Date : 20170503
Dossier : A-198-16
Référence : 2017 CAF 92
[TRADUCTION FRANÇAISE]
CORAM :
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LE JUGE NADON
LE JUGE RENNIE
LE JUGE DE MONTIGNY
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ENTRE :
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PEMBINA COUNTY WATER RESOURCE DISTRICT, CITY OF PEMBINA, DAKOTA DU NORD, TOWNSHIP OF PEMBINA, DAKOTA DU NORD, TOWNSHIP OF WALHALLA, DAKOTA DU NORD, CITY OF NECHE, DAKOTA DU NORD, TOWNSHIP OF NECHE, DAKOTA DU NORD, TOWNSHIP OF FELSON, DAKOTA DU NORD, TOWNSHIP OF ST. JOSEPH, DAKOTA DU NORD, TIMOTHY L. WILWAND, DENNIS K. SCHALER, RICHARD MARGERUM ET VERLINDA MARGERUM
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appelants
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et
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GOUVERNEMENT DU MANITOBA ET MUNICIPALITÉ RURALE DE RHINELAND
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intimés
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Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 15 novembre 2016.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 3 mai 2017.
MOTIFS DU JUGEMENT :
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LE JUGE NADON
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE RENNIE
LE JUGE DE MONTIGNY
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Date : 20170503
Dossier : A-198-16
Référence : 2017 CAF 92
CORAM :
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LE JUGE NADON
LE JUGE RENNIE
LE JUGE DE MONTIGNY
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ENTRE :
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PEMBINA COUNTY WATER RESOURCE DISTRICT, CITY OF PEMBINA, DAKOTA DU NORD, TOWNSHIP OF PEMBINA, DAKOTA DU NORD, TOWNSHIP OF WALHALLA, DAKOTA DU NORD, CITY OF NECHE, DAKOTA DU NORD, TOWNSHIP OF NECHE, DAKOTA DU NORD, TOWNSHIP OF FELSON, DAKOTA DU NORD, TOWNSHIP OF ST. JOSEPH, DAKOTA DU NORD, TIMOTHY L. WILWAND, DENNIS K. SCHALER, RICHARD MARGERUM ET VERLINDA MARGERUM
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appelants
|
et
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GOUVERNEMENT DU MANITOBA ET MUNICIPALITÉ RURALE DE RHINELAND
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intimés
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MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE NADON
I.
Introduction
[1]
Par jugement daté du 2 juin 2016 (2016 CF 618), le juge Russell de la Cour fédérale (le juge) a radié la déclaration modifiée des appelants. Plus précisément, comme il était d’avis que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour statuer sur l’objet de la déclaration modifiée, il a conclu que la déclaration modifiée des appelants ne révélait aucune cause d’action valable.
[2]
Pour les motifs qui suivent, j’arrive à la conclusion qu’il n’y a pas lieu de modifier la décision du juge et que nous devrions, par conséquent, rejeter l’appel.
II.
Les faits
[3]
Le présent litige a pris naissance en 2004. En avril 2016, plus précisément trois semaines après le début de l’instruction de l’affaire et une fois les appelants ayant pour ainsi dire achevé la présentation de leur preuve, les intimés ont tenté de faire radier la déclaration modifiée au motif que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour trancher le différend.
[4]
Dans l’action qu’ils ont intentée, les appelants — entités gouvernementales américaines et propriétaires privés américains — font essentiellement valoir qu’une route canadienne empêchant les eaux de crue de s’écouler vers le nord, depuis les États-Unis vers le Canada, cause un préjudice à leurs terres.
[5]
Selon mon interprétation de la déclaration modifiée, il semble que, dans les régions concernées du sud du Manitoba, se trouve une réserve routière d’une largeur de 99 pieds qui longe la frontière internationale. Vers 1940, une route surélevée a été construite à l’intérieur de cette réserve. La route fait fonction de digue empêchant les eaux de crue de la rivière Pembina de se déverser au Canada. Les appelants prétendent même que l’objet premier de cette construction est de bloquer ces eaux de crue.
[6]
La rivière Pembina prend sa source au Manitoba et traverse la frontière vers le Dakota du Nord. Elle s’écoule alors vers l’est, à travers le Dakota du Nord, avant de rejoindre la rivière Rouge, qui s’écoule vers le nord pour retourner au Canada. Dans le Dakota du Nord, une partie de la rivière est « perchée »
, ce qui signifie qu’elle s’élève au‑dessus du niveau de la prairie environnante. Quand la rivière déborde de ces rives surélevées, ce qui, d’après les appelants, survient [traduction] « presque chaque année »
, l’eau devrait se disperser naturellement. Or, ainsi que le prétendent également les appelants, la construction routière au Manitoba fait obstacle à cette dispersion naturelle, ce qui entraîne une accumulation des eaux de crue au Dakota du Nord et une dégradation de leur sol.
[7]
Dans l’action qu’ils ont intentée contre les intimés, les appelants invoquent la Loi du traité des eaux limitrophes internationales, L.R.C. 1985, ch. I‑17 (la Loi), qui a incorporé au droit interne canadien le Traité relatif aux eaux limitrophes et aux questions originant le long de la frontière entre le Canada et les États-Unis, signé à Washington, le 11 janvier 1909 (le Traité). Entre autres choses, le Traité conférait aux parties lésées le droit d’être indemnisées, dans certains cas, pour tout dommage causé par les eaux transfrontalières et il instituait une Commission mixte internationale (la Commission) chargée de superviser la coopération entre le Canada et les États‑Unis à l’égard de certaines questions. Le Traité, incorporé au droit interne canadien par voie législative, constitue l’annexe 1 de la Loi.
III.
La décision de la Cour fédérale
[8]
Puisque j’arrive à la conclusion que nous ne devrions pas intervenir et, plus particulièrement, puisque la décision du juge était, selon moi, fondée en droit, j’estime qu’il convient d’exposer en détail son raisonnement.
[9]
Tout d’abord, le juge a précisé que la requête dont il était saisi était présentée au titre de l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales, D.O.R.S. 98/106 (les Règles), qui prévoit qu’une déclaration peut être radiée si elle ne révèle aucune cause d’action valable. Il a ajouté que, s’agissant d’une telle requête, le critère applicable était celui de savoir s’il était manifeste et évident que la demande ne pouvait pas être accueillie (Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, 1990 CanLII 90).
[10]
Le juge s’est ensuite penché sur le critère permettant de décider si l’affaire relève de la compétence de la Cour fédérale. Il a ainsi énoncé le critère au paragraphe 25 de ses motifs :
Il est bien établi en droit que la Cour fédérale ne peut pas acquérir de compétence, à moins que les conditions suivantes ne soient remplies :
a) il y a attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral;
b) il existe un ensemble de règles de droit fédérales qui est essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence;
c) la loi invoquée dans l’affaire doit être « une loi du Canada » conformément à l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.
