Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20161104


Dossier : A-514-15

Référence : 2016 CAF 268

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

TANIA ZULKOSKEY

appelante

et

CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL)

intimé

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 15 septembre 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 4 novembre 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NEAR

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE WEBB

 


Date : 20161104


Dossier : A-514-15

Référence : 2016 CAF 268

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

TANIA ZULKOSKEY

appelante

et

CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL)

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NEAR

I.                    Introduction

[1]               L'appelante, Tania Zulkoskey, interjette appel de la décision rendue le 29 octobre 2015 par la Cour fédérale (2015 CF 1196), par laquelle le juge a rejeté sa demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) de ne pas statuer sur sa plainte parce qu'elle était vexatoire au sens de l'alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H‑6 (la LCDP).

II.                 Exposé des faits

[2]               L'appelante et son époux ont payé des cotisations d'assurance-emploi (AE) durant de nombreuses années. L'appelante a donné naissance à des jumeaux le 10 juillet 2009. Étant donné les soins qu'exigeaient les jumeaux, l'appelante et son époux ont chacun demandé 35 semaines de prestations parentales de l'AE. La demande de l'époux a été accordée. La Commission de l'AE a rejeté la demande de l'appelante au motif que son époux avait déjà reçu la totalité des prestations parentales autorisées en vertu de la Loi sur l'assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi sur l'AE). La Loi sur l'AE accorde une seule période de prestations parentales par grossesse.

[3]               L'appelante a interjeté appel de la décision de la Commission de l'AE auprès du Conseil arbitral et ensuite auprès du juge‑arbitre. Il s'agissait de déterminer si l'appelante avait droit aux prestations parentales de l'AE. Avec le consentement des parties, l'appel de l'appelante auprès du juge‑arbitre a été mis en suspens jusqu'à l'issue de l'affaire Martin c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 15, [2014] 3 R.C.F. 117 (Martin), dans laquelle le père de jumelles avait interjeté appel du refus de sa demande d'une seconde série de prestations parentales, qui s'ajouteraient à celles que recevait déjà son épouse. L'appelante avait initialement proposé que la décision dans Martin la lie, mais, en définitive, le sursis a été accordé sans condition.

[4]               Dans Martin, notre Cour a établi que la Loi sur l'AE prévoit 35 semaines de prestations parentales par grossesse ou par adoption et non 35 semaines de prestations par enfant. En outre, notre Cour a jugé que le régime de prestations parentales ne fait pas de distinction illicite fondée sur la situation de famille et qu'il ne violait donc pas le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). La Cour suprême du Canada a rejeté la demande d'autorisation d'appel le 27 juin 2013 (Martin c. Canada (Procureur général), [2013] C.S.C.R. no 122 (QL)).

[5]               Tous les appels que le juge‑arbitre devait entendre et qui avaient été mis en suspens en attendant l'issue de l'affaire Martin ont été transférés à la division d'appel du Tribunal de la sécurité sociale (DA‑TSS). La DA‑TSS a rejeté par la suite tous ces appels, notamment celui de l'appelante. La DA‑TSS a affirmé que l'arrêt Martin réglait tous les aspects de la question des prestations parentales et des grossesses à enfants multiples, y compris la contestation constitutionnelle de la Loi sur l'AE (D.A., onglet 6(g), pages 283 et 284, paragraphes 7 et 8). L'appelante n'a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision de la DA‑TSS.

[6]               L'appelante a déposé une plainte auprès de la Commission en alléguant que la restriction « par grossesse » du régime de prestations parentales de l'AE était discriminatoire à son endroit en raison de sa situation familiale.

[7]               La Commission a demandé à l'appelante de présenter une lettre qui expliquerait pourquoi la Commission ne devrait pas appliquer l'alinéa 41(1)d) de la LCDP pour rejeter sa plainte. La Commission a affirmé [TRADUCTION] qu'« il s'agit de déterminer si la plainte [de l'appelante] est vexatoire » étant donné que les allégations en matière de droits de la personne [TRADUCTION] « peuvent avoir déjà été l'objet d'une décision dans une autre instance » (D.A., onglet 5(a), pages 46 à 49).

