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Date : 20161021


 

Dossier : A-37-16

Référence : 2016 CAF 258

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LA JUGE DAWSON

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

ECOLOGY ACTION CENTRE et

LIVING OCEANS SOCIETY

appelants

et

MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE,

MINISTRE DE LA SANTÉ et

AQUABOUNTY CANADA INC.

intimés

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 18 octobre 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 21 octobre 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LA JUGE WOODS


Date : 20161021


Dossier : A-37-16

Référence : 2016 CAF 258

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LA JUGE DAWSON

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

ECOLOGY ACTION CENTRE et

LIVING OCEANS SOCIETY

appelants

et

MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE, MINISTRE DE LA SANTÉ et

AQUABOUNTY CANADA INC.

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]               Pour les motifs dont la référence est 2015 CF 1412, un juge de la Cour fédérale a rejeté une demande de contrôle judiciaire de deux décisions ministérielles. Dans le présent appel interjeté à l’encontre du jugement de la Cour fédérale, les appelants mettent en cause une seule décision, soit la décision du ministre de l’Environnement et du Changement climatique d’alors de publier dans la Gazette du Canada un avis de nouvelle activité en application de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), L.C. 1999, ch. 33, concernant un saumon de l’Atlantique génétiquement modifié connu sous le nom de « saumon AquAdvantage ». En l’espèce, les appelants affirment que la Cour fédérale a commis une erreur en appliquant la norme de contrôle de la décision raisonnable à la décision du ministre.

[2]               Malgré les excellentes observations de M. McAnsh, je rejetterais l’appel pour les motifs qui suivent.

[3]               Les faits pertinents sont exposés intégralement dans les motifs de la Cour fédérale. Pour les besoins du présent appel, il suffit de souligner ce qui suit :

1.                  Une société de biotechnologie a présenté un avis à Environnement Canada et à Santé Canada en vertu du paragraphe 106(1) de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (la Loi), relativement à la fabrication d’œufs embryonnés triploïdes, ou stériles, dans une installation de l’Île-du-Prince-Édouard, en vue de produire ou de faire grossir commercialement des saumons AquAdvantage (SAA) uniquement femelles et stériles dans une installation située au Panama. L’intimée AquaBounty Canada Inc. sera le fabricant-vendeur des œufs de SAA au Canada.

2.                  À la suite d’une évaluation de la toxicité, les ministres intimés ont conclu que le SAA n’est pas toxique, au sens de la Loi, ni susceptible de le devenir, si les activités proposées sont menées dans une installation suffisamment étanche.

3.                  Les ministres ont également conclu que de nouvelles activités liées au SAA et menées à l’extérieur des installations étanches pourraient rendre toxique l’organisme vivant.

4.                  Dans le but d’atténuer ce risque, le ministre de l’Environnement (le ministre) a exercé son pouvoir discrétionnaire et demandé que l’avis de nouvelle activité (avis de NAc) soit publié aux termes de l’article 110 de la Loi afin de restreindre l’utilisation du SAA par AquaBounty et d’autres personnes. Dans l’éventualité où quelqu’un souhaiterait mener une activité avec le SAA qui ne s’inscrirait pas dans les paramètres définis dans l’avis de NAc, il faudrait présenter un nouvel avis.

5.                  L’avis de NAc autorisait des utilisations du SAA plus vastes que celles conférées à AquaBounty sur deux aspects.

6.                  D’abord, même si l’avis au sujet du SAA n’envisageait pas le grossissement commercial du SAA au Canada, ou n’y faisait pas référence, l’avis de NAc autorise le grossissement commercial de SAA femelles triploïdes à l’intérieur d’une installation étanche, à condition que les femelles triploïdes soient euthanasiées avant de quitter l’installation.

7.                  Deuxièmement, le ministre affirme que le paragraphe 106(10) de la Loi autorise AquaBounty à utiliser le SAA uniquement à son installation de l’Île-du-Prince-Édouard. Toutefois, l’avis de NAc autorise des personnes à utiliser le SAA dans n’importe quelle installation étanche au Canada qui répond aux critères de confinement définis dans l’avis.

[4]               En l’espèce, les appelants affirment ce qui suit :

1.                  La décision du ministre d’autoriser le grossissement commercial du SAA au Canada était déraisonnable.

2.                  La décision du ministre d’autoriser l’utilisation du SAA dans n’importe quelle installation étanche, selon la définition donnée dans l’avis de NAc, était déraisonnable.

