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Date : 20161116


Dossier : A-325-16

Référence : 2016 CAF 284

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Présent : LE JUGE STRATAS

ENTRE :

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

demanderesse

et

BNSF RAILWAY COMPANY, RICHARDSON INTERNATIONAL LIMITED ET OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

défendeurs

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 16 novembre 2016.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20161116


Dossier : A-325-16

Référence : 2016 CAF 284

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Présent : LE JUGE STRATAS

ENTRE :

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

demanderesse

et

BNSF RAILWAY COMPANY, RICHARDSON INTERNATIONAL LIMITED ET OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

[1]  La demanderesse demande la suspension de certaines procédures administratives (numéro de cas 16-01380) actuellement devant l'Office des transports du Canada. Elle n'a pas demandé à l'Office de suspendre ses procédures. Au lieu de cela, s'appuyant sur l'article 50 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, elle s'adresse directement à la Cour par voie d'avis de demande.

[2]  Le greffe a envoyé l'avis de demande à la Cour pour qu'elle l'examine, en vertu de l'article 74 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. L'article 74 autorise la Cour à examiner des documents qui ont été déposés, afin de déterminer s'ils ont été déposés « en conformité avec les [...] règles, une ordonnance de la Cour ou une loi fédérale ». Si ce n'est pas le cas, la Cour peut alors « ordonner [qu'ils] soient retirés du dossier de la Cour », mais uniquement une fois que les parties auront eu l'occasion de se faire entendre : paragraphe 74(2); Rock‑St Laurent c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 192.

[3]  En l'espèce, après avoir examiné l'avis de demande, la Cour a demandé aux parties leurs observations sur l'opportunité de retirer l'avis de demande du dossier de la Cour et de clore celui‑ci.

[4]  Les parties ont déposé leurs observations. La Cour doit maintenant décider si l'avis de demande a été déposé régulièrement, au sens de l'article 74 des Règles.

[5]  À mon avis, en l'espèce, l'avis de demande ne respecte pas la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10. Par conséquent, en vertu de l'article 74 des Règles, j'ordonnerai le retrait de l'avis de demande du dossier de la Cour et la clôture de celui‑ci.

[6]  Dans leurs observations, les parties se penchent notamment sur l'article 50 de la Loi sur les Cours fédérales. L'article 300 des Règles des Cours fédérales pourrait aussi être pertinent. Il en va de même du régime prévu par la Loi sur les transports au Canada. Dans les présents motifs, j'examine ces lois et règles dans cet ordre.

[7]  À mon avis, on ne peut se fonder sur l'article 50 de la Loi sur les Cours fédérales ou sur l'article 300 des Règles des Cours fédérales pour s'opposer à l'avis de demande.

[8]  L'article 50 de la Loi sur les Cours fédérales énonce les circonstances dans lesquelles la Cour peut suspendre les procédures dans une affaire. La disposition pertinente en l'espèce est l'alinéa 50(1)b), qui autorise la Cour à suspendre les « procédures dans toute affaire [...] lorsque, pour quelque autre raison, l'intérêt de la justice l'exige ». À mon avis, le libellé de cet alinéa, si on l'interprète littéralement, est suffisamment large pour viser la suspension de procédures administratives.

[9]  D'autres articles de la Loi sur les Cours fédérales, de même que ses objectifs généraux, appuient cette interprétation littérale. La Loi confère aux Cours fédérales de larges pouvoirs de contrôle des actions des offices fédéraux : Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626; Canada (Revenu national) c. Compagnie d'assurance‑vie RBC, 2013 CAF 50. La cour investie d'un pouvoir de contrôle doit recourir à l'occasion au pouvoir de suspendre des procédures administratives pour s'acquitter de son mandat. C'est précisément ce pouvoir de suspension qui est énoncé à l'alinéa 50(1)b).

