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Date : 20160908


Dossier : A-353-15

Référence : 2016 CAF 225

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE SCOTT

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

DENISE ARSENAULT

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Montréal (Québec), le 13 avril 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

Y A (ONT) SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE SCOTT

 


Date : 20160908


Dossier : A-353-15

Référence : 2016 CAF 225

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE SCOTT

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

DENISE ARSENAULT

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DE MONTIGNY

[1]               Il s’agit de l’appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt (2015 CCI 179) dans laquelle la Cour a confirmé pour l’essentiel une cotisation établie par le Ministre du Revenu National ci-après ‘le Ministre’ sous l’autorité de l’article 325 de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985 (5e suppl.), c. E-15 (Loi). La cotisation a été établie suite à la donation consentie à l’appelante par son mari M. Jean-Noël Gagné de la moitié indivise d’un immeuble, alors que ce dernier avait une dette envers l’Agence du revenu du Canada. La seule question qui se pose dans le cadre du présent appel est celle de savoir si l’appelante pouvait être tenue responsable de la dette fiscale de son mari au motif qu’il lui avait transféré sa moitié indivise de l’immeuble sans contrepartie.

[2]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que l’appel devrait être accueilli. Bien que la juge de première instance ait correctement identifié les principes juridiques applicables et soigneusement soupesé les prétentions des parties, j’estime qu’elle ne pouvait conclure que la donation faite par le mari de sa moitié indivise de l’immeuble était une donation à cause de mort. Bien qu’il s’agisse d’une situation juridique qui ne soit pas exempte d’ambigüités, une analyse globale du contrat et des circonstances qui lui ont donné naissance me convainquent que la donation litigieuse a été consentie en exécution d’une donation entre vifs à laquelle s’était obligé l’époux en faveur de son épouse. Par voie de conséquence, le transfert de la portion indivise de l’immeuble a été fait en contrepartie de l’extinction partielle de cette donation, et l’article 325 de la Loi ne trouve pas application.

I.                   Faits

[3]               L’appelante et M. Jean-Noël Gagné se sont mariés en 1984. Leur contrat de mariage, daté du 5 juillet 1984, contient les dispositions suivantes :

ARTICLE TROISIÈME

En considération du mariage, le futur époux fait donation entre vifs et en pleine propriété, à compter de la célébration du mariage, à la future épouse, de tous les meubles meublants et articles ménagers qu’il possède actuellement. Ces biens ont une valeur actuelle de DOUZE MILLE DOLLARS ($12,000.00) suivant la déclaration des époux eux-mêmes.

Le futur époux s’engage de plus à entretenir et à renouveler au besoin, durant le mariage, jusqu’à concurrence de la valeur susmentionnée les meubles meublants et articles ménagers qui font l’objet de la présente donation.

Ceux des biens donnés aux termes de la présente clause qui auront été renouvelés ou remplacés par le futur époux appartiendront à la future épouse dès le moment de leur remplacement ou de leur renouvellement.

Les biens donnés aux termes de la présente clause et ceux acquis en remploi devront être affectés à l’usage du ménage et garnir la résidence principale de la famille.

ARTICLE QUATRIÈME

La future épouse fait donation à cause de mort au futur époux de tous les meubles meublants et articles ménagers destinés à l’usage du ménage et qui font l’objet des donations ci-dessus et qu’elle possède encore à son décès, même de ceux acquis par elle-même ou en remploi avec ses propres deniers.

Cette donation à cause de mort sera révoquée si un jugement de nullité de mariage, de séparation de corps ou de divorce est prononcé entre les époux par un tribunal compétent.

ARTICLE CINQUIÈME

En considération du mariage, le futur époux fait donation entre vifs et en pleine propriété à compter de la célébration du mariage à la future épouse une somme de VINGT-CINQ MILLE DOLLARS ($25,000.00) qui deviendra exigible au décès du futur époux. Celui-ci se réserve cependant le droit de payer ladite somme, en tout ou en partie, en tout temps durant le mariage, soit en argent, soit par le transport à la future épouse de biens meubles ou immeubles.