3.                  La conclusion de la Cour fédérale selon laquelle la fabrication, l’importation et l’utilisation du SAA par AquaBounty sont uniquement autorisées à son installation de l’Île-du-Prince-Édouard est incompatible avec sa conclusion selon laquelle l’avis de NAc est raisonnable.

4.                  La Cour fédérale a manqué à son obligation d’équité procédurale quand elle a interprété la partie 6 de la Loi d’une manière qui n’a pas été avancée par les parties.

[5]               La Cour fédérale a rejeté l’argument selon lequel l’avis de NAc était déraisonnable parce qu’il autorise l’utilisation du SAA dans n’importe quelle installation étanche. Je ne vois aucune erreur dans l’analyse de la Cour fédérale qui justifie une intervention de la Cour. Plus précisément, l’article 104 de la Loi indique qu’une nouvelle activité, en ce qui concerne un organisme vivant, s’entend notamment de toute activité qui donne ou peut donner lieu :

a) soit à la pénétration ou au rejet d’un organisme vivant dans l’environnement en une quantité ou concentration qui, de l’avis des ministres, est sensiblement plus grande qu’antérieurement;

(a) the entry or release of the living organism into the environment in a quantity or concentration that, in the Ministers’ opinion, is significantly greater than the quantity or concentration of the living organism that previously entered or was released into the environment; or

b) soit à la pénétration ou au rejet d’un organisme vivant dans l’environnement ou à l’exposition réelle ou potentielle de celui-ci à un tel organisme, dans des circonstances et d’une manière qui, de l’avis des ministres, sont sensiblement différentes. (significant new activity)

(b) the entry or release of the living organism into the environment or the exposure or potential exposure of the environment to the living organism in a manner and circumstances that, in the Ministers’ opinion, are significantly different from the manner and circumstances in which the living organism previously entered or was released into the environment or of any previous exposure or potential exposure of the environment to the living organism. (nouvelle activité)

(soulignement ajouté)

(emphasis added)

[6]               Les ministres peuvent publier un avis concernant une nouvelle activité lorsqu’ils « soupçonnent qu’une nouvelle activité relative à l’organisme peut rendre celui-ci toxique » (paragraphe 110(1)). La loi confère donc un pouvoir discrétionnaire important aux ministres. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire est éclairé par leur appréciation des faits et par la politique. Par conséquent, leurs décisions commandent la déférence.

[7]               Les appelants n’ont pas prouvé qu’il était déraisonnable pour le ministre de conclure qu’avec des mesures de confinement physique et biologique adéquates dans une installation terrestre, on pouvait empêcher l’exposition potentielle à l’environnement. Il faut se rappeler qu’une évaluation du risque préparée par le ministère des Pêches et des Océans et soumise à un processus d’examen par des pairs indépendant a mené à une conclusion que [TRADUCTION] « dans le cadre du scénario d’utilisation décrit dans l’avis par AquaBounty, il est possible d’affirmer avec une certitude raisonnable que les risques pour l’environnement canadien issus de la fabrication et de la production de SAA sont faibles ». Les mesures de confinement précisées dans l’avis de NAc renforcent celles précisées par AquaBounty.

[8]               En ce qui concerne le grossissement autorisé à des fins commerciales, la Cour fédérale a indiqué, au paragraphe 81 de ses motifs :

[...] lorsque le dossier certifié du tribunal est lu dans son ensemble, il est évident que l’approche fonctionnelle adoptée par le ministre de l’Environnement à l’égard de l’avis de NAc l’a amenée à conclure que [traduction] « les mesures de confinement requises conformément à l’avis de NAc concernant le SAA fonctionneront également bien, et ce, que le SAA soit élevé jusqu’à sa maturité aux fins de recherche, de reproduction ou de grossissement commercial ». Les SAA adultes doivent être euthanasiés avant de quitter l’installation étanche au Canada. Rien au dossier ne prouve que les SAA euthanasiés posent un danger pour l’environnement. De plus, ils ne peuvent pas servir à la consommation humaine à moins que Santé Canada donne son approbation. Si tel est le cas, les risques pour la santé humaine seront évalués. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que la portée de l’avis de NAc était trop générale et déraisonnable.

Les appelants n’ont fait ressortir aucune erreur susceptible de révision dans cette analyse.

[9]               Ensuite, les appelants affirment que l’avis de NAc est absurde parce qu’il autorise des utilisations plus vastes dans le cas de personnes autres qu’AquaBounty.

