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Date : 20161013


Dossier : A-392-15

Référence : 2016 CAF 250

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

 

 

ENTRE :

THOMAS WINMILL

appelant

et

CANADA (MINISTRE DE LA JUSTICE)

intimé

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 11 octobre 2016.

Jugement rendu à Toronto (Ontario), le 13 octobre 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE RENNIE

 


Date : 20161013


Dossier : A-392-15

Référence : 2016 CAF 250

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

 

 

ENTRE :

THOMAS WINMILL

appelant

et

CANADA (MINISTRE DE LA JUSTICE)

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STRATAS

[1]               M. Winmill interjette appel du jugement de la Cour fédérale datant du 5 juin 2015, par lequel le juge LeBlanc a rejeté sa demande de contrôle judiciaire de décisions prises par le ministre de la Justice (2015 CF 710).

[2]               M. Winmill a présenté sa demande en vertu de l’article 696.1 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, en vue d’obtenir du ministre une mesure de redressement à l’égard de sa déclaration de culpabilité pour meurtre au premier degré. Par l’effet conjugué des décisions du ministre, la demande de M. Winmill a été rejetée.

[3]               La procédure d’examen d’une demande en révision par le ministre d’une condamnation criminelle est énoncée aux articles 696.1 à 696.6 du Code criminel et dans le Règlement sur les demandes de révision auprès du ministre (erreurs judiciaires), SOR/2002-416. Le ministre a rejeté la demande de M. Winmill à l’étape de l’« évaluation préliminaire » de la procédure de révision. Cette étape est régie par le paragraphe 4(1) du Règlement.

[4]               Au cours de l’évaluation préliminaire, si le ministre « constate qu’il pourrait y avoir des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite », la demande passe à l’étape suivante, celle de l’enquête, en application de l’alinéa 4(1)a) du Règlement. En revanche, si le ministre « est convaincu qu’il n’y a pas de motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite », il « ne mène pas d’enquête » (sous‑alinéa 4(1)b)(ii) du Règlement).

[5]               Pour décider s’« il pourrait y avoir des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite », le ministre « prend en compte tous les éléments qu’il estime se rapporter à la demande », notamment « la question de savoir si la demande repose sur de nouvelles questions importantes », « la pertinence et la fiabilité des renseignements présentés relativement à la demande », « le fait que la demande [...] ne doit pas tenir lieu d’appel ultérieur » et le fait que « les mesures de redressement prévues sont des recours extraordinaires » (Code criminel, article 696.4).

[6]               En l’espèce, compte tenu des renseignements déposés à l’appui de la demande et des renseignements additionnels dont le ministre a reçu communication — dont il sera question ci-après —, celui‑ci était convaincu qu’il n’y avait aucun motif raisonnable de conclure à la probabilité d’une erreur judiciaire justifiant une enquête. Par conséquent, en application du sous‑alinéa 4(1)b)(ii) du Règlement, le ministre a rejeté la demande, comme il le devait.

[7]               En Cour fédérale, les parties ont exprimé des opinions divergentes quant à l’objet de la révision. De l’avis de M. Winmill, toutes les décisions du ministre étaient en litige. Cependant, aux yeux du ministre, seule sa dernière décision, celle de refuser de revenir sur une décision, était en litige. Même si elle partageait l’avis du ministre à cet égard, la Cour fédérale a néanmoins contrôlé toutes les décisions et a conclu à leur caractère raisonnable.

[8]               Devant la Cour, le ministre a concédé que l’appel devait porter sur toutes ses décisions. Il s’agit d’une concession juste et judicieuse.

[9]               Les parties ont convenu que la norme de la décision raisonnable s’applique en l’espèce. Je suis du même avis. Le ministre a fondé sa décision essentiellement sur l’appréciation des faits afin d’établir si un certain seuil qualitatif était atteint — c’est-à-dire s’il existe des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite (alinéa 4(1)a) du Règlement), ou s’« il n’y a pas de motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite » (sous-alinéa 4(1)b)(ii) du Règlement). Les décisions du ministre à l’égard des demandes de redressement sont définitives, aux termes du paragraphe 696.3(4) du Code criminel.