[Références omises.]
Le juge ne le dit pas, mais il s’agit du critère énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt ITO - International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752, [1986] A.C.S. no 38, au paragraphe 11 [ITO]. Le présent appel porte sur le premier volet de ce critère. Autrement dit, le législateur a‑t‑il attribué à la Cour fédérale la compétence pour connaître de l’objet soulevé par les appelants dans leur déclaration modifiée?
[11]
Puisque les articles 4 et 5 de la Loi sont au cœur de la décision du juge et du présent appel, il convient de les reproduire ici :
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[12]
Le juge a commencé son analyse par un bref examen des thèses des parties sur le sens à donner à l’article 4. Les intimés faisaient valoir que, puisque les termes de l’article 4 étaient sans équivoque, il convenait de leur donner leur sens ordinaire. Ainsi, d’après les intimés, les « voies navigables »
auxquelles renvoie l’article 4 étaient, à l’évidence, des eaux qui s’écouleraient du Canada vers les États-Unis en l’absence de toute altération ou de tout détournement. Autrement dit, les « voies navigables »
étaient des cours d’eau s’écoulant vers le sud et non, comme c’est le cas dans l’affaire qui nous occupe, s’écoulant dans la direction opposée, c’est‑à‑dire des États-Unis vers le Canada. Selon le juge, les appelants soutenaient que les « voies navigables »
mentionnées à l’article 4 étaient des cours d’eau qui s’écouleraient soit vers le nord, soit vers le sud, et que, par conséquent, le blocage, du côté canadien, qui empêche les cours d’eau de venir au Canada depuis les États-Unis, tombe sous le coup de l’article 4.
[13]
Le juge est ensuite passé à l’interprétation de la Loi, et plus particulièrement de son article 4. Il a commencé par dire qu’il faut examiner les termes d’une loi dans leur contexte global, en suivant le sens grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, paragraphe 10). Puis, il s’est intéressé à l’expression « voies navigables »
, à la deuxième ligne de l’article 4. Il a conclu, au paragraphe 34 de ses motifs, que la prétention des appelants était fondée sur l’altération ou le détournement de « voies navigables du Canada »
. Il a ajouté que, selon lui, ce terme, interprété selon son sens ordinaire et grammatical, s’entendait nécessairement des voies navigables qui se trouvaient au Canada au moment où l’altération ou le détournement est survenu (paragraphe 36).
[14]
Puis, au paragraphe 37 de ses motifs, le juge s’est penché sur le sens des mots « dont le cours naturel coupe la frontière entre le Canada et les États-Unis ou se jette dans des eaux limitrophes »
. À son avis, l’article 4 ne concernait que des voies navigables qui se trouvaient au Canada, c’est‑à‑dire des voies navigables qui s’écoulaient vers le sud, soit du Canada vers les États‑Unis; or, se trouvant aux États-Unis, les eaux de crue de la rivière Pembina ne constituaient pas une telle voie navigable, car, n’eût été le blocage, elles se seraient normalement écoulées vers le Canada.
[15]
Le juge a étayé son raisonnement sur la version française de l’article 4 de la Loi. Au paragraphe 39 de ses motifs, il a fait observer que la version française différait quelque peu de la version anglaise et a expliqué ainsi ces différences :
Force est de constater que la version française est un peu différente de la version anglaise. Il me semble que l’on peut faire les distinctions suivantes :
a) La version française mentionne « des voies navigables du Canada, » tandis que la version anglaise mentionne « any waters in Canada »;
b) Dans la première distinction, on remarque aussi que la version française utilise « du Canada, » tandis que la version anglaise utilise « in Canada »;
c) En français, les verbes performatifs sont au présent (« coupe » et « se jette ») tandis que la version anglaise dit « would flow »;
d) La version anglaise utilise « any interference or diversion » tandis que la version française mentionne « toute altération » mais précise aussi « notamment par détournement ».
[16]
Le juge a ensuite exposé les principes juridiques applicables lorsqu’il s’agit de comparer les versions française et anglaise d’un texte de loi : d’abord, il y a lieu de privilégier le « sens commun »
qui se dégage des versions divergentes (R. c. Daoust, 2004 CSC 6, [2004] 1 R.C.S. 217, par. 26 à 31; R. c. Quesnelle, 2014 CSC 46, [2014] 2 R.C.S. 390, par. 53); ensuite, si aucune des deux versions n’est ambiguëe, ou si elles le sont toutes deux, le sens commun favorisera normalement la version la plus restrictive (paragraphes 42 et 43 des motifs du juge).
[17]
Toutefois, lorsqu’il ne se dégage aucun sens commun des deux versions, la Cour devrait, selon le juge, s’appuyer sur les techniques habituelles d’interprétation « pour réaliser une analyse textuelle, contextuelle et téléologique qui renverra à des outils extrinsèques admissibles pour déterminer l’intention du législateur »
(paragraphe 44 des motifs).
[18]
Aux paragraphes 45 à 47 de ses motifs, le juge a tranché la question en appliquant les principes susmentionnés; il s’est exprimé ainsi :
[45] Si j’applique ces principes en l’espèce, il me semble que bien qu’il y ait des distinctions claires sur le plan terminologique entre les versions française et anglaise du paragraphe 4(1) de la [Loi], leur sens ordinaire ou commun concernant les questions en litige dans la présente demande demeure le même. Fondamentalement, que nous parlions de « voies navigables » ou de « any waters, » la loi concerne les voies navigables « du Canada ». Le mot « du » dans la version française pourrait avoir une signification possessive, mais, dans le contexte, il semble évident que la signification géographique est envisagée. D’ailleurs, comme je l’ai dit plus tôt, les problèmes dont se plaignent les demandeurs dans la présente action ne sont pas reliés aux voies navigables du Canada qui franchissent la frontière ou qui l’ont franchie. Ils sont causés par l’eau aux États-Unis qui s’accumule au Dakota du Nord et qui ne franchit pas la frontière.
[46] En l’espèce, je pense que le sens commun des deux versions aux fins utiles des deux requêtes est évident.
[47] Autrement dit, je ne vois pas comment éviter la conclusion selon laquelle le libellé de l’article 4 est suffisamment précis et sans équivoque au point que le sens ordinaire de ces mots doit jouer un rôle important dans l’interprétation. Je ne pense pas que les mots ensemble puissent étayer plus d’un sens raisonnable.
