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Date : 20160927


Dossier : A-60-16

Référence : 2016 CAF 242

CORAM :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

ZONE3-XXXVI INC.

intimée

Audience tenue à Montréal (Québec), le 14 septembre 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

Y A (ONT) SOUSCRIT :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE BOIVIN

 


Date : 20160927


Dossier : A-60-16

Référence : 2016 CAF 242

CORAM :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

ZONE3-XXXVI INC.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DE MONTIGNY

[1]               La Cour est saisie d’un appel et d’un appel incident à l’encontre d’une décision d’un juge de la Cour fédérale (le Juge) accueillant en partie la requête en révision judiciaire de l’intimée. Le Juge a annulé la décision du Ministre du Patrimoine canadien (le Ministre) refusant la délivrance d’un certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne (le certificat), mais a refusé d’ordonner au Ministre d’accorder le certificat ou de le décerner lui-même; il a plutôt renvoyé le dossier au Ministre pour réexamen.

[2]               Après avoir pris connaissance du dossier et entendu les représentations des avocats de chaque partie, j’estime que l’appel principal doit être accueilli, et qu’il n’est en conséquence pas nécessaire de se prononcer sur l’appel incident. À mon avis, la décision rendue par le Ministre était raisonnable au regard des dispositions législatives et réglementaires pertinentes, et le processus décisionnel a satisfait aux exigences d’équité procédurale applicables en l’espèce.

I.                   Faits

[3]               Le 25 septembre 2013, l’intimée a déposé une demande auprès du Ministre du Patrimoine canadien afin d’obtenir un certificat lui permettant d’obtenir un crédit d’impôt pour l’une de ses productions télévisuelles. L’intimée, Zone3-XXXVI Inc. (Zone3), est une société constituée en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, c. C-44.

[4]               Le crédit d’impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne (CIPC ou crédit d’impôt) est l’un des programmes incitatifs administrés dans le cadre du régime fiscal, et a pour but d’encourager et de stimuler le développement de l’industrie de la production télévisuelle. Le crédit correspond à 25% des coûts de la main-d’œuvre admissible d’une société de production sous contrôle canadien et il s’applique aux films ayant un niveau élevé de contenu canadien.

[5]               Les paragraphes 125.4(1) et (3) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.) (la Loi) prévoient qu’une société admissible peut réclamer un CIPC à l’égard d’une « production cinématographique ou magnétoscopique canadienne » visée au paragraphe 1106(4) du Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C. c. 945 (le Règlement). Cette dernière disposition stipule qu’une « production cinématographique ou magnétoscopique canadienne » s’entend d’une production à l’égard de laquelle le Ministre a délivré un certificat attestant qu’elle remplit un certain nombre de conditions énumérées à ce paragraphe. Sont cependant inadmissibles à un certificat onze genres de production énumérés sous la définition de « production exclue » dans le Règlement, et notamment « une production comportant un jeu, un questionnaire ou un concours, sauf celle qui s’adresse principalement aux personnes mineures ». Les dispositions pertinentes de la Loi et du Règlement sont reproduites en annexe.

[6]               Conformément au Règlement, c’est au Ministre qu’il revient d’évaluer les critères d’admissibilité d’une production au CIPC. Cette évaluation est effectuée sur la base des renseignements fournis par le producteur et de la recommandation du Bureau de certification des produits audio-visuels (BCPAC), une unité du Ministère spécialisée dans la mise en œuvre de ce type de crédit d’impôt. Lorsqu’il est établi qu’une production rencontre toutes les exigences de la Loi et du Règlement, le Ministre émet un certificat qui permettra à la société de production de demander le crédit d’impôt dans sa déclaration à l’Agence du revenu du Canada.

[7]               La Loi et le Règlement sont complétés par des Lignes Directrices, adoptées par le Ministre sous l’autorité du paragraphe 125.4(7) de la Loi. Cette disposition prévoit en effet la possibilité pour le Ministre d’adopter des Lignes Directrices « sur les circonstances dans lesquelles les conditions énoncées dans la définition de certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne » sont remplies. Il est en outre précisé que ces Lignes Directrices ne constituent pas des textes réglementaires au sens de la Loi sur les textes réglementaires, L.R.C. 1985, c. S-22.

[8]               Le Ministre a publié le 2 avril 2012 un guide de 58 pages (Programme du CIPC – Lignes directrices), visant à aider les producteurs à présenter au BCPAC une demande de CIPC. On y résume les exigences pour qu’une production soit admissible en plus d’expliquer l’administration du programme par le BCPAC; on fournit des précisions sur les documents et renseignements exigés; et on donne la définition des différents genres de production. On y précise notamment la portée d’une « production comportant un jeu, un questionnaire ou un concours, sauf celle qui s’adresse principalement aux personnes mineures » dans les termes suivants:

Émission présentant des jeux d’adresse et de chance ainsi que des jeux-questionnaires. Note: Les productions de ce genre à l’intention des mineurs sont admissibles; toutefois, les émissions qui utilisent ou présentent des biens protégés par le droit d’auteur et offerts sur le marché comme des jeux ou d’autres produits conçus principalement pour des mineurs, qu’elles soient commanditées ou non, ne sont pas admissibles.

Lignes Directrices, Dossier d’Appel, vol. 2 à la p. 392 (la version anglaise de cette disposition est reproduite en annexe) [les caractères gras sont dans l’original]

[9]               Le 25 septembre 2013, Zone3 a déposé une demande au BCPAC afin d’obtenir un certificat pour la production « On passe à l’histoire » (la Production) donnant ouverture au CIPC. Dans sa soumission, Zone3 identifie cette production comme un « magazine ». Le synopsis qui l’accompagne décrit la Production dans les termes suivants:

Animé par Chantal Lamarre, On passe à l’histoire est un nouveau jeu-questionnaire de culture générale, à la fois amusant et enrichissant, dont chaque émission porte sur l’univers et sur l’époque d’une personnalité réelle – historique ou contemporaine.