La future épouse prélèvera à même les biens les plus clairs et liquides de la succession du futur époux toute somme impayée au décès de ce dernier, avec l’entente que le produit des polices d’assurance prises par le futur époux sur sa vie et dont la future épouse sera la bénéficiaire, devant être appliqué en paiement et en déduction de la présente donation.

ARTICLE SIXIÈME

Advenant le codécès ou le prédécès de la future épouse, toute donation entre vifs présentement faite par le futur époux à la future épouse sera révoquée pour ce qui n’en a pas été exécuté. En conséquence, les représentants de la future épouse n’en pourront exiger l’exécution.

ARTICLE SEPTIÈME

Si un jugement de séparation de corps ou de divorce était prononcé entre les époux par un tribunal compétent, la donation entre vifs prévue à l’article cinquième sera révoquée pour tout ce qui n’en aura pas été exécuté.

[4]               Le 18 décembre 1990, l’appelante et son mari ont signalé par acte notarié qu’ils ne souhaitaient pas être liés par les articles 462.1 à 462.13 de la Loi instituant un nouveau Code civil et portant réforme du droit de la famille, L.Q. 1980, c. 39, constituant le Code civil du Québec de 1980 (C.c.Q. (1980)), relatifs au patrimoine familial des époux. Ils en ont profité pour modifier par la même occasion certaines clauses de leur contrat de mariage. Le premier paragraphe de l’article troisième et de l’article cinquième, ainsi que l’article septième, sont donc remplacés par les textes suivants :

ARTICLE TROISIÈME

En considération du mariage, l’époux fait donation entre vifs et en pleine propriété de tous les meubles meublants et articles ménagers qu’il possède actuellement d’une valeur de TRENTE MILLE DOLLARS ($30,000.00)

ARTICLE CINQUIÈME

En considération du mariage, l’époux fait donation entre vifs et en pleine propriété à l’épouse qui accepte, d’une somme de TROIS CENT MILLE DOLLARS ($300,000) qui deviendra exigible au décès de l’époux.

Celui-ci se réserve cependant le droit de payer ladite somme en tout ou en partie en tout temps durant le mariage soit en argent, soit par le transport à l’épouse de biens meubles ou immeubles.

ARTICLE SEPTIÈME

Si un jugement de séparation de corps ou de divorce était prononcé entre les époux, toutes donations exécutées entre les époux en vertu de leur contrat de mariage seront partagées pour moitié (1/2), avec l’entente que la résidence familiale principale des époux devra être considérée comme ayant été donnée pour moitié (1/2) à celui des époux qui n’en serait propriétaire enregistré.

[5]               Le 26 septembre 2008, le mari de l’appelante lui a transféré par acte notarié sa moitié indivise d’un immeuble. L’objet du contrat est défini comme étant une « donation entre vifs et irrévocable à son épouse ». Le contrat mentionne en outre que « [l]a présente donation est consentie en exécution des donations mentionnées dans le contrat de mariage des comparants, et particulièrement en exécution d’une somme de QUARANTE MILLE DOLLARS ($40 000,00) mentionnée audit contrat de mariage dont quittance par la donataire au donateur à cet effet ». Au moment où cette donation a été effectuée, le mari de l’appelante était endetté de 49 962,07$ envers l’Agence du Revenu du Canada, suite à une cotisation impayée en tant qu’administrateur pour des montants de taxe nette que la compagnie Construction J.N. Gagné Inc. aurait dû verser de 2003 à 2009.

[6]               Étant donné que la moitié indivise de l’immeuble transférée par M. Gagné était son seul actif, l’appelante a été tenue responsable du montant dû par son mari, en vertu de l’article 325 de la Loi. L’appelante soutient que la donation au contrat de mariage constitue une donation entre vifs, de sorte que son mari avait de son vivant une obligation envers elle. La donation consentie en 2008 aurait dont été faite en contrepartie de l’extinction d’une partie de cette obligation contractée au mariage. Le Ministre estime cependant que la donation contenue au contrat de mariage est plutôt une donation à cause de mort, exigible uniquement au décès de l’époux, de sorte que la donation de l’immeuble avait été faite gratuitement.

