Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20161116


Dossier : A-336-15

Référence : 2016 CAF 285

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 

ENTRE :

 

 

JENNIFER MCCREA

 

 

appelante

 

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et LA COMMISSION DE L’ASSURANCE‑EMPLOI DU CANADA

 

 

intimés

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 12 septembre 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 novembre 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE NEAR

 


Date : 20161116


Dossier : A-336-15

Référence : 2016 CAF 285

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 

ENTRE :

 

 

JENNIFER MCCREA

 

 

appelante

 

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et LA COMMISSION DE L’ASSURANCE‑EMPLOI DU CANADA

 

 

intimés

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1]  La Cour est saisie de l’appel d’une ordonnance rendue par la Cour fédérale le 20 juillet 2015 (dossier numéro T‑210‑12) (ordonnance modificative), portant modification de l’ordonnance précédente (2015 CF 592), datée du 7 mai 2015 (ordonnance initiale), entre autres, par la suppression de l’un des points communs que soulève le recours collectif. L’appelante interjette appel de cette suppression.

[2]  Pour les motifs suivants, j’accueillerais le présent appel.

I.  Les faits

[3]  L’appelante a présenté une requête en vue de faire autoriser une instance comme recours collectif, en application de l’article 334.16 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles). L’action concerne le refus de verser des prestations de maladie, au titre de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la LAE), aux personnes qui touchaient des prestations parentales sous le régime de la LAE quand elles sont tombées malades. Invoquant les modifications apportées à la LAE en 2002, l’appelante a fait valoir que la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission) et Service Canada n’avaient pas mis en œuvre les modifications correctement et, partant, avaient exclu du bénéfice des prestations de maladie des personnes en congé parental.

[4]  L’appelante avait fait valoir un certain nombre de causes d’action. La juge de la Cour fédérale n’a jugé valable que celle fondée sur la négligence (au paragraphe 11 des motifs de son ordonnance initiale; décrite au paragraphe 447 comme une mise en œuvre négligente de la Loi). Dans l’ordonnance initiale, la juge a certifié que l’affaire soulevait les points communs suivants :

Questions liées à l’interprétation et à l’application de la LAE

i)  Pendant la période visée par le recours collectif, des personnes en congé parental étaient‑elles admissibles à des prestations de maladie, en raison d’une maladie, d’une blessure ou d’une incapacité survenue avant ou pendant leur congé parental, suivant la LAE?

ii)  Si la réponse au point i) est « oui », pendant la période visée par le recours collectif, le défendeur (la Commission ou Service Canada) a‑t‑il appliqué à bon droit la LAE, en excluant du bénéfice des prestations de maladie les membres du groupe?

Questions générales liées à la négligence

iii)  Si la réponse au point ii) est « non », le défendeur (la Commission ou Service Canada) avait-il, pour l’application de la LAE, une obligation de diligence envers les membres du groupe?

iv)  Si la réponse au point iii) est « oui », quelle était alors la teneur de cette obligation et quel défendeur devait s’en acquitter?

v)  Si la réponse au point iii) est « oui », les défendeurs visés ont-ils manqué à l’obligation de diligence qui leur incombait?

Dommages-intérêts totaux, responsabilité du fait d’autrui et questions liées aux frais d’administration

vi)  Les défendeurs devraient-ils assumer les frais liés à l’administration et à la distribution des versements aux membres du recours collectif?

[5]  L’ordonnance initiale n’a fait l’objet d’aucun appel. Les intimés ont plutôt demandé à la juge de la Cour fédérale, par voie de requête déposée au titre de l’article 397 des Règles, de réexaminer l’ordonnance initiale, étant d’avis que l’ordonnance ne concordait pas avec les motifs et ne faisait pas mention de la requête en radiation des actes de procédure qu’ils avaient présentée, laquelle avait été accueillie en partie. La requête a été accueillie, et des modifications ont été apportées à l’ordonnance initiale. La seule modification contestée dans le présent appel est la suppression du point commun v) : « Si la réponse au point iii) est « oui », les défendeurs visés ont-ils manqué à l’obligation de diligence qui leur incombait? ».