[8]               La Commission a fait préparer un rapport portant sur les articles 40 et 41 afin de déterminer si la plainte de l'appelante était vexatoire au sens de l'alinéa 41(1)d) et de faire une recommandation à la Commission à ce sujet (D.A., onglet 6(l), pages 296 à 298 et 304, paragraphes 4, 8 à 16 et 66). Le rapport a relevé les facteurs relatifs au caractère vexatoire, a résumé les lettres exposant les thèses des parties, a résumé l'arrêt Martin et a comparé les critères juridiques applicables à la LCDP et à la Charte. Le rapport a recommandé à la Commission de ne pas donner suite à la plainte de l'appelante puisque l'autre instance de l'appelante [TRADUCTION] « abordait dans l'ensemble les allégations de discrimination » (D.A., onglet 6(l), page 309, paragraphe 98). Chaque partie a répondu au rapport et s'est prévalue de la possibilité de répondre aux observations présentées par l'autre partie.

[9]               La Commission a finalement décidé de ne pas donner suite à la plainte de l'appelante en application de l'alinéa 41(1)d) de la LCDP. Elle a adopté la conclusion du rapport concernant les articles 40 et 41. La Commission a conclu que la DA‑TSS s'était appuyée sur l'arrêt Martin pour rejeter l'appel de l'appelante portant sur la Loi sur l'AE et que les allégations de discrimination de l'appelante étaient essentiellement les mêmes que celles sur lesquelles notre Cour s'était prononcée dans l'arrêt Martin, même si les allégations de discrimination dans cet arrêt concernaient l'article 15 de la Charte (D.A., onglet 4, pages 38 et 39).

[10]           L'appelante demande le contrôle judiciaire de la décision prise par la Commission de ne pas donner suite à la plainte en matière de droits de la personne au motif que cette décision est déraisonnable et que la Commission a manqué à son devoir d'équité procédurale.

III.               La décision de la Cour fédérale

[11]           Le juge de la Cour fédérale a appliqué la norme de la décision raisonnable pour examiner la décision prise par la Commission de ne pas donner suite à la plainte de l'appelante. Il a conclu qu'il convenait d'accorder à la Commission « un degré de déférence accru » et de lui laisser une « grande marge de manœuvre », puisqu'elle a pris une décision discrétionnaire fondée sur des considérations de faits et de politiques (motifs, aux paragraphes 26 et 27). Le juge a déterminé que le rapport sur les articles 40 et 41 avait fait erreur en concluant que la DA‑TSS avait statué de manière définitive sur les allégations de discrimination de l'appelante. Il a conclu que l'appelante n'avait pas soulevé de questions en matière de droits de la personne avant d'avoir déposé sa plainte portant sur la LCDP et que les procédures de la DA‑TSS n'avaient abordé que l'interprétation des dispositions pertinentes de la Loi sur l'AE (motifs, au paragraphe 56). Le juge a conclu, toutefois, que le fait que la Commission se soit fondée sur l'arrêt Martin étayait sa décision de ne pas donner suite à la plainte de l'appelante. Selon le juge, même si l'arrêt Martin concernait un autre plaignant, la décision rendue est telle que les faits et les arguments sous‑jacents de l'appelante ont été tranchés « d'une manière qui exclut toute chance de gain de cause dans son cas » (motifs, au paragraphe 65).

[12]           Le juge a déterminé que la norme de contrôle à appliquer en matière d'équité procédurale était la norme de la décision correcte. Selon les facteurs énumérés dans l'arrêt Baker, il convenait d'accorder à l'appelante un degré moindre d'équité procédurale (motifs, au paragraphe 42). Le juge a conclu que la Commission avait avisé l'appelante de ce qu'elle examinerait pour décider de donner suite à la plainte ou non et a amplement permis à l'appelante de présenter ses observations. Le juge a conclu que le rapport sur les articles 40 et 41 sur lequel la Commission a fondé sa décision était neutre et suffisamment étoffé, qu'il résumait avec exactitude les observations des parties et qu'il examinait exhaustivement les facteurs pour statuer sur le caractère vexatoire de la plainte (motifs, aux paragraphes 43 à 45).