II.                La décision contestée

[7]               Après avoir identifié les dispositions législatives pertinentes, la juge a expliqué que la seule question en litige était de déterminer si la donation était une donation pour cause de mort ou une donation entre vifs. L’intimée acceptait en effet que s’il s’agissait d’une donation entre vifs, la cotisation ne tenait plus. Avant de trancher cette question, elle s’est néanmoins penchée sur l’argument subsidiaire de l’appelante suivant lequel il appartenait à l’intimée de prouver l’existence de la dette de M. Gagné.

[8]               S’appuyant sur une décision antérieure de la Cour canadienne de l’impôt (Mignardi c. La Reine, 2013 CCI 67, [2013] T.C.J. no. 66), la juge a réitéré que le fardeau de preuve ne doit pas être renversé facilement, et que le Ministre ne sera tenu de prouver l’existence d’une dette fiscale que dans l’hypothèse où il a une connaissance particulière des faits relatifs à cette dette. En l’occurrence, la juge s’est dite d’avis qu’il n’y avait pas lieu de renverser le fardeau dans la mesure où le débiteur fiscal était le mari de l’appelante et où cette dernière était en mesure d’obtenir les renseignements suffisants pour contester la cotisation à son égard. Quoiqu’il en soit, l’intimée avait déposé en preuve un certificat établissant la somme due par la société de M. Gagné, et avait établi qu’il y avait eu défaut d’exécution à l’égard de cette somme. Elle a donc jugé qu’aucune preuve ne démontrait que la cotisation initiale était erronée. Cette conclusion n’est pas contestée en appel.

[9]               Eu égard à la question principale, la juge a tout d’abord résumé la jurisprudence relative à la distinction entre une donation entre vifs et une donation à cause de mort, et s’est tout particulièrement appuyée sur l’arrêt Hennebury c. Hennebury, [1981] C.A. 136  (C.A. Qué.) [Hennebury]. Dans cet arrêt, la Cour d’appel du Québec a conclu qu’un contrat de mariage stipulant que la donation était irrévocable, sujet à un droit de retour en cas de prédécès de l’épouse, et prévoyant que l’épouse renonçait au douaire en contrepartie, constituait une donation entre vifs. Selon la Cour, ces éléments démontraient que le donateur s’était effectivement dessaisi des biens donnés de façon irrévocable en concluant le contrat de mariage. Après avoir soigneusement considéré plusieurs autres décisions des tribunaux québécois sur cette question, la juge L’Heureux-Dubé, alors à la Cour d’appel, a considéré que la donation en litige constituait une donation à cause de mort, puisque le contrat ne mentionne pas son irrévocabilité, l’épouse ne renonce pas au douaire en contrepartie de la donation, et aucun droit de retour des biens transférés n’est prévu en cas de prédécès de l’épouse. Elle souligne également que le contrat prévoit clairement que l’obligation est exigible uniquement au décès. La juge n’a donc accueilli l’appel que pour réduire le montant de la cotisation, selon une concession du Ministre, au montant de 10 109,67$, avec dépens.

III.             Question en litige

[10]           La seule question en litige dans la présente affaire est celle de savoir si la juge de première instance a erré en concluant que la donation prévue au contrat de mariage du 5 juillet 1984, telle que modifiée par la convention matrimoniale signée par les parties le 18 décembre 1990, constitue une donation à cause de mort et non une donation entre vifs.

IV.             Analyse

[11]           Il convient tout d’abord de déterminer la norme de contrôle applicable. Au vu de l’argumentation présentée par l’appelante au soutien de son appel, il m’apparaît clair que la question en litige n’est pas tant celle de décider si la juge de première instance a erré en droit en interprétant erronément les dispositions pertinentes du Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64 (C.c.Q.) ainsi que la jurisprudence et la doctrine qui s’y rattachent, mais bien plutôt de savoir si elle a commis une erreur dans l’application des principes juridiques au contrat de mariage liant l’appelante et M. Gagné. Comme l’a reconnu la Cour suprême dans l’arrêt Sattva Capital Corp. v. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53 aux paras 50 et 53, [2014] 2 R.C.S. 633, il s’agit là d’une question mixte de droit et de fait. Dans cette affaire comme dans bien d’autres de cette nature, le but de l’exercice consiste à déterminer l’intention des parties à la lumière du libellé du contrat, une question qui repose essentiellement sur les faits et qui est peu susceptible d’avoir des répercussions sur d’autres litiges. Par voie de conséquence, la norme de contrôle sera celle de l’erreur manifeste et dominante.