La prémisse est simple : on fouille l’histoire de Cléopâtre, celle de Molière, ou encore celle de J.F. Kennedy…À partir de ce prétexte, pendant 60 minutes s’enchaînent une ribambelle de questions de différentes catégories – encyclopédique, insolite ou culture populaire – au sujet de la personnalité choisie et du monde dans laquelle elle vie (sic). Les trois concurrents à ce jeu – tous des vedettes ou personnalités québécoises – ont de l’esprit, de la répartie, beaucoup d’humour.

Pour étoffer la valeur informative de l’émission, l’animatrice est épaulée par un « historien-savant » qui vient apporter un éclairage supplémentaire sur tel [ou] sujet. De son côté, un multi-instrumentiste veille sur l’ambiance musicale grâce à des indicatifs sonores faits sur mesure.

Synopsis, Dossier d’Appel, vol. 2 à la p. 442

[10]           Après avoir visionné le DVD de la Production, l’agent du BCPAC chargé de l’évaluation se dit d’avis qu’il s’agit d’une production exclue puisqu’elle comporte un jeu-questionnaire. Appliquant les procédures usuelles telles que décrites dans l’affidavit de Johanne Mennie, directrice du BCPAC (voir Dossier d’Appel, vol. 2 à la p. 372), le dossier est envoyé au comité consultatif dont les dix membres confirment l’avis exprimé par l’agent. Le dossier est par la suite porté à l’attention du Comité de conformité du BCPAC, composé de quatre analystes principaux et de gestionnaires, qui retient lui aussi à l’unanimité la recommandation de l’agent selon laquelle la Production est d’un genre exclu puisqu’elle comporte un jeu, questionnaire ou concours.

[11]           Le 25 août 2014, un préavis de refus est envoyé à l’intimée pour l’informer que le BCPAC avait l’intention de recommander le refus de sa demande de certificat. On justifie cette décision de la façon suivante:

Le visionnement de la production ON PASSE À L’HISTOIRE (I) par le BCPAC révèle que chaque épisode adopte un format propre aux jeux télévisés en utilisant l’histoire en toile de fond. La présentatrice de l’émission introduit des concurrents qui s’affrontent en répondant à une série de questions sur le ou les sujets retenus pour l’émission. Par ailleurs, ON PASSE À L’HISTOIRE (I) est associé à une application informatique de type « jeu questionnaire » qui permet aux téléspectateurs de jouer à la maison avec les concurrents tout au long de l’émission.

Préavis de refus, Dossier d’Appel, vol. 2 aux pp. 469-470 [les caractères gras sont dans l’original]

[12]           Se prévalant de la possibilité que prévoient les Lignes Directrices de soumettre des nouveaux renseignements qui pourraient influer sur l’évaluation du dossier, le représentant de l’intimée a fait parvenir au BCPAC un argumentaire substantiel visant à démontrer que la Production constituait une émission de type « magazine », caractérisée par « son fort contenu informatif lequel est présenté de manière divertissante et enjouée » (Dossier d’Appel, vol. 2 aux pp. 572-577). On y fait valoir que l’exclusion prévue au Règlement vise essentiellement les productions dont le but premier est de présenter un jeu questionnaire, et non les productions comme la présente où l’utilisation d’une formule de type « jeu », « questionnaire » ou « concours » n’est pas l’objectif premier de la Production et ne sert que de prétexte ou de soutien au contenu en divertissement ou d’information de la Production. Le contenu informatif serait à ce point important que la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC), qui joue au Québec un rôle similaire à celui joué par le BCPAC, a qualifié la Production d’« émission de type documentaire ».

[13]           Le Comité de conformité du BCPAC a examiné ces représentations et a demandé à l’intimée des précisions relativement aux autres productions prétendument similaires évoquées par son représentant qui auraient obtenu un CIPC. Après avoir examiné le synopsis de ces productions, le Comité a maintenu sa position et le BCPAC a par conséquent transmis au Ministre sa recommandation de refuser la délivrance du certificat pour la Production. La décision du Ministre a été transmise à l’intimée le 2 février 2015.

[14]           Dans son avis de refus, le Ministre se dit d’accord avec la recommandation du BCPAC selon laquelle la production visée est une production comportant un jeu, un questionnaire ou un concours selon le sous-alinéa 1106(1)b)(iii) du Règlement, pour les motifs détaillés dans le préavis de refus. Dans ce qui paraît être une réponse aux arguments soulevés par le représentant de l’intimée suite au préavis de refus, le Ministre ajoute que: (a) la qualification de la Production à titre d’émission de divertissement général ou la présence de vedettes à titre de participants n’altèrent en rien le fait que la Production comporte effectivement un jeu, un questionnaire ou un concours; (b) la qualification de la Production par la SODEC n’est pas un élément pertinent; et (c) chaque demande au programme de CIPC est évaluée selon ses circonstances propres.

[15]           Tel que mentionné précédemment, l’appelant a déposé au soutien de sa défense en Cour fédérale l’affidavit de la directrice du BCPAC. Suite à l’interrogatoire sur affidavit de cette dernière, un outil de travail non traduit intitulé « Decision Tree », auquel elle avait fait référence dans ses réponses, a été produit par l’appelant. Au dire de la directrice, cet outil de travail est pour usage interne seulement et a pour objet d’assurer une certaine cohérence parmi les employés appelés à déterminer si une production comporte un « jeu, questionnaire ou concours » au sens du Règlement (Affidavit de Johanne Mennie, Dossier d’Appel, vol. 2, p. 370 aux paras. 40-41).

[16]           Trois questions semblent déterminantes pour les fins de ce cadre d’analyse: (a) Est-ce que les participants compétitionnent pour gagner? Si oui, il faut se poser une deuxième question: (b) Est-ce que les participants sont les mêmes tout au long de la série? Si la réponse à cette deuxième question est négative, on passe à une troisième question: (c) Est-ce que les tâches ou les jeux ont des résultats objectifs (vrai ou faux)? S’il y a une réponse objective aux questions posées, on est alors en présence d’une production comportant un jeu, questionnaire ou concours qui ne sera admissible que si elle s’adresse aux mineurs et n’utilisent ou ne présentent pas des jeux ou autres produits conçus principalement pour des mineurs. Une note infrapaginale précise par ailleurs ce qui suit: « If there are non-game show/contest elements then we need to determine whether it is ‘primarily’ a game show/contest or not. Prolonged set-up to a challenge should still be considered part of the challenge ».