[19]
Le juge a ensuite fait observer que l’article 4 de la Loi avait pour fondement l’article II du Traité. L’examen qu’il a fait de cette disposition du Traité l’a amené à conclure que son interprétation de l’article 4 de la Loi était celle qui s’imposait.
[20]
Il a par la suite examiné l’article IV du Traité, lequel, à son avis, englobait clairement la situation évoquée par les appelants dans leur déclaration modifiée. Le juge a fait observer dans un premier temps que l’article IV, contrairement à l’article II, ne prévoyait ni ne conférait, aux parties américaines ou canadiennes, aucun des droits ou moyens légaux qu’elles pourraient revendiquer ou exercer à la suite de tout dommage subi de leur côté de la frontière. En d’autres termes, bien qu’il interdise l’établissement ou le maintien, dans les eaux concernées, d’un barrage ou autre obstacle sans l’approbation de la Commission mixte internationale, l’article IV est silencieux à tous les autres égards. Plus précisément, la disposition ne dit rien des droits et moyens légaux dont pourraient se prévaloir ceux qui subissent un préjudice en raison de l’établissement ou du maintien de barrages ou autres obstacles.
[21]
Dans un deuxième temps, le juge a souligné, s’agissant de l’article IV du Traité, que les articles II et IV du Traité étaient des dispositions autonomes, contrairement à la prétention des appelants selon laquelle les préjudices résultant de l’établissement ou du maintien de barrages ou d’autres obstacles étaient également visés par l’article 4 de la Loi. Autrement dit, comme il lui apparaissait clairement que le Canada et les États-Unis voyaient tous deux les situations prévues aux articles II et IV comme des situations distinctes, il était impossible de dire que les droits et moyens légaux conférés par l’article II aux parties lésées valaient aussi pour la situation factuelle envisagée à l’article IV. Ainsi, eu égard à cette interprétation des articles II et IV du Traité, il était impossible d’affirmer que les droits et les recours judiciaires conférés par l’article 4 de la Loi s’étendaient à la situation factuelle exposée dans la déclaration modifiée des appelants.
[22]
Le juge est alors revenu sur l’article 4 de la Loi, la seule disposition sur laquelle se fondent les appelants pour affirmer que la Cour fédérale a compétence aux termes de l’article 5 de la Loi. Au paragraphe 55 de ses motifs, il s’est exprimé ainsi :
Les seuls droits et obligations sur lesquels se fondent les demandeurs dans leur déclaration modifiée qui sont pertinents aux fins de la compétence sont ceux qui découlent de l’article 4 de la [Loi]. Donc, à moins que l’on puisse dire que l’article 4 englobe les droits et obligations qui découlent de l’article IV, ou de tout autre article du traité sauf de l’article II, il n’existe aucun fondement pour que la Cour fédérale assume la compétence autre que dans le cas de préjudices subis en raison de la situation exposée à l’article 4. L’article 4 traite de toute évidence uniquement des voies navigables qui coupent la frontière dans leur cours naturel. Il ne traite pas de la situation envisagée à l’article IV du traité où des barrages et des obstacles d’un côté de la frontière ont l’effet « d’exhausser le niveau naturel des eaux de l’autre côté de la frontière », qui est la situation de fait alléguée par les demandeurs dans leur déclaration modifiée.
[23]
Le juge a ensuite expliqué que l’historique législatif et les débats parlementaires entourant l’adoption du Traité confirmaient son interprétation de l’article 4.
[24]
Après s’être référé aux discours prononcés à la Chambre des communes par le ministre des Travaux publics, le ministre de la Justice et le premier ministre du Canada, le juge s’est déclaré convaincu, au paragraphe 61 de ses motifs, que l’article 4 « couvre uniquement les situations en amont lorsqu’il y a altération ou détournement de “voies navigables du Canada” qui par ailleurs franchiraient la frontière en direction des États-Unis (la situation de l’article II) et non pas la situation de l’article IV »
. Ainsi, à son avis, comme les prétentions figurant dans la déclaration modifiée des appelants ne tombaient pas sous le coup de l’article 4 de la Loi, la Cour fédérale ne pouvait connaître des questions soulevées dans l’acte de procédure. Au paragraphe 65 de ses motifs, le juge a résumé ses conclusions dans les termes suivants :
Ma seule conclusion à l’égard des présentes requêtes est que la Cour fédérale n’a pas la compétence pour entendre la demande des demandeurs et pour accorder la réparation recherchée par les demandeurs parce que l’article 4 de la [Loi] ne couvre pas la situation décrite dans la demande lorsque des voies navigables sont bloquées au Canada, mais seulement une fois qu’elles franchissent la frontière en provenance des États-Unis vers le Canada, ou qu’elles s’accumulent aux États‑Unis sans franchir la frontière vers le Canada. Il se peut que la Cour fédérale n’ait pas la compétence pour entendre la présente demande pour d’autres motifs (p. ex. parce que les eaux ne sont pas bloquées dans leur cours naturel), mais je ne suis pas saisi d’autres motifs.
[25]
Le juge a ensuite examiné un certain nombre d’arguments précis avancés par les appelants. Premièrement, il a abordé l’argument selon lequel la Cour devrait adopter une interprétation plus large de l’article 4, c’est‑à‑dire procéder à une analyse téléologique portant non seulement sur la Loi dans son intégralité, mais également sur l’objet même de certaines dispositions de la législation. Plus précisément, les appelants faisaient valoir que la Cour se devait d’examiner attentivement le libellé du préambule et celui de la proclamation du Traité.
[26]
Il s’est ensuite penché sur plusieurs prétentions, figurant sans doute dans les observations écrites déposées par les appelants, au sujet du sens à donner aux articles II et IV du Traité. Plus particulièrement, les appelants ont fait valoir les points suivants dans leur mémoire :
[traduction]
70. L’article II du traité indique ensuite clairement que l’application de ce dernier ne se limite pas aux eaux limitrophes mais à toutes les eaux qui, en suivant leur cours naturel, couleraient au‑delà de la frontière :
[…]
71. L’article II dispose explicitement que toute ingérence dans ces cours d’eau ou tout détournement de leur cours naturel de telles eaux sur l’un ou l’autre côté de la frontière, donnera lieu à un recours pour les parties de l’autre côté de la frontière. Il est évident que[,] bien que chacune des Hautes parties contractantes de même que les États et les provinces exercent la juridiction et l’autorité quant à l’usage et au détournement de toutes les eaux situées de leur propre côté de la frontière, toute ingérence ou tout détournement de telles eaux sur leur propre côté de la frontière de leur part[,] ou de la part d’une autre personne du pays qui le fait sans en avoir le droit [qui entraîne un préjudice donne à la partie lésée la possibilité de se prévaloir] des moyens que mettent à sa disposition les lois du pays où s’est opérée cette ingérence ou ce détournement.