[12]           Il convient par ailleurs d’identifier les dispositions législatives applicables. Le contrat de mariage et la convention matrimoniale étant antérieurs à l’entrée en vigueur du C.c.Q. en 1994, il faut s’en remettre à la Loi sur l’application de la réforme du Code civil, L.Q. 1992, ch. 57 pour résoudre cette question. L’article 2 de cette loi réitère le principe général voulant qu’une loi nouvelle n’a pas d’effet rétroactif et ne peut donc altérer les conditions de création ou d’extinction d’une situation juridique antérieurement créée ou éteinte, ni les effets déjà produits par une telle situation juridique. D’autre part, l’article 3 établit de façon corollaire que la loi nouvelle s’applique dès son entrée en vigueur aux situations juridiques en cours. À ne s’en tenir qu’à ces dispositions, il faudrait appliquer le C.c.Q. pour trancher le présent litige.

[13]           L’article 4 de la Loi sur l’application de la réforme du Code civil prévoit cependant une exception au principe de l’effet immédiat du droit nouveau. On y prévoit en effet qu’il faut avoir recours à la loi ancienne lorsqu’il faut recourir à des règles transitoires pour déterminer les droits et les obligations des parties à un contrat déjà en cours au moment de l’entrée en vigueur du C.c.Q.. Cette disposition se lit comme suit :

4. Dans les situations juridiques contractuelles en cours lors de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, la loi ancienne survit lorsqu’il s’agit de recourir à des règles supplétives pour déterminer la portée et l’étendue des droits et des obligations des parties, de même que les effets du contrat.

 

4. In contractual situations which exist when the new legislation comes into force, the former legislation subsists where supplementary rules are used to determine the extent and scope of the rights and obligations of the parties and the effects of the contract.

 

Cependant, les dispositions de la loi nouvelle s’appliquent à l’exercice des droits et à l’exécution des obligations, à leur preuve, leur transmission, leur mutation ou leur extinction.

However, the provisions of the new legislation apply to the exercise of the rights and the performance of the obligations, and to their proof, transfer, alteration or extinction.

[14]            Dans ses commentaires, le Ministre de la Justice de l’époque, précise comme suit la portée de cet article :

Cet article édicte des mesures générales de transition applicables spécifiquement aux situations contractuelles en cours lors de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle.

Le premier alinéa introduit, à l’égard de ces situations contractuelles, la règle de la survie de la loi supplétive ancienne pour tout ce qui concerne la détermination des droits et obligations des parties contractantes, ou celle des effets ou conséquences juridiques de leur convention.

C’est dire que chaque fois qu’il s’agira, en raison du silence des parties ou d’une ambigüité dans l’expression de leur volonté, de s’en remettre à la loi pour définir le contenu et les effets d’un contrat conclu avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle mais toujours existant à ce moment, c’est à la loi ancienne, en vigueur au jour de la conclusion du contrat, qu’il faudra recourir, même si les faits qui appellent cette définition sont postérieurs à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle.

Québec, Ministère de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice : le Code civil du Québec, t. 3, Québec, Publications du Québec, 1993 à lap. 7 [Commentaires du Ministre]

[15]           C’est d’ailleurs la position qu’ont adoptée les deux parties dans le présent litige. Suite à une demande en ce sens formulée par la Cour lors de l’audition, les avocats des deux parties ont soutenu qu’il fallait référer au Code civil du Bas-Canada (C.c.B.C.) pour solutionner le présent litige étant donné que le contrat de mariage et la convention modificative ont été signés par les parties en 1984 et 1990 respectivement, donc avant l’adoption du C.c.Q. Je suis donc d’avis que la juge de première instance a erré à ce chapitre en appliquant les dispositions du C.c.Q.