II.                La décision contestée

[17]           La Cour fédérale a conclu que le BCPAC et le Ministre avaient manqué à leur obligation d’équité procédurale envers l’intimée, et que les motifs de refus étaient eux-mêmes « gravement défectueux », entraînant de ce fait l’annulation de la décision rendue le 2 février 2015 refusant le certificat pour la Production, élément nécessaire à l’obtention d’un CIPC. En revanche, la Cour a refusé d’ordonner au Ministre d’accorder le certificat, se disant d’avis qu’il était préférable de renvoyer le dossier au Ministre pour réexamen.

[18]           Sur le fond, la Cour fédérale a déterminé que le préavis et l’avis de refus étaient fondamentalement viciés du fait que les motifs ne comportent aucune analyse sérieuse de la nature véritable ou du caractère principal de la Production, et n’abordaient pas les arguments formulés par l’intimée dans ses représentations au BCPAC. Le paragraphe 60 de la décision sous appel résume bien le raisonnement du Juge à l’égard de la raisonnabilité des motifs:

De plus, les motifs fournis par le BCPAC et le ministre ne traitent pas véritablement de l’argument principal de la demanderesse relativement à la qualification de la Production comme un « magazine » ou une série « documentaire » - ce qui rend la Production admissible à un CIPC parce que ces deux genres d’émission ne sont pas mentionnés aux alinéas 170(1)b)(i) à )xi) du Règlement. En l’absence d’un raisonnement articulé, le résultat final est arbitraire et capricieux. En effet, les motifs laconiques du préavis et de l’avis de refus ne permettent pas à cette Cour de vérifier si le ministre s’est effectivement demandé si la Production est principalement un « jeu » ou un « concours » en vertu du sous-alinéa 1106(1)b)(iii) du Règlement. Les motifs actuels ne permettent pas de comprendre comment il se fait, qu’en pratique, plusieurs productions présentant également « des jeux d’adresse et de chance ainsi que des jeux questionnaires » ont pu être certifiées dans le passé par le ministre à titre de « production admissibles ». [le souligné est dans l’original]

[19]           Le Juge reproche par ailleurs au Ministre d’avoir tenté de suppléer aux carences des motifs de refus donnés à l’intimée en s’appuyant sur les précisions fournies par la directrice générale du BCPAC dans son affidavit, et plus particulièrement sur le « Decision Tree ». Aux yeux du Juge, cette justification fournie a posteriori ne se retrouve pas dans les motifs de la décision contestée et viendrait même en contredire certains aspects importants. Comme il ne s’agissait pas d’un simple outil de travail dans la mesure où ce document fait état de critères supplémentaires et nouveaux que l’on ne retrouve ni dans le Règlement ni dans les Lignes Directrices, l’intimée était à son avis légitimement en droit de s’attendre à ce que le préavis de refus en fasse état de façon à lui permettre de faire des représentations utiles. Ce manquement à l’équité procédurale entachait la légalité du refus ministériel et constituait donc pour le Juge un deuxième fondement justifiant la Cour d’intervenir.

III.             Questions en litige

[20]           L’appel principal soulève les deux questions suivantes:

a)    La décision du Ministre de ne pas livrer un certificat à Zone3 au motif que la série comporte «un jeu, questionnaire ou concours» était-elle raisonnable?

b)   Le processus suivi par le Ministre et le BCPAC pour rendre la décision a-t-il rencontré les exigences de l’obligation d’équité procédurale applicables dans les circonstances?

[21]           D’autre part, l’appel incident logé par l’intimée soulève la question de savoir si le Juge a erré en refusant de rendre une ordonnance ayant pour objet d’obliger le Ministre à lui octroyer un certificat. Étant donné la façon dont je propose de disposer de l’appel principal, l’appel incident devient sans objet et il ne sera donc pas nécessaire de répondre à cette question.

[22]           L’appelant a soulevé une autre question dans le cadre de son appel, relativement au traitement de la requête en radiation qu’il avait déposée lors de l’ouverture de l’audition au mérite de la demande de contrôle judiciaire. Dans une ordonnance distincte rendue le 5 janvier 2016 (2016 CF 7), le Juge a rejeté une requête visant à faire radier la majorité des paragraphes de l’affidavit du président de la société de production intimée, ainsi que les affidavits de divers dirigeants d’autres sociétés de production visant essentiellement à déposer les DVD d’épisodes de productions prétendument similaires qui avaient reçu un CIPC dans le passé. Il s’était cependant réservé le droit de procéder à un examen plus poussé de l’admissibilité en preuve, de la pertinence ou du poids à accorder à ces éléments de preuve. Dans la décision sous appel, le Juge a rejeté toute objection préliminaire de l’appelant quant à l’admissibilité ou la pertinence de tout élément de preuve qu’il considère dans ses motifs, et s’en remet mutatis mutandis aux critères et motifs mentionnés dans sa décision précédente.

[23]           Il est vrai qu’en règle générale, une demande de contrôle judiciaire doit être évaluée sur la base du dossier qui était devant le décideur original. Cette règle souffre cependant certaines exceptions, notamment lorsqu’un affidavit contient des informations générales susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au litige, ou encore lorsqu’un affidavit peut être nécessaire pour porter à l’attention de la cour de révision des vices de procédure (comme la partialité) qui n’apparaissent pas dans le dossier certifié du tribunal administratif (voir Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux paras. 17-19, [2012] F.C.J. n° 93 [Access Copyright]; Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117 aux paras. 41-46, [2015] A.C.F. n° 549).