IV.              Les questions en litige

[13]           Je formulerais comme suit les questions en litige :

1.         Quelle est la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à la décision prise par la Commission de ne pas donner suite à la plainte de l'appelante?

2.         La décision de la Commission de ne pas donner suite à la plainte de l'appelante était‑elle raisonnable?

3.         La décision de la Commission de ne pas donner suite à la plainte de l'appelante était‑elle équitable sur le plan procédural?

V.                 Analyse

A.                 La norme de contrôle

[14]           Lors d'un appel d'une demande de contrôle judiciaire, notre Cour doit décider si le juge a choisi la norme de contrôle qui convient et s'il a convenablement appliqué cette norme. Ce faisant, notre Cour se met « à la place » du juge de la Cour fédérale : voir l'arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 à 47.

[15]           Les parties ont convenu que la norme de la décision raisonnable devrait s'appliquer à la décision de la Commission de ne pas donner suite à la plainte de l'appelante. Même si leur entente ne me lie pas, je reconnais que les parties ont choisi la norme de contrôle qui convient : voir Bergeron c. Procureur général du Canada, 2015 CAF 160, au paragraphe 40 (Bergeron). Les parties ont consacré beaucoup d'efforts à présenter des arguments pour faire soit augmenter, du côté de l'intimé, soit réduire, du côté de l'appelante, la « marge de manœuvre » à laquelle la Commission a droit. À mon avis, le fait d'analyser la norme de la décision raisonnable pour hausser ou diminuer le degré de retenue à montrer à la Commission ne nous sert pas en l'espèce. Dans la présente affaire, la question à laquelle nous devons répondre, vu le contexte général, est de savoir si la décision prise par la Commission de ne pas donner suite à la plainte de l'appelante au motif qu'elle était vexatoire au sens de l'alinéa 41(1)d) était raisonnable, rien de plus et rien de moins : voir Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770, aux paragraphes 18 et 73.

B.                 Le caractère raisonnable de la décision de la Commission

[16]           Notre Cour doit examiner le rapport sur les articles 40 et 41 comme s'il faisait partie des motifs de la décision de ne pas donner suite à la plainte de l'appelante : voir Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392, au paragraphe 37; Bergeron, au paragraphe 60. La décision de la Commission se résume à une copie exacte de la conclusion du rapport sur les articles 40 et 41.

[17]           La Commission avait avisé l'appelante que, pour donner suite à la plainte, elle devait déterminer si la plainte était « vexatoire » au sens de l'alinéa 41(1)d). La Commission juge qu'une plainte est vexatoire lorsque [TRADUCTION] « les questions relatives aux droits de la personne soulevées dans la plainte peuvent avoir déjà été l'objet d'une décision dans une autre instance » (D.A., onglet 5(a), pages 46 à 49; onglet 6(l), pages 296 et 304, paragraphes 4, 9 et 66).

[18]           Dans l'arrêt Colombie‑Britannique (Workers' Compensation Board) c. Figliola, 2011 CSC 52, [2011] 3 R.C.S. 422 (Figliola), la Cour suprême du Canada a examiné une disposition de la loi de la Colombie‑Britannique intitulée Human Rights Code (Code des droits de la personne), R.S.B.C. 1996, ch. 210, alinéa 27(1)f), qui est similaire à l'alinéa 41(1)d) de la LCDP. Il est possible de rejeter une plainte [TRADUCTION] lorsqu'« il a été statué de façon appropriée sur le fond de la plainte dans une autre instance ». La juge Abella a conclu que cette disposition applique les principes du caractère définitif des décisions : préclusion en raison d'une question déjà tranchée, contestation indirecte et abus de procédure : voir Figliola, aux paragraphes 24 et 25. Dans l'arrêt Bergeron, notre Cour a résumé les facteurs de l'arrêt Figliola servant à déterminer si une plainte en matière de droits de la personne a déjà été l'objet d'une décision dans une autre instance (au paragraphe 50) :

