble des circonstances de la plainte » (dossier d’appel, volume 2, page 528, rapport d’enquête, page 22, au paragraphe 203) et découle d’une réflexion globale sur un possible climat général de discrimination ou de harcèlement. Comme il n’appartenait pas à l’enquêteuse de décider s’il y avait réellement eu de la discrimination, mais plutôt de décider si un complément d’enquête était justifié, elle n’était pas tenue de déterminer, par l’application rigoureuse d’un critère juridique, si une apparence de discrimination avait été établie si l’on se fie à la jurisprudence applicable du Tribunal. Chacun des faits allégués a été analysé séparément et considéré comme anodin, mais le résumé du rapport et la recommandation de l’enquêteuse autorisent la conclusion selon laquelle, considérés globalement, ces faits ne révélaient pas l’existence d’un climat général de discrimination et/ou de harcèlement.

[42]  La décision de la CCDP reflète une conclusion justifiable, transparente et intelligible qui appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47). Il n’appartient par ailleurs pas à la Cour d’apprécier à nouveau la valeur probante des éléments de preuve recueillis ni de recouper les déclarations des témoins avec les autres éléments de preuve comme le voudrait l’appelant. La Cour doit plutôt déterminer si la CCDP a commis une erreur susceptible de révision (Phipps, au paragraphe 7). La décision de la CCDP de se fonder sur le rapport d’enquête et de refuser le renvoi de la plainte de l’appelant au Tribunal pour complément d’enquête était donc raisonnable, car elle appartient aux issues possibles acceptables.

C.  La juge de première instance a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la CCDP n’avait pas porté atteinte aux droits procéduraux de l’appelant?

[43]  La Cour a tout récemment rappelé que le fait pour la CCDP de limiter les conclusions écrites d’une partie à 10 pages ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale (Gandhi, 2017 CAF 26).

[44]  Le droit est bien établi : le décideur administratif est maître de sa propre procédure (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 817, 174 D.L.R. (4th) 193, au paragraphe 27; Sketchley, au paragraphe 119).

[45]  L’appelant s’est vu offrir deux possibilités de présenter ses arguments : une première fois après que l’enquêteuse eut rendu son rapport, et une deuxième fois pour répondre aux observations formulées par la partie adverse à l’égard de ce rapport. Il a décidé de ne présenter des observations que la première fois, et celles-ci ne comptaient que sept pages, alors qu’il avait droit à 10 pages. Les choix faits par l’appelant contredisent son affirmation selon laquelle la limite de pages a réduit son aptitude à répondre au rapport, puisqu’il n’a pas utilisé le maximum de 10 pages ni présenté une autre réponse de 10 pages en réplique aux arguments des FC. Il m’est impossible de conclure que l’appelant ait subi un préjudice puisqu’il a eu la possibilité de présenter ses arguments les plus convaincants dans ses observations. Il était raisonnable aussi de la part de la CCDP de transmettre la correspondance à l’avocat de l’appelant, puisque l’appelant avait indiqué qu’il était représenté par un avocat. Non seulement les observations des FC étaient brèves, mais encore elles se limitaient à souscrire aux conclusions de l’enquêteuse, ce qui ne suffisait pas à vicier la décision de la Commission. L’appelant était par ailleurs bien au courant de la preuve qu’il devait réfuter et il a eu suffisamment de possibilités de répondre au rapport de l’enquêteuse avant qu’une décision finale ne soit rendue.

[46]  L’appelant soulève aussi plusieurs allégations de mauvaise foi ou de motivations douteuses de la part de l’avocate de l’intimé, allégations qui, selon lui, attestent un manquement à l’équité procédurale. Cependant, je me range à l’avis de l’intimé qui fait valoir qu’une défense diligente ne constitue pas une conduite fautive (Dove c. Canada, 2016 CAF 231). Le dossier ne confirme nulle part les allégations de l’appelant. Il ne confirme pas non plus son allégation selon laquelle l’enquêteuse était partiale et non qualifiée pour mener son enquête, ni d’ailleurs celle selon laquelle l’enquêteuse et la juge de première instance n’avaient pas l’expertise nécessaire pour s’occuper de l’affaire. L’appelant n’a produit à ce sujet aucun élément de preuve pouvant jeter le doute sur leurs compétences. Au vu du dossier, aucune personne raisonnable ne mettrait en doute l’impartialité de l’enquêteuse. A défaut de preuve contraire, on suppose aussi que les enquêteurs nommés par la CCDP et que les juges ont les connaissances l’expérience et les qualifications requises pour examiner les affaires qui relèvent de la Loi.

[47]  Quant à l’allégation de l’appelant selon laquelle ses renseignements personnels ont été délibérément divulgués par l’avocate de l’intimé, l’appelant semble confondre la confidentialité dont bénéficient les demandes d’accès à l’information aux termes de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A‑1, et la communication de la preuve dans le cadre normal d’un litige. Ainsi, en l’absence d’une ordonnance de confidentialité, aucune partie participant à un procès public ne peut espérer la protection de ses renseignements personnels apparaissant dans les documents de la Cour (voir les alinéas 8(2)b), c), et e) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P‑21).

[48]  L’appelant invoque un dernier motif dans son argument relatif à l’équité procédurale : les courriels échangés entre l’enquêteuse et les FC constituent une violation de ses droits à la protection de ses renseignements personnels. Si l’appelant souhaite faire valoir, comme il tente de le faire dans son mémoire des faits et du droit, que les échanges de courriels entre l’enquêteuse et les FC vont à l’encontre de la Loi sur la protection des renseignements personnels, il doit présenter cet argument en utilisant les recours appropriés. C’est une question qui ne peut être examinée aujourd’hui par la Cour puisqu’elle n’a pas été soulevée devant la CCDP.

[49]  Pour ces motifs, je propose que l’appel soit rejeté avec dépens.

« A.F. Scott »

j.c.a.

« Je suis d’accord

Yves de Montigny, j.c.a. »

« Je suis d’accord

J. Woods, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A‑190‑16

 

INTITULÉ :

PAUL RITCHIE c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (NOUVELLE-ÉCOSSE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 MARS 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE SCOTT

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE WOODS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 MAI 2017

 

COMPARUTIONS :

Melissa A. Grant

 

POUR L’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR L’intimé

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

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