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Date : 20160916


Dossier : A-140-15

Référence : 2016 CAF 232

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE WEBB

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

appelante

et

LOUIS DREYFUS COMMODITIES CANADA LTD et OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

intimés

Audience tenue à Edmonton (Alberta), le 10 mai 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 septembre 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20160916


Dossier : A-140-15

Référence : 2016 CAF 232

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE WEBB

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

appelante

et

LOUIS DREYFUS COMMODITIES CANADA LTD ET OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1]               La Cour est saisie d’un appel de la décision rendue par l’Office des transports du Canada le 3 octobre 2014 (numéro de cas : 14-02100). Comme la décision intégrale renfermait des renseignements confidentiels, une version publique expurgée a été publiée, avec la référence 2014-10-03. Dans cette décision, l’Office a conclu que la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) avait manqué à ses obligations en matière de niveau de services à l’égard de Louis Dreyfus Commodities Canada Ltd (LDC), et ce, durant plusieurs semaines pendant la campagne agricole 2013-2014.

[2]               Le CN a demandé et obtenu l’autorisation d’interjeter appel de cette décision en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi sur les transports au Canada (LTC), L.C. 1996, ch. 10.

[3]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, je rejetterais le présent appel. Comme la décision intégrale renferme des renseignements confidentiels, certaines parties ont été expurgées pour les besoins de la présente version publique.

I.                    Contexte

[4]               Une partie intégrante des activités canadiennes de LDC est d’exploiter des installations d’élévateurs à grain situées aux emplacements suivants :

          Glenavon et Aberdeen, en Saskatchewan;

          Joffre et Lyalta, en Alberta.

[5]               LDC manutentionne et expédie du canola et du blé à chacune de ces quatre installations. Avant la construction de ces installations, LDC avait conclu un contrat confidentiel avec le CN en 1999 (le contrat confidentiel).

[6]               La récolte de grains de 2013 a été une récolte très abondante. Le CN a souligné dans son mémoire que [TRADUCTION] « la récolte moyenne canadienne au cours des cinq années précédentes a été de 57,2 millions de tonnes, alors que la récolte de 2013 a été de 77 millions de tonnes ». De plus, l’hiver 2013-2014 a été rigoureux avec des températures extrêmement froides. La récolte particulièrement abondante, jumelée à l’hiver rigoureux, a mené à l’adoption d’un décret qui est entré en vigueur le 7 mars 2014 (DORS/2014-55). Le décret est ainsi libellé :

2          Sous réserve de la demande en volume et de la capacité des corridors, la Compagnie des chemins de fer du Canada et la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique transportent chacune la quantité minimum de grains suivante :

a)         au cours de la première semaine agricole complète après l’entrée en vigueur du présent décret, 250 000 tonnes métriques;

b)         au cours de la deuxième semaine agricole complète après l’entrée en vigueur du présent décret, 312 500 tonnes métriques;

c)         au cours de la troisième semaine agricole complète après l’entrée en vigueur du présent décret, 375 000 tonnes métriques;

d)         au cours de la quatrième semaine agricole complète après l’entrée en vigueur du présent décret, 437 500 tonnes métriques;

e)         au cours de toute autre semaine subséquente après l’entrée en vigueur du présent décret, 500 000 tonnes métriques.

[7]               Pendant plusieurs semaines durant la campagne agricole 2013-2014, LDC n’a pas reçu tous les wagons qu’elle avait commandés. Les écarts les plus importants se sont produits dans les semaines 30 à 35. Durant ces six semaines, le CN n’a livré aucun wagon à ces quatre installations. Pour trois des installations, LDC avait commandé au moins 104 wagons par semaine par installation. Pour la quatrième installation, LDC avait commandé 104 wagons par semaine, sauf pour la semaine 34, où elle n’avait commandé aucun wagon. Ainsi, pour l’ensemble des quatre installations, un total de 2 392 wagons avait été commandé pour les semaines 30 à 35; pourtant, aucun wagon n’a été livré pendant ces semaines. Dans le cas de l’installation d’Aberdeen (semaine 34), LDC avait commandé 208 wagons, mais comme la capacité totale de cette installation est de 104 wagons, le nombre utilisé par l’Office pour comptabiliser l’écart pour cette semaine-là était de 104 wagons.

