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Date : 2017-02-07


Dossier : A-44-16

Référence : 2017 CAF 26

CORAM :

LE JUGE SCOTT

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

GANDHI JEAN PIERRE

appelant

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION CANADA)

intimé

Audience tenue à Montréal (Québec), le 12 janvier 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 février 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE SCOTT

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20170207


Dossier : A-44-16

Référence : 2017 CAF 26

CORAM :

LE JUGE SCOTT

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

GANDHI JEAN PIERRE

appelant

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION CANADA)

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SCOTT

I.  Contexte

[1]  Monsieur Gandhi Jean Pierre (l’appelant) se pourvoit en appel à l’encontre d’un jugement de la Cour fédérale (2015 CF 1423) rendu le 29 décembre 2015 par le Juge Gascon (le Juge) qui rejetait sa demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission). Cette dernière a conclu, le 29 août 2014, que la plainte de discrimination logée par l’appelant contre son employeur, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), était irrecevable aux termes de l’alinéa 41(1)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, c. H-6 (la Loi) puisque déposée hors délai.

II.  Les représentations de l’appelant

[2]  L’appelant prétend que le Juge a erré en concluant que la Commission avait la discrétion de refuser d’enquêter sur sa plainte puisque celle-ci avait été déposée plus d’un an après la survenance des derniers faits sur lesquels elle était fondée. Il soutient également que la Commission n’a pas respecté l’équité procédurale dans le traitement de sa plainte et qu’elle a violé sa liberté d’expression garantie par la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11 (la Charte).

[3]  Dans sa formule de plainte reçue par la Commission le 9 juillet 2013, l’appelant affirme avoir été victime d’actes discriminatoires de la part de son employeur, dont certains survenus dans le cadre d’un processus d’embauche, qui se seraient produits entre les mois de juin 2005 et mai 2012. Il affirme que le dernier fait discernable est survenu le 25 mai 2012 alors qu’il a reçu certains documents, obtenus à la suite d’une demande d’accès à l’information, illustrant des propos discriminatoires qui auraient eu un effet préjudiciable sur ses chances de succès dans le processus d’embauche.

[4]  Bien que sa plainte n’ait été déposée, dans un format acceptable, que le 9 juillet 2013, l’appelant soutient qu’elle aurait dû être reçue par la Commission au moment où il l’a acheminée pour la première fois (quoique dans une forme irrecevable) le 23 mai 2013. Dans la mesure où le dernier des faits sur lesquels sa plainte est fondée s’est produit le 25 mai 2012, sa plainte aurait donc été déposée dans le délai d’un an prescrit par la Loi.

[5]  Subsidiairement, il allègue que son retard s’explique du fait qu’il a souffert de deux dépressions sévères qui l’ont empêché de déposer sa plainte plus tôt. Selon lui, la Commission aurait dû en tenir compte. De plus, il plaide que son état de santé aurait eu pour effet d’interrompre la prescription au sens de l’article 2904 du Code civil du Québec, R.L.R.Q. c. C-1991 (C.c.Q.).

III.  La décision contestée

[6]  Le Juge a conclu que la décision de la Commission de rejeter la plainte de l’appelant pour cause de retard, aux termes de l’alinéa 41(1)e) de la Loi, n’était pas déraisonnable, cette décision faisant partie des issues acceptables au regard des faits et du droit. De plus, le Juge s’est penché sur l’allégué de l’appelant voulant qu’il y ait eu manquement à l’obligation d’équité procédurale. Il a déterminé que le fait de limiter l’appelant à dix pages pour faire valoir ses observations écrites à la Commission ne constituait pas un manquement à l’équité procédurale, et ce, contrairement aux arguments de l’appelant. Il a de plus souligné que la Commission avait avisé l’appelant de façon claire, par écrit, de la procédure à suivre pour faire valoir sa position concernant l’application des alinéas 41(1)a), d) et e) de la Loi.

