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Date : 20170331


Dossier : A-419-15

Référence : 2017 CAF 64

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 

ENTRE :

L’ADMINISTRATION AÉROPORTUAIRE DU GRAND TORONTO

appelante

et

L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA ET DONNA JODHAN

intimés

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 14 septembre 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 31 mars 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER.

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR


Date : 20170331


Dossier : A-419-15

Référence : 2017 CAF 64

CORAM :

LE JUGE PELLETIER.

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 

ENTRE :

L’ADMINISTRATION AÉROPORTUAIRE DU GRAND TORONTO

appelante

et

L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA ET DONNA JODHAN

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

[1]  Le 13 janvier 2014, Mme Donna Jodhan rentrait au Canada en provenance de Trinité‑et‑Tobago à bord d’un vol de la Caribbean Airlines Ltd. (Caribbean Airlines). Même si elle avait demandé des services adaptés d’assistance aux passagers ayant une déficience visuelle, elle a été accueillie par un membre du personnel muni d’un fauteuil roulant. Elle a fait savoir à ce dernier qu’elle avait besoin, non pas d’un fauteuil roulant, mais de l’aide d’une personne au bras de laquelle elle pourrait marcher. Mme Jodhan a attendu 45 minutes avant de recevoir l’assistance dont elle avait besoin pour se rendre au contrôle de l’immigration à l’arrivée (dossier d’appel, p. 15).

[2]  Mme Jodhan a déposé une plainte auprès de l’Office des transports du Canada (l’Office) au sujet de l’absence de services adaptés pour les personnes ayant une déficience. Dans sa plainte, elle a désigné l’Administration aéroportuaire du Grand Toronto (l’AAGT) comme fournisseur de service et seule partie défenderesse. L’AAGT a répondu en demandant à l’Office de rejeter la plainte portée contre elle ou, à titre subsidiaire, de constituer comme défenderesses à l’instance Caribbean Airlines et Servisair Inc. (Servisair), un fournisseur de services aux personnes ayant une déficience qui est lié par contrat à l’AAGT ainsi qu’à Caribbean Airlines. Aux termes de la décision-lettre no LET-AT-A-32-2015 (la décision), l’Office a rejeté la demande de l’AAGT. L’AAGT interjette appel devant la Cour en vue de faire annuler la décision de l’Office.

[3]  Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel, le tout sans dépens.

I.  Les faits

[4]  L’AAGT exploite l’Aéroport international Lester B. Pearson (Pearson), qui est le plus important aéroport du Canada et le cinquième aéroport le plus achalandé en Amérique du Nord. Environ 65 transporteurs aériens desservent l’aéroport Pearson.

[5]  La prestation de services aux personnes ayant une déficience est régie par la partie VII du Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58 (le RTA). Le paragraphe 146(1) du RTA prévoit que la partie VII ne s’applique qu’au service intérieur, mais l’Office a jugé à de nombreuses reprises que, bien que la partie VII du RTA ne s’applique pas directement aux vols internationaux, les principes qui le sous-tendent s’y appliquent, ce qui signifie en pratique que les exigences prévues par le RTA en matière de prestation de services s’appliquent tant aux vols internationaux qu’aux vols intérieurs, du moins pour ce qui est des activités canadiennes des transporteurs aériens internationaux.

[6]  Le paragraphe 147(1) du RTA oblige le transporteur aérien à fournir à la personne ayant une déficience l’assistance dont elle a besoin pour se rendre du comptoir d’enregistrement à son siège passager et de celui-ci à l’aire ouverte au public à l’arrivée. De plus, le paragraphe 147(2) prévoit qu’au moment de la réservation, le transporteur aérien doit décrire sur demande les services qu’il est tenu, aux termes du paragraphe 147(1), de fournir et de s’assurer des services que la personne souhaite recevoir.

[7]  Le régime de prestation de services aux personnes ayant une déficience mis en place à l’aéroport Pearson est énoncé dans les paragraphes suivants, qui sont extraits du mémoire des faits et du droit de l’AAGT avec renvois aux réponses données par l’AAGT à la demande de Mme Jodhan :

[traduction]

13.  À l’aéroport Pearson, les transporteurs aériens participent au Programme d’assistance aux clients de l’aéroport (PACA). Le PACA est un régime de services collaboratifs en vertu duquel les transporteurs aériens concluent chaque contrat avec un fournisseur de services commun qui fournit de l’assistance aux passagers ayant une déficience pour le compte de chacun des transporteurs aériens. Ce modèle de services est courant dans l’industrie aéronautique, car il permet d’offrir un service cohérent, efficace et organisé aux passagers.