II.                 Décision de l’Office

[8]               L’Office a établi un processus en trois étapes pour déterminer si le CN a respecté ses obligations en matière de niveau de services à l’égard de LDC :

Étape 1 :     La demande de service de l’expéditeur est-elle raisonnable?

Étape 2 :     La compagnie de chemin de fer a-t-elle répondu à cette demande?

Étape 3 :     Dans la négative, quelles sont les raisons qui pourraient justifier le manquement à une obligation de services?

[9]               L’Office a souligné au paragraphe 43 de ses motifs qu’un expéditeur et une compagnie de chemin de fer peuvent conclure un contrat confidentiel pour définir le niveau de services qui sera offert par la compagnie de chemin de fer. Dans la mesure où une compagnie de chemin de fer a convenu de fournir un certain niveau de services, l’Office a conclu qu’il n’était pas tenu de juger du caractère raisonnable d’une demande de services respectant les limites imposées par une telle entente. La compagnie de chemin de fer serait tenue d’offrir le niveau de services convenu.

[10]           Au paragraphe 88 de ses motifs, l’Office a énoncé ce qui suit :

[TRADUCTION]

[88]      L’article 7.1C du contrat confidentiel souligne [expurgé] :

[expurgé]

[11]           Le nombre précis de wagons qui constitueraient un [expurgé] n’a pas été établi dans le contrat confidentiel. Au paragraphe 124 de ses motifs, l’Office a indiqué sa conclusion relativement à la signification d’un [expurgé] en ce qui concerne le nombre de wagons à livrer :

[TRADUCTION]

[124]    L’Office a par conséquent conclu que [expurgé]. L’Office a conclu également que le nombre de wagons commandés dans un [expurgé] peut varier, et que le nombre de wagons réellement livrés peut être réduit conformément à [expurgé].

[12]           [expurgé]

[13]           En raison de l’interprétation faite par l’Office de [expurgé], l’Office a conclu que le CN avait convenu de fournir le nombre de wagons commandés par LDC qui se situait dans les limites fixées, conformément à ce qui est énoncé au paragraphe 124 de ses motifs. L’Office a également conclu que le CN n’avait pas livré tous les wagons dûment commandés par LDC. Plus précisément, comme il est souligné plus haut, il y a eu une période de six semaines débutant par la semaine 30 de la campagne agricole 2013-2014 durant laquelle le CN n’a livré aucun wagon aux installations de LDC, même si LDC avait commandé un nombre important de wagons pour ces semaines.

[14]           En ce qui a trait aux politiques sur l’affectation des wagons du CN, l’Office a souligné au paragraphe 154 que :

[TRADUCTION]

[...] le CN n’a fourni aucun élément de preuve ni aucune explication pour justifier que, durant les semaines de service où elle n’a pas fourni le nombre de wagons demandés par LDC, elle a agi de la sorte parce qu’elle observait une politique sur l’affectation des wagons conformément à [expurgé]. Plus précisément, le CN n’a pas montré comment, en vertu de sa politique sur l’affectation des wagons, le nombre de wagons livrés à LDC était établi, ni combien de wagons cela aurait représenté pour chaque semaine de service. Qui plus est, le CN n’a pas fait la démonstration que ce type de politique sur l’affectation des wagons était respectée au moment de comparer l’affectation hebdomadaire de wagons et le nombre réel de wagons livrés.

[15]           L’Office a également examiné l’article 14 du contrat confidentiel, qui stipule [expurgé]. Cependant, comme l’a souligné l’Office, pour invoquer cette disposition, le CN aurait dû donner un avis indiquant qu’il agissait ainsi, mais le CN n’a pas donné un tel avis. L’Office a donc établi que le CN ne pouvait s’appuyer sur [expurgé] en l’espèce.