72. L’article II ne comporte pas, comme l’ont soutenu les défendeurs, une référence et ne peut pas être interprété de façon à contenir une restriction exigeant un examen pour savoir si la partie lésée est en aval ou en amont pour donner compétence.
73. Les demandeurs soutiennent que l’effet de l’article II est étayé par l’article IV, qui se lit comme suit :
[…]
74. L’article IV prévoit que le Canada et les États-Unis ne permettront pas l’établissement d’un barrage ou autre obstacle dans les rivières qui coupent la frontière dont l’effet serait d’exhausser le niveau naturel des eaux de l’autre côté de la frontière. L’article ne peut pas être lu seul comme n’ayant aucune application à l’égard des droits et recours en vertu du traité. Il doit être lu de manière téléologique, et à l’appui de l’interprétation par les demandeurs de l’article II.
[27]
Le juge a exprimé l’avis que les prétentions des appelants reproduites plus haut procédaient d’une interprétation erronée de l’article II du Traité. Il a rappelé les motifs qui l’avaient auparavant conduit à conclure que l’article 4 de la Loi ne s’appliquait pas à la situation exposée par les appelants dans leur déclaration modifiée. Au paragraphe 73 de ses motifs, le juge a fait les observations suivantes :
L’article 4 de la [Loi] ne promulgue l’article II que dans le droit canadien. Il ne dit rien au sujet de l’article IV. C’est pour cette raison que je ne peux pas accepter ce que font valoir les demandeurs, à savoir que [traduction] « l’article 4 reconnaît et met en vigueur au Canada le recours procédural concernant les droits en vertu du traité pour les parties aux États-Unis qui sont lésées en raison d’une altération ou d’un détournement de cours d’eau au Canada ». Pour des motifs déjà mentionnés, je pense qu’il est évident qu’on ne peut pas lire l’article 4 de la [Loi] de cette façon. L’article IV autorise la Commission mixte internationale à approuver et à régler tout ce qui concerne les barrages et obstacles qui ont pour effet « d’exhausser le niveau naturel des eaux de l’autre côté de la frontière [...] ». Il s’agit de la situation dont les demandeurs se plaignent en l’espèce. L’article IV n’exige pas que le Canada et les États-Unis confèrent aux parties lésées des droits procéduraux dans les tribunaux de leur pays. Cela ne veut pas dire pour autant que les parties aux États-Unis qui sont lésées en raison d’une situation décrite à l’article IV n’ont pas le droit de demander une réparation au Canada. Mais cela veut dire que n’importe lequel de ces droits ne découle pas de la promulgation de l’article 4 de la [Loi] ou de n’importe quelle autre disposition de cette loi. Sous le régime de l’article 5 de la [Loi], la Cour fédérale ne peut avoir aucune compétence pour trancher des demandes qui ne découlent pas (au plan procédural) de cette loi.
IV.
Les prétentions des appelants dans le présent appel
[28]
Les appelants soutiennent que le juge a commis quatre erreurs dans son interprétation de la législation. Premièrement, il n’a pas reconnu que le Traité faisait partie du droit canadien et qu’il devait donc servir à l’interprétation de la Loi.
[29]
Deuxièmement, les appelants affirment que le juge n’a pas interprété la Loi en adoptant une approche large et libérale. Le Traité ayant été « incorporé par renvoi »
, il a le même statut que le droit interne et a force de loi. Par conséquent, toute interprétation de la Loi doit [traduction] « commencer par un examen des articles du Traité »
. Le préambule indique que le Traité est censé offrir un mécanisme complet de règlement des différends. Les appelants soutiennent qu’interprété comme il se doit, l’article II donne ouverture à un recours en cas d’ingérence ou de détournement, d’un côté de la frontière, s’il en résulte un préjudice de l’autre côté. Le mot « couleraient »
ne devrait pas [traduction] « être limité à l’endroit où se trouve le détournement ou l’ingérence »
. Ils sont d’avis que l’article IV du Traité ne peut être interprété séparément de l’article II et qu’il confirme en fait l’interprétation selon laquelle les cours d’eau ne peuvent faire l’objet d’une ingérence, que ce soit d’un côté ou de l’autre de la frontière.
[30]
Les appelants font valoir que l’article 4 de la Loi consacre le recours procédural qui s’offre aux parties américaines lésées. Selon leurs observations, l’article 4, interprété comme il se doit, comporte deux conditions : 1) l’altération ou le détournement doit se produire au Canada et 2) le cours naturel de la voie navigable coupe la frontière et s’écoule dans l’une ou l’autre direction.
[31]
Les appelants soutiennent que la version française de l’article 4 de la Loi confirme leur interprétation de la disposition, c’est‑à‑dire que le cours d’eau peut s’écouler dans l’une ou l’autre direction. D’ailleurs, la Loi elle‑même définit l’expression « eaux transfrontalières »
comme les eaux qui traversent la frontière, sans égard à la direction dans laquelle s’écoulent ces eaux. Le juge a estimé à tort qu’il fallait que l’eau s’écoule dans une direction donnée.
[32]
Troisièmement, les appelants affirment que l’interprétation donnée par le juge conduit à un résultat absurde. Le Traité avait pour objet de remédier au préjudice causé par l’écoulement d’eaux transfrontalières, mais certaines parties lésées seraient privées de tout recours en raison du sens de l’écoulement des eaux à l’origine de leur préjudice.
[33]
Enfin, les appelants contestent la manière dont le juge a traité de l’historique législatif. Ils estiment que les débats de la Chambre des communes peuvent illustrer le contexte et l’objet de la législation, mais ils doivent être considérés comme des documents d’ordre politique. Le principal enjeu à l’époque était l’irrigation; il n’est donc guère question d’inondations dans les débats. Toutefois, les transcriptions des débats montrent que le gouvernement canadien entendait instituer des voies de recours pour les parties lésées. Les transcriptions révèlent également pourquoi la Cour de l’Échiquier (comme on l’appelait à l’époque) a été choisie comme juridiction compétente.
[34]
En conclusion, les appelants affirment que le juge a conclu à mauvais droit qu’il était « évident et manifeste »
au vu de la déclaration modifiée que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour statuer sur les questions soulevées dans l’acte de procédure. Selon eux, les déclarations doivent présenter uniquement les faits substantiels, pas le droit. Par conséquent, selon une interprétation téléologique juste, la Loi confère à la Cour fédérale compétence à l’égard du différend.
V.