II.  Norme de contrôle

[6]  La norme applicable est celle de la décision correcte pour les questions de droit et celle de l’erreur manifeste et dominante pour les questions de fait ou pour les questions mixtes de fait et de droit ne comportant aucune question de droit isolable (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2016] A.C.F. no 943).

III.  Discussion

[7]  Comme nous le mentionnons plus haut, l’ordonnance initiale n’a fait l’objet d’aucun appel. Le présent appel porte sur l’ordonnance modificative et, partant, la seule question en litige est de savoir si la juge de la Cour fédérale a supprimé à tort le point commun v) de l’ordonnance initiale.

[8]  En général, une fois qu’il a rendu une ordonnance, le juge n’a plus compétence pour rouvrir l’affaire ni modifier l’ordonnance. Dans la décision Nova Scotia Government and General Employees Union c. Capital District Health Authority, 2006 NSCA 85, 246 N.S.R. (2d) 104, le juge Cromwell (alors juge d’appel) s’est exprimé en ces termes :

[traduction]

36. Le caractère définitif d’une décision s’exprime par le dessaisissement : une fois qu’il a prononcé sa décision, le juge est déchargé de sa compétence. C’est donc dire qu’en matière de débats judiciaires, après que le jugement définitif a été prononcé et inscrit, l’affaire ne peut être rouverte que par voie d’appel. Toutefois, il existe au moins deux exceptions à cette règle générale : le juge peut corriger les fautes ainsi que toute erreur dans l’expression de son intention manifeste : Paper Machinery Ltd. c. J.O. Ross Engineering Corp., [1934] R.C.S. 186; voir aussi l’article 15.07 des Règles de procédure civile.

37. Ces principes ont été élaborés dans le contexte de décisions judiciaires susceptibles d’appel de plein droit dont l’existence a mené à penser qu’un appel, plutôt qu’une réouverture de la décision devant le décideur initial, constituait généralement le moyen à privilégier pour corriger des erreurs contenues dans la décision rendue en première instance.

[9]  L’article 397 des Règles fait état de ces exceptions :

397 (1) Dans les 10 jours après qu’une ordonnance a été rendue ou dans tout autre délai accordé par la Cour, une partie peut signifier et déposer un avis de requête demandant à la Cour qui a rendu l’ordonnance, telle qu’elle était constituée à ce moment, d’en examiner de nouveau les termes, mais seulement pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

397 (1) Within 10 days after the making of an order, or within such other time as the Court may allow, a party may serve and file a notice of motion to request that the Court, as constituted at the time the order was made, reconsider its terms on the ground that

a) l’ordonnance ne concorde pas avec les motifs qui, le cas échéant, ont été donnés pour la justifier;

(a) the order does not accord with any reasons given for it; or

b) une question qui aurait dû être traitée a été oubliée ou omise involontairement.

(b) a matter that should have been dealt with has been overlooked or accidentally omitted.

(2) Les fautes de transcription, les erreurs et les omissions contenues dans les ordonnances peuvent être corrigées à tout moment par la Cour.

(2) Clerical mistakes, errors or omissions in an order may at any time be corrected by the Court.