[10]           Bien que, d’ordinaire, une décision étayée par de nombreux faits appelle une grande déférence, la demande présentée en vertu de l’article 696.1 porte sur le droit à la liberté du demandeur, une question d’une très grande importance. Par conséquent, même si la norme de la décision raisonnable est « déférente » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47), il faut se garder de déduire que la déférence dont il est question ici équivaut à donner carte blanche au ministre. Bien au contraire.

[11]           Notre Cour, de par son rôle en matière de contrôle judiciaire, a l’obligation d’assurer le respect de la primauté du droit et des normes légales. Dans un cas comme celui qui nous occupe, notre Cour doit vérifier si le ministre, durant l’évaluation préliminaire, a suivi une démarche propre à réaliser l’objet du cadre légal, et qu’il a fondé sa décision sur une preuve solide. En revanche, notre Cour ne peut procéder elle-même à l’appréciation des faits et substituer ses conclusions à celles du ministre.

[12]           En l’espèce, j’ai constaté que le ministre a suivi une démarche propre à réaliser l’objet des dispositions législatives à l’étape de l’évaluation préliminaire. Il a procédé à un examen rigoureux des renseignements présentés à l’appui de la demande. Qui plus est, en tenant dûment compte de la norme juridique énoncée dans R. v. Babinski (1999), 44 O.R. (3d) 695, 135 C.C.C. (3d) 1 (Ont. C.A.) (voir le dossier d’appel, page 72), le ministre est allé plus loin en interrogeant un témoin du crime, Mme Tina Prevost. Dans une décision discrétionnaire fondée sur les faits et prise dans le respect des normes légales mentionnées plus haut, le ministre a indiqué qu’il n’exercerait pas les pouvoirs d’enquête que lui confère le paragraphe 696.2(2) du Code criminel. Plus précisément, le ministre a refusé d’interroger Mme Prevost sous serment et de la rendre disponible afin que les représentants de M. Winmill lui fassent subir un contre-interrogatoire.

[13]           Selon M. Winmill, le ministre y était tenu. Pour évaluer cette prétention, nous devons examiner l’analyse que le ministre a faite de la preuve et décider si celle-ci était suffisamment solide pour étayer sa décision.

[14]           À mon avis, le ministre a rendu sa décision au vu d’une preuve suffisamment solide. La demande présentée en vertu de l’article 696.1 est appuyée par un affidavit souscrit par le fils de M. Winmill, Robert. Dans l’affidavit en question, Robert avoue avoir commis le meurtre et prétend disculper son père. Le ministre a estimé qu’il ne s’agissait pas d’une nouvelle question importante. Lors du procès de M. Winmill, le jury disposait d’une confession faite par Robert dans sa cellule revendiquant le meurtre, ainsi qu’un mobile pour le crime. Le jury a néanmoins conclu que le meurtre avait été commis par M. Winmill, et non par Robert. Cette conclusion était fondée sur d’autres éléments de preuve, dont une déclaration d’un autre témoin ayant comparu au procès, M. Cvetkovic. M. Cvetkovic, maintenant décédé, avait identifié M. Winmill comme étant le meurtrier.

[15]           Selon le ministre, Robert [traduction] « a livré des versions contradictoires du meurtre à différentes personnes [...] et rien ne permet d’appuyer sa version actuelle des faits ». Le ministre a cherché, en vain, une preuve indépendante corroborant la thèse de la perpétration du meurtre par Robert, plutôt qu’une preuve corroborant la thèse voulant que Robert avait admis avoir perpétré le meurtre. Le ministre a conclu qu’il était possible que Robert ait eu un mobile pour avouer le meurtre afin de disculper son père : des accusations pesaient sur lui qui, s’il avait été déclaré coupable, lui auraient valu une longue peine d’emprisonnement; la confession ne lui était pas forcément préjudiciable.

