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Date : 20170427


Dossier : A-276-16

Référence : 2017 CAF 87

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

RON FINK

intimé

Audience tenue à Edmonton (Alberta), le 25 avril 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 avril 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

 


Date : 20170427


Dossier : A-276-16

Référence : 2017 CAF 87

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

RON FINK

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DE MONTIGNY

[1]  Le procureur général du Canada (pour le compte du ministre du Revenu national, ci-après appelé l’Agence du revenu du Canada ou l’ARC) interjette appel de la décision interlocutoire rendue par le juge Manson de la Cour fédérale (le juge) qui a fait droit à la requête par laquelle l’intimé, M. Ron Fink, lui demandait de contraindre l’appelant à fournir des réponses à certaines questions posées en contre‑interrogatoire ainsi qu’à produire un certain nombre de documents.

[2]  La requête de l’intimé a été entendue dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire contestant la décision par laquelle le commissaire adjoint de l’ARC refusait de recommander que le gouverneur en conseil prenne un décret faisant remise de la dette fiscale de 2007 de l’intimé en application du paragraphe 23(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F‑11 (dans sa forme modifiée) (la LGFP). Aux termes de cette disposition, le gouverneur en conseil peut faire remise de toutes taxes ou pénalités s’il est d’avis que leur perception ou leur exécution forcée « est déraisonnable ou injuste ou que, d’une façon générale, l’intérêt public justifie la remise ».

[3]  Il n’est pas nécessaire de décrire en détail la dette fiscale de M. Fink. Il suffit de dire que l’ARC a établi une cotisation à l’égard de l’intimé pour un avantage imposable conféré à un employé aux termes de l’article 7 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C., 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la LIR), relativement à un régime d’options d’achat d’actions, dont le montant a finalement été réglé à 648 000 $ en avril 2013. Lors de la vente des actions qu’il avait acquises dans le cadre de ce régime, l’intimé a subi une perte en capital d’un montant de 419 250 $, mais il n’a pas pu se servir de cette perte en capital pour compenser le montant de son avantage relatif à un emploi en raison de l’application des règles régissant les options d’achat d’actions des employés et d’autres dispositions de la LIR. De ce fait, l’intimé a présenté une demande de remise de tout montant d’impôt sur le revenu qui excédait le montant après impôt qu’il avait tiré de la vente de ces actions, ainsi que les intérêts sur ce montant.

[4]  À l’appui de sa demande de remise, l’intimé a fait valoir que sa situation était semblable à celle d’autres contribuables (les employés de SDL) à qui un allègement avait été accordé, parce qu’il leur était impossible de compenser des avantages imposables relatifs à un emploi par une perte en capital ultérieure sur la vente d’actions d’un régime d’options d’achat d’actions des employés. L’intimé s’est fondé sur des déclarations que le ministre du Revenu national avait faites à l’époque, devant le Comité permanent des finances, à l’appui de sa position selon laquelle il convenait de traiter sa demande de remise de manière compatible avec les décrets de remise consentis à un certain nombre d’employés de SDL. Il a également fait valoir que sa situation tombait sous le coup de l’un des critères applicables à l’octroi d’une remise pour « difficultés financières assorties de circonstances atténuantes », critères prévus par le Guide de l’Agence du revenu du Canada sur les remises (les Lignes directrices, pièce « A » de l’affidavit de Lynne Laplante, dossier d’appel, p. 84).

[5]  À la suite de la décision du sous-commissaire adjoint de l’ARC (pour le compte du ministre) de ne pas recommander que le gouverneur en conseil fasse remise, l’intimé a demandé le contrôle judiciaire de cette décision. En réponse, l’ARC a produit les affidavits du sous-commissaire adjoint, M. Geoff Trueman, et d’une analyste principale des politiques, Mme Lynne Laplante. Lors du contre-interrogatoire, le procureur général du Canada s’est opposé à un certain nombre de questions posées par l’avocat de l’intimé, dont cinq font l’objet du présent appel. Ces questions ont trait aux décrets de remise consentis à des employés de SDL auxquels l’intimé a fait référence.