Analyse
[35]
Commençons par quelques mots sur la norme de contrôle applicable. Toutes les parties s’accordent pour dire que la norme applicable en l’espèce est celle de la décision correcte, puisque le point en litige était une pure question de droit, à savoir si la Cour fédérale peut connaître de la demande des appelants. Je ne vois aucune raison de rejeter la thèse des appelants; j’effectuerai donc le contrôle de la décision du juge selon la norme de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 8).
[36]
Comme je l’ai mentionné plus haut, le présent appel s’articule autour de l’article 4 de la Loi, puisque les appelants n’invoquent aucune autre disposition de la Loi. À l’instar des appelants, j’estime que l’article 4 doit être interprété à la lumière des dispositions du Traité. Toutefois, les appelants ne m’ont pas convaincu que le juge a commis une erreur susceptible de contrôle en concluant à l’absence de compétence de la Cour fédérale.
[37]
Comme le fait observer le gouvernement du Manitoba (intimé), l’article 4 de la Loi est une disposition procédurale, dont l’objet est de conférer aux parties américaines qui subissent un préjudice en raison des circonstances énoncées dans la disposition les droits et recours qui auraient été les leurs si le préjudice était survenu au Canada. L’article 4 ne leur confère donc pas de droits ou recours particuliers autres que ceux qui pourraient être exercés si leur préjudice était survenu au Canada.
[38]
En conséquence, si les questions soulevées dans l’acte de procédure des appelants tombent sous le coup de l’article 4, la Cour fédérale a compétence du fait de l’article 5. Dans le cas contraire, la Cour fédérale n’a pas compétence.
[39]
Avant d’aller plus loin, il importe de rappeler que les appelants soutiennent, dans leur acte de procédure, que les intimés ont bloqué ou obstrué des eaux situées aux États-Unis, empêchant ainsi celles‑ci de s’écouler par‑delà la frontière vers le Canada, ce qui a fait en sorte que ces eaux sont restées aux États-Unis et ont inondé leurs terres. Au paragraphe 14 de leur déclaration modifiée, les appelants s’expriment en ces termes :
[traduction]
Les demandeurs disent que ladite réserve routière a été construite en tant que digue par les défendeurs municipaux ou avec leur connaissance et consentement, explicite ou implicite. Subsidiairement, les demandeurs disent en outre que la construction de la digue, comme on le mentionne plus haut, a été faite dans un but unique et explicite de bloquer les voies navigables dont le cours naturel les amène au Canada, sachant que l’eau qui par ailleurs coulerait vers le Canada serait retournée aux États-Unis et, plus précisément, les terres situées dans les cantons de Pembina, Neche, Felson, St. Joseph, Walhalla,
Joliette, Lincoln et Draytonet dans les villes de Pembina, Neche,Walhalla et Drayton, sachant de toute évidence que des dommages seraient causés aux propriétaires et occupants des terres qui s’y trouvent, y compris les demandeurs, et les biens immobiliers appartenant à ces derniers.
[Les biffures et le soulignement figurent dans la déclaration modifiée.]
[40]
La question est de savoir si ce scénario relève de l’article 4 de la Loi. À mon avis, la réponse est clairement négative. Il ne m’est pas nécessaire d’en donner ici une longue explication si ce n’est pour dire que je souscris entièrement aux motifs que le juge a donnés à l’appui de sa conclusion selon laquelle l’article 4 de la Loi et les dispositions pertinentes du Traité n’appuient pas la thèse des appelants. J’ajouterais qu’il m’est impossible de voir comment l’article 4, compte tenu de son libellé et des dispositions du Traité, pourrait être interprété autrement.
[41]
J’examinerai maintenant les points précis soulevés par les appelants à l’appui de leur prétention selon laquelle le juge a fait erreur et que, partant, nous devrions intervenir.
A.
Quel est le statut du Traité en droit canadien?
[42]
Premièrement, les appelants disent que le juge a commis une erreur parce qu’il n’a pas reconnu que le Traité faisait partie du droit canadien et devait servir à l’interprétation de la Loi.
[43]
À l’instar des appelants, j’estime que le Traité doit servir à l’interprétation de la Loi. Cependant, à mon avis, le juge n’a pas écarté cette affirmation lorsqu’il a statué sur les requêtes dont il était saisi. Plus particulièrement, j’estime non seulement qu’il a fait sienne la proposition générale des appelants sur cette question, mais aussi qu’il a interprété l’article 4 de la Loi à la lumière de sa compréhension des dispositions du Traité.
[44]
Le Traité, qui constitue l’annexe I de la Loi, a été incorporé au droit canadien. Dans son ouvrage Statutory Interpretation, 3e éd., Toronto, Irwin Law, 2016, Ruth Sullivan donne les précisions suivantes à la page 171 :
[traduction]
Bien que les annexes soient considérées comme des éléments internes plutôt qu’externes, les instruments en annexe n’ont pas tous force de loi. Pour être considéré comme faisant partie du texte de loi, l’instrument annexé doit être incorporé à la Loi, expressément ou implicitement. L’incorporation d’un tel instrument à la Loi se fait généralement par renvoi à l’annexe dans une disposition figurant dans le corps de la Loi ou du règlement. Une fois incorporé, l’instrument annexé fait partie intégrante de la Loi au même titre que les articles et paragraphes de ladite Loi et a la même importance et la même utilité que la Loi aux fins d’interprétation.
[Non souligné dans l’original.]
[45]
Le Traité a été incorporé à la Loi et est « confirmé et sanctionné »
par l’article 2. L’article 3 indique, de plus, en ces termes :
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[46]
La Cour suprême a reconnu que les traités jouent un rôle dans l’interprétation des lois internes qui les mettent en œuvre. Dans l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, au paragraphe 55, le juge Bastarache, s’exprimant au nom des juges majoritaires, a observé que notre Cour avait fait fi à tort de l’objet et du but d’un traité international qui sous-tendait la législation interne. Dans un autre arrêt de la Cour suprême, National Corn Growers Association c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, au paragraphe 75, le juge Gonthier, qui a rédigé les motifs de la majorité, a précisé que le recours aux traités internationaux est possible même lorsque la disposition législative n’est pas ambiguëe (il infirmait la décision de notre Cour sur ce point). En outre, il existe une présomption selon laquelle le législateur entend se conformer aux obligations internationales du Canada (Ruth Sullivan, Statutory Interpretation, 3e éd., Toronto, Irwin Law, 2016, pages 279, 280, 311; Németh c. Canada (Justice), 2010 CSC 56, [2010] 3 R.C.S. 281, paragraphe 34; Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23, paragraphe 117; R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292, paragraphe 53).