[16]           Cet élément montre que le ministre a fondé sur une preuve solide sa conclusion selon laquelle la confession de Robert n’était ni « nouvelle » ni « importante » et qu’elle ne pouvait pas être invoquée pour démontrer « qu’il pourrait y avoir des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite » et justifier une enquête. Autrement dit, le ministre avait des motifs acceptables et justifiables de croire que la confession de Robert ne pouvait pas fournir de motifs raisonnables pour conclure qu’une erreur judiciaire s’était probablement produite et qu’une enquête s’imposait. En pareil cas, la Cour n’a nullement pour mandat, dans le cadre d’un contrôle assujetti à la norme de la décision raisonnable, d’apprécier à nouveau la preuve par le menu ni de mettre en doute les conclusions acceptables et justifiables du ministre.

[17]           Tout au plus, l’information que Mme Prevost a transmise au ministre durant son interrogatoire laisse simplement entendre que Robert a pu être complice du meurtre, mais elle ne disculpe aucunement M. Winmill. Cette information ne contredit pas le témoignage de Mme Prevost au procès, au cours duquel elle a affirmé que M. Winmill avait tué la victime. Pendant l’interrogatoire par le ministre, Mme Prevost a énergiquement réaffirmé le rôle joué par M. Winmill dans le meurtre. C’est ce qui découle du passage suivant de la transcription de l’interrogatoire :

[traduction]
Je lui ai expliqué [à Mme Prevost] que le projet Innocence [qui militait pour la défense de M. Winmill] nous avait transmis son nom et ses coordonnées et que nous faisions un suivi.

Je lui ai directement demandé si le témoignage qu’elle avait livré à l’audience était véridique. Elle m’a répondu que oui. Je lui ai alors demandé ce que Thomas Winmill avait fait le jour en question. Elle a répondu qu’il avait poignardé la victime et, avec l’aide de son fils [Robert], avait tranché la gorge de la victime.

Elle était convaincue que Thomas Winmill avait poignardé et tué la victime ce matin-là. Elle s’en souvient clairement. C’était le matin.

Elle a ajouté qu’elle n’était pas disposée à modifier le témoignage qu’elle avait livré au procès ni à revenir sur celui-ci, car elle avait dit la vérité pendant son témoignage.

[18]           Afin de décider s’il y avait des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’était probablement produite et qu’une enquête s’imposait, le ministre était en droit de tenir compte de cette information parallèlement à tous les autres éléments de preuve et de conclure à l’absence de tels motifs.

[19]           Dans l’ensemble, je souscris aux observations suivantes de la Cour fédérale (paragraphes 87 à 89 et 91) :

[87]      En l’espèce, comme le souligne le ministre, [M. Winmill] n’a fourni aucun élément de preuve révélant que [Mme Prevost] ne se souvenait pas très bien qui avait commis le meurtre lorsqu’elle a témoigné peu après l’événement, ou révélant qu’elle avait livré un faux témoignage au procès. En outre, les renseignements qu’a présentés [M. Winmill] à l’appui de sa demande de révision de la condamnation ont largement confirmé le témoignage que [Mme Prevost] a livré à l’audience selon lequel il était l’auteur du meurtre. Comme je l’ai déjà précisé, le projet Innocence a interrogé [Mme Prevost] en juin 2011 et elle a confirmé le témoignage qu’elle a livré au procès selon lequel le demandeur avait poignardé et tué [la victime].

[88]      Dans un tel contexte, je suis d’accord avec le ministre pour dire qu’il n’était pas nécessaire que le [Groupe de la révision des condamnations criminelles] parle à [Mme Prevost], encore moins l’interroge sous serment, pour établir si son témoignage était le même qu’elle avait livré au procès, car les documents fournis à l’appui de la demande de révision de la condamnation révélaient clairement que c’était le cas.

[89]      Le projet Innocence priait le [Groupe de la révision des condamnations criminelles] d’interroger [Mme Prevost] sous serment, car malgré le fait qu’elle affirmait toujours que [M. Winmill] était responsable du meurtre de [la victime], son récit des événements ne concordait pas avec le témoignage qu’elle avait livré au procès. Toutefois, les documents relatifs à la demande de révision de la condamnation ne comportaient aucun détail concernant ces incohérences et [M. Winmill] n’a pas expliqué en quoi celles-ci auraient pu avoir une importance dans le contexte général du témoignage qu’elle avait livré au procès.