[6]  Le juge a conclu, en appliquant les principes énoncés dans la décision Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [1997] A.C.F. no 1847 (le juge Hugessen) (C.F.), confirmée par [1999] A.C.F. no 1536 (C.A.F.) [Merck Frosst], que les questions répondaient au double critère de la pertinence formelle et de la pertinence juridique. Il a par ailleurs conclu que les documents que demandait l’intimé tombaient sous le coup de l’exception prévue à l’alinéa 241(3)b) de la LIR, laquelle autorise l’ARC à communiquer des renseignements de nature fiscale qui concernent des « procédures judiciaires ayant trait à l’application ou à l’exécution » de la LIR. Il a donc ordonné que les documents demandés soient produits, sous réserve du caviardage nécessaire pour protéger les renseignements personnels des contribuables.

[7]  Malgré sa solide argumentation, le procureur général ne m’a pas convaincu que le juge avait commis des erreurs susceptibles de contrôle. Le pouvoir de contraindre une personne à répondre ou à produire des documents est de nature discrétionnaire. Les décisions de ce genre sont assujetties à la norme de contrôle de l’erreur manifeste et dominante, à moins d’une erreur de droit isolable (Corporation de soins de santé Hospira, 2016 CAF 215, par. 79, [2016] A.C.F. no 943). En l’espèce, le juge a appliqué le bon cadre juridique à une conclusion relative à la pertinence dans le contexte particulier d’un contre‑interrogatoire portant sur des affidavits et il a cité la décision qui fait autorité, soit la décision Merck Frosst de la Cour fédérale (confirmée par notre Cour). L’ARC soutient que le juge n’a pas examiné entièrement la question de la pertinence formelle et juridique et qu’il a appliqué, pour ce qui est de la pertinence, un critère trop large. Cependant, il ressort clairement de ses observations qu’elle n’est tout simplement pas d’accord avec la manière dont les critères applicables à une conclusion de pertinence ont été appliqués à l’ensemble de faits présentés au juge.

[8]  L’ARC aurait pu, d’emblée, adopter la position selon laquelle la manière dont elle traite d’autres contribuables n’est jamais pertinente à l’égard de ses décisions discrétionnaires en matière de remise. Toutefois, il ressort d’un examen des affidavits que l’ARC a produits, et surtout la pièce A de l’affidavit de M. Trueman, que celle-ci a bel et bien tenu compte de la situation financière d’autres employés en rendant sa décision concernant l’intimé. Je conviens que, de façon générale, la manière dont l’ARC traite d’autres contribuables est peu pertinente au moment d’établir s’il y a lieu d’accorder un allègement discrétionnaire à une personne en particulier, mais le juge pouvait raisonnablement inférer, dans les circonstances particulières de l’espèce, que la décision de l’ARC de ne pas recommander une remise reposait, en partie du moins, sur le fait que l’intimé ne se trouvait pas dans une situation similaire à celle des employés de SDL. Cela étant, il était loisible au juge de conclure que les questions contestées étaient pertinentes du point de vue formel et juridique et qu’elles touchaient au caractère raisonnable de la décision de l’ARC.

[9]  Le procureur général a fait valoir que la question de savoir si la situation financière de M. Fink est semblable à celle des employés de SDL [traduction« commence et se termine en l’espèce par la question de savoir si l’intimé a participé à un régime d’achat d’actions ou non » (mémoire de l’appelant, par. 52). Selon ce raisonnement, il serait inutile de divulguer la situation financière personnelle de ces employés, car il serait possible d’évaluer la similitude du régime d’options d’achat d’actions de M. Fink avec celui des employés de SDL en faisant une simple comparaison entre les deux régimes. Cette interprétation restrictive traduit peut-être bien la position de l’ARC, mais elle ne liait pas le juge. En fait, il semble, d’après la lettre datée du 28 octobre 2015 de M. Trueman, que d’autres circonstances sont prises en considération pour décider si un contribuable se trouve dans la même situation que les employés de SDL. M. Trueman a déclaré ce qui suit, après avoir signalé que le ministre du Revenu national avait indiqué que le même traitement serait réservé à tout contribuable se trouvant dans la même situation que les employés de SDL :