[24]           En l’occurrence, on ne m’a pas convaincu que le Juge a commis une erreur manifeste et dominante dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en rejetant la requête en radiation que lui avait soumise l’appelant. Le Juge a bien identifié les principes juridiques applicables, et a justifié sa décision en retenant que la preuve faisant l’objet de la requête en radiation était susceptible d’apporter un éclairage pertinent quant à l’application des facteurs identifiés dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 174 D.L.R. (4e) 193 [Baker], et plus particulièrement quant aux attentes légitimes que pouvait avoir l’intimée de voir la Production certifiée par le Ministre. Quant aux remarques formulées par le Juge sur le caractère tardif de la requête, j’estime qu’elles n’ont pas été déterminantes dans l’exercice de sa discrétion. Elles ne sauraient d’ailleurs l’être, particulièrement lorsque la partie adverse n’a pas été prise par surprise comme c’était le cas ici, dans la mesure où la jurisprudence de cette Cour et de la Cour fédérale est à l’effet qu’il ne faut pas encourager les requêtes préliminaires, et laisser le soin au juge du fond de trancher les questions d’admissibilité de la preuve dans toute la mesure du possible (voir notamment Access Copyright au para. 11; Armstrong c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1013 au para. 37, 141 A.C.W.S. (3e) 5).

IV.             Analyse

[25]           Lorsqu’elle siège en appel d’un jugement en matière de contrôle judiciaire, le rôle de cette Cour consiste à déterminer si le juge de première instance a correctement identifié la norme de contrôle appropriée et s’il l’a bien appliquée. C’est dire qu’il nous faut, à toutes fins pratiques, se mettre à la place du juge de première instance et examiner la décision administrative contestée à l’aulne des normes de contrôle applicables (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au para. 46, [2013] 2 R.C.S. 559).

[26]           Dans la présente instance, il ne fait pas de doute (et les parties en conviennent) que la norme de la décision raisonnable s’applique aux décisions prises par le Ministre sous l’autorité des articles 125.4 de la Loi et 1106 du Règlement. C’est d’ailleurs la position qu’a retenue la Cour fédérale lorsqu’elle a été appelée à se prononcer sur de telles questions (voir Productions Tooncan (XIII) Inc. c. Canada (Patrimoine canadien), 2011 CF 1520 au para. 40, 404 F.T.R. 19, citant Tricon Television29 Inc. c. Canada (Patrimoine canadien), 2011 CF 435 au para. 31, [2011] F.C.J. n° 547). Ces décisions font intervenir des questions mixtes de fait et de droit, et le rôle du juge en contrôle judiciaire n’est pas de décider s’il aurait rendu la même décision mais plutôt d’évaluer la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que de s’assurer que la décision rendue fait partie des issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para. 47, [2008] 1 R.C.S. 190).

[27]           Il en va autrement pour les questions qui soulèvent l’application des règles d’équité procédurale. Ces questions doivent être révisées en appliquant la norme de la décision correcte, comme l’enseigne la jurisprudence sans équivoque de la Cour suprême à cet égard (voir notamment Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 au para. 43, [2009] 1 R.C.S. 339; Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24 au para. 79, [2014] 1 R.C.S. 502).

[28]           Le Juge ayant correctement identifié ces normes de contrôle, la seule question qui se pose en cette Cour est donc celle de savoir s’il les a bien appliquées compte tenu de la preuve dont il était saisi. C’est à cet examen que je me livrerai maintenant.

A.                La décision du Ministre de ne pas livrer un certificat à Zone3 au motif que la série comporte « un jeu, questionnaire ou concours » était-elle raisonnable?

[29]           La question à laquelle devait répondre le Juge est celle de savoir si la décision prise par le Ministre s’appuie sur un fondement rationnel et fait partie des issues possibles acceptables, au regard de la Loi et du Règlement. Dans le cadre de cette démarche, un juge doit faire preuve de déférence et se garder de substituer la décision qu’il aurait prise à celle du décideur administratif. Comme le rappelait mon collègue, le juge Stratas, dans l’affaire Exeter c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 253 au paragraphe 15, 423 N.R. 262:

Dans le cadre d’un contrôle effectué selon la norme de la décision raisonnable, la Cour n’est pas autorisée à tirer ses propres conclusions et à substituer son opinion sur ces questions à celle du Tribunal. Plus particulièrement, la Cour n’est pas autorisée à tirer de nouvelles conclusions de fait ni à exercer son propre pouvoir discrétionnaire fondé sur les faits. La Cour doit plutôt se contenter de décider si les décisions du Tribunal font partie des issues possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir, précité, au paragraphe 47. En d’autres termes, « il est loisible [au Tribunal] d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables » : Dunsmuir, précité au paragraphe 47. En pratique, la Cour ne peut intervenir que si le Tribunal a commis une erreur fondamentale.

[30]           Tel que mentionné précédemment, le Règlement ne précise pas quels types de production peuvent se voir accorder un CIPC, mais procède plutôt par voie d’exclusion. Le paragraphe 1106(4) prévoit qu’une « production cinématographique ou magnétoscopique canadienne » s’entend d’une production cinématographique ou magnétoscopique, « à l’exception d’une production exclue », d’une société canadienne imposable visée à l’égard de laquelle le Ministre a délivré un certificat. Le paragraphe 1106(1) définit par ailleurs la notion de « production exclue », et l’alinéa b) de cette définition énumère onze types de production qui entrent dans cette catégorie.

[31]           Compte tenu de cette architecture du Règlement, le Ministre n’était donc pas requis de se demander si la Production pouvait être assimilée à un « documentaire » ou à un « magazine », et encore moins de prendre en considération le traitement de la Production par la SODEC. Non seulement les motifs qui sous-tendent cette décision et les textes réglementaires ou législatifs applicables ne sont-ils pas en preuve, mais au surplus le Ministre n’était pas lié par cette décision, comme le reconnaît d’ailleurs le Juge au paragraphe 61 de la décision sous appel. Qui plus est, et au risque de me répéter, le rôle du Ministre ne consistait pas à qualifier la Production mais plutôt à s’assurer qu’elle n’entrait pas dans l’une des catégories de production exclues par le Règlement.

