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Date : 20160915

Dossier : A-235-16

Référence : 2016 CAF 229

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE DAWSON

LE JUGE STRATAS

 

 

ENTRE :

LAWRENCE WONG (AVOCAT) et KAI ZHAN LIANG

appelants

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

intimé

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 15 septembre 2016

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE DAWSON

 


 


Date : 20160915

Dossier : A-235-16

Référence : 2016 CAF 229

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE DAWSON

LE JUGE STRATAS

 

 

ENTRE :

LAWRENCE WONG (AVOCAT) et KAI ZHAN LIANG

appelants

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

intimé

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

[1]               Les appelants interjettent appel de l'ordonnance de la Cour fédérale (2016 CF 569) prononcée par le juge Bell le 25 mai 2016. Par cette ordonnance, la Cour fédérale a rejeté la requête en réexamen présentée en vertu du paragraphe 397(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, par l'appelant Kai Zhan Liang. La requête en réexamen avait pour but d'infirmer la décision de la Cour fédérale de refuser à M. Liang l'autorisation de demander le contrôle judiciaire de la décision rendue par un commissaire de la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada.

[2]               La Cour fédérale a conclu que la requête en réexamen était sans fondement. Les réexamens aux termes du paragraphe 397(1) des Règles n'ont lieu que lorsque l'ordonnance ne concorde pas avec les motifs qui ont été donnés ou lorsqu'une question qui aurait dû être traitée a été oubliée ou omise involontairement. Selon la Cour fédérale, ces circonstances ne s'appliquaient pas en l'espèce.

[3]               L'autre appelant, Lawrence Wong, était l'avocat de M. Liang devant la Cour fédérale. Il interjette appel de l'adjudication des dépens par la Cour fédérale pour la requête en réexamen. Lors de la requête, le ministre intimé a fait valoir que des « raisons spéciales » justifiaient que Me Wong soit personnellement condamné à des dépens de 1 000 $ aux termes de l'article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d'immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22. La Cour fédérale a accepté l'observation du ministre et a adjugé les dépens. À son avis, lors de la requête, l'avocat a mené une « attaque envers l'intégrité de la Cour, basée sur des spéculations, des insinuations [...] » (paragraphe 7). En outre, elle a conclu que la requête « a été déposée à tort et sans fondement valable » (paragraphe 7).

[4]               Les appelants ont interjeté appel de cette décision devant la Cour. Après le dépôt de l'avis d'appel, le greffe l'a acheminé en vue d'obtenir des directives. Le greffe a demandé s'il fallait retirer l'avis d'appel du dossier de la Cour et s'il fallait fermer le dossier en raison de l'interdiction légale d'interjeter appel lors de cas tels que l'espèce : alinéa 72(2)e) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. L'alinéa 72(2)e) dispose que le jugement refusant d'accorder l'autorisation de demander le contrôle judiciaire n'est pas susceptible d'appel.

[5]               Après l'examen de l'avis d'appel, la Cour a estimé qu'elle devrait demander des observations sur la question de savoir si l'interdiction s'applique et, dans l'affirmative, s'il faut retirer l'avis d'appel du dossier de la Cour et fermer le dossier. Ce faisant, la Cour a exercé le pouvoir que lui confère l'article 74 des Règles des Cours fédérales. Dans une directive aux parties, la Cour a énoncé certaines questions liées à sa compétence d'entendre l'appel. Elle sollicitait des observations sur ces dernières.

[6]               Les parties ont amplement eu l'occasion d'aborder les questions de la Cour. Le ministre intimé a déposé des observations selon lesquelles il fallait retirer l'avis d'appel du dossier de la Cour et fermer le dossier. Les appelants ont répondu, faisant valoir que l'appel devrait se poursuivre. Le ministre a déposé une brève réponse.

[7]               Je suis d'avis que l'interdiction légale d'interjeter appel s'applique. Par conséquent, j'ordonnerais le retrait de l'avis d'appel du dossier de la Cour et la fermeture du dossier.

[8]               Les appelants commencent leurs observations en affirmant que l'article 74 des Règles n'autorise pas le retrait d'un avis d'appel du dossier de la Cour. Je ne suis pas d'accord. Selon l'article 74 des Règles, « la Cour peut à tout moment ordonner que soient retirés du dossier de la Cour les documents qui n'ont pas été déposés en conformité avec [...] une loi fédérale ». La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés est une loi fédérale. L'alinéa 72(2)e) de la Loi interdit les appels à la Cour. Par conséquent, le dépôt de l'avis d'appel n'est pas conforme à la Loi.

[9]               En outre, la jurisprudence explique clairement les pouvoirs de la Cour aux termes de l'article 74 des Règles et confirme qu'un avis d'appel peut être retiré du dossier de la Cour dans des circonstances telles que celles en l'espèce : Rock‑St‑Laurent c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 192.

[10]           Les appelants affirment également que la condamnation de l'avocat aux dépens est distincte de la question en matière d'immigration et que, pour quelque raison, ils ne sont pas soumis à l'interdiction d'interjeter appel aux termes de l'alinéa 72(2)e) de la Loi.