[10]  Le droit permettait à un juge de modifier toute ordonnance qui ne reflétait pas son « intention manifeste », mais l’alinéa 397(1)a) des Règles fait uniquement mention des cas dans lesquels l’ordonnance « ne concorde pas avec les motifs qui, le cas échéant, ont été donnés pour la justifier ». On ne sait pas avec certitude si ce libellé visait à modifier le droit. Si telle était l’intention, soulignons que le pouvoir d’édicter des règles est prévu à l’article 46 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, et qu’il est limité à l’élaboration de règles régissant les pratiques et les procédures applicables à la Cour fédérale, à notre Cour et à certaines autres questions précises. En conséquence, les Règles ne peuvent l’emporter sur le droit substantiel (Condessa Z Holdings Ltd. c. Rusnak, 104 D.L.R. (4th) 96, aux pages 120(t) à 121(c), 109 Sask. R. 170, (C.A. Sask.)). Je suis d’avis que le pouvoir de réexaminer une ordonnance parce qu’elle ne concorde pas avec les motifs donnés pour la justifier doit respecter les règles de droit substantiel et, partant, la Cour ne peut apporter de corrections à une ordonnance, au titre de cette disposition, que si l’ordonnance ne reflète pas l’intention manifeste de la Cour, telle qu’elle est exprimée dans les motifs donnés par celle‑ci.

[11]  Dans l’ordonnance modificative, la juge de la Cour fédérale renvoie au paragraphe 374 de ses motifs dans lequel elle indique clairement que la question de savoir si les défendeurs ont manqué à leur obligation de diligence nécessitera une « évaluation personnalisée » :

374. Les autres questions du groupe B — Le défendeur a-t-il manqué à son obligation de diligence et, le cas échéant, quelle était la nature du manquement? Le manquement a-t-il causé un préjudice? Quel serait alors le quantum ou le montant des dommages-intérêts? — devront faire l’objet de conclusions de fait individuelles, propres à chaque membre du groupe. Quant aux questions de savoir si le défendeur a manqué à son obligation de diligence et, le cas échéant, quelle était la nature du manquement, elles peuvent comporter des éléments communs, puisque la conclusion découlerait de l’interprétation de la Loi et de l’examen des notions de prévisibilité et de proximité, mais d’autres éléments nécessiteraient une évaluation plus personnalisée.

[12]  Dans la première phrase, la question de savoir  « si le défendeur a manqué à son obligation de diligence et, le cas échéant, quelle était la nature du manquement » figure au nombre des questions se rapportant aux dommages-intérêts et, relativement à tous les points énumérés, la juge a indiqué que des conclusions de fait individuelles devront être tirées. Toutefois, elle a fait la distinction dans la deuxième phrase entre les deux volets de cette question et souligne qu’ils pourraient comporter des éléments communs, « puisque la conclusion découlerait de l’interprétation de la Loi et de l’examen des notions de prévisibilité et de proximité, mais d’autres éléments nécessiteraient une évaluation plus personnalisée ». Faire mention de l’existence éventuelle d’éléments communs liés au manquement des intimés à l’obligation de diligence ne constitue pas nécessairement une intention claire de ne pas certifier comme point commun la question du manquement éventuel des intimés à cette obligation (ce point ne pouvant être examiné qu’une fois tranchée la question relative à l’obligation de diligence des intimés et à la portée de cette obligation, le cas échéant).

[13]  Au paragraphe 375 de ses motifs, la juge de la Cour fédérale s’est exprimée ainsi :

375. Bien qu’il puisse être nécessaire d’effectuer un examen individuel pour établir qui devait s’acquitter de l’obligation et qui l’a violée, la décision portant sur l’existence d’une telle obligation fera progresser le contentieux.

[14]  Bien qu’elle ait déclaré « qu’il [pourrait] être nécessaire d’effectuer un examen individuel pour établir qui devait s’acquitter de l’obligation et qui l’a violée [...] », la juge de la Cour fédérale a certifié que l’affaire soulève les points communs suivants :

iii)  Si la réponse au point ii) est « non », le défendeur (la Commission ou Service Canada) avait-il, pour l’application de la LAE, une obligation de diligence envers les membres du groupe?

iv)  Si la réponse au point iii) est « oui », quelle était alors la teneur de cette obligation et quel défendeur devait s’en acquitter?