[32]           Or, que dit précisément le Règlement à son sous-alinéa 1106(1)b)(iii)? On y prévoit l’exclusion d’une production comportant (en anglais « in respect of ») un jeu, un questionnaire ou un concours. Il n’est pas contesté que ces termes, en eux-mêmes, sont d’une portée très large. Le sens ordinaire du mot « comporter » suggère en effet la notion d’« inclure » ou d’« impliquer, de « comprendre » ou de « contenir », comme en font foi les définitions de ce terme dans Le Nouveau Petit Robert, 2015 et Le grand Larousse encyclopédique, 2007. Il en va de même de l’expression « in respect of », à l’égard de laquelle la Cour suprême a écrit qu’elle avait « la portée la plus large possible » et constituait probablement l’expression la plus large parmi toutes les expressions qui servent à exprimer un lien quelconque entre deux sujets connexes (voir Sarvanis c. Canada, 2002 CSC 28 au para. 20, [2002] 1 R.C.S. 921; Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29 à la p. 39, 144 D.L.R. (3e) 193.

[33]           L’intimée ne conteste pas que la Production comporte un élément de jeu, de questionnaire ou de concours. Elle serait d’ailleurs bien mal venue de soutenir le contraire, alors même que le synopsis fourni à l’appui de sa demande qualifiait la Production de «  nouveau jeu-questionnaire de culture générale ». Lors de l’audition, l’avocate de Zone3 a fait valoir qu’il s’agissait là d’une erreur commise par une nouvelle employée. Non seulement n’y a-t-il aucune preuve à cet effet dans le dossier, mais au surplus, la qualification alternative de la Production que l’intimée a tenté de présenter en réponse au préavis de refus ne lui est d’aucun secours. Même en admettant que le jeu-questionnaire est un prétexte pour présenter un contenu informatif (plutôt que l’inverse, comme le laissait croire le synopsis), il n’en résulterait pas pour autant que la décision du Ministre d’exclure la Production au terme du sous-alinéa 1106(1)b)(iii) est erronée. L’exclusion d’une production comportant un jeu, un questionnaire ou un concours est suffisamment large pour incorporer la Production en cause ici, peu importe l’importance relative que l’on donne à l’aspect jeu-questionnaire par rapport au contenu historique ou informatif.

[34]           À cet égard, l’avocate de l’intimée a fait valoir qu’il serait déraisonnable pour le Ministre d’exclure une production dès lors qu’elle contient un jeu, un questionnaire ou un concours. Le Juge semble avoir retenu cet argument, se disant d’avis que le « vice fondamental » du préavis et de l’avis de refus tient au fait que les motifs ne comportent aucune analyse sérieuse de la « nature véritable » ou du « caractère principal » de la Production. Avec égards, j’estime que cette conclusion n’est pas fondée.

[35]           Le texte du Règlement ne quantifie pas l’importance que doit avoir l’aspect jeu, questionnaire ou concours pour qu’une production soit exclue. Même les Lignes Directrices prévoient que cette exclusion vise les émissions « présentant » des jeux d’adresse et de chance ainsi que des jeux-questionnaires. Le Ministre jouit donc d’un large pouvoir discrétionnaire à cet égard, et la directrice du BCPAC a d’ailleurs expliqué dans son affidavit et dans son interrogatoire comment on s’efforçait d’assurer une certaine cohérence par le biais du « Decision Tree ». Je reviendrai sur cet outil dans mon analyse des exigences de l’équité procédurale.

[36]           Il ne revient pas à une cour de révision d’incorporer dans une loi ou un règlement des conditions ou des paramètres qui ne s’y trouvent pas. Si l’on avait voulu baliser ou circonscrire la discrétion du Ministre, la Loi ou le Règlement y aurait pourvu. Il n’est d’ailleurs pas sans intérêt de constater que certaines des exclusions prévues dans la définition de « production exclue » au Règlement s’accompagnent de qualificatifs explicites. Ainsi, est exclue une production « produite principalement à des fins industrielles ou institutionnelles » ainsi qu’une production, sauf un documentaire, « qui consiste en totalité ou en presque totalité en métrage d’archives » (voir définition de « production exclue » au paragraphe 1106(1), sous-alinéas b)(x) et b)(xi) du Règlement [le souligné est le mien]). En fait, même l’exclusion visant une production comportant un jeu, un questionnaire ou un concours précise qu’elle ne s’applique pas lorsqu’elle « s’adresse principalement aux personnes mineures » [le souligné est encore le mien].

[37]           Il ne revenait donc pas au Juge, dans le cadre d’un examen portant sur la légalité de la décision rendue par le Ministre, de circonscrire sa discrétion et d’ajouter au Règlement en exigeant qu’il se prononce sur le caractère principal ou la nature véritable de la Production. La Loi et le Règlement ne prévoient rien de tel, et en l’absence d’une mention claire à l’effet contraire, il n’appartient pas au pouvoir judiciaire de se substituer au législateur et de limiter le vaste pouvoir discrétionnaire qui a été confié au Ministre sauf dans les cas très rares où il peut être démontré que la décision contestée a été prise de façon arbitraire. Tel n’est pas le cas ici.

[38]           En supposant même que l’on puisse en venir à la conclusion que le libellé du sous-alinéa 1106(1)b)(iii) du Règlement où l’on retrouve la définition de « production exclue » est ambigüe et ouvre la porte à l’interprétation plus restrictive que propose l’intimée, la Cour devrait néanmoins faire preuve de retenue et résister à la tentation de substituer son interprétation à celle du Ministre. La norme de la raisonnabilité suppose en effet qu’il puisse y avoir plus qu’une solution acceptable. Comme le rappelait la Cour suprême dans l’arrêt McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67 au paragraphe 40, [2013] 3 R.C.S. 895:

L’élément décisif en l’espèce réside dans le privilège dont jouit la Commission en matière d’interprétation : suivant la norme de la raisonnabilité, nous devons déférer à toute interprétation raisonnable du décideur administratif, même lorsque d’autres interprétations raisonnables sont possibles. Le législateur ayant confié au décideur administratif, et non à une cour de justice, le mandat d’« appliquer » sa loi constitutive (Pezim, p. 596), c’est avant tout à ce décideur qu’appartient le pouvoir discrétionnaire de lever toute incertitude législative en retenant une interprétation que permet raisonnablement le libellé de la disposition en cause. La déférence judiciaire constitue alors en elle-même un principe d’interprétation législative moderne. [les italiques sont dans l’original]

[39]           Bref, la décision du Ministre doit être maintenue. Elle faisait manifestement partie des solutions possibles et acceptables, au vu du large pouvoir d’appréciation que confère au Ministre le texte de l’exclusion ainsi que de la qualification qu’a faite l’intimée elle-même de sa production. La décision du Ministre s’appuie sur une interprétation raisonnable du Règlement, et a été prise au terme d’un processus décisionnel élaboré dans le cadre duquel toutes les instances ont recommandé l’exclusion de la Production.