[16]           Ainsi, l’Office a conclu que le CN avait manqué à ses obligations en matière de niveau de services à l’égard de LDC durant la campagne agricole 2013-2014.

III.               Questions en litige

[17]           Le CN, dans son mémoire des faits et du droit, a indiqué que les points suivants constituaient les « points en litige » :

[TRADUCTION]

35.       L’Office a commis plusieurs erreurs de droit ou de compétence, notamment :

a)         il a commis une erreur dans l’application des articles 113 à 116 de la LTC, selon l’interprétation donnée dans l’arrêt [Patchett & Sons Ltd. v. Pacific Great Eastern Railway Co., [1959] R.C.S. 271, 17 D.L.R. (2d) 449 (arrêt Patchett)];

b)         il a unilatéralement élaboré et appliqué une nouvelle « approche d’évaluation » en trois étapes qui impose aux compagnies de chemin de fer une obligation absolue de répondre à toutes les demandes de tous les expéditeurs en tout temps, peu importe les circonstances;

c)         par son approche d’évaluation, il a imposé à tort aux compagnies de chemin de fer une inversion du fardeau de la preuve lorsqu’elles doivent se défendre contre des plaintes sur le niveau de services, les obligeant ainsi à se justifier ou à montrer pourquoi elles ne pouvaient être accusées du non-respect de leurs obligations si elles omettaient de répondre à toutes les demandes des expéditeurs;

d)         il a refusé d’examiner des facteurs importants ayant eu une incidence sur le service de transport par rail en 2013-2014, ou de suffisamment en tenir compte, notamment :

(i)      l’ampleur exceptionnelle et imprévisible de la récolte de grains durant la campagne agricole 2013-2014,

(ii)      les conditions météorologiques exceptionnelles de l’hiver 2013-2014 et leurs conséquences incontestables et préjudiciables sur les activités ferroviaires,

(iii)     la demande totale à laquelle faisait face le système ferroviaire et les requêtes collectives de tous les expéditeurs;

e)         il a manqué à son obligation d’équité procédurale et de justice naturelle à l’égard du CN en lui imposant une norme dont l’existence n’avait pas été auparavant divulguée et en tirant des conclusions de fait qui n’avaient pas été soulevées ou commentées par l’une ou l’autre des parties dans leurs plaidoiries respectives.

(souligné dans l’original)

IV.              Norme de contrôle

[18]           En vertu du paragraphe 41(1) de la LTC, un appel d’une décision de l’Office ne peut être déposé devant la Cour, si l’autorisation est accordée, que s’il porte sur une question de droit ou de compétence. Par conséquent, aucune conclusion de fait tirée par l’Office ne peut faire l’objet d’un contrôle dans le présent appel.

[19]           Bien que le CN ait qualifié les erreurs recensées d’erreurs de droit ou de compétence, aucune des erreurs alléguées ne concerne la compétence de l’Office. Par conséquent, la seule norme de contrôle applicable au présent appel est celle qui s’applique aux questions de droit. Dans l’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Office des transports du Canada, 2010 CAF 65, [2011] 3 R.C.F. 264, la Cour a confirmé que l’Office a droit à la déférence en ce qui concerne son interprétation des dispositions de la LTC et que, par conséquent, la norme de contrôle qui s’appliquait aux questions de droit était la norme de la décision raisonnable.

V.                 Analyse

[20]           Selon le CN, la première question en litige est que l’Office a commis une erreur dans son application des articles 113 à 116 de la LTC, selon l’interprétation donnée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Patchett. Le principe pouvant être extrait de l’arrêt Patchett, c’est que « le devoir d’une compagnie de chemins de fer de remplir ses obligations quant au niveau de services [TRADUCTION] "s’accompagne de l’obligation d’agir de façon raisonnable pour tout ce qui relève de son champ d’action" (sauf en ce qui a trait à ses responsabilités particulières à titre d’assureur de biens [...] » (Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Northgate Terminals Ltd., 2010 CAF 147, [2011] 4 R.C.F. 228, au paragraphe 35).

