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Date : 20161130


Dossier : A-49-16

Référence : 2016 CAF 306

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE BOIVIN

 

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

MATHIEU L'ESPÉRANCE

intimé

Audience tenue à Montréal (Québec), le 30 novembre 2016.

Jugement rendu à l’audience à Montréal (Québec), le 30 novembre 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LA JUGE TRUDEL

 


Date : 20161130


Dossier : A-49-16

Référence : 2016 CAF 306

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE BOIVIN

 

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

MATHIEU L'ESPÉRANCE

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Montréal (Québec), le 30 novembre 2016.)

LA JUGE TRUDEL

[1]               Le Procureur général du Canada (ou l’appelant) se pourvoit en appel d’un jugement de la Cour fédérale (2016 CF 19) accueillant la demande de contrôle judiciaire de l’intimé à l’encontre d’une décision rendue par le président indépendant du tribunal disciplinaire de l’établissement carcéral Drummond.

[2]               Alors qu’il était détenu au pénitencier Drummond, l’intimé a été trouvé coupable d’une infraction disciplinaire, soit d’avoir eu en sa possession, sans autorisation préalable, les ingrédients nécessaires à la fabrication d’alcool frelaté, plus particulièrement quatre gallons d’un liquide prêt à être fermenté (alinéa 40(j) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, c. 20).

[3]               Avant même la remise du rapport d’infraction et de l’avis d’accusation, l’intimé s’est présenté au centre de soins de l’établissement requérant l’isolement préventif volontaire. Il a alors informé les autorités du pénitencier qu’il avait été contraint d’accepter, suite à la visite de deux co-détenus, que sa cellule serve à la fabrication d’alcool en échange de la réduction d’une dette qu’il avait encourue dans un autre établissement carcéral. Il craignait, disait-il, pour sa sécurité physique.

[4]               Lors de son audition disciplinaire, l’intimé a reconnu avoir été en possession du mélange liquide prohibé, puis il a soulevé la contrainte comme moyen de défense, mais en vain. Le président indépendant a trouvé l’intimé coupable hors de tout doute raisonnable de l’infraction visée à l’avis d’accusation.

[5]               L’intimé a demandé le contrôle judiciaire de la décision alléguant que le tribunal indépendant avait commis des erreurs dans l’analyse de son moyen de défense. Une juge de la Cour fédérale lui a donné raison. Nous sommes d’avis que la Cour fédérale a eu tort d’ainsi conclure et que cet appel doit être accueilli.

[6]               Dans son jugement, fort étoffé par ailleurs, jamais la Juge ne s’interroge sur la norme de contrôle applicable en l’instance. C’est ici, selon nous, qu’elle a emprunté le mauvais chemin en révisant la décision du président indépendant davantage sous la norme de la décision correcte que sous celle de la raisonnabilité. Les décisions du président indépendant portant sur des questions mixtes de fait et de droit méritent déférence de la part de la cour siégeant en révision judiciaire (Swift c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1143, aux paragraphes 31-33, affirmé par Swift c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 43, au paragraphe 2; Breton c. Canada (Procureur général), 2016 CF 76, au paragraphe 34). Ainsi, les conclusions du président indépendant en rapport avec une règle de common law - ici la défense de contrainte soulevée par l’intimé - seront maintenues si elles sont raisonnables et qu’elles trouvent assise dans la preuve acceptée par lui.

[7]               À notre avis, la Juge n’aurait pu intervenir si elle avait analysé la décision du tribunal indépendant selon la norme raisonnable, tel qu’elle devait le faire.

[8]               Dans l’affaire R. c. Ryan, 2013 CSC 3, [2013] 1 R.C.S. 14 [Ryan], la Cour Suprême du Canada énonce les six éléments constitutifs de la défense de contrainte en common law. C’est le troisième élément qui nous intéresse en l’espèce, soit celui qui dicte qu’il ne doit exister « aucun moyen de s’en sortir sans danger » (au paragraphe 81).

[9]               Selon l’intimé, le président indépendant aurait omis d’apprécier cet élément selon la norme objective modifiée en se demandant « si une personne raisonnable se trouvant dans une situation similaire à l’intimé et possédant les mêmes caractéristiques personnelles et la même expérience que lui conclurait qu’il n’existe aucun moyen de s’en sortir sans danger » (mémoire des faits et du droit de l’intimé au paragraphe 33). De plus, le président indépendant aurait erré en ne procédant pas à l’analyse des trois derniers critères. Nous ne sommes pas d’accord.

[10]           Le président indépendant a raisonnablement appliqué la norme objective modifiée à la conduite de l’intimé. L’intimé connaissait la solution, mais l’a ignorée au moment où il a été contraint d’enfreindre les règles de l’établissement en gardant dans sa cellule le mélange liquide prohibé. Le président indépendant a conclu que l’intimé savait qu’il pouvait en parler et qu’il pouvait demander protection puisque c’est exactement ce qu’il a fait, une fois la saisie effectuée.

[11]           Tel qu’énoncé au paragraphe 65 dans Ryan, « [s]i une personne raisonnable se trouvant dans une situation similaire aurait estimé qu’il existait un moyen de s’en sortir sans danger, l’exigence n’est pas satisfaite » [emphase dans l’original]. En l’espèce, c’est ce que le président indépendant a conclu après avoir examiné la conduite de l’intimé selon la norme prescrite.

[12]           Une fois cette conclusion tirée, le président indépendant n’avait plus à poursuivre son analyse pour considérer les trois derniers éléments de la défense de contrainte. On ne saurait lui reprocher cette omission. Il était par ailleurs convaincu, hors de tout doute raisonnable, que l’intimé avait commis l’infraction reprochée. Ainsi, il n’y a pas lieu pour notre Cour d’intervenir.

[13]           En conséquence, cet appel sera accueilli; la décision de la Cour fédérale sera infirmée; et, rendant la décision que la Cour fédérale aurait dû rendre, la demande de contrôle judiciaire de l’intimé à l’encontre de la décision du tribunal disciplinaire de l’établissement Drummond sera rejetée avec dépens devant les deux Cours.

« Johanne Trudel »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-49-16

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. MATHIEU L'ESPÉRANCE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 novembre 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE BOIVIN

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE :

LA JUGE TRUDEL

 

COMPARUTIONS :

Virginie Harvey

 

Pour l'appelant

 

Dominique Guimond

POUR L’APPELANT

Pierre Tabah

 

Pour l'intimé

 

Julie Durocher

POUR L’INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour l'appelant

 

LABELLE, CÔTÉ, TABAH ET ASSOCIÉS

St-Jérôme (Québec)

 

Pour l'intimé

 

 

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