[11]           Je ne suis pas d'accord. L'avis d'appel prétend interjeter appel d'une ordonnance de la Cour fédérale qui tranchait à la fois le fondement de la requête en réexamen et les dépens. L'adjudication des dépens fait partie intégrante de la requête en réexamen et se rapporte à la façon dont l'avocat a mené la requête. La requête a été déposée relativement à une affaire découlant de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et portait sur la question de savoir si le refus d'autorisation en vertu de la Loi devait faire l'objet d'un réexamen. Toutes les procédures ont été intentées et tranchées en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et ont été régies par les Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d'immigration et de protection des réfugiés. L'adjudication des dépens repose sur l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, conformément à l'article 22 des Règles. Par conséquent, l'interdiction d'interjeter appel à l'alinéa 72(2)e) de la Loi s'applique à toute l'affaire.

[12]           La jurisprudence de la Cour a reconnu un certain nombre d'exceptions limitées et bien définies à l'interdiction aux termes de l'alinéa 72(2)e). L'une d'entre elles est le refus par la Cour fédérale d'exercer sa compétence, par exemple Subhaschandran c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 27, [2005] 3 R.C.F. 255. Les appelants prétendent que cette exception s'applique en l'espèce. Ce n'est pas le cas : la Cour fédérale a rendu une ordonnance sur le bien‑fondé de la requête en réexamen et a donc exercé sa compétence.

[13]           Les appelants soutiennent que la Cour a le pouvoir d'entendre leur appel aux termes de l'article 27 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7. L'article 27 est une disposition générale qui confère à la Cour compétence pour entendre les appels des décisions de la Cour fédérale.

[14]           Je n'accepte pas cette observation. Selon les règles d'interprétation des lois, des dispositions précises se rapportant à des circonstances particulières peuvent déroger aux dispositions plus générales : voir, par exemple, James Richardson & Sons, Ltd. c. Ministre du Revenu national et autres, [1984] 1 R.C.S. 614, et La Munich, compagnie de réassurance c. La Reine, 2001 CAF 365, au paragraphe 21. C'est le cas en l'espèce : les interdictions précises d'interjeter appel établies dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, dont l'alinéa 72(2)e), dérogent à la compétence d'appel générale de la Cour prévue à l'article 27 de la Loi sur les Cours fédérales. La Cour s'est déjà prononcée sur le sujet : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Edwards, 2005 CAF 176, aux paragraphes 4, 5 et 12; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huntley, 2011 CAF 273, [2012] 3 R.C.F. 118, aux paragraphes 6 et 7; Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 294, [2013] 3 R.C.F. 36, aux paragraphes 7 à 12.

[15]           Les appelants soutiennent que l'alinéa 72(2)e) ne s'applique pas lorsque l'appel soulève des [TRADUCTION] « questions constitutionnelles » ou qu'il porte sur [TRADUCTION] « le rôle de la Cour fédérale lors de la tenue d'un contrôle judiciaire ». Aucune décision n'étaye cette affirmation. En fait, la décision de la Cour dans l'arrêt Chung c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 31, va à son encontre. Le fait qu'un appel soulève des questions constitutionnelles ou des questions sur le rôle de la Cour lors d'un contrôle judiciaire ne constitue pas une exception reconnue aux interdictions d'interjeter appel prescrites par la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés : voir l'arrêt Mahjoub, précité, et l'arrêt Es‑Sayyid c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CAF 59, [2013] 4 R.C.F. 3.

[16]           Dans leurs observations, les appelants ont passé beaucoup de temps à débattre du bien‑fondé de leur appel et, surtout, de la constitutionnalité de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Ils avancent que l'article 72 de la Loi est inconstitutionnel dans son intégralité, y compris l'exigence selon laquelle l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire doit être obtenue de la Cour fédérale. Ils le font sans tenir compte d'un certain nombre de décisions rendues par la Cour qui ont confirmé la constitutionnalité de l'article 72 et de dispositions semblables et qui nous lient : Krishnapillai c. Canada, 2001 CAF 378, [2002] 3 C.F. 74; Huntley, précité, au paragraphe 14; Huynh c. Canada, [1996] 2 C.F. 976. Il est bien établi que les appels sont prévus par la loi et que la constitution ne garantit aucune compétence d'appel résiduelle : R. c. Mian, 2014 CSC 54, [2014] 2 R.C.S. 689, au paragraphe 50.

[17]           Le fait qu'un appel soit dépourvu de fondement n'a pas habituellement d'incidence sur la compétence de la Cour sur l'appel. Cependant, en l'espèce, cela a une incidence sur une autre observation des appelants.

[18]           J'ai mentionné précédemment qu'il n'y a pas d'exception reconnue à l'interdiction d'interjeter appel lorsque les parties soulèvent des questions constitutionnelles ou des questions sur le rôle de la Cour lors d'un contrôle judiciaire. Cependant, les appelants vont plus loin dans une autre observation. Ils nous demandent de reconnaître une nouvelle exception en pareil cas et d'autoriser leur appel à suivre son cours.