[21]           Plus précisément, le CN allègue que l’Office ne s’est pas demandé si les demandes de LDC concernant les wagons étaient raisonnables.

[22]           Je ne suis pas d’accord que l’Office a commis une erreur dans son application des articles 113 à 116 de la LTC.

[23]           En l’espèce, l’Office a souligné que la Cour suprême du Canada avait conclu dans l’arrêt Patchett que le devoir d’une compagnie de chemin de fer quant au niveau de services [TRADUCTION] « s’accompagne de l’obligation d’agir de façon raisonnable ». L’Office a ensuite affirmé que la première étape de son analyse est de décider si la demande de services était raisonnable. Cependant, l’Office a aussi conclu que l’obligation de décider si la demande de services est raisonnable pouvait être remplacée par un contrat entre l’expéditeur et la compagnie de chemin de fer énonçant ses obligations quant au niveau de services.

[24]           Il est important de souligner que les obligations de services auxquelles la Cour suprême du Canada faisait référence dans l’arrêt Patchett sont les obligations de services imposées par la loi applicable. En l’espèce, ces obligations seraient imposées par la LTC.

[25]           Le paragraphe 113(4) de la LTC est libellé ainsi :

Un expéditeur et une compagnie peuvent s’entendre, par contrat confidentiel ou autre accord écrit, sur les moyens à prendre par la compagnie pour s’acquitter de ses obligations.

A shipper and a railway company may, by means of a confidential contract or other written agreement, agree on the manner in which the obligations under this section are to be fulfilled by the company.

[26]           La LTC dispose qu’un expéditeur et une compagnie de chemin de fer peuvent conclure une entente établissant les moyens à prendre par la compagnie de chemin de fer pour s’acquitter de ses obligations. Si les parties ont conclu une telle entente, les obligations de services de la part de la compagnie de chemin de fer seront établies en fonction de ce que la compagnie de chemin de fer a convenu de fournir, et non en fonction de la question de savoir si une commande particulière est jugée raisonnable.

[27]           L’Office a examiné le contrat confidentiel et a conclu que le CN avait accepté, en vertu de ce contrat, de livrer le nombre de wagons commandés par LDC, à condition que ce nombre se situe dans les limites établies, conformément à ce qui est mentionné au paragraphe 124 des motifs de sa décision.

[28]           Comme l’Office a conclu que le CN avait accepté de fournir le nombre de wagons commandés par LDC (dans les limites indiquées par l’Office), le CN ne peut maintenant se plaindre que ces commandes étaient déraisonnables. Le CN est simplement lié par l’entente qu’il a conclue avec LDC. À mon avis, l’Office n’a pas commis une erreur de droit en arrivant à cette conclusion.

[29]           Le CN a fait valoir durant l’audience que le contrat confidentiel n’était pas un contrat comme le prescrit le paragraphe 113(4) de la LTC. Cependant, la question de savoir si ce contrat confidentiel était ou non un contrat confidentiel au sens du paragraphe 113(4) de la LTC dépendra de l’interprétation de ce contrat. Dans l’arrêt Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633, la Cour suprême du Canada a conclu que l’interprétation d’un contrat était une question mixte de fait et de droit. La Cour suprême a également souligné ce qui suit :

54.       Le tribunal doit cependant faire preuve de prudence avant d’isoler une question de droit dans un litige portant sur l’interprétation contractuelle. Compte tenu de l’obligation, prévue au par. 31(2) de l’AA, que la demande d’autorisation soulève une question de droit, le demandeur et son représentant chercheront à qualifier de question de droit toute erreur qu’ils invoquent. Toutefois, le législateur a pris des mesures visant à limiter ce genre d’appels, et les tribunaux doivent examiner soigneusement le motif d’appel proposé pour déterminer s’il est bien caractérisé. La mise en garde exprimée dans Housen qui appelle à la prudence lorsqu’il s’agit d’isoler une question de droit s’applique dans le cas présent :