Réponse de l’AAGT à la demande, aux paragraphes 11 et 14 [Dossier d’appel, p. 37].

14.  Lors de la période pertinente, les services du PACA étaient fournis par Servisair, une entreprise de services aux passagers, d’assistance en escale et d’autres services aux transporteurs aériens.

15.  Plus précisément, par l’intermédiaire du PACA, Servisair fournissait à l’aéroport Pearson de l’assistance aux personnes ayant une déficience du débarcadère jusqu’à la porte d’embarquement, dans le cas des passagers au départ, et de la porte de leur vol jusqu’au débarcadère, dans le cas des passagers à l’arrivée.

Réponse de l’AAGT à la demande, aux paragraphes 11 et 12 [Dossier d’appel, p. 37].

16.  Lors de la période pertinente, l’AAGT était partie à une entente de services conclue avec Servisair (l’entente de services). Aux termes de cette entente de services, l’AAGT avait accordé à Servisair une licence lui permettant de fournir divers services aux transporteurs aériens pour les passagers ayant besoin d’assistance pour se rendre aux divers terminaux de l’aéroport Pearson. Les services offerts par Servisair comprenaient l’accompagnement des passagers malvoyants vers la porte d’embarquement et depuis celle-ci.

Réponse de l’AAGT à la demande, au paragraphe 13 [Dossier d’appel, p. 37].

17.  L’entente de services stipule que Servisair doit conclure une entente de services distincte avec chacun des transporteurs aériens qui avaient besoin de tels services pour leurs passagers respectifs. Les modalités du service à fournir aux passagers ayant besoin d’assistance étaient confirmées dans les ententes de services conclues avec les transporteurs aériens.

Réponse de l’AAGT à la demande, aux paragraphes 14 et 16 [Dossier d’appel, p. 37 et 38].

18.  Les transporteurs aériens ont conclu de telles ententes de services avec Servisair. L’AAGT n’était pas partie à ces ententes de services.

Réponse de l’AAGT à la demande, aux paragraphes 14 à 16 [Dossier d’appel, p. 36 et 37].

19.  Il incombe au passager, soit directement, soit par l’intermédiaire de son agent de voyage, de demander l’assistance du transporteur aérien dans les 48 heures avant son départ. Une fois cette demande reçue, il incombe au transporteur aérien de veiller à ce que l’assistance soit fournie le jour du vol. Le transporteur aérien doit par conséquent prendre contact avec le centre de régulation de Servisair pour communiquer le nom du passager, les détails du vol et un résumé de l’assistance requise.

Réponse de l’AAGT à la demande, au paragraphe 17 [Dossier d’appel, p. 38].

20.  Il incombait alors à Servisair de rencontrer et d’assister le passager identifié par le transporteur aérien. Servisair fournissait les services du PACA par l’intermédiaire de son propre personnel, qu’il embauchait, formait, supervisait et payait. Les employés de Servisair qui assuraient les services PACA étaient formés de manière à répondre convenablement aux besoins des passagers souffrant de différentes formes de déficiences, y compris les passagers ayant une déficience visuelle.

Réponse de l’AAGT à la demande, au paragraphe 18 [Dossier d’appel, p. 38].

21.  L’AAGT n’a pas reçu de demandes d’assistance de la part de passagers individuels, et elle n’a pas non plus participé à la prise des dispositions susmentionnées.

Réponse de l’AAGT à la demande, au paragraphe 17 [Dossier d’appel, p. 38].

II.  La décision dont il est fait appel

[8]  La réponse de l’Office à la demande de l’AAGT en vue de mettre en cause Caribbean Airlines et Servisair à titre de défenderesses et de faire rejeter la plainte déposée contre elle est résumée ci-après.

[9]  L’Office a d’abord examiné la demande en vue de mettre en cause Caribbean Airlines à titre de défenderesse.

[10]  L’Office a commencé par examiner les réponses données par l’AAGT à l’interrogatoire. L’AAGT a soutenu que c’est Servisair qui est tenue d’offrir l’assistance et les services d’aide aux bagages à l’aéroport Pearson. Elle a expliqué que, conformément à l’entente de services qu’elle avait conclue avec Servisair, cette dernière est investie d’un large mandat aux termes duquel elle devait fournir des [TRADUCTION] « services de soutien opérationnel » aux passagers ayant une déficience, notamment une « perte de la vue ». L’AAGT a également fait observer que l’obligation légale de fournir des services aux passagers ayant une déficience incombait à Caribbean Airlines, laquelle avait retenu les services de Servisair pour s’acquitter de cette obligation. L’AAGT a également affirmé n’avoir joué aucun rôle dans les faits à l’origine de la demande de Mme Jodhan, et n’avoir aucune connaissance de ces faits.