[16]           Cette erreur est cependant sans conséquence dans la mesure où les dispositions du C.c.Q. sont équivalentes aux anciennes et ne modifient pas le droit antérieur. S’agissant de l’article 1808 du C.c.Q. relatif à la donation à cause de mort, les Commentaires du Ministre précisent que cet article est nouveau mais consacre le droit antérieur qui se retrouvait aux articles 757 et 758 du C.c.B.C. Quant à l’article 1807 du C.c.Q., il définit la donation entre vifs en conformité avec la doctrine et la jurisprudence antérieures qui se fondaient sur le premier alinéa de l’article 777 du C.c.B.C. Le tableau qui suit permet de constater à quel point le C.c.Q. reprend pour l’essentiel le C.c.B.C. en matière de donation entre vifs et à cause de mort tout en les simplifiant :

Dispositions du C.c.Q.

Dispositions du C.c.B.C.

1807. La donation entre vifs est celle qui emporte le dessaisissement actuel du donateur, en ce sens que celui-ci se constitue actuellement débiteur envers le donataire.

Le fait que le transfert du bien ou sa délivrance soient assortis d’un terme, ou que le transfert porte sur un bien individualisé que le donateur s’engage à acquérir, ou sur un bien déterminé quant à son espèce seulement que le donateur s’engage à délivrer, n’empêche pas le dessaisissement du donateur d’être actuel

777. Il est de l’essence de la donation faite pour avoir effet entrevifs, que le donateur se dessaisisse actuellement de son droit de propriété à la chose donnée.

[Le consentement des parties suffit comme dans la vente sans qu’il soit besoin de tradition.]

Le donateur peut se réserver l’usufruit ou la possession précaire, et aussi céder l’usufruit à l’un et la nue-propriété à l’autre, pourvu qu’il se dessaisisse de son droit à la propriété.

La chose donnée peut être réclamée, comme dans le contrat de vente, contre le donateur qui la retient, et le donataire peut demander que s’il ne l’obtient pas la donation soit résolue, sans préjudice aux dommages-intérêts dans les cas où ils sont exigibles.

[Si sans réserve d’usufruit ou de précaire le donateur reste en possession sans réclamation jusqu’à son décès, la revendication peut avoir lieu contre l’héritier, pourvu que l’acte ait été enregistré du vivant du donateur.]

La donation d’une rente créée par l’acte de donation, ou d’une somme d’argent ou autre chose non déterminée que le donateur promet payer ou livrer, dessaisit le donateur en ce sens qu’il devient débiteur du donataire.

1808. La donation à cause de mort est celle où le dessaisissement du donateur demeure subordonné à son décès et n’a lieu qu’à ce moment.

757. Certaines donations peuvent être faites irrévocablement entre vifs dans un contrat de mariage, pour n’avoir cependant effet qu’à cause de mort. Elles participent de la donation entre vifs et du testament. Il en est traité en particulier à la section sixième du chapitre deuxième de ce titre.

758. Toute donation faite pour n’avoir effet qu’à cause de mort qui n’est pas valide comme testament ou comme permise en un contrat de mariage, est nulle.

[17]           L’article 1839 du C.c.B.C. établissait que les donations consenties dans un contrat de mariage pouvaient être entre vifs ou à cause de mort. Une jurisprudence abondante s’est développée autour des dispositions qui définissent ces deux types de donation, et il n’est malheureusement pas toujours facile de s’y retrouver compte tenu des contradictions apparentes que recèlent certaines décisions. S’il en va ainsi, ce n’est pas tant à cause d’un désaccord sur les principes applicables mais bien plutôt parce que le texte même des clauses en vertu desquelles sont consenties ces donations est souvent ambigu et que la présence ou l’absence d’un seul mot peut parfois avoir un impact déterminant dans la qualification de deux clauses par ailleurs semblables.

[18]           La première chose qu’il convient d’établir, c’est que la désignation faite par les parties elles-mêmes d’une donation peut constituer un indice, voire même une présomption, mais n’est pas déterminante de leur intention. La donation qualifiée par les parties comme faite entre vifs peut constituer une donation à cause de mort; bien que plus rare, la situation inverse pourra également se produire (voir à ce sujet R. Comtois, Essai sur les donations par contrat de mariage, Montréal, Le Recueil de droit et de jurisprudence, 1968 à la p. 139; P. Ciotola, De la donation, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2006 à la p. 22; L.(R.) c. D.(H.), R.E.J.B. 1998-09725 au para. 7, 1998 CanLII 12594 (C.A. Qué.) [L.(R.)]; Hennebury à la p. 5).