[7]  L’argument de l’appelant voulant que la procédure établie par la Commission constitue une violation de sa liberté d’expression fut également rejeté par le Juge. Ce dernier s’est appuyé sur la jurisprudence de cette Cour et de la Cour suprême du Canada qui énonce que le droit à l’équité procédurale demeure assujetti à l’autorité du tribunal qui est maître de sa procédure. Il s’ensuit qu’il ne peut y avoir violation de la liberté d’expression, la procédure de la Commission au niveau de la recevabilité d’une plainte ayant été jugée conforme à l’équité procédurale.

[8]  Le Juge a permis le dépôt d’éléments de preuve supplémentaires qui portaient sur l’état de santé mentale de l’appelant à la lumière de son allégué de manquement à l’équité procédurale (Dossier de l’appelant, Vol. 1, pièces CF 18, CF 19, et CF 21). Il a conclu que ces documents reprenaient essentiellement ce que l’appelant avait fait valoir dans ses lettres des 24 septembre 2013 et 9 juin 2014 et que la Commission en avait tenu compte.

IV.  La norme de contrôle

[9]  Siégeant en appel d’une décision de la Cour fédérale qui a rejeté une demande de contrôle judiciaire, notre Cour doit déterminer si le Juge a choisi la norme de contrôle appropriée et s’il l’a appliquée correctement (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 aux paragraphes 45 à 47). Notre Cour doit se substituer au Juge et se concentrer sur la décision de la Commission.

V.  Analyse

[10]  Je suis d’avis que le Juge n’a commis aucune erreur révisable en adoptant et en appliquant la norme de la décision raisonnable à la décision de la Commission de rejeter la plainte de l’appelant aux termes de l’alinéa 41(1)e) de la Loi et la norme de la décision correcte à la question d’équité procédurale soulevée par l’appelant.

[11]  Cet appel ne soulève aucun motif justifiant l’intervention de cette Cour puisque la décision de la Commission de ne pas enquêter sur la plainte de l’appelant faisait partie des issues possibles et acceptables.

[12]  D’une part, comme l’a souligné l’analyste de la Commission dans son rapport, la lettre du 23 mai 2013 transmise par l’appelant à la Commission ne dévoilait pas les éléments essentiels de la plainte, et ce, contrairement aux paragraphes 9.2 (f), (g), (h), et (i) des Procédures opérationnelles de règlement des différends de la Commission canadienne des droits de la personne (Dossier de l’appelant, Vol. 1, pièce CF 8, p. 165, http://www.chrc-ccdp.gc.ca/fra/content/procedures-operationnelles-de-reglement-des-differends). L’appelant n’a pas fourni de description des événements qui ont donné lieu à la plainte, notamment leurs dates et lieux, ni les motifs de distinction illicite. Dans ces circonstances, il était loisible à la Commission de considérer que cette première communication n’avait pas été transmise par l’appelant dans une forme acceptable pour constituer le dépôt d’une plainte et marquer le point de départ de la computation du délai de prescription.

[13]  D’autre part, la Commission pouvait également retenir la date du dernier fait discriminatoire comme s’étant produit en octobre 2011, et non le 25 mai 2012, soit la date de réception des documents par l’appelant à la suite de sa demande d’accès à l’information. Cette conclusion de la Commission s’appuie sur les éléments de preuve au dossier qui faisaient état, entre autres, des recours intentés par l’appelant avant le 25 mai 2012, soit la date du dépôt de griefs contre CIC suite aux agissements allégués de ses supérieures, mesdames Giroux et Cléments, qu’il considérait comme étant discriminatoires, et suite aux recours supplémentaires intentés devant le Tribunal de la dotation de la fonction publique dans le cadre d’un processus d’embauche auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada. La réception des documents, en mai 2012, constitue tout au plus une confirmation additionnelle de l’existence d’actes posés par Mesdames Giroux et Clément que l’appelant a qualifiés de discriminatoires.