[10]  En l'espèce, l'avis de demande était‑il pour la demanderesse la façon appropriée de demander à la Cour la suspension des procédures en vertu de l'alinéa 50(1)b)? Je crois que oui. L'article 300 des Règles des Cours fédérales s'applique aux « instances engagées sous le régime d'une loi fédérale ou d'un texte d'application de celle-ci qui en prévoit ou en autorise l'introduction par voie de demande, de requête, d'avis de requête introductif d'instance, d'assignation introductive d'instance ou de pétition ». La suspension fait partie des instances « engagées sous le régime d'une loi fédérale ou d'un texte d'application de celle‑ci », en l'occurrence la Loi sur les Cours fédérales, alinéa 50(1)b). Dans un cas comme celui‑ci, où la Cour n'est pas déjà saisie de l'affaire, un acte introductif d'instance, comme un avis de demande, doit être déposé. C'est ce que la demanderesse a fait.

[11]  J'ajoute par souci de précision que, si la demanderesse avait commis une erreur et déposé un avis de requête plutôt qu'une demande, l'erreur aurait pu être corrigée par l'application de l'article 57 des Règles des Cours fédérales.

[12]  Je me pencherai maintenant sur une observation précise présentée par les défendeurs, observation qui, comme nous le verrons, nécessite l'examen du régime de la Loi sur les transports au Canada.

[13]  Les défendeurs soutiennent que l'avis de demande doit être retiré du dossier parce que la demanderesse s'est adressée prématurément à la Cour. Ils font valoir que la demanderesse n'a pas demandé à l'Office de suspendre ses procédures. Selon eux, il s'agit là d'un recours adéquat dont la demanderesse aurait dû se prévaloir avant de demander la suspension de l'instance à la Cour d'appel fédérale.

[14]  Cet argument est convaincant. Lorsque, comme en l'espèce, une partie demande la suspension des procédures d'un décideur administratif, elle demande en réalité un bref de prohibition à l'égard de ces procédures. Elle demande que soit ordonné l'arrêt des procédures du décideur administratif. Dans un tel cas, les critères régissant l'octroi d'une suspension des procédures d'un décideur administratif en vertu de l'article 50 doivent refléter ceux régissant l'octroi d'un bref de prohibition.

[15]  Le bref de prohibition est un recours de droit administratif qui ne devrait pas être utilisé lorsqu'il existe d'autres recours adéquats ou lorsqu'il n'y a pas de circonstances extraordinaires ou d'urgence inhabituelle (voir Canada (Agence des services frontaliers) c. C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332) (C.B. Powell); cela vaut également pour une demande de suspension d'instance du type de celle dont la Cour est saisie. Les raisons justifiant qu'on empêche l'accès prématuré à une cour de révision, exposées dans l'arrêt C.B. Powell, au paragraphe 32, sont également valables en l'espèce.

[16]  Il ne s'agit pas que d'une simple règle jurisprudentielle. C'est ce qui ressort du régime prévu par la Loi sur les transports au Canada, une loi qui lie la Cour. Par la Loi sur les transports au Canada, le législateur confère à l'Office tous les pouvoirs concernant les procédures dont il est saisi, y compris celui de décider s'il devrait suspendre les procédures dont il est saisi. Autoriser les parties à contourner l'Office et à s'adresser directement à la Cour pour demander la suspension des procédures de l'Office irait à l'encontre de ce régime légal. Ce ne serait pas conforme à la Loi sur les transports au Canada.

[17]  Il peut exister des circonstances exceptionnelles ou une urgence inhabituelle où s'adresser d'abord à l'Office ne constituerait pas un recours adéquat (voir, par exemple, C.B. Powell, précité, au paragraphe 33) et où l'accès direct à la cour doit être autorisé. En l'espèce, il suffit de dire ceci : l'avis de demande ne révèle ni circonstance exceptionnelle, ni urgence inhabituelle justifiant l'accès direct à la cour.