[19]           La doctrine enseigne que le principal critère de distinction entre une donation entre vifs et une donation à cause de mort est le dessaisissement. D’autres critères permettent également de distinguer entre les deux types de donation, à savoir l’irrévocabilité, les termes employés dans le contrat de mariage ou d’union civile, l’intention des parties et les faits déterminants, mais le dessaisissement est sans aucun doute le plus important. L’article 1807 du C.c.Q. reprend d’ailleurs ce critère et en fait l’élément clé de la donation entre vifs. Me Marilyn Piccini Roy résume bien l’état du droit à cet égard :

Le critère fondamental est le premier, celui du dessaisissement. Il ne peut en effet y avoir donation entre vifs que si le donateur se dessaisit lors de la donation de son droit de propriété dans la chose donnée (art. 1807 C.c.Q.). La donation peut être à terme, mais le donateur s’oblige dès maintenant, irrévocablement, à livrer la chose donnée. Il se constitue irrévocablement débiteur du donataire, sans pouvoir changer d’idée dans l’avenir. Il y aura donation à cause de mort en l’absence de dessaisissement actuel et d’obligation d’acquitter.

Les donations par contrat de mariage, dans Collection de droit 2015-2016, vol. 3 (Personnes, Famille et Successions), École du Barreau, Cowansville, Éditions Yvon Blais à lap. 443

[20]           Il importe de préciser que la décision rendue par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Hennebury, précitée, qui constitue encore aujourd’hui l’arrêt de principe en matière de qualification d’une donation, faisait déjà une large place au dessaisissement et reprenait les critères dégagés par la doctrine pour distinguer les donations entre vifs et à cause de mort dans le cadre de l’article 777 du C.c.B.C. Dans son ouvrage précité, et dont s’inspire largement la Cour d’appel dans l’arrêt Hennebury, le professeur Comtois écrivait que l’article 777 du C.c.B.C. ne laisse aucun doute sur l’exigence du dessaisissement : « il est de l’essence de la donation faite pour avoir effet entre vifs, que le donateur se dessaisisse actuellement de son droit de propriété à la chose donnée » (Essai sur les donations par contrat de mariage à la p. 124). C’est donc à bon droit que la juge de première instance s’est inspirée de cet arrêt pour trancher le litige entre les parties, et elle n’a donc commis aucune erreur dans l’identification des principes applicables.

[21]           La mention de la « mort » ou du « décès » dans une clause de donation introduit souvent beaucoup d’incertitude quant à sa qualification. Comme le précisent les auteurs, le décès peut s’analyser comme un délai d’exécution ou un terme, et par conséquent affecter le moment où l’obligation devra être exécutée, ou plutôt comme une condition même d’existence ou la considération de la donation. Dans le premier cas, le donateur s’engage à payer le montant prévu à la donation à un certain moment, soit le jour de son décès; dans la mesure où il s’engage et s’oblige dès le moment de la signature du contrat à payer une somme déterminée, même à terme, il s’agit bel et bien d’une donation entre vifs. En revanche, la donation sera à cause de mort si le donateur n’assume aucune obligation avant son décès, et que la condition de l’exigibilité est le décès. Dans ce cas, le décès ne sera pas un simple terme d’exécution mais la condition même de l’exigibilité (voir P. Ciotola, De la donation aux pp. 18-19; M. Piccini Roy, Les donations par contrat de mariage aux pp. 445-446).

[22]           Qu’en est-il du contrat faisant l’objet du présent litige? Tel que mentionné précédemment, la juge a conclu que la donation prévue à l’article cinquième du contrat de mariage (tel que modifié par l’acte notarié du 18 décembre 1990) était une donation à cause de mort en s’appuyant sur quatre éléments : 1) l’absence de mention que la donation est irrévocable; 2) le fait que l’épouse ne renonce pas au douaire en contrepartie de la donation; 3) l’inexistence d’un droit de retour en faveur du mari en cas de prédécès de son épouse; et 4) la stipulation que la donation ne deviendra exigible qu’au décès de l’époux. À ne s’en tenir qu’à l’examen de l’article cinquième du contrat, je serais porté à donner raison à la juge et à conclure qu’elle n’a pas commis d’erreur révisable.