1.         Existait‑il une compétence concurrente pour statuer sur les questions relatives aux droits de la personne?

2.         La question juridique tranchée dans l'autre forum était‑elle essentiellement la même que celle soulevée dans la plainte pour atteinte aux droits de la personne?

3.         Le plaignant a‑t‑il eu la possibilité de connaître les éléments invoqués contre lui et de les réfuter?

Les arrêts Figliola et Bergeron visent des situations dans lesquelles une plainte fondée sur des allégations de discrimination fait l'objet d'une décision définitive avant que le plaignant ne soulève à nouveau la discrimination dans une nouvelle instance en matière de droits de la personne.

[19]           La démarche que la Commission a affirmé suivre en matière de caractère vexatoire correspond aux facteurs de l'arrêt Figliola. Comme le montrent la correspondance de la Commission avec l'appelante et le rapport sur les articles 40 et 41, la Commission a tenu compte des facteurs suivants pour statuer sur le caractère vexatoire de la plainte (D.A., onglet 5(a), pages 48 et 49; onglet 65(l), pages 297 et 298, paragraphe 16) :

                    Une décision définitive a-t-elle été rendue lors d'une autre instance?

                    Le décideur de cette autre instance avait‑il la compétence pour statuer sur les questions relatives aux droits de la personne?

                    Les questions soulevées lors de cette autre instance étaient-elles essentiellement les mêmes que celles soulevées par la plainte en l'espèce?

                    Les questions en matière de droits de la personne ont‑elles toutes été abordées?

                    Le plaignant a‑t‑il eu la possibilité de soulever toutes les questions pertinentes en matière de droits de la personne?

                    Cette autre instance et l'instance devant la Commission diffèrent‑elles de manière importante?

[20]           Le rapport sur les articles 40 et 41 indique que l'autre instance était l'appel interjeté par l'appelante concernant la Loi sur l'AE devant la DA‑TSS (D.A., onglet 6(l), pages 304 et 309, paragraphes 67 et 96). Ce rapport souligne que la DA‑TSS s'était appuyée sur la décision de notre Cour dans l'arrêt Martin pour rejeter l'appel de l'appelante (D.A., onglet 6(l), pages 304 à 309, paragraphes 67, 73, 75 et 96). La Commission a affirmé dans ses motifs que la DA‑TSS et notre Cour ont toutes deux compétence pour statuer sur les questions relatives aux droits de la personne (D.A., onglet 6(l), pages 305 et 309, paragraphes 71 et 96). Elle y a également affirmé que les allégations de discrimination dans la plainte portant sur la LCDP sont essentiellement les mêmes que celles ayant été soulevées lors de l'appel de l'appelante concernant la Loi sur l'AE et tranchées de façon définitive par la DA‑TSS et que celles portant sur l'article 15 de la Charte que notre Cour a tranchées dans l'arrêt Martin (D.A., onglet 6(l), pages 305, 306 et 308, paragraphes 75 à 77 et 96). L'enquêteur a reconnu que l'appelante n'avait pas invoqué la LCDP devant la DA‑TSS. Cependant, la Commission a conclu que l'analyse portant sur la Charte dans l'arrêt Martin, sur laquelle la DA‑TSS s'était appuyée, avait examiné de manière adéquate les allégations de discrimination de l'appelante et que cette analyse serait semblable à une analyse portant sur la LCDP (D.A., onglet 6(l), pages 305, 308 et 309, paragraphes 76, 92, 96 et 97).