[14]  Par conséquent, la Commission pouvait conclure que la plainte déposée le 9 juillet 2013 était hors délai. En fait, même si la Commission avait retenu la date du 25 mai 2012 comme étant celle du dernier fait discriminatoire, le dépôt de la plainte le 9 juillet 2013 aurait quand même été tardif.

[15]  De plus, il est clairement établi en jurisprudence qu’un tribunal administratif est maître de sa procédure (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 au paragraphe 27, 174 D.L.R. (4th) 193; Canada (Procureur général) c. Sketchley, 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392 au paragraphe 119). La Commission n’a commis aucun manquement à l’équité procédurale en appliquant sa procédure voulant que les observations écrites d’un plaignant sur le rapport de l’analyste de la Commission soient limitées à dix pages. Je constate également que l’appelant a bénéficié de l’occasion de présenter ses observations avant et après le dépôt de la version finale du rapport de l’analyste à la Commission et qu’il a pu y faire valoir ses arguments les plus percutants.

[16]  Par ailleurs, il n’appartient pas à cette Cour de considérer à nouveau la valeur probante accordée à certains éléments de preuve. En l’occurrence, la Commission n’a pas erré en concluant que l’appelant n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour établir que son état de santé mentale l’avait réellement empêché de déposer sa plainte à l’intérieur du délai prescrit par la Loi. En effet, les attestations médicales déposées démontrent tout au plus que l’appelant aurait été dans un état d’incapacité pendant une période de trois mois, entre le mois d’octobre 2011 et le mois de mai 2014. Enfin, l’appelant n’a jamais allégué, en termes clairs devant la Commission, qu’il s’appuyait sur l’article 2904 du C.c.Q. pour faire valoir l’interruption de la prescription. La Commission n’avait donc pas à en tenir compte.

[17]  Notre Cour a déjà déterminé que le refus de la Commission d’entendre une plainte hors délai était inattaquable (Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 R.C.F. 113, 1998 CarswellNat 2203 au paragraphe 40). De plus, dans Richard c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 292, 410 N.R. 145 au paragraphe 19, la Cour a affirmé, en interprétant l’alinéa 41(1)e) de la Loi, que: « [L]es délais de prescription, de par leur nature même, emportent que des demandeurs peuvent être privés de leur recours par l’écoulement du temps ».

[18]  Enfin, tout comme le Juge, je ne peux souscrire à l’argument de l’appelant voulant qu’il y ait eu atteinte à sa liberté d’expression, droit qui est garanti par la Charte. La jurisprudence de notre Cour énonce clairement que la procédure mise en place par la Commission portant sur la recevabilité d’une plainte ne contrevient pas à l’équité procédurale. Il s’ensuit que cette procédure ne peut enfreindre le droit à la liberté d’expression.

[19]  La Cour a pris note des observations de l’avocate de l’intimé présentées à l’audition voulant que l’intitulé de cause soit modifié. Je constate par ailleurs que le Juge en a discuté aux paragraphes 27 et 28 de ses motifs et traité dans le dispositif de son jugement. Il n’y a donc pas lieu d’y revenir.

[20]  Conséquemment, je propose que cet appel soit rejeté avec dépens établis à la somme de 2000 $ incluant les taxes et débours.

« A.F. Scott »

j.c.a.

«Je suis d’accord.

Richard Boivin, j.c.a.»

«Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a.»


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-44-16

APPEL D’UN JUGEMENT DU JUGE GASCON DE LA COUR FÉDÉRALE, DATÉ DU 29 DÉCEMBRE 2015, NO DE DOSSIER 2016 CF 1423.

INTITULÉ :

GANDHI JEAN PIERRE c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION CANADA)

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 janvier 2017

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE SCOTT

 

Y ONT SOUCRIT :

lE jUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 février 2017

 

 

COMPARUTIONS :

Gandhi Jean Pierre

se représentant seul

 

Pour l'appelant

 

Chantal Labonté

 

Pour l'intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

Pour l'intimé

 

 

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