[23]           Comme elle le souligne dans ses motifs, la Cour d’appel du Québec a conclu qu’une clause très similaire dans son libellé à l’article cinquième du contrat dont nous sommes saisis constituait une donation à cause de mort parce qu’elle ne donnait lieu à aucun dessaisissement, ne créait aucune obligation immédiate pour le donateur et que la condition de l’exigibilité était le décès du donateur (Droit de la famille–2806, E.Y.B. 1997-03067, 1997 CanLII 10107 (C.A. Qué.) ; voir aussi Droit de la famille – 2800, [1997] J.Q. no. 3214, E.Y.B. 1997-02686 (C.A. Qué.). À l’inverse, la Cour d’appel a conclu que le décès n’était pas une condition purement suspensive dans l’arrêt Hennebury et que le donateur s’était dessaisi des sommes mentionnées au contrat de mariage de façon irrévocable en s’appuyant sur le fait que la donation entre vifs était irrévocable et payable en tout temps après la célébration du mariage, qu’un droit de retour était stipulé en cas de prédécès de la donataire, et que cette dernière renonçait au douaire en contrepartie de la donation. La juge pouvait s’appuyer sur ces précédents pour conclure comme elle l’a fait.

[24]           Il convient cependant d’examiner l’ensemble du contrat et de l’acte notarié qui l’a suivi en 1990 pour déterminer l’intention réelle des parties. À ce chapitre, quelques observations s’imposent. Tout d’abord, je note que les parties ont utilisé un vocabulaire distinct pour identifier les différentes donations que l’on retrouve au contrat, les articles troisième et cinquième prévoyant des donations entre vifs tandis que l’article quatrième réfère à une donation à cause de mort. On peut en déduire que les parties savaient ce qu’elles faisaient et ont clairement exprimé leur intention de créer une donation entre vifs à l’article cinquième du contrat. De ce fait, la présomption voulant qu’une donation identifiée par les parties comme étant « entre vifs » soit vraiment de cette nature me semble plus difficile à réfuter. En l’occurrence, je ne crois pas que cette présomption soit réfutée malgré la formulation quelque peu équivoque de l’article cinquième.

[25]           D’une part, l’article sixième prévoit le retour partiel de la somme donnée, puisque l’époux sera libéré de toute obligation pour le montant de la donation qui n’aura pas encore été versé. Il est vrai que cette clause ne constitue pas une révocation du montant total de la donation, et que les sommes déjà acquittées feront partie de la succession de l’épouse. Peut-être est-ce pour cette raison que la juge invoque l’absence d’un droit de retour au soutien de sa conclusion selon laquelle il s’agit d’une donation entre vifs. Il n’en demeure pas moins que le droit de retour, même partiel, est incompatible avec une donation à cause de mort, étant entendu qu’une somme dont le donateur ne s’est pas dessaisi n’a pas à lui être « retournée ». Comme l’écrivait le professeur Comtois :

Ce droit de retour est incompatible avec la donation à cause de mort. Dans cette dernière, le donataire ne devient propriétaire que s’il survit au donateur. Il n’y a donc pas lieu pour le donateur de stipuler un droit de retour pour s’assurer la reprise des biens. Par contre, le droit de retour est une clause toute naturelle à une donation entre vifs. Comme le donateur a  cessé d’être propriétaire, il veut s’assurer que, au cas de prédécès du donataire avec ou sans enfants, les biens lui reviendront.

R. Comtois, Essai sur les donations par contrat de mariage à la p. 128. Voir aussi Hennebury à la p. 6

[26]           La Cour d’appel en est arrivée à la même conclusion dans l’arrêt L.(R.). Dans cette affaire, une des clauses du contrat stipulait que « [l]e prédécès de la future épouse avant le paiement total de ladite somme de DIX MILLE DOLLARS ($10,000.00) libèrera le futur époux de l’obligation du paiement de toute balance ou somme restant due sur ladite donation ». Commentant cette clause, le juge Chamberland écrit :

La clause prévoit en somme le retour partiel de la somme donnée, c’est-à-dire le retour de ce qui n’a pas encore été versé. Cette clause ne serait d’aucune utilité s’il s’agissait d’une donation à cause de mort puisque, si tel était le cas, le donateur ne se serait pas encore dessaisi de l’argent de la donation. La clause traduit également l’existence d’une obligation actuelle, dont les parties veulent libérer le donateur advenant le prédécès de la donataire. La clause serait totalement inutile dans le cas d’une donation à cause de mort. Finalement, la clause envisage la possibilité que le donateur ait commencé à payer ce qu’il doit à la donataire, une situation a priori incompatible avec l’existence d’une donation à cause de mort.