[traduction]

On considère qu’une personne se trouve dans la même situation si elle a participé à un régime d’achat d’actions offert par son employeur et que le prix d’achat des actions était inférieur à leur juste valeur marchande à l’époque où la personne s’était inscrite au régime. De plus, on tiendra compte aussi de la situation financière de la personne, ainsi que de sa participation générale au régime d’achat d’actions.

[Souligné dans l’original.]

[10]  En gardant à l’esprit qu’il appartiendra au juge saisi de la demande d’établir si un régime d’achat d’actions et un régime d’options d’achat d’actions équivalent à la [traduction« même situation » et que Mme Laplante a déclaré sous serment qu’elle avait [traduction« consulté les décisions prises dans les dossiers d’autres contribuables » (affidavit daté du 17 février 2016, par. 28) et qu’elle avait [traduction« pris au hasard un échantillon de renseignements dans un tiroir classeur de l’ARC contenant les renseignements relatifs à d’anciens employés de SDL » (affidavit daté du 5 juillet 2016, par. 7), je suis d’avis que le juge n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en concluant que les questions soumises aux déposants en contre-interrogatoire étaient pertinentes d’un point de vue juridique. Les réponses à ces questions pourraient manifestement aider l’intimé à convaincre le juge saisi de la demande qu’il mérite d’être traité de la même manière que l’ont été dans le passé les employés de SDL.

[11]  Pour ce qui est de la question de l’interprétation législative, l’ARC a préconisé une interprétation stricte de l’alinéa 241(3)b) de la LIR et a invité notre Cour à conclure que cette disposition ne s’applique pas en l’espèce, car les décrets de remise, qui constituent un exercice de pouvoir discrétionnaire sous le régime d’un texte de loi distinct (la LGFP), n’ont pas le lien requis avec l’application et l’exécution de la LIR. Il s’agit là d’une démarche restrictive que n’appuie pas l’arrêt de la Cour suprême du Canada Slattery (Syndic de) c. Slattery, [1993] 3 R.C.S. 430, sur lequel le juge s’est fondé. La présente affaire permet d’affirmer qu’il est nécessaire d’adopter une interprétation large pour décider si une communication proposée concerne des instances liées à l’application ou à l’exécution de la LIR. Étant donné que le résultat d’une demande de remise a en fin de compte une incidence sur l’obligation fiscale d’un particulier, il s’ensuit qu’une telle procédure est « rattachée » ou « liée » à l’application ou à l’exécution de la LIR. Par conséquent, le juge n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle et il a interprété correctement la disposition susmentionnée de la LIR.

[12]  Il va sans dire que les renseignements communiqués sont assujettis à la règle de l’engagement implicite, ce qui signifie que les parties à la présente instance sont tenues de considérer les renseignements en question comme confidentiels.

[13]  Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais l’appel, avec dépens.

« Yves de Montigny »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

David Stratas, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

D. G. Near, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-276-16

(APPEL DE L’ORDONNANCE RENDUE PAR LE JUGE MANSON DE LA COUR FÉDÉRALE, LE 21 JUILLET 2016, DANS LE DOSSIER NO T-2032-15.)

INTITULÉ :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. RON FINK

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 avril 2017

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

DATE des motifs :

le 27 avril 2017

COMPARUTIONS :

Margaret McCabe

pour l’appelant

James C. Yaskowich

pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR L’appelant

Felesky Flynn s.r.l.

Avocats

Edmonton (Alberta)

POUR L’INTIMÉ

 

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