[11]  Après avoir signalé que Caribbean Airlines avait normalement certaines obligations à l’égard de ses passagers ayant une déficience, l’Office a estimé que, dans les circonstances particulières de l’espèce, l’AAGT avait assumé ces obligations. L’Office a cité quatre facteurs pour justifier sa conclusion :

1  [P]our autoriser Caribbean Airlines à exercer ses activités à l’aéroport Pearson, l’AAGT a exigé que Caribbean Airlines signe un contrat en vertu duquel la prestation de tous les services aux passagers ayant une déficience serait confiée à Servisair, et non à Caribbean Airlines.

2  [L]’AAGT dicte, dans un manuel de procédures, les paramètres des services que Servisair fournit aux passagers ayant une déficience. Ce manuel [. . .] comprend le programme de formation du PACA [et] est élaboré de concert avec l’AAGT, et son entretien et sa tenue à jour [sont assurés] conformément aux directives de l’AAGT.

3  Compte tenu de ce qui précède, [. . .] Caribbean n’exerce aucun contrôle sur les services fournis à ses passagers ayant une déficience, ainsi que sur la façon dont ils sont fournis et l’identité des personnes responsables de leur prestation; l’AAGT exerce plutôt ce contrôle de facto. [. . .]

4  [. . .] Caribbean Airlines et l’AAGT relèvent de la compétence de l’Office. Par conséquent, il n’y a aucun risque, même en constatant que l’AAGT a assumé les obligations de Carribean Airlines à l’égard de ses passagers ayant une déficience, que Caribbean Airlines échappe à la surveillance de l’Office.

(Dossier d’appel, p. 9.)

[12]  L’Office, en se fondant sur ces conclusions, a refusé la demande de l’AAGT en vue de constituer Caribbean Airlines comme défenderesse à l’instance.

[13]  En ce qui concerne la participation de Servisair à l’instance intentée par Mme Jodhan, l’Office a jugé qu’un fournisseur de services de transport comme l’AAGT qui exerce ses activités dans le réseau de transport fédéral « ne peut échapper à ses responsabilités réglementaires en mandatant un entrepreneur pour assumer ses obligations » (dossier d’appel, p. 10). L’Office a fondé sa conclusion sur l’article 4 du Règlement sur la formation du personnel en matière d’aide aux personnes ayant une déficience, DORS/94-42 [le Règlement sur la formation], qui dispose :

4 Le transporteur et l’exploitant de terminal doivent s’assurer que, selon leur type d’exploitation, leurs employés et entrepreneurs qui fournissent des services liés au transport et qui peuvent être appelés à transiger avec le public ou à prendre des décisions concernant le transport des personnes ayant une déficience reçoivent une formation adaptée aux besoins de leurs fonctions [. . .]

4 Every carrier and terminal operator shall ensure that, consistent with its type of operation, all employees and contractors of the carrier or terminal operator who provide transportation-related services and who may be required to interact with the public or to make decisions in respect of the carriage of persons with disabilities receive a level of training appropriate to the requirements of their function…

[14]  L’Office en a conclu que l’AAGT était tenue de veiller à ce que ses entrepreneurs aient suivi la formation adéquate et offrent l’assistance requise aux personnes ayant une déficience. L’Office a par conséquent conclu que la participation de Servisair à l’instance n’était pas nécessaire au règlement du différend.

III.  Analyse

[15]  La norme de contrôle applicable à l’interprétation et à l’application, par l’Office, de sa législation habilitante, y compris des questions concernant les droits de la personne, comme celles que soulève la présente espèce, est celle de la décision raisonnable (Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, par. 100, [2007] 1 R.C.S. 650 (VIA Rail)). La norme de la décision raisonnable est présumée être la norme de contrôle applicable, sauf si la question en litige fait partie de certaines exceptions limitées, notamment de « questions touchant véritablement à la compétence » (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, par. 30, [2011] 3 R.C.S. 654). Les questions d’interprétation contractuelle soulèvent des questions mixtes de fait et de droit qui sont assujetties à la norme de la décision raisonnable (Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, par. 50-55, [2014] 2 R.C.S. 633). En règle générale, les tribunaux administratifs jouissent d’une grande latitude lorsqu’il s’agit de définir leur propre procédure et de l’appliquer (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 27, 1999 CanLII 699; VIA Rail, au paragraphe 231).