[10]           La Cour fédérale a souligné que, selon la partie 6 de la Loi, il existe trois façons de traiter les organismes vivants : la fabrication, l’importation et l’utilisation. Aux paragraphes 75 à 77 de ses motifs, la Cour fédérale a interprété les dispositions pertinentes de la loi et conclu que « même si un avis de NAc autorisant l’utilisation du SAA dans une installation étanche est publié, quiconque souhaite fabriquer ou importer cet organisme doit soumettre un avis aux termes du paragraphe 106(1). Cette obligation concerne également AquaBounty qui, parce qu’elle a obtenu une dérogation aux termes de l’alinéa 106(8)b), ne doit utiliser et fabriquer le SAA que dans son installation de l’Î.-P.-É. aux termes du paragraphe 106(10) et ne peut le fabriquer dans une autre installation sans d’abord subir une autre évaluation ».

[11]           La Cour fédérale a poursuivi ainsi :

[79]      L’incidence de la partie 6 de la LCPE sur les personnes autres qu’AquaBounty est qu’elles doivent soumettre un avis aux termes du paragraphe 106(1) pour être autorisées à fabriquer ou à importer le SAA et elles doivent soumettre un avis en vertu du paragraphe 106(4) si elles proposent une utilisation qui constitue une nouvelle activité.

[80]      Quelle est l’incidence de cette interprétation sur la prétendue absurdité décrite précédemment? Cette interprétation supprime cette absurdité. Plus particulièrement, elle démontre que l’application du paragraphe 106(10) ne place pas AquaBounty dans une situation d’inégalité. À l’instar d’AquaBounty, toutes les personnes souhaitant fabriquer ou importer des SAA doivent soumettre un avis. Elles peuvent également demander une exemption dans leur avis. Si, comme AquaBounty, elles présentent une demande d’exemption en vertu de l’alinéa 106(8)b), elles doivent donc utiliser, fabriquer et importer le SAA seulement dans le lieu précisé dans leur demande, conformément au paragraphe 106(10). Par contre, si elles ne présentent pas de demande d’exemption, leur utilisation ne sera limitée que par la portée de l’avis de NAc. Ainsi, AquaBounty est placée sur un pied d’égalité avec tous les autres. Il n’est donc pas absurde, ni déraisonnable, que le ministre publie un avis de NAc qui autorise des utilisations plus vastes du SAA que celles autorisées aux termes du paragraphe 106(10). L’objection des demandeurs est donc réfutée.

[12]           Les appelants acceptent le bien-fondé de l’interprétation faite par la Cour fédérale du texte législatif. Il a été prouvé que la restriction concernant l’utilisation relative aux avis de NAc, prévue au paragraphe 106(4), et la restriction relative à la demande d’exemption, prévue au paragraphe 106(10), s’appliquaient de manière rationnelle à AquaBounty, conformément à la présomption de chevauchement. Cette présomption s’applique lorsque deux principes législatifs qui ne sont pas en conflit s’appliquent également à la même série de faits. Il s’ensuit qu’il n’y avait pas d’absurdité qui rendait déraisonnable l’avis de NAc.

[13]           Enfin, la Cour fédérale n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale en arrivant à sa propre interprétation de la loi. Même si l’équité procédurale exige que les parties soient en mesure de présenter des observations sur les questions d’interprétation de la loi, la capacité qu’a la Cour de trancher correctement ces questions n’est pas restreinte par les observations des parties.

[14]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel et j’ordonnerais aux appelants de payer un mémoire de dépens aux ministres intimés pour le présent appel et un mémoire de dépens à AquaBounty Canada Inc. pour le présent appel.

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Marc Nadon, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Judith M. Woods, j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-37-16

 

 

INTITULÉ :

ECOLOGY ACTION CENTRE et LIVING OCEANS SOCIETY c. MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE, MINISTRE DE LA SANTÉ et AQUABOUNTY CANADA INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 octobre 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LA JUGE WOODS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 octobre 2016

 

COMPARUTIONS :

Scott McAnsh

Kaitlyn Mitchell

 

Pour les appelants

 

Sharon Johnston

Vincent Fréchette

 

Pour les intimés

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

Patrick G. Duffy

Patrick J. Corney

 

POUR L’INTIMÉE

AQUABOUNTY CANADA INC.


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ecojustice Environmental Law Clinic

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour les appelants

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour les intimés

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

Stikeman Elliott S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

AQUABOUNTY CANADA INC.

 

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