[19]           Je refuse de le faire. Il serait beaucoup trop facile pour les parties d'intégrer automatiquement des questions constitutionnelles ou des questions sur le rôle de la Cour lors d'un contrôle judiciaire dans un avis d'appel, indépendamment de leur bien‑fondé — en l'espèce, malgré l'absence totale de bien‑fondé selon la jurisprudence de la Cour — pour se soustraire à l'interdiction d'interjeter appel aux termes de l'alinéa 72(2)e) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. L'alinéa 72(2)e) fait partie de notre droit. Notre rôle ne consiste pas à créer une exception qui annulerait en fait une interdiction du législateur.

[20]           J'ajoute que les appelants, ou l'un d'eux, auraient pu engager leur contestation à la Cour fédérale. Devant cette cour, les appelants auraient pu affirmer que la Cour fédérale a, dans cette situation, l'obligation constitutionnelle d'entendre une demande de contrôle judiciaire dans son intégralité, non seulement une demande d'autorisation, et que la constitution leur confère un droit d'appel absolu devant la Cour. Cependant, ils ont choisi de ne pas le faire.

[21]           On peut en dire autant d'un autre argument constitutionnel que les appelants ont l'intention de présenter dans le présent appel. Les appelants ont l'intention de soutenir que l'adjudication des dépens à l'encontre de l'avocat personnellement est inconstitutionnelle. En réponse à l'affirmation du ministre à la Cour fédérale selon laquelle ces dépens étaient justifiés, les appelants ont eu amplement l'occasion de présenter cette observation. Cependant, ils ont choisi de ne pas le faire.

[22]           Dans les circonstances de l'espèce, la Cour ne peut pas examiner les observations constitutionnelles des appelants, puisqu'ils ne les ont pas présentées à la Cour fédérale. Les observations nécessitent un fondement factuel : Mackay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357. Il faut présenter des éléments de preuve sur la nature, les objets et les effets de l'interdiction d'interjeter appel prévue par la loi et l'adjudication des dépens à l'encontre d'un avocat personnellement. Puisque cette preuve n'a pas été présentée à la Cour fédérale, elle ne sera pas présentée à la Cour.

[23]           Les cours d'appel ne peuvent pas se pencher sur de nouvelles questions de droit soulevées en appel si ces questions nécessitent un fondement factuel, si les parties n'ont pas établi ce fondement devant la cour de première instance et si la règle interdisant la présentation de nouveaux éléments de preuve lors d'un appel s'applique : Quan c. Cusson, 2009 CSC 62, [2009] 3 R.C.S. 712; Performance Industries Ltd. c. Sylvan Lake Golf & Tennis Club Ltd., 2002 CSC 19, [2002] 1 R.C.S. 678; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 58 et 59; Somodi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 268, au paragraphe 5. Dans l'arrêt Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086, on a rejeté sommairement une contestation de la constitutionnalité d'une règle procédurale permettant l'adjudication des dépens à l'encontre d'un avocat personnellement, car le contestataire n'a pas établi de fondement factuel satisfaisant en première instance.

[24]           Les arguments constitutionnels des appelants sont au cœur de leur avis d'appel. De manière générale, la Loi sur les Cours fédérales et les Règles des Cours fédérales prévoient que les éléments de preuve requis pour appuyer leurs arguments constitutionnels soient présentés devant la Cour fédérale, qui est une cour de première instance, et non devant la Cour, qui est une cour d'appel. En ce sens, l'avis d'appel entre en conflit avec la Loi sur les Cours fédérales et les Règles des Cours fédérales.

[25]           Pour les motifs qui précèdent, je conclus que l'avis d'appel n'est conforme ni avec l'interdiction d'interjeter appel de l'alinéa 72(2)e) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, ni avec la Loi sur les Cours fédérales, ni avec les Règles des Cours fédérales.

[26]           Je suis également d'accord avec l'observation du ministre selon laquelle l'avis d'appel ne contient pas suffisamment de détails pour être qualifié d'avis d'appel au sens des Règles des Cours fédérales et que, par conséquent, il n'est pas conforme aux Règles au sens de l'article 74 : voir l'alinéa 337d) des Règles et JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557, aux paragraphes 39, 40 et 50.

[27]           Par conséquent, conformément à l'article 74 des Règles, j'ordonnerais que l'avis d'appel soit retiré du dossier de la Cour et que ce dernier soit fermé.

[28]           Aucune raison spéciale au sens de l'article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d'immigration et de protection des réfugiés ne justifie l'adjudication des dépens à l'encontre des appelants. Par conséquent, je n'adjugerais pas de dépens.

« David Stratas »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

Marc Noël, j.c. »

« Je suis d'accord.

Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-235-16

 

INTITULÉ :

LAWRENCE WONG (AVOCAT) ET KAI ZHAN LIANG c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :

Le 15 septembre 2016

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Rocco Galati

 

Pour les APPELANTS

 

Stephen Jarvis

 

Pour l'intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rocco Galati Law Firm

Toronto (Ontario)

 

Pour les APPELANTS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Pour l'intimé

 

 

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