[16]  Il est utile de rappeler que l’Office était saisi de la question de savoir si Caribbean Airlines et Servisair pouvaient être mises en cause à titre de défenderesses à l’égard de la plainte de Mme Jodhan. En règle générale, pour décider si des parties peuvent être mises en cause ou hors cause il faut se demander si leur présence est nécessaire au règlement des questions en litige. Il semble que ce soit le critère que l’Office ait invoqué pour statuer que « la participation de Caribbean n’est pas nécessaire au règlement du différend » (dossier d’appel, p. 10).

[17]  À cette étape-ci, on ignore la raison pour laquelle Mme Jodhan n’a pas reçu l’assistance demandée. Il est à mon avis prématuré de conclure que le problème émane des politiques dont l’AAGT semble être tenue responsable. Il se peut qu’il se trouve dans le simple mécanisme de la prestation des services.

[18]  On se souviendra que, suivant la plainte de Mme Jodhan, elle a été accueillie à son arrivée par un fournisseur de services qui n’était pas équipé pour lui fournir les services qu’elle avait demandés. Le fait qu’une assistance ait été offerte, même s’il ne s’agissait pas du bon type d’assistance, signifie nécessairement qu’il y a eu une demande de services de la part de Mme Jodhan, ou pour elle, auprès de l’AAGT, de Caribbean Airlines ou de Servisair. Par ailleurs, il est probable que des communications aient été échangées entre l’AAGT ou Caribbean et Servisair.

[19]  L’absence d’aide adaptée à la suite de ces communications s’explique peut-être par de mauvaises politiques ou par une formation inadéquate, mais elle résulte peut-être aussi simplement de quelque chose d’aussi banal qu’une erreur, l’indifférence ou la négligence de l’employé concerné. Elle s’explique peut-être aussi par une surveillance inadéquate de la part du supérieur immédiat de cet employé. Autrement dit, la responsabilité de l’erreur peut incomber au membre du personnel qui a fourni le service inadéquat ou relever davantage des responsables de l’élaboration des politiques. Il incombe à l’Office d’examiner la preuve et de tirer les conclusions de fait qui s’imposent.

[20]  En refusant de constituer Caribbean Airlines ou Servisair comme défenderesses, l’Office a rendu sa tâche plus difficile et a imposé à l’AAGT un fardeau qu’elle n’aurait pas eu si Caribbean Airlines et Servisair avaient la possibilité de défendre leur point de vue.

[21]  L’AAGT affirme qu’en agissant ainsi, l’Office a contrevenu à son droit à l’équité procédurale en refusant de constituer Caribbean Airlines et Servisair comme parties. À mon avis, cet argument est prématuré (Canada (Agence des services frontaliers) c. C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61, par. 30 à 32, [2011] 2 R.C.F. 332). La façon dont l’Office décide de procéder (ordonner la tenue d’une audience ou rendre sa décision sur dossier) aura ou non une incidence sur la faculté de l’AAGT de faire valoir son point de vue. Il est certes loisible à l’AAGT de parler à ses partenaires contractuels et elle aura vraisemblablement la capacité de présenter leur preuve à l’Office d’une façon ou d’une autre. Sans connaître la décision au fond de l’Office et les motifs qu’il exposera à l’appui de celle-ci, il est prématuré de se demander si le droit de l’AAGT à l’équité procédurale a été enfreint.

[22]  L’appel de l’AAGT porte sur le fait que l’Office lui a imposé des obligations de services qui, selon elle, ne sont pas prévues par la législation en la matière. L’Office a tiré sa conclusion en ce qui a trait aux obligations de services de l’AAGT en partie au vu des contrats conclus par l’AAGT avec Caribbean Airlines et Servisair. L’Office a conclu qu’en obligeant Caribbean Airlines à recourir à Servisair comme fournisseur de services aux personnes ayant une déficience et en déterminant les normes de service dans son manuel de procédures, l’AAGT avait assumé les obligations de Caribbean Airlines.

[23]  Il s’agit d’une conclusion de fait et de droit qui ne peut être contestée dans le cadre du présent appel. Le paragraphe 41(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10, prévoit que les actes — décision, arrêté, règle ou règlement — de l’Office ne sont susceptibles d’appel devant notre Cour que sur une question de droit ou de compétence. Comme nous l’avons déjà fait observer, la Cour suprême a récemment jugé que l’interprétation des contrats, que l’on assimilait depuis longtemps à une question de droit, est une question mixte de fait et de droit. L’AAGT ne peut donc contester devant notre Cour l’interprétation par l’Office de ses contrats.