[21]           À mon avis, la Commission a appliqué de façon injustifiée l'alinéa 41(1)d) à la plainte de l'appelante. L'avocat de l'intimé reconnaît que l'appelante n'a pas soulevé de question en matière de droits de la personne avant de déposer sa plainte portant sur la LCDP et que la décision de la DA‑TSS ne portait que sur l'interprétation des dispositions pertinentes de la Loi sur l'AE. La DA‑TSS n'a appliqué l'arrêt Martin que pour conclure que l'appelante, en vertu de la Loi sur l'AE, n'avait droit qu'à une période de prestations parentales par grossesse et non par enfant. L'appelante n'a pas soulevé d'allégations de discrimination fondées sur la Charte ou sur la LCDP à l'égard desquelles la DA‑TSS aurait pu appliquer l'arrêt Martin. La DA‑TSS n'a pas rendu de décision définitive en matière de droits de la personne. Comme l'appelante n'essaie pas de remettre en litige une question qui a déjà reçu une décision définitive, le caractère vexatoire et les facteurs de l'arrêt Figliola ne s'appliquent pas à la plainte de l'appelante portant sur la LCDP.

[22]           Selon l'argumentation de l'intimé, la Commission pouvait rejeter de façon raisonnable la plainte de l'appelante en se fondant uniquement sur l'arrêt Martin. Il est possible que la Commission puisse rejeter la plainte de l'appelante à bon droit si, après avoir accepté ses allégations, elle concluait que la plainte n'avait pas de chance raisonnable d'être accueillie. Cependant, une telle plainte serait frivole au sens de l'alinéa 41(1)d) : voir Love c. Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, 2015 CAF 198, au paragraphe 23. Même si le caractère frivole et le caractère vexatoire sont énumérés ensemble à l'alinéa 41(1)d), la Commission a manifestement limité son analyse aux facteurs concernant le caractère vexatoire et l'autre instance de l'appelante. Elle a demandé aux parties de présenter leurs observations portant uniquement sur le caractère vexatoire et de ne pas présenter d'éléments de preuve portant sur les allégations de discrimination (D.A., onglet 5(a), pages 47 à 49; onglet 5(c), page 150).

[23]           Je reconnais que le critère du caractère vexatoire visé à l'alinéa 41(1)d) doit être souple, afin d'éviter les dédoublements et le gaspillage de ressources lors d'une remise en cause (voir Figliola, au paragraphe 36). Notre Cour a statué sur les allégations de discrimination de M. Martin fondées sur la Charte. Les allégations de discrimination dans l'arrêt Martin peuvent être essentiellement les mêmes que celles soulevées par l'appelante dans sa plainte portant sur la LCDP. Dans ce cas, il se peut que la plainte de l'appelante soit vouée à l'échec. Cependant, la Commission a fondé sa décision de ne pas donner suite à la plainte de l'appelante uniquement sur le caractère vexatoire de la plainte, ce qui soulève des questions de droit précises, notamment le fait que les allégations de discrimination de l'appelante doivent avoir été tranchées de manière définitive. Or, la décision rendue sur les allégations de discrimination de M. Martin ne peut servir de substitut. Par conséquent, la décision de la Commission ne fait pas partie des issues acceptables ou justifiables sur la question du caractère vexatoire visé à l'alinéa 41(1)d).

[24]           La Commission a mal interprété ce sur quoi la DA‑TSS s'est fondée pour rejeter l'appel de l'appelante concernant la décision de la Commission de l'AE. C'est ce qui explique pourquoi la Commission s'est demandé si la plainte de l'appelante concernant la LCDP avait un caractère vexatoire. Si la Commission avait bien saisi ce sur quoi la DA‑TSS s'était fondée pour rejeter la plainte et si elle avait pensé que la décision de notre Cour dans l'arrêt Martin tranchait de manière définitive la question soulevée par la plainte de l'appelante, elle aurait pu en faire part convenablement à l'appelante. Après avoir entendu les observations de l'appelante sur ce point, la Commission aurait pu statuer sur le caractère frivole de la plainte au sens juridique, c'est‑à‑dire sur le fait d'être vouée à l'échec. À mon avis, c'est une démarche que la Commission peut encore entreprendre lorsqu'elle se penchera à nouveau sur la question. La Commission doit tenir compte de ses ressources restreintes; elle est libre de ne pas donner suite à une plainte qui, de son avis, est vouée à l'échec. Je voudrais ici indiquer clairement que je ne crois pas que la plainte de l'appelante soit frivole au sens courant de ce mot. Je saisis tout à fait la grande importance que revêt cette affaire pour l'appelante et ceux dans une situation semblable.