[…]

[91]      Pour le moment, les documents à l’appui de la demande de révision de la condamnation révèlent qu’en ce qui concerne l’auteur du meurtre de [la victime], la version des événements de [Mme Prevost] concorde avec le témoignage qu’elle a livré au procès, et [M. Winmill] n’a pas étayé les incohérences qu’il dit avoir relevées dans le récit des événements de [Mme Prevost] de juin 2011. Par conséquent, la version des événements de [Mme Prevost] concorde toujours avec le témoignage qu’a livré M. Cvetkovic au procès, et comme nous l’avons déjà précisé, la Cour d’appel de l’Ontario a jugé que celui-ci n’était pas aussi indigne de confiance que [Mme Prevost] et Robert, car il n’avait pas de casier judiciaire, avait un emploi stable et n’avait pas de motif suffisant de tuer [la victime] ou d’aider Robert ou [Mme Prevost], qu’il connaissait à peine.

[20]           M. Winmill soutient par ailleurs que le ministre a omis de communiquer les notes détaillées de l’interrogatoire de Mme Prevost et que, ce faisant, il a manqué aux règles d’équité procédurale étant donné que ces notes dévoilaient des incohérences entre le témoignage de Mme Prevost au procès et d’autres éléments de preuve. M. Winmill ajoute que la lettre que lui a adressée le ministre à l’égard de l’interrogatoire était trompeuse.

[21]           Compte tenu des faits de l’espèce, je rejette cette prétention. Si des renseignements non communiqués sont importants et susceptibles de justifier un examen plus approfondi d’un aspect — parce qu’ils révèlent ou pourraient révéler l’existence de questions nouvelles ou importantes étayant la prétention d’erreur judiciaire —, alors il serait possible de conclure que la non-communication viole la règle d’équité procédurale. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce. Lors de son interrogatoire par le ministre, Mme Prevost n’a pas dérogé à son témoignage précédent selon lequel M. Winmill était l’auteur du meurtre. Au contraire, elle a confirmé cette version des faits. Aucun renseignement non communiqué ne pouvait être assimilé, en tout ou en partie, à une question nouvelle ou importante, ou s’y rapporter, et démontrer la probabilité d’une erreur judiciaire.

[22]           M. Winmill prétend que le ministre ne peut pas juger de la crédibilité de Robert au cours de l’évaluation préliminaire sur la foi d’un dossier. Je ne suis pas d’accord. Premièrement, en l’espèce, le ministre est allé plus loin et a interrogé Mme Prevost. Il ne s’est donc pas borné au dossier pour rendre sa décision. Deuxièmement, comme je l’ai évoqué précédemment, le ministre dispose d’un pouvoir légal d’évaluer toutes les « nouvelles questions importantes » qui se rapportent à la demande, et d’en établir la « pertinence » et la « fiabilité ». En outre, le ministre peut prendre en compte « tous les éléments qu’il estime se rapporter à la demande ». Les normes légales autorisent le ministre à tenir compte de la crédibilité des renseignements présentés relativement à une demande.

[23]           Je décline l’invitation de l’avocat de M. Winmill qui me prie de définir, pour l’espèce et une fois pour toutes, les responsabilités juridiques exactes du ministre dans l’évaluation préliminaire d’une demande présentée en vertu de l’article 696.1. Un tel exercice serait inutile. Compte tenu des faits de l’espèce, il suffit d’établir que la démarche du ministre est conforme à l’objet du cadre légal et que sa décision de rejeter la demande à l’étape de l’évaluation préliminaire est fondée sur une preuve solide.

[24]           Par conséquent, et en dépit de l’argumentation habile de Mes Gonsalves et Schumann, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

« David Stratas »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

M. Nadon j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-392-15

APPEL D’UN JUGEMENT PRONONCÉ PAR LE JUGE LEBLANC DE LA COUR FÉDÉRALE LE 5 JUIN 2015, DOSSIER NO T-729-13.

INTITULÉ :

THOMAS WINMILL c. CANADA (MINISTRE DE LA JUSTICE)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 octobre 2016

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE RENNIE

DATE DES MOTIFS :

Le 13 octobre 2016

COMPARUTIONS :

Andrea Gonsalves

Fredrick Schumann

Pour l’appelant

Sean Gaudet

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stockwoods LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour l’appelant

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour l’intimé

 

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