Les cours d’appel doivent cependant faire preuve de prudence avant de juger que le juge de première instance a commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu à la négligence, puisqu’il est souvent difficile de départager les questions de droit et les questions de fait. Voilà pourquoi on appelle certaines questions des questions « mixtes de fait et de droit ». Si le principe juridique n’est pas facilement isolable, il s’agit alors d’une « question mixte de fait et de droit » [...] . [par. 36]

55.       Certes, cette mise en garde a été formulée dans le contexte d’une action pour négligence, mais elle s’applique également à mon avis à l’interprétation contractuelle. Comme je le mentionne précédemment, le but de l’interprétation contractuelle — déterminer l’intention objective des parties — est, de par sa nature même, axé sur les faits. Le rapport étroit qui existe entre, d’une part, le choix et l’application des principes d’interprétation contractuelle et, d’autre part, l’interprétation que recevra l’instrument juridique en dernière analyse fait en sorte que rares seront les cas où il sera possible de dégager une question de droit de l’exercice d’interprétation. En l’absence d’une erreur de droit du genre de celles décrites plus haut, aucun droit d’appel de l’interprétation par un arbitre d’un contrat n’est prévu à l’AA.

[30]           Par conséquent, que ce contrat confidentiel ait été ou non un contrat confidentiel au sens du paragraphe 113(4) de la LTC n’est pas une question donnant droit d’appel en vertu de la LTC.

[31]           Le CN a aussi affirmé que l’Office n’avait pas correctement interprété l’expression [TRADUCTION] « unité de service » telle qu’elle est utilisée dans ce contrat confidentiel. Toutefois, l’interprétation faite par l’Office de cette expression, tel qu’elle est utilisée dans le contrat confidentiel, ne constitue pas une question de droit isolable et, par conséquent, l’interprétation faite par l’Office de cette expression telle qu’elle est utilisée dans le contrat ne donne pas droit d’appel en vertu de la LTC.

[32]           La deuxième question soulevée par le CN repose sur la prémisse selon laquelle l’approche d’évaluation adoptée par l’Office impose [TRADUCTION] « une obligation absolue pour les compagnies de chemin de fer de répondre à toutes les demandes de tous les expéditeurs en tout temps, peu importe les circonstances ». Toutefois, une lecture juste des motifs de l’Office ne soutient pas cette allégation. L’Office a conclu que, dans la mesure où les demandes faites par LDC relativement aux wagons se situaient dans les limites précisées dans le contrat confidentiel, le CN avait convenu de fournir un tel nombre de wagons. Cette conclusion reposait sur son interprétation du contrat confidentiel applicable en l’espèce. L’Office n’a pas conclu qu’il existait pour les [TRADUCTION] « compagnies de chemin de fer une obligation absolue de répondre à toutes les demandes de tous les expéditeurs en tout temps, peu importe les circonstances ».

[33]           La troisième question mentionnée plus haut suppose que l’Office a imposé à toutes les compagnies de chemin de fer une inversion du fardeau de la preuve. Cependant, une fois encore, une lecture juste des motifs de l’Office ne soutient pas cette conclusion. En l’espèce, le défaut de répondre à ses obligations quant au niveau de services a découlé du contrat confidentiel conclu entre le CN et LDC. Il n’y a pas eu de conclusion voulant que l’Office ait imposé à toutes les compagnies de chemin de fer une inversion du fardeau de la preuve dans tous les cas de plainte concernant le niveau de services. Cette question ne se pose tout simplement pas en l’espèce.