C.                 L'équité procédurale

[25]           Étant donné la conclusion qui précède, il n'est pas nécessaire de déterminer si la Commission a manqué à l'équité procédurale lorsqu'elle a conclu qu'il ne fallait pas donner suite à la plainte de l'appelante. Cependant, à mon avis, les observations de l'appelante sur la question sont sans fondement. La Commission n'a pas fait la promesse claire, absolue et non ambiguë de considérer la lettre de position initiale de l'appelante pour décider si elle devait donner suite ou non à la plainte. Dans la lettre initiale envoyée à l'appelante, la Commission a affirmé qu'elle se servirait des [TRADUCTION] « observations des parties au sujet du rapport » (D.A., onglet 5(a), page 46). La lettre sollicitant les observations de l'appelante concernant le rapport sur les articles 40 et 41 indiquait ce qui suit (D.A., onglet 5(c), page 150) :

[TRADUCTION]

La Commission rendra une décision fondée sur le [rapport], sur le formulaire de plainte, ainsi que sur les observations (commentaires) qu'elle aura reçues des parties. Pour cette raison, si vous n'êtes pas d'accord avec des renseignements qui figurent dans le rapport, il est important que vous profitiez de l'occasion pour faire part de vos observations.

La Commission a clairement indiqué qu'elle examinerait les observations des parties au sujet du rapport sur les articles 40 et 41. La Commission a suivi la procédure prévue pour en arriver à sa décision.

[26]           L'appelante a eu amplement l'occasion de présenter ses observations sur les raisons pour lesquelles la Commission devrait donner suite à sa plainte. Les observations énoncées dans la lettre initiale présentant sa thèse sont reprises dans le rapport sur les articles 40 et 41; elles traitent notamment de la portée limitée de l'instance à la DA‑TSS, de l'inapplicabilité de l'arrêt Martin et du lourd fardeau qu'a la Commission de ne rejeter les plaintes que dans les cas évidents et manifestes. Outre le rapport sur les articles 40 et 41, la Commission a examiné expressément les observations de l'appelante concernant le rapport et la réponse de l'appelante aux observations de l'intimé au rapport.

D.                 Conclusion

[27]           Je suis d'avis d'accueillir l'appel avec dépens et de renvoyer l'affaire à la Commission pour nouvel examen.

« David G. Near »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

ANNEXE

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, ch. H‑6

Irrecevabilité

41(1) Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle‑ci irrecevable pour un des motifs suivants :

a) la victime présumée de l'acte discriminatoire devrait épuiser d'abord les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

c) la plainte n'est pas de sa compétence;

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

e) la plainte a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

[...]

Canadian Human Rights Act, R.S.C., 1985, c. H‑6

Commission to deal with complaint

41(1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

. . .

 

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D'UNE DÉCISION DU JUGE MANSON DU 29 OCTOBRE 2015, DOSSIER NO T-2627-14.

DOSSIER :

A-514-15

 

 

INTITULÉ :

TANIA ZULKOSKEY c. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL)

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 15 septembre 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NEAR

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE WEBB

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 NOVEMBRE 2016

 

COMPARUTIONS :

Stephen J. Moreau

Nadia Lambek

 

Pour l'appelante

 

Joseph Cheng

 

Pour l'intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cavalluzzo Shilton McIntyre Cornish LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour l'appelante

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour l'intimé

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.