[47]
Comme le font observer les appelants, les principes régissant l’interprétation des lois nationales revêtent une portée internationale du fait du paragraphe 31(1) de la Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, 1155 R.T.N.U. 331. Qu’il s’agisse d’interpréter une loi ou un traité, l’accent est mis sur le texte, le contexte et l’objet de l’instrument.
[48]
À mon avis, toutes ces dispositions mènent à la conclusion à laquelle le juge est arrivé à l’égard des voies navigables en cause aux termes de l’article 4 de la Loi.
B.
Les conditions prévues à l’article 4 de la Loi
[49]
Je passe maintenant au second argument avancé par les appelants dans le présent appel. Ils affirment que le juge a commis une erreur parce qu’il n’a pas interprété la Loi d’une manière large et libérale. À mon avis, cet argument est dénué de fondement.
[50]
Selon les deux parties, l’article 4 confère aux parties lésées des droits au Canada si deux conditions sont remplies. Ces deux conditions procèdent des mêmes mots du texte, mots que les parties interprètent différemment.
[51]
La première condition ressort des termes suivants :
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Les parties ne s’entendent pas sur le sens des mots « du Canada »
. Les intimés disent que les voies navigables doivent se trouver au Canada. Le juge partage ce point de vue. Les appelants disent, et nous pressent de conclure, que c’est l’altération ou le détournement, et non les voies navigables, qui doit se trouver au Canada.
[52]
À mon avis, ce sont les intimés qui ont raison. Me fondant sur le sens commun des versions anglaise et française de l’article 4, je dois conclure que l’article 4 s’applique aux voies navigables qui se trouvent au Canada. La version française le dit clairement. La préposition « du »
peut avoir un sens géographique (les voies navigables se trouvant au Canada – waters in Canada) ou un sens possessif (les eaux du Canada – waters of Canada). Le sens géographique est commun aux deux versions et, selon moi, il doit primer. La version française ne dit nulle part où l’altération des voies navigables doit se produire, et évite ainsi l’ambiguïté présente dans la version anglaise. La préposition « du »
rattache les mots « des voies navigables »
au mot « Canada »
. Les mots « du Canada »
ne sauraient se rapporter à l’« altération, notamment par détournement »
. Par conséquent, la seule conclusion possible est que l’article 4 s’applique aux voies navigables qui se trouvent physiquement au Canada.
[53]
La deuxième condition découle du libellé suivant :
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[54]
S’appuyant sur son interprétation de la première condition, le juge a conclu que les voies navigables du Canada ne pouvaient s’écouler que du Canada vers les États-Unis. Les appelants soutiennent que le juge a mal interprété la disposition en y insérant des mots qui n’y étaient pas exprimés et que le sens ordinaire des mots « coupe la frontière »
s’entend d’un mouvement dans l’une ou l’autre direction. Je souscris au sens ordinaire donné à l’expression par les appelants. La version française ne dit pas elle non plus que la voie navigable doit s’écouler dans une direction donnée.
[55]
La situation factuelle en cause en l’espèce semble remplir la deuxième condition : n’eût été la route, la voie navigable couperait la frontière. Cependant, la question de savoir si cette voie se trouve « au Canada »
et ainsi remplit la première condition est moins claire. La déclaration modifiée indique seulement que la réserve routière se compose des 99 pieds immédiatement contigus à la frontière et que la route est construite à l’intérieur de cette réserve. L’acte de procédure n’indique pas à quelle distance de la frontière, le cas échéant, se trouve la route. Si la voie navigable coule au-delà de la frontière du Canada, la première condition de l’article 4 n’est pas remplie.
[56]
Cependant, si la voie navigable coule effectivement sur une petite distance au Canada avant d’atteindre la route, elle coupe la frontière du Canada et il n’est donc pas satisfait à la deuxième condition, formulée au conditionnel dans la version anglaise : n’eût été l’altération ou le détournement, la voie navigable « would flow across the boundary
». J’arrive donc à la même conclusion que le juge : les voies navigables qui se trouvent au Canada ne peuvent s’écouler par‑delà la frontière que dans une direction, c’est‑à‑dire vers les États-Unis. Le libellé de la disposition ne précise pas le sens de l’écoulement, mais la logique le fait. Par conséquent, après une analyse textuelle, je ne puis que conclure que l’article 4 n’englobe pas la situation factuelle qui est en cause en l’espèce.
C.
Interprétation globale de la Loi et du Traité
[57]
Les appelants affirment et, comme je l’ai déjà dit, je suis d’accord avec eux que, pour interpréter les dispositions de la Loi, il faut examiner les dispositions du Traité.
[58]
À mon avis, l’interprétation qu’il convient de donner aux dispositions applicables du Traité confirme la conclusion à laquelle est arrivé le juge à l’égard des articles 4 et 5 de la Loi. Autrement dit, les dispositions applicables du Traité confirment, à mon avis, que la situation factuelle exposée par les appelants dans leur déclaration modifiée n’en est pas une dont la Cour fédérale peut être saisie suivant l’article 5 de la Loi.
[59]
Je commence par l’article II du Traité qui, selon les appelants, vise non seulement les eaux limitrophes, mais également toutes les eaux dont le cours naturel coupe la frontière internationale. Plus particulièrement, ils soutiennent que l’article II peut viser les voies navigables qui s’écoulent depuis ou vers le Canada, ou depuis ou vers les États-Unis, ajoutant qu’il crée des droits auxquels ne pourraient prétendre autrement les habitants lésés des deux pays. À mon avis, l’interprétation que donne le juge de l’article II est irréprochable. En d’autres termes, je conclus que l’article II du Traité appuie clairement l’interprétation que le juge donne de l’article 4 de la Loi. L’article II du Traité est ainsi formulé :
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[60]
Selon la première partie du premier paragraphe de l’article II, le Canada comme les États‑Unis conservent leur compétence quant à l’usage et au détournement des eaux situées de leur propre côté de la frontière et, partant, les deux pays peuvent utiliser et détourner ces eaux sous réserve de la deuxième partie du premier paragraphe.
[61]
La deuxième partie du premier paragraphe de l’article II porte sur les conséquences résultant de toute ingérence dans ces cours d’eau ou de tout détournement de leur cours naturel de telles eaux « sur l’un ou l’autre côté de la frontière »
, en prévoyant que tout « préjudice [survenu] de l’autre côté de cette dernière »
, c’est‑à‑dire soit au Canada, soit aux États-Unis, conférera aux parties lésées par l’ingérence ou le détournement les droits et les moyens qui leur seraient conférés s’ils avaient subi leur préjudice dans le pays où a eu lieu l’ingérence ou le détournement, c’est‑à‑dire en l’occurrence au Canada. Autrement dit, les parties ou entités américaines lésées qui subissent un préjudice aux États-Unis en raison d’une ingérence ou d’un détournement par le Canada à l’égard « de telles eaux »
pourront invoquer les droits et les moyens dont ils pourraient se prévaloir s’ils avaient subi leur préjudice au Canada, où a eu lieu le détournement ou l’ingérence.