[40]           Enfin, la décision rendue par le Ministre m’apparaît parfaitement intelligible. Non seulement les motifs énoncés dans la lettre de refus permettent-ils de comprendre les raisons pour lesquelles on a jugé que la Production comportait un jeu, un questionnaire ou un concours et ne pouvait donc faire l’objet d’un certificat, mais au surplus, ils répondent aux arguments soulevés par l’intimée suite au préavis de refus. Même s’il n’était pas tenu de le faire, le BCPAC a considéré les autres productions certifiées dans le passé qu’avait déposées en preuve l’intimée et a conclu qu’elles se distinguaient de la Production en cause dans le présent dossier.

[41]           En tout état de cause, le Ministre était justifié de ne pas tenir compte des évaluations qui avaient été faites d’autres productions, étant donné qu’il se devait de déterminer si la Production était d’un genre exclu en ne considérant que le libellé du Règlement. C’est ce qu’il fait valoir lorsqu’il écrit que « chaque application au programme de CIPC est évaluée selon ses circonstances propres et la détermination de l’admissibilité de chaque production est faite en conformité avec les exigences de la Loi et du Règlement » (Avis de refus, Dossier d’Appel, vol. 2 à la p. 487). Cette affirmation est tout à fait conforme à la jurisprudence selon laquelle un décideur administratif doit tenir compte du droit applicable et des circonstances propres à chaque affaire, et non pas considérer dans quelle mesure le cas sous étude peut s’apparenter à une situation antérieure (voir Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34 au para. 6, [2013] 2 R.C.S. 458; Altus Group Ltd v. Calgary (City), 2015 ABCA 86 au para. 16, 599 A.R. 223; Paul Daly, « The Principle of Stare Decisis in Canadian Administrative Law », (2016) 49:1 R.J.T. 757 aux pp. 767 et ss.) Il en va tout particulièrement ainsi lorsque le décideur administratif n’exerce pas une fonction quasi-judiciaire, et que les termes de la disposition habilitante lui confèrent une grande discrétion et ne prévoient pas de procédure particulière à suivre dans l’exercice de son pouvoir décisionnel.

[42]            Pour tous les motifs qui précèdent, je suis donc d’avis que la décision du Ministre était raisonnable et que le Juge a erré en concluant que les motifs énoncés dans l’avis de refus étaient défectueux.

B.                 Le processus suivi par le Ministre et le BCPAC pour rendre la décision a-t-il rencontré les exigences de l’obligation d’équité procédurale applicables dans les circonstances?

[43]           Il n’est pas contesté que les exigences découlant de la notion d’équité procédurale doivent être modulées en fonction du contexte particulier de chaque affaire. Dans l’arrêt Baker, aux paragraphes 23-27, la Cour suprême a énoncé (de façon non limitative) cinq facteurs dont il fallait tenir compte pour déterminer le contenu de l’obligation d’équité procédurale: (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif et les termes de la loi régissant l’organisme; (3) l’importance de la décision pour les personnes visées; (4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; et (5) les choix de procédure de l’organisme.

[44]           Dans le cas présent, l’application de ces critères ne peut que nous amener à la conclusion que l’intensité des exigences requises par l’équité procédurale était minimale. La décision recherchée est de nature purement administrative, et le processus établi par la Loi et le Règlement ne revêt aucune des caractéristiques d’une procédure quasi-judiciaire. Au surplus, le crédit d’impôt auquel donne droit l’émission d’un certificat ne fait intervenir que des intérêts d’ordre économique. Sans vouloir minimiser l’importance des sommes en cause (surtout si l’on tient compte du fait que la décision du Ministre sera sans doute la même pour la demande relative à la deuxième saison de la Production), il n’en demeure pas moins que nous sommes loin du type de droit qui était en cause dans l’arrêt Baker (i.e. le droit de demeurer au Canada pour des motifs humanitaires). Je note par ailleurs que l’intimée aurait pu demander un avis d’admissibilité préliminaire, conformément à l’article 1.12 des Lignes Directrices. Un tel avis, s’il avait été sollicité, aurait permis à l’intimée de connaître la position du Ministre avant d’engager des fonds dans la Production.

[45]           Quant aux attentes légitimes que pouvait avoir la société intimée, elles ne pouvaient être que de nature procédurale, comme l’a d’ailleurs reconnu le Juge (voir Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30 aux paras. 68 et ss., [2011] 2 R.C.S. 504 [Mavi]). En l’espèce, ni la Loi ni le Règlement n’exigent le respect d’une procédure particulière à laquelle serait tenu le Ministre dans l’exercice de la discrétion qui lui est conférée d’émettre ou non un certificat. Seules les Lignes Directrices prévoient l’envoi d’un préavis, et la possibilité pour une société de production admissible de faire des représentations en réponse à ce préavis. En l’espèce, cette procédure a été suivie.

[46]           J’estime donc que les exigences d’équité procédurale étaient minimes dans le traitement du dossier qu’avait présenté l’intimée au Ministre en vue d’obtenir un certificat qui lui aurait donné droit à un crédit d’impôt. La seule obligation du Ministre consistait à faire parvenir un préavis de refus à l’intimée et à lui donner la possibilité de fournir de l’information additionnelle susceptible de modifier l’évaluation de la demande, au terme de l’article 1.16 des Lignes Directrices. Le Ministre s’est conformé à cette exigence. Non seulement a-t-il fourni le motif pour lequel il considérait que la Production constituait un jeu télévisé, mais il est en preuve que la réponse de l’intimée a été dûment considérée. Quant aux motifs à l’appui de la décision elle-même, ils étaient suffisamment clairs pour permettre à l’intimée de savoir pour quelles raisons le certificat lui avait été refusé. Considérant l’absence de tout droit d’appel et le niveau minimal d’équité procédurale auquel était en droit de s’attendre l’intimée, les motifs n’avaient pas à être exhaustifs ou détaillés; en l’occurrence, ils étaient amplement suffisants pour satisfaire aux attentes légitimes que peut avoir une société de production cherchant à se prévaloir d’un crédit d’impôt.