[18]  La demanderesse n'a pas demandé en premier lieu à l'Office de suspendre ses procédures. Elle aurait dû le faire. Au lieu de cela, elle s'est adressée directement à la Cour par voie d'avis de demande. S'adresser directement à la Cour dans les circonstances en l'espèce est contraire au régime légal de la Loi sur les transports au Canada. Par conséquent, en vertu de l'article 74 des Règles, l'avis de demande doit être retiré du dossier de la Cour et ce dernier doit être clos.

[19]  De plus, il existe à mon avis un second motif bien fondé de s'opposer à la demande : dans les circonstances, l'avis de demande contourne indûment les limites à la compétence de la Cour imposées par le paragraphe 41(1) de la Loi sur les transports au Canada.

[20]  Si la demanderesse avait demandé à l'Office de suspendre ses procédures, c'est l'Office qui aurait tranché. Il y aurait alors eu possibilité de faire appel de cette décision devant la Cour en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi sur les transports au Canada. Toutefois, aux termes de ce paragraphe, la Cour ne peut entendre les appels des décisions de l'Office que sur une « question de droit ou de compétence ».

[21]  En l'espèce, même si la demanderesse avait demandé à l'Office de suspendre ses procédures et que l'Office avait refusé, un avis d'appel invoquant les mêmes motifs que ceux soulevés par la demanderesse dans l'avis de demande dont est saisie la Cour ne respecterait pas la condition selon laquelle il doit y avoir une « question de droit ou de compétence ». Bien que la Cour ait interprété les exigences du paragraphe 41(1) de façon libérale, il faut que la question soulevée ait « un aspect suffisamment juridique » : Northwest Airlines Inc. c. Canada (Office des transports), 2004 CAF 238, au paragraphe 28; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Office des transports), 2016 CAF 266, au paragraphe 22. La question en l'espèce n'a pas d'aspect suffisamment juridique. L'avis de demande indique simplement que l'instance fait double emploi avec d'autres procédures et constitue un abus de procédure, rien de plus.

[22]  Il reste une dernière question à trancher. La décision sur la présente demande doit‑elle être prise par un juge ou par trois juges de la Cour? Autrement dit, ai‑je compétence pour statuer sur la demande en tant que juge siégeant seul?

[23]  Les parties n'ont pas soulevé la question, mais cela importe peu. La Cour doit être convaincue qu'elle a le pouvoir d'agir : Re McKittrick Properties Ltd. (1926), 59 O.L.R. 199 (C.A. Ont.); Manie c. Ford (Town) (1918), 14 O.W.N. 83 (H.C. Ont.), conf. par (1918), 15 O.W.N. 27 (C.A. Ont.). La Cour ne doit jamais présumer qu'elle a compétence sur une question, ni exercer une compétence qu'elle n'a pas : Brooke c. Toronto Belt Line Railway Company (1891), 21 O.R. 401; C.N.R. c. Lewis, [1930] R.C. de l'É. 145. C'est là un principe fondamental de notre démocratie, qui existe depuis au moins 250 ans et qui demeure valable : voir, par exemple, Green v. Rutherford (1750), 27 E.R. 1144, 1 Ves. Sen. 462, page 471; Penn v. Lord Baltimore (1750), 27 E.R. 1132, 1 Ves. Sen. 444, page 446; A.G. v. Lord Hotham (1827), 38 E.R. 631, 3 Russ. 415; Thompson v. Sheil (1840), 3 Ir. Eq. R. 135. Vu la nature vénérable et fondamentale de ce principe, notre Cour a conclu que les questions de compétence comme celle‑ci doivent être tranchées avant de commencer l'examen du bien‑fondé de la demande : National Indian Brotherhood c. Juneau (no 2), [1971] C.F. 73 (C.A.F.). Par conséquent, avant d'examiner le bien‑fondé de la présente demande, j'ai pris soin de vérifier que j'avais compétence pour siéger seul.