[62]
À mon avis, les mots « telles eaux »
à l’article II du Traité sont non seulement sans équivoque, mais aussi parfaitement limpides. Les mots « telles eaux »
servent à qualifier les eaux à l’égard desquelles le Canada et les États-Unis ont conservé une compétence exclusive dans la première partie du premier paragraphe de l’article II. À mon avis, aucune autre interprétation de l’article II n’est possible. Par conséquent, puisque les appelants font valoir dans leur déclaration modifiée qu’il y a eu de la part des intimés ingérence dans des eaux situées aux États-Unis ou détournement des eaux situées aux États-Unis qui auraient coulé par‑delà la frontière vers le Canada, ce qui aurait causé un préjudice à des habitants des États-Unis, la situation factuelle évoquée dans la déclaration modifiée des appelants ne relève pas de l’article II du Traité.
[63]
Passons à l’examen des articles III, IV, VI et VIII du Traité. Je commencerai par les articles III et IV, qui sont ainsi rédigés :
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[64]
Les travaux décrits aux articles III et IV du Traité requièrent l’approbation de la Commission. Ainsi, ni le Canada ni les États-Unis ne peuvent entreprendre de tels travaux sans l’aval de la Commission, sous réserve des exceptions prévues. Il est clair aussi que la situation factuelle exposée dans l’acte de procédure des appelants est visée par l’article IV, puisque les appelants soutiennent que les intimés ont construit une digue qui empêche des eaux se trouvant aux États‑Unis de s’écouler naturellement vers le Canada.
[65]
Les appelants se heurtent à une difficulté : aucune disposition de la Loi n’est aux articles III et IV du Traité ce que l’article 4 de la Loi est à l’article II du Traité. Autrement dit, les situations décrites aux articles III et IV du Traité, contrairement à la situation décrite à l’article II, ne tombent pas sous le coup de l’article 4 de la Loi.
[66]
En outre, ni l’article III ni l’article IV du Traité n’aborde les préjudices qui pourraient résulter de l’établissement ou du maintien des ouvrages évoqués dans ces dispositions. Les deux articles sont muets à cet égard. Les articles III et IV prévoient simplement que les travaux qui y sont évoqués ne peuvent aller de l’avant sans l’approbation de la Commission. Ils ne mentionnent nulle part d’éventuels droits ou moyens auxquels donnerait naissance l’établissement ou le maintien de ces ouvrages effectués sans l’approbation de la Commission.
[67]
Une autre disposition pertinente du Traité est l’article VIII, qui confère à la Commission compétence pour juger les cas découlant des travaux décrits aux articles III et IV. Les parties pertinentes de cette disposition sont ainsi rédigées :
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[68]
Après avoir exposé l’ordre de préférence que la Commission doit observer à l’égard des divers usages des eaux évoqués aux articles III et IV, le Traité, à l’article VIII, dispose ensuite que, pour donner son approbation à la construction d’ouvrages de secours ou de protection, la Commission « doit exiger »
que « des dispositions convenables et suffisantes »
soient prises pour protéger et indemniser les personnes ou les entités « de l’autre côté de la frontière »
qui pourraient subir un préjudice en raison des travaux qu’elle a approuvés.
[69]
Il devient donc évident qu’aucun droit ni moyen semblable à ceux conférés par l’article II du Traité n’est conféré à ceux qui pourraient subir un préjudice en raison des ouvrages décrits aux articles III et IV. Au contraire, comme je viens de l’indiquer, c’est à la Commission qu’il appartient, lorsqu’elle statue sur des différends fondés sur les articles III et IV du Traité, d’indemniser ceux qui pourraient subir un préjudice en raison de l’établissement et du maintien de tels ouvrages. Il importe de dire que nous n’avons été saisis d’aucun élément de preuve portant sur l’approbation par la Commission, le cas échéant, de la digue en question. Or, même en l’absence d’une éventuelle approbation la Commission, il ne s’ensuit pas, à mon avis, que les appelants sont fondés à bénéficier des droits et moyens conférés par l’article II du Traité et par l’article 4 de la Loi eu égard à la situation précise prévue par ces dispositions.
[70]
Les articles III, IV et VIII du Traité n’offrent aucune voie de recours à ceux qui pourraient être lésés par les divers ouvrages décrits aux articles III et IV. En revanche, l’article II prévoit que les parties lésées auraient les mêmes droits et disposeraient des mêmes moyens en droit que si le détournement ou l’ingérence avait eu lieu dans leur propre pays. À mon avis, les articles III, IV et VIII ne donnent aux appelants aucune voie de recours.
[71]
Une autre disposition du Traité est utile au présent appel. L’article VI traite de la rivière Sainte-Marie et de la rivière Milk, avec leurs affluents (dans l’État du Montana et dans les provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan) :
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[72]
L’article VI prévoit qu’en cas de préjudice causé à des biens situés au Canada par l’apport d’eaux s’écoulant par la rivière Milk, les dispositions de l’article II du Traité s’appliquent. Ainsi, les personnes au Canada dont les biens ont subi un préjudice en raison de l’apport d’eaux américaines s’écoulant par la rivière Milk disposent des mêmes droits et des mêmes moyens que ceux dont le préjudice résulte d’une ingérence dans des cours d’eau, ou d’un détournement de telles eaux, comme le prévoit l’article II. En d’autres termes, les droits conférés par l’article II du Traité s’appliquent à la situation factuelle exposée à l’article VI.
[73]
À mon avis, le renvoi dans l’article VI à l’article II du Traité indique on ne peut plus clairement que les droits et moyens conférés par l’article II ne sont pas censés s’appliquer aux situations factuelles prévues par les articles III et IV du Traité. Si tel était le cas, le renvoi à l’article II, dans l’article VI, n’aurait évidemment pas été nécessaire.
[74]
J’arrive donc à la conclusion que le juge n’a commis aucune erreur dans l’interprétation des dispositions du Traité.
D.
L’argument de l’absurdité
[75]
Je passe maintenant à la troisième prétention des appelants dans le présent appel : la manière dont le juge a interprété la Loi et le Traité conduit à un résultat absurde. À mon avis, cette prétention ne saurait être retenue.