L.(R.) au para. 9

[27]           Enfin, les faits et les circonstances entourant le contrat de mariage me semblent revêtir une importance toute particulière aux fins d’établir la nature précise de la donation consentie à l’article cinquième. La juge a noté dans ses motifs que l’épouse n’avait pas renoncé au douaire en contrepartie de la donation. Or, une telle renonciation est généralement significative parce qu’il est plus logique de renoncer à un bénéfice ou à un gain de survie en échange d’un avantage actuel plutôt que d’un avantage au décès. Par voie de conséquence, l’absence de cette renonciation pourrait inciter à penser que l’on est véritablement en présence d’une donation pour cause de mort.

[28]           Cette analyse ne tient cependant pas compte du fait crucial que le contrat de mariage a été amendé en 1990 notamment pour augmenter de 25 000,00$ à 300 000,00$ le montant de la donation prévue à l’article cinquième. Il est clair à la lecture de l’acte notarié que les modifications apportées au contrat de mariage découlent directement de la volonté par ailleurs exprimée par les époux de n’être aucunement assujettis aux articles 462.1 à 462.13 du C.c.Q. (1980) (maintenant renumérotés 414 à 426 du C.c.Q.) relatifs au patrimoine familial des époux.

[29]           Il ne me semble faire aucun doute que l’augmentation substantielle du montant de la donation entre vifs a pour objet de compenser l’épouse pour sa renonciation au patrimoine familial. Il est vrai que la modification à l’article septième vise également cet objectif, notamment en ce qui concerne la résidence familiale principale des époux. Le patrimoine familial va cependant bien au-delà de la résidence familiale principale et inclut notamment toute autre résidence de la famille, les meubles qui les garnissent, les automobiles et les droits accumulés durant le mariage au titre d’un régime de retraite. Au vu de ce contexte, il y a donc tout lieu de croire que la donation revue à la hausse qu’établit l’article cinquième avait une considération bien précise et visait à assurer une certaine sécurité financière à l’appelante. Il s’agit là, me semble-t-il, d’un indice très probant qui milite fortement en faveur d’une donation entre vifs.

[30]           Par conséquent, j’estime que la donation prévue à l’article cinquième du contrat de mariage liant M. Gagné à l’appelante, telle qu’amendée par l’acte notarié du 8 décembre 1990, doit s’analyser comme une donation entre vifs. Bien que cette disposition, prise isolément, puisse être considérée comme une donation à cause de mort, l’ensemble du contrat de mariage et les circonstances dans lesquelles il a été modifié font pencher la balance en faveur d’une donation entre vifs. Il s’agit là d’une erreur révisable qui nécessite l’intervention de cette Cour.

V.                Conclusion

[31]           Pour les motifs qui précèdent, je suis donc d’avis que l’appel devrait être accueilli, que la décision de la Cour canadienne de l’impôt doit être écartée, et que l’avis de cotisation émis à l’endroit de Mme Denise Arsenault aux termes de l’article 325 de la Loi sur la taxe d’accise devrait être annulé. Les parties n’ont pas demandé de dépens, et par conséquent je n’en adjugerais pas.

« Yves de Montigny »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Johanne Gauthier, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

A.F. Scott, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-353-15

(Appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt (2015 CCI 179).)

INTITULÉ :

DENISE ARSENAULT c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 avril 2016

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

Y ONT (A) SOUSCRIT :

la juge gauthier

LE JUGE SCOTT

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 septembre 2016

 

 

COMPARUTIONS :

Serge Fournier

Geneviève Thériault-Lachance

 

Pour l'appelante

DENISE ARSENAULT

Marielle Brazzini

 

Pour l'intimée

SA MAJESTÉ LA REINE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BCF s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

 

Pour l'appelante

DENISE ARSENAULT

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

Pour l'intimée

SA MAJESTÉ LA REINE

 

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