[15]  Bien qu’elle ait déclaré qu’il pourrait être nécessaire d’effectuer un examen individuel pour établir qui devait s’acquitter de l’obligation, elle a tout de même certifié que l’affaire soulève les questions énoncées au point iii) (la Commission ou Service Canada avait-il, pour l’application de la LAE, une obligation de diligence?) et au point iv) (Si la réponse au point iii est  « oui », quelle était alors la teneur de cette obligation et quel défendeur devait s’en acquitter?). En conséquence, à mon avis, il est loin d’être clair que la juge n’avait pas l’intention initiale d’inclure également, au nombre des points communs, le second volet de la question de savoir quel défendeur devait s’acquitter de l’obligation au paragraphe 375, c’est‑à-dire qui de la Commission ou de Service Canada, ou les deux, a manqué à son obligation, le point v) n’étant abordé qu’une fois tranchée la question relative à l’obligation de diligence des intimés.

[16]  La juge a indiqué qu’elle comptait certifier que l’affaire soulevait les points communs au paragraphe 382 de ses motifs, soit peu après les paragraphes précités. Il est notamment fait mention au paragraphe 382 de la question en litige dans le présent appel.

[17]  Par conséquent, il ne peut être affirmé, à mon avis, que l’intention manifeste de la juge de la Cour fédérale était de ne pas inclure au nombre des points soulevés en l’espèce le point v) concernant le manquement éventuel à l’obligation de diligence de la Commission ou de Service Canada (dont la responsabilité à cet égard aura d’abord été établie aux points iii) et iv)). Il convient de mentionner que l’examen de ce point commun dépend, du moins indirectement, des réponses aux autres points soulevés en l’espèce. Bien que le point v) ne soit pas subordonné au point iv), il est logique qu’il ne soit examiné qu’une fois le point iv) réglé.

[18]  Les points relatifs à l’interprétation et à l’application de la LAE doivent être réglés avant que le point v) ne soit abordé. Les réponses ainsi données doivent étayer la prétention de l’appelante pour que soit abordée la question de savoir si la Commission ou Service Canada avait, pour l’application de la LAE, une obligation de diligence; et la réponse à cette question doit être favorable à l’appelante pour que soit abordée le point iv) concernant la teneur de l’obligation de diligence et la responsabilité à cet égard de la Commission, de Service Canada, ou des deux. Une fois tous ces points réglés, rien n’empêchera alors la Cour de statuer sur le manquement éventuel à l’obligation de diligence de la Commission, de Service Canada, ou des deux (leur responsabilité devant avoir été établie pour que le point v) soit pertinent).

[19]  Je rejette la prétention des intimés selon laquelle la juge de la Cour fédérale aurait pu supprimer le point commun en litige, au titre du paragraphe 397(2) des Règles. À mon avis, comme il ne ressort pas des motifs que l’intention manifeste de la juge était de ne pas certifier que l’affaire soulevait ce point commun également, je ne suis pas convaincu que celui‑ci figure dans l’ordonnance initiale par suite d’une faute de transcription ou d’une erreur.

[20]  En conséquence, j’accueillerais l’appel, sans dépens, et je radierais les paragraphes 2 et 4 de l’ordonnance modificative de manière à rétablir le point commun v), tel qu’il apparaît dans l’ordonnance initiale.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

J.D. Denis Pelletier j.c.a. »

« Je suis d’accord.

D.G. Near j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UNE ORDONNANCE DE LA COUR FÉDÉRALE, DATÉE DU 20 JUILLET 2015, DOSSIER NO T-210-12

DOSSIER :

A-336-15

 

INTITULÉ :

JENNIFER MCCREA c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 septembre 2016

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE NEAR

DATE DES MOTIFS :

LE 16 NOVEMBRE 2016

COMPARUTIONS :

Stephen J. Moreau

Amanda Darrach

Emily F. C. Elder

Tassia Poynter

Pour l’appelante

Christine Mohr

Ayesha Laldin

Pour les intimés

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cavalluzzo Shilton McIntyre Cornish LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour l’appelante

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour les intimés

 

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