[24]  Aux termes du paragraphe 16(1) de la Loi sur les Cours fédérales, « [s]auf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale » — une exception qui ne s'applique pas ici — les demandes d'autorisation d'appel, les demandes de contrôle judiciaire et les renvois doivent être entendus par au moins trois juges. La présente demande n'entre pas dans ces catégories, de sorte qu'il n'est pas nécessaire qu'elle soit entendue par au moins trois juges.

[25]  Le paragraphe 16(1) précise en outre que « les autres travaux de la Cour d'appel fédérale sont assignés à un ou plusieurs juges par le juge en chef de celle-ci ». Il s'ensuit que les demandes autres que les demandes d'autorisation d'appel et les demandes de contrôle judiciaire peuvent être entendues par un seul juge si c'est ce que le juge en chef a demandé. En l'espèce, le juge en chef m'a désigné pour entendre, seul, la présente demande.

[26]  Par conséquent, j'estime avoir compétence pour trancher seul la demande.

[27]  Je souligne que, dans une demande connexe déposée à la Cour, la demanderesse souhaite obtenir l'autorisation d'interjeter appel d'une décision interlocutoire (décision LET‑R‑43‑2016 du 7 septembre 2016) rendue par l'Office dans la même affaire (numéro de cas 16‑01380). La Cour n'a pas encore rendu sa décision. Si la Cour autorisait l'appel, la demanderesse pourrait déposer une requête en suspension de l'instance, jusqu'à ce que l'appel soit tranché. L'issue de la présente demande n'empêche en rien la demanderesse de déposer une telle requête.

[28]  J'ajoute, au cas où ce serait utile dans d'autres affaires, que je ne vois pas pourquoi la demanderesse n'a pas déposé sa requête accessoirement à sa demande d'autorisation d'appel, plutôt que de présenter une demande distincte comme elle l'a fait. Déposer une requête en cours d'instance est la façon de faire la plus conventionnelle et la plus simple. Cela peut aussi avoir un effet sur le fond : des demandes distinctes, comme celle en l'espèce, sentent la demande en prohibition et pourraient être régies par le droit en la matière, et non par le droit régissant les suspensions interlocutoires d'instances énoncé dans l'arrêt RJR‑Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311. Il n'est pas impossible que le droit de ces deux domaines converge et que la question soit sans importance; je n'ai pas à me prononcer là‑dessus. Toutefois, dans un cas comme dans l'autre — comme on peut le lire dans C.B. Powell, précité, au paragraphe 33, et dans les décisions où ce principe est appliqué — les incursions prématurées devant les cours de révision sont vues d'un mauvais œil, à moins que le requérant ne puisse prouver qu'il y a urgence inhabituelle ou des circonstances exceptionnelles au sens de la jurisprudence.

[29]  Pour les motifs qui précèdent, j'ordonne le retrait de l'avis de demande du dossier de la Cour et la clôture de celui‑ci. Les dépens sont adjugés aux défendeurs.

« David Stratas »

j.c.a.

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-325-16

INTITULÉ :

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA c. BNSF RAILWAY COMPANY

 

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 novembre 2016

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Douglas C. Hodson, c.r.

 

Pour la demanderesse

 

Ian S. MacKay

 

Pour lA DÉFENDERESSE BNSF railway company

 

Lucia M. Stuhldreier

Carolyn J. Frost

Pour lA DÉFENDERESSE Richardson International Limited

 

Simon-Pierre Lessard

Tim Jolly

Pour le défendeur

Office des transports du Canada

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MacPherson Leslie & Tyerman LLP

Saskatoon (Saskatchewan)

 

Pour la demanderesse

 

Ian S. MacKay

Ottawa (Ontario)

 

Pour lA DÉFENDERESSE BNSF railway company

 

Aikins MacAulay & Thorvaldson LLP

Winnipeg (Manitoba)

Pour lA DÉFENDERESSE Richardson International Limited

 

Office des transports du Canada

Gatineau (Québec)

Pour le défendeur

Office des transports du Canada

 

 

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