[47]           L’intimée a fait valoir que le Ministre avait manqué à ses obligations d’équité procédurale en ne lui communiquant pas, dans le préavis de refus, l’existence du « Decision Tree » auquel j’ai déjà fait allusion. Je ne peux me ranger à cet argument. D’une part, le Ministre n’est pas lié par cet outil de travail et le caractère raisonnable de sa décision ne doit s’apprécier qu’à la lumière de la Loi et du Règlement (et accessoirement des Lignes Directrices). Sans doute l’intimée aurait-elle pu contester les critères retenus dans le « Decision Tree » ou en proposer d’autres pour déterminer si une production est un « jeu, questionnaire ou concours »; mais encore une fois, ce n’est pas l’adéquation des outils de travail dont peut se doter le Ministère pour faire ses recommandations qui fait l’objet du contrôle judiciaire, mais uniquement la décision finale prise par le Ministre dans l’exercice du pouvoir que lui confère le gouverneur en conseil par voie de règlement.

[48]           D’autre part, la directrice du BCPAC a témoigné à l’effet que l’objet de ce document est de favoriser la cohérence dans le traitement des dossiers que les divers analystes du BCPAC sont appelés à traiter, à l’égard des productions pour lesquelles il est établi prima facie qu’elles comportent un jeu, un questionnaire ou un concours (Affidavit de Johanne Mennie, Dossier d’Appel, vol. 2, p. 370 aux paras. 40-41). D’ailleurs, un examen sommaire du « Decision Tree » confirme que son application aura normalement pour effet de favoriser les producteurs puisqu’il vient limiter la portée de l’exclusion prévue au Règlement. Sans doute en irait-il autrement si cet outil élargissait la portée de l’exclusion liée aux jeux, questionnaires et concours; dans l’hypothèse où l’application d’un outil interne trop strict entraînerait une décision ne faisant pas partie des issues possibles acceptables au regard du Règlement, cette décision serait jugée déraisonnable.

[49]           Enfin, j’ajouterais en terminant que le traitement réservé à d’autres productions ne pouvait créer des attentes légitimes pour l’intimée. Tel que précédemment mentionné, la doctrine des attentes légitimes ne peut donner naissance qu’à des droits de nature procédurale (Mavi aux paras. 68 et ss.; Genex Communications Inc. c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 283 au para. 191, 260 D.L.R. (4e) 45; Association des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170 à la p. 1204, 75 D.L.R. (4e) 385). À tout évènement, l’on ne peut présumer sur la seule base de la preuve soumise par l’intimée que le BCPAC a changé ses pratiques et modifié son interprétation du Règlement. Les conclusions que peut tirer l’intimée du fait que des productions à ses yeux similaires à celle qui est en cause ici ont été jugées admissibles au programme du CIPC ne lient évidemment pas le Ministre. Si l’intimée voulait s’assurer que sa lecture des décisions prises par le Ministre eu égard à d’autres productions était la bonne et l’autorisait à réclamer un crédit d’impôt pour sa propre production, elle n’avait qu’à présenter un avis d’admissibilité préliminaire. Ne s’étant pas prévalue de cette possibilité, elle ne peut maintenant s’appuyer sur sa propre évaluation de quelques décisions antérieures pour soutenir que l’exclusion de sa Production résulte d’un changement d’approche du Ministre.

[50]           Avec égards, je suis donc d’avis que le Juge de première instance ne pouvait conclure, en ne s’appuyant que sur la perception de l’intimée et sur son propre visionnement des quelques productions déposées en preuve, que « le BCPAC et le Ministre ont décidé de modifier unilatéralement leurs pratiques antérieures et interpréter différemment les cas de productions admissibles au programme du CIPC » (Décision sous appel au para. 52). Une telle conclusion fait non seulement fi du témoignage à l’effet contraire de la directrice du BCPAC, mais ne tient pas compte du fait que les productions introduites en preuve dans le cadre du contrôle judiciaire ne représentent qu’un échantillon sélectif des productions évaluées par le BCPAC, que chaque production doit être évaluée en fonction de ses caractéristiques propres, que l’appréciation de ce que constitue un jeu, questionnaire ou concours n’est pas une science exacte, et que le Ministre a pu se tromper dans le passé.

V.                Conclusion

[51]           Pour tous les motifs qui précèdent, je suis donc d’avis que l’appel doit être accueilli et que le jugement de première instance doit être infirmé. Rendant le jugement qui aurait dû être prononcé en Cour fédérale, je rejetterais donc la demande de contrôle judiciaire de l’intimée, avec dépens. Il n’est pas nécessaire de se prononcer sur l’appel incident, qui est sans objet compte tenu de mes conclusions relativement à l’appel principal.

« Yves de Montigny »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Johanne Trudel, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Richard Boivin, j.c.a. »


ANNEXE I

Dispositions législatives pertinentes

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.)

Income Tax Act, R.S.C., 1985, c. 1 (5th Supp.)

Article 125.4

Section 125.4

Crédit d’impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne

Canadian Film or Video Production Tax Credit

Définitions

Definitions

125.4 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

125.4 (1) The definitions in this subsection apply in this section.

Certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne Certificat délivré par le ministre du Patrimoine canadien relativement à une production et attestant qu’il s’agit d’une production cinématographique ou magnétoscopique canadienne relativement à laquelle ce ministre est convaincu que, sauf s’il s’agit d’une coproduction prévue par un accord, au sens du paragraphe 1106(3) du Règlement de l’impôt sur le revenu, une part acceptable des recettes provenant de l’exploitation de la production sur les marchés étrangers est retenue, selon les modalités d’une convention, par:

Canadian film or video production certificate means a certificate issued in respect of a production by the Minister of Canadian Heritage certifying that the production is a Canadian film or video production in respect of which that Minister is satisfied that, except where the production is a treaty co-production (as defined in subsection 1106(3) of the Income Tax Regulations), an acceptable share of revenues from the exploitation of the production in non-Canadian markets is, under the terms of any agreement, retained by

a) une société admissible qui est ou était propriétaire d’un intérêt ou, pour l’application du droit civil, d’un droit sur la production;

(a) a qualified corporation that owns or owned an interest in, or for civil law a right in, the production;

b) une société canadienne imposable visée par règlement qui est liée à la société admissible;

(b) a prescribed taxable Canadian corporation related to the qualified corporation; or

c) toute combinaison de sociétés visées aux alinéas a) ou b). (Canadian film or video production certificate)

(c) any combination of corporations described in paragraph (a) or (b). (certificate de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne)

[…]

Production cinématographique ou magnétoscopique canadienne S’entend au sens du Règlement de l’impôt sur le revenu. (Canadian film or video production)

Canadian film or video production has the meaning assigned by regulation. (production cinématographique ou magnétoscopique canadienne)

[…]

Crédit d’impôt

Tax Credit

(3) La société qui est une société admissible pour une année d’imposition est réputée avoir payé, à la date d’exigibilité du solde qui lui est applicable pour l’année, un montant au titre de son impôt payable pour l’année en vertu de la présente partie égal à 25 % de sa dépense de main-d’oeuvre admissible pour l’année relativement à une production cinématographique ou magnétoscopique canadienne, si les conditions suivantes sont réunies :

(3) Where

a) la société joint les documents suivants à la déclaration de revenu qu’elle produit pour l’année :

(a) a qualified corporation for a taxation year files with its return of income for the year

(i) le certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne délivré relativement à la production,

(i) a Canadian film or video production certificate issued in respect of a Canadian film or video production of the corporation,

(ii) un formulaire prescrit contenant les renseignements prescrits,

(ii) a prescribed form containing prescribed information, and

(iii) tout autre document visé par règlement relativement à la production;

(iii) each other document prescribed in respect of the production, and

b) les principaux travaux de prise de vue ou d’enregistrement de la production ont commencé avant la fin de l’année.

(b) the principal filming or taping of the production began before the end of the year,

the corporation is deemed to have paid on its balance-due day for the year an amount on account of its tax payable under this Part for the year equal to 25% of its qualified labour expenditure for the year in respect of the production.

Lignes directrices

Guidelines

(7) Le ministre du Patrimoine canadien publie des lignes directrices sur les circonstances dans lesquelles les conditions énoncées dans la définition de certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne au paragraphe (1) sont remplies. Il est entendu que ces lignes directrices ne sont pas des textes réglementaires au sens de la Loi sur les textes réglementaires.

(7) The Minister of Canadian Heritage shall issue guidelines respecting the circumstances under which the conditions in the definition Canadian film or video production certificate in subsection (1) are satisfied. For greater certainty, those guidelines are not statutory instruments as defined in the Statutory Instruments Act.

Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., c. 945

Income Tax Regulations, C.R.C., c. 945

Article 1106

Section 1106

Certificats délivrés par le ministre du Patrimoine canadien

Certificates Issued by the Minister of Canadian Heritage

Définitions

Interpretation

1106 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente section et à l’alinéa x) de la catégorie 10 de l’annexe II.

1106 (1) The following definitions apply in this Division and in paragraph (x) of Class 10 in Schedule II.

Production exclue Production cinématographique ou magnétoscopique d’une société canadienne imposable visée (appelée  « société donnée » à la présente définition), qui, selon le cas :

Excluded production means a film or video production, of a particular corporation that is a prescribed taxable Canadian corporation,

[…]

b) est une production qui est, selon le cas :

(b) that is

(iii) une production comportant un jeu, un questionnaire ou un concours, sauf celle qui s’adresse principalement aux personnes mineures,

(iii) a production in respect of a game, questionnaire or contest (other than a production directed primarily at minors),

Programme du Crédit d'impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne - Lignes directrices

Canadian Film or Video Production Tax Credit -Guidelines

3.03 Genres Exclus

3.03 Excluded Genres

c) Une production comportant un jeu, un questionnaire ou un concours, sauf celle qui s’adresse principalement aux personnes mineures : Émission présentant des jeux d’adresse et de chance ainsi que des jeux-questionnaires. Note: Les productions de ce genre à l’intention des mineurs sont admissibles ; toutefois, les émissions qui utilisent ou présentent des biens protégés par le droit d’auteur et offerts sur le marché comme des jeux ou d’autres produits conçus principalement pour des mineurs, qu’elles soient commanditées ou non, ne sont pas admissibles.

c) Production in respect of a game, questionnaire or contest (other than a production directed primarily at minors): A program featuring games of skill and chance, as well as quizzes. Note: Productions of this genre directed at minors are eligible; however, programming that uses or features copyrighted and commercially available goods, such as games or other products directed primarily at minors, whether sponsored or not, are ineligible.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-60-16

APPEL D’UN JUGEMENT DE MARTINEAU J. DE LA COUR FÉDÉRALE RENDU EN DATE DU 22 JANVIER 2016 RÉFÉRENCE 2016 CF 75

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. ZONE3-XXXVI INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 SEPTEMBRE 2016

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE BOIVIN

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 septembre 2016

 

 

COMPARUTIONS :

Nadine Dupuis

Michelle Kellam

pour l’APPELANT ET INTIMÉ INCIDENT

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Madeleine Renaud

Anne-Élizabeth Simard

pour L’INTIMÉE ET APPELANTE INCIDENTE

ZONE3-XXXVI INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

 

pour l’APPELANT ET INTIMÉ INCIDENT

McCARTHY TÉTRAULT S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

pour l’INTIMÉE ET APPELANTE INCIDENTE

 

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