[34]           La quatrième question mentionnée plus haut qui se pose est de savoir si l’Office a omis de tenir compte de certains facteurs qui, selon le CN, ont influé sur sa capacité à fournir les wagons. Toutefois, la pertinence de ces facteurs dépend de l’interprétation du contrat confidentiel qui, comme je l’ai souligné précédemment, ne peut faire l’objet d’un appel devant la Cour.

[35]           Même si les conséquences que pourraient avoir une récolte abondante et un hiver rigoureux sur la capacité du CN de fournir des wagons soulèvent une question de fait, quelques observations sont de mise étant donné que le CN a consacré beaucoup de temps durant l’audience d’appel à la question de ce rude hiver.

[36]           L’avocat du CN a souligné durant l’audience que, par temps froid, la longueur des trains devait être réduite. Plus précisément, quand la température se situe entre -25 et -30 oC, la longueur maximale d’un train est fixée à 2 438 mètres (8 000 pieds) et lorsque la température est inférieure à -35 oC, la longueur maximale est de 1 371 mètres (4 500 pieds). L’avocat du CN a fait référence, en particulier, aux températures très froides de décembre 2013. L’avocat du CN a affirmé que, puisque la longueur des trains était réduite durant cette période, le niveau de services devait l’être aussi. Il a laissé entendre que cela expliquait les écarts entre le nombre de wagons commandés et le nombre de wagons livrés à LDC.

[37]           Toutefois, comme je l’ai mentionné précédemment, les écarts les plus importants ont commencé à la semaine 30. Durant l’audience, l’avocat du CN a affirmé que la semaine 30 correspondait environ à la première semaine de mars 2014. Cela nous mènerait après la période des grands froids où le CN était limité quant à la longueur des trains qu’il pouvait mettre en service.

[38]           L’avocat du CN a ensuite affirmé qu’il faudrait du temps au CN pour être en mesure de rattraper les retards encourus en raison des conditions hivernales rigoureuses auxquelles il a dû faire face durant les mois précédents. Toutefois, cette affirmation ne concorde pas avec les observations présentées par le CN à l’Office :

[TRADUCTION]

146.     Cependant, après un adoucissement des conditions hivernales autour de la première semaine de mars, le CN a de nouveau rapidement augmenté sa capacité de transport des grains. Tout comme il l’avait fait à la semaine 6, le CN a commencé à expédier près de 4 500 wagons durant les premières semaines de mars, et il expédie maintenant plus de 5 000 wagons par semaine.

(Non souligné dans l’original.)

[39]           Ces observations sont datées du 12 mai 2014 et donc l’affirmation selon laquelle il [TRADUCTION] « expédie maintenant plus de 5 000 wagons par semaine » ferait référence à la période de mi-mai.

[40]           Durant les semaines 30 à 35, aucun wagon n’a été livré par le CN aux installations de LDC. Puisque la semaine 30 correspond environ à la première semaine de mars, ces semaines viseraient donc la période allant de la première semaine de mars jusqu’à la mi-avril. Le CN a affirmé à l’Office qu’il avait [TRADUCTION] « rapidement augmenté sa capacité de transport des grains » [TRADUCTION] « après un adoucissement des conditions hivernales autour de la première semaine de mars »; par conséquent, il est difficile de comprendre comment l’hiver rigoureux pourrait justifier son défaut de livrer des wagons à LDC durant les semaines 30 à 35.

[41]           Le CN a également fait référence au fardeau imposé au CN par le décret du 7 mars 2014. Dans son mémoire, le CN a affirmé qu’il devait [TRADUCTION] « transporter un minimum de 500 000 tonnes métriques de grains. Pour se conformer au décret, le CN devait transporter entre 5 000 à 5 500 wagons-trémies par semaine, malgré le fait que transporter 5 000 wagons par semaine de manière aussi soutenue n’avait jamais été fait auparavant » (souligné dans l’original).