[24]  L’Office a également fondé sur son interprétation du Règlement sur la formation sa conclusion selon laquelle l’AAGT était chargée de fournir des services aux personnes ayant une déficience. Ayant pris connaissance de l’article 4 du Règlement sur la formation, l’Office écrit : « les exploitants de terminaux sont responsables de s’assurer que le personnel contractuel a suivi la formation appropriée pour fournir des services aux personnes ayant une déficience […] » (dossier d’appel, à la page 10). L’AAGT interprète ce passage comme une conclusion selon laquelle ses employés sont responsables de fournir l’assistance requise aux personnes ayant une déficience. Or, lorsqu’on lit le passage précité à la lumière de l’article 4 du Règlement sur la formation, on peut aussi en conclure que les exploitants d’aérogares sont tenus de fournir un degré de formation adéquat à toutes les personnes qui fournissent des services en matière de transport aux personnes ayant une déficience.

[25]  Comme l’Office n’a pas tranché la plainte de Mme Jodhan au fond, nous ne sommes pas en mesure de lever l’ambiguïté concernant son interprétation de l’article 4. Cela dit, je ne suis pas convaincu que l’Office a effectivement véritablement interprété le Règlement sur la formation. La Cour suprême du Canada nous enseigne que, pour interpréter une loi, on doit tenir compte du texte, du contexte et de l’objet de la mesure (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21, 1998 CanLII 837). Dans le cas qui nous occupe, l’Office a simplement énoncé une conclusion qui semble s’imposer d’elle-même au vu des termes du Règlement sur la formation. Avant de m’en remettre à l’interprétation que l’Office a faite de sa loi habilitante, j’estime qu’il n’est pas déraisonnable de lui demander de procéder à cette tâche, de la manière prescrite par la Cour suprême du Canada.

[26]  Par conséquent, je suis d’avis que l’interprétation que l’Office a faite du Règlement sur la formation n’est qu’une conclusion provisoire tirée pour les besoins de la requête interlocutoire en l’espèce. Cette conclusion ne devrait pas être considérée comme un énoncé définitif des obligations des exploitants d’aéroports en ce qui a trait aux services offerts aux personnes ayant une déficience.

[27]  Enfin, l’AAGT soutient que la conclusion de l’Office quant à ses obligations en matière de prestation de services aux personnes ayant une déficience équivaut à la modification illégale d’un règlement par le biais d’une instance décisionnelle. J’estime que l’argument de l’AAGT sur ce point est également prématuré. Une fois que l’Office aura examiné les éléments de preuve qui lui ont été présentés sur les questions de fond et qu’il se sera penché sur l’interprétation du Règlement sur la formation conformément aux enseignements de la Cour suprême, il se peut que les réserves de l’AAGT s’évanouissent. Dans l’intervalle, la Cour devrait permettre que l’instance introduite devant l’Office se déroule sans ingérence.

IV.  Conclusion

[28]  Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis de rejeter l’appel. Étant donné que Mme Jodhan et l’Office ont demandé qu’il n’y ait ni adjudication de dépens, ni condamnation à ces derniers, je ne rends aucune ordonnance en matière de dépens.

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

« Je suis d’accord

Wyman W. Webb, j.c.a. »

« Je suis d’accord

D.G. Near, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

 

A-419-15

 

INTITULÉ :

L’ADMINISTRATION AÉROPORTUAIRE DU GRAND TORONTO c. L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA et DONNA JODHAN

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 SEPTEMBRE 2016

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :

 

 

LE 31 MARS 2017

COMPARUTIONS :

John D. R. Craig

Christopher D. Pigott

 

POUR L’AppelantE,

L’ADMINISTRATION AÉROPORTUAIRE DU GRAND TORONTO

 

Andray Renaud

 

POUR L’INTIMÉ,

l’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA 

 

Anthony Tibbs

 

POUR L’INTIMÉE,

DONNA JODHAN

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

FASKEN MARTINEAU DuMOULIN, s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR L’AppelantE,

L’ADMINISTRATION AÉROPORTUAIRE DU GRAND TORONTO

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L’INTIMÉ,

L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

 

Merchant Law Group LLP

Regina (Saskatchewan)

POUR L’INTIMÉE,

DONNA JODHAN

 

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