[76]
Les appelants disent que la manière dont le juge a interprété l’article 4 laisserait sans recours maintes parties lésées. Le juge a traité cet argument en disant que les appelants n’étaient pas sans recours dans le cas où il leur serait impossible de se pourvoir devant la Cour fédérale. Plus particulièrement, il s’exprime ainsi au paragraphe 75 de ses motifs :
Aucun des éléments de preuve qui m’ont été présentés ne laisse entendre que les demandeurs, ou quiconque dans leur position aux États-Unis, n’ont aucun recours juridique advenant que leur affaire ne soit pas entendue en Cour fédérale. Les demandeurs font valoir les délits de négligence et nuisance. Je ne conclus pas que les demandeurs ne peuvent pas entamer des procédures au Canada, je conclus tout simplement que la Cour fédérale n’a pas compétence pour les entendre. Il n’y a pas non plus d’éléments de preuve qui indiquent que, si le Dakota du Nord créait un obstacle dans la rivière Pembina et causait des préjudices au Canada, les parties lésées n’auraient aucun recours, à moins que la Cour fédérale n’assume la compétence. Les allégations d’absurdité des demandeurs ne sont pas démontrées.
[77]
À cet égard, la municipalité rurale de Rhineland (intimée) affirme que les appelants ne sont pas laissés sans recours et que la Cour du banc de la Reine du Manitoba est, à son avis, la juridiction compétente pour statuer sur leur différend. Ce point de vue semble bien fondé, puisque les appelants affirment avoir subi un préjudice par suite de délits commis au Manitoba par les intimés. À première vue, rien ne semble empêcher les appelants de s’adresser à la Cour du banc de la Reine du Manitoba. Quoi qu’il en soit, je suis d’avis que le juge, après examen de l’argument des appelants fondé sur l’absurdité, y a répondu correctement. Je ne vois aucune raison de modifier sa conclusion.
E.
Débats législatifs
[78]
En dernier lieu, les appelants avancent que le juge n’a pas analysé correctement l’historique législatif du Traité. Plus précisément, ils disent que le juge n’a pas examiné et interprété les débats de la Chambre des communes comme il aurait dû le faire ni n’en a tenu compte adéquatement.
[79]
J’ai examiné attentivement les motifs donnés par le juge à l’appui de sa conclusion selon laquelle les débats parlementaires étayaient son interprétation de l’article 4 de la Loi. Il exprime son opinion sur le sens et l’esprit des sujets débattus par le Parlement. Au paragraphe 61 de ses motifs, il affirme que les débats parlementaires confirment l’interprétation selon laquelle l’article 4 de la Loi « couvre uniquement les situations en amont lorsqu’il y a altération ou détournement de “voies navigables du Canada” qui par ailleurs franchiraient la frontière en direction des États-Unis (la situation de l’article II) et non pas la situation de l’article IV »
.
[80]
Après avoir lu le compte rendu officiel des débats de la Chambre des communes du Canada, 3e session, 11e législature, 1‑2 George V, 1910‑1911, je tire les mêmes conclusions que le juge. À mon avis, et contrairement à ce que les appelants voudraient nous faire dire, le juge ne s’est pas fié indûment à ces débats ni n’a omis de tenir compte du contexte dans lequel ils avaient eu lieu.
[81]
Par ailleurs, les appelants ont raison d’affirmer qu’il suffit qu’une déclaration se limite aux seuls faits substantiels, comme l’indique l’emploi du présent de l’indicatif à l’article 174 des Règles des Cours fédérales. Il n’est pas nécessaire de soulever des points de droit, comme l’indique l’emploi du mot « peut »
à l’article 175 des Règles (voir aussi Conohan c. Cooperators (The), 2002 CAF 60, [2002] 3 C.F. 421, paragraphe 15). Cependant, les appelants n’ont pas montré en quoi la situation factuelle qui est en cause en l’espèce pourrait tomber sous le coup d’un autre article de la Loi et donc relever de la Cour fédérale selon l’article 5 de la Loi.
[82]
En conclusion, j’ajoute une dernière précision : comme je l’ai indiqué au paragraphe 10 des présents motifs, l’unique question qui nous est posée dans le présent appel est de savoir s’il a été satisfait au premier volet du critère énoncé dans l’arrêt ITO. Je suis parvenu à la conclusion que non. En conséquence, et étant donné qu’aucune des parties n’a soulevé ni invoqué d’arguments portant sur les deux autres volets du critère, il ne m’est pas nécessaire de les examiner.
VI.
Conclusion
[83]
Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.
« M Nadon »
j.c.a.
« Je suis d’accord.
Donald J. Rennie, j.c.a. »
« Je suis d’accord.
Yves de Montigny, j.c.a. »
Traduction certifiée conforme
Andrée Morin, jurilinguiste
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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A-198-16
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INTITULÉ :
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PEMBINA COUNTY WATER RESOURCE DISTRICT, CITY OF PEMBINA, DAKOTA DU NORD, TOWNSHIP OF PEMBINA, DAKOTA DU NORD, TOWNSHIP OF WALHALLA, DAKOTA DU NORD, CITY OF NECHE, DAKOTA DU NORD, TOWNSHIP OF NECHE, DAKOTA DU NORD, TOWNSHIP OF FELSON, DAKOTA DU NORD, TOWNSHIP OF ST. JOSEPH, DAKOTA DU NORD, TIMOTHY L. WILWAND, DENNIS K. SCHALER, RICHARD MARGERUM et VERLINDA MARGERUM c. GOUVERNEMENT DU MANITOBA et MUNICIPALITÉ RURALE DE RHINELAND
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Winnipeg (Manitoba)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 15 NOVEMBRE 2016
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MOTIFS DU JUGEMENT :
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LE JUGE NADON
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE RENNIE
LE JUGE DE MONTIGNY
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DATE DES MOTIFS :
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LE 3 MAI 2017
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COMPARUTIONS :
Me Colin MacArthur, c.r.
Me John Martens
Me Curtis Parker
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POUR LES APPELANTS
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Me Alan Ladyka
Me Tanys Björnson
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POUR L’INTIMÉ
LE GOUVERNEMENT DU MANITOBA
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Me Dean Giles
Me Curran McNicol
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POUR L’INTIMÉE
LA MUNICIPALITÉ RURALE DE rhineland
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Aikins, MacAulay & Thorvaldson LLP
Winnipeg (Manitoba)
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POUR LES APPELANTS
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Justice Manitoba
Direction des services juridiques
Winnipeg (Manitoba)
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POUR L’INTIMÉ
LE GOUVERNEMENT DU MANITOBA
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Fillmore Riley LLP
Winnipeg (Manitoba)
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POUR L’INTIMÉE
LA MUNICIPALITÉ RURALE DE RHINELAND
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