[42]           Toutefois, le décret prévoyait une hausse progressive des expéditions des wagons, car l’exigence pour la première semaine (soit autour de la deuxième semaine de mars) était fixée à seulement la moitié de la quantité minimale finale à transporter. Au même paragraphe de ses observations présentées à l’Office, le CN a également souligné que :

[TRADUCTION]

146.     [...] le CN a expédié en moyenne 4 550 wagons-trémies durant le mois de mars, ce qui équivaut à une hausse de 15 % par rapport à la moyenne durant cette période. En avril, le CN a transporté en moyenne 5 300 wagons par semaine et 5 500 wagons durant la première semaine de mai, ce qui prouve clairement les importants efforts consentis par le CN et son engagement à rattraper les retards.

(souligné dans l’original)

[43]           En supposant que le CN, lorsqu’il mentionne dans son mémoire le fait de transporter de 5 000 à 5 500 wagons-trémies chaque semaine, fait référence au nombre de wagons nécessaires pour satisfaire à l’exigence minimale de 500 000 tonnes métriques (soit la seule quantité mentionnée dans ce paragraphe), il aurait alors eu besoin de transporter de 2 500 à 2 750 wagons durant la première semaine suivant l’entrée en vigueur du décret, étant donné que l’exigence minimale pour cette semaine était de 250 000 tonnes métriques. Puisque le CN a transporté en moyenne 4 550 wagons par semaine durant le mois de mars et 5 300 wagons par semaine durant le mois d’avril, durant les semaines 31 à 35 (soit autour de la deuxième semaine de mars à la mi-avril), au moment où les quantités minimales à transporter entraient en vigueur progressivement, le CN aurait expédié plus de grains que la quantité qu’il était tenu de livrer en vertu du décret. Il est très difficile de faire concorder les très importantes expéditions de grains faites par le CN durant les mois de mars et avril 2014 avec son défaut de livrer des wagons aux installations de LDC durant les semaines 30 à 35.

[44]           La dernière question soulevée précédemment est également liée à la norme appliquée par l’Office et à l’argument du CN selon lequel l’Office a appliqué une nouvelle norme. À mon avis, la norme appliquée par l’Office n’est pas incompatible avec le principe établi dans l’arrêt Patchett, étant donné qu’il n’y était pas question des exigences relatives au niveau de services lorsqu’une compagnie de chemin de fer conclut une entente pour fournir un service ferroviaire. L’analyse faite par l’Office tenait simplement compte de l’entente que le CN avait conclue avec LDC. Il n’y a aucun fondement dans l’argument du CN selon lequel il s’est vu refuser l’équité procédurale.

[45]           Le CN a également soulevé une question relative aux conclusions de fait tirées par l’Office. Toutefois, comme je l’ai souligné précédemment, seules les questions de droit peuvent faire l’objet d’un appel en vertu de la LTC, et il ne peut y avoir d’appels portant sur des conclusions de fait.

[46]           Pour ces motifs, je rejetterais le présent appel avec dépens.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-140-15

(APPEL DE LA DÉCISION DE L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA [NUMÉRO DE CAS 14-02100] DATÉE DU 3 OCTOBRE 2014)

INTITULÉ :

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA c. LOUIS DREYFUS COMMODITIES LTD ET OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 mai 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

 

Y ONT SOUSCRIT :

(LES JUGES PELLETIER ET DE MONTIGNY)

 

DATE DES MOTIFS :

Le 16 septembre 2016

 

COMPARUTIONS :

W.J. Kenny

Darin Hannaford

 

Pour l’appelante

 

Eric Harvey

 

Pour l’appelante

 

Forrest Hume

John Landry

 

POUR L’INTIMÉE

LOUIS DREYFUS COMMODITIES CANADA LTD

 

Andray Renaud

 

POUR L’INTIMÉ

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Miller Thomson S.E.N.C.R.L.

Edmonton (Alberta)

 

Pour l’appelante

 

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

Montréal (Québec)

 

Pour l’appelante

 

DLA Piper (Canada) S.E.N.C.R.L.

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR L’INTIMÉE

LOUIS DREYFUS COMMODITIES CANADA LTD

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour l’intimé

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

 

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