Date : 20160906
Dossier : A-386-14
Référence : 2016 CAF 219
[TRADUCTION FRANÇAISE]
CORAM :
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LA JUGE GAUTHIER
LE JUGE WEBB
LA JUGE GLEASON
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ENTRE :
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LA NATION TSLEIL-WAUTUTH
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appelante
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et
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OFFICE NATIONAL DE L’ÉNERGIE,
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TRANS MOUNTAIN PIPELINE ULC et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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intimés
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Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 27 octobre 2015 et le 22 janvier 2016.
Dernières observations écrites déposées le 17 juin 2016.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 6 septembre 2016.
MOTIFS DU JUGEMENT :
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LA JUGE GAUTHIER
LA JUGE GLEASON
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE WEBB
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Date : 20160906
Dossier : A-386-14
Référence : 2016 CAF 219
[TRADUCTION FRANÇAISE]
CORAM :
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LA JUGE GAUTHIER
LE JUGE WEBB
LA JUGE GLEASON
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ENTRE :
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LA NATION TSLEIL-WAUTUTH
|
appelante
|
et
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OFFICE NATIONAL DE L’ÉNERGIE,
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TRANS MOUNTAIN PIPELINE ULC et
|
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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intimés
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MOTIFS DU JUGEMENT
LA JUGE GAUTHIER ET LA JUGE GLEASON
[1]
La nation Tsleil-Waututh (NTW) interjette appel de trois décisions interlocutoires de l’Office national de l’énergie (ONÉ) rendues en vertu du paragraphe 22(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N-7.
I.
Aperçu
[2]
Ces trois décisions ont été rendues dans le contexte d’un examen par l’ONÉ d’une demande déposée par Trans Mountain Pipeline ULC (TM) concernant la construction d’un projet qui consiste globalement :
i) au prolongement de son système de pipeline TM existant, qui comprendra la mise au point du doublage du pipeline existant en Alberta et en Colombie-Britannique grâce à l’ajout d’environ 987 km de nouveaux pipelines enfouis, mais aussi grâce à la réactivation de 193 km de pipeline existant;
ii) à la construction de nouvelles installations et à la modification d’installations existantes, comprenant entre autres plusieurs stations de pompage;
iii) à l’ajout de réservoirs et d’installations de chargement de navires-citernes au terminal maritime Westridge existant en Colombie-Britannique;
(désignés dans leur ensemble comme le Projet).
[3]
L’objectif déclaré du Projet est de permettre aux producteurs canadiens d’exporter du pétrole (léger et brute, comprenant le bitume dilué) du terminal maritime Westridge vers les marchés étrangers. Le Projet, s’il est mené à terme, permettra entre autres d’accroître le transport maritime, particulièrement à l’inlet Burrard, faisant passer les escales de navires-citernes de 5 à 34 par mois selon les conditions du marché.
[4]
La nation Tsleil-Waututh est également connue sous le nom du peuple de l’inlet Burrard. Ses traditions et son mode de vie sont principalement centrés sur l’inlet. Environ 500 personnes de la nation Tsleil-Waututh vivent dans la communauté principale de la NTW (réserve indienne no 3) sur la rive nord de l’inlet Burrard Est, à seulement quelques kilomètres du terminal maritime Westridge.
[5]
Il n’est pas contesté que la Couronne a l’obligation de consulter la NTW relativement au Projet au sens de l’arrêt Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 RCS 511. Il semble d’ailleurs que la Couronne a conclu, à la lumière de son évaluation du degré d’intensité des consultations préliminaires, que la NTW avait droit à un niveau élevé de consultation concernant le Projet (affidavit de M. Mark Youden, daté du 21 janvier 2016, pièce A, page 9).
[6]
La Loi sur l’Office national de l’énergie exige que les compagnies déposent une demande de certificat d’utilité publique avant de construire ou d’exploiter un pipeline interprovincial comme celui visé par le Projet. À cette fin, l’ONÉ doit, dans un délai court et strict prévu par la Loi sur l’Office national de l’énergie, fournir un rapport au ministre des Ressources naturelles (le ministre) aux fins d’examen par le gouverneur en conseil. Le rapport de l’ONÉ doit comprendre une recommandation pour savoir si un certificat d’utilité publique devrait être délivré afin qu’un projet puisse aller de l’avant [au paragraphe 52(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie].
[7]
De plus, puisque le Projet comprend la construction de plus de 40 kilomètres de pipelines (autres que des pipelines au large des côtes), il s’agit d’un « projet désigné »
, au sens de l’article 2 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), L.C. 2012, ch. 19, art. 52 (LCEE 2012) et de l’article 46 du Règlement désignant les activités concrètes (DORS/2012-147). En vertu du paragraphe 52(3) de la Loi sur l’Office national de l’énergie, l’ONÉ avait donc l’obligation d’entreprendre une évaluation environnementale (EE) du Projet conformément à la LCEE 2012. Le rapport de l’ONÉ soumis au ministre en vertu de la Loi sur l’Office national de l’énergie doit donc également inclure les conclusions tirées de l’évaluation exécutée en vertu de la LCEE 2012 ainsi que les recommandations fondées sur les facteurs établis aux articles 5 et 19 de la LCEE 2012 [au paragraphe 52(3) de la Loi sur l’Office national de l’énergie et aux paragraphes 29(1) et 31(1) de la LCEE 2012].
[8]
Les décisions visées par le présent appel (désignées dans leur ensemble comme « les décisions »
) ont toutes été rendues le 2 avril 2014. Bien que les parties exposent ces décisions de façon assez différente dans leurs mémoires respectifs initiaux, il est possible de les résumer comme suit :
i) Une décision concluant que la demande concernant le Projet de TM est suffisamment complète pour procéder à une évaluation et à une audience publique en vertu de la Loi sur l’Office national de l’énergie (décision concernant l’exhaustivité de la demande) [dossier d’appel, volume 1, aux pages 16 à 18];
ii) Une confirmation qu’il s’agit d’un
« projet désigné »
du Projet devant faire l’objet d’une évaluation en vertu de la LCEE 2012 et dressant la liste des facteurs devant être pris en considération ainsi que leur portée aux fins de l’EE (décision sur la LCEE 2012) [dossier d’appel, volume 1, aux pages 300 à 303];iii) Une ordonnance détaillant les étapes et les échéanciers du processus de demande d’évaluation, comprenant notamment le processus d’audience publique (ordonnance d’audience) [dossier d’appel, volume 1, aux pages 31 à 49].
[9]
Le 2 avril 2014, l’ONÉ a également rendu une décision concernant les 2 118 demandes déposées par des personnes demandant un droit de participation et a octroyé le statut d’intervenant à 400 demandeurs. En ont fait partie la NTW (l’un des 73 groupes autochtones ayant obtenu le statut d’intervenant), différents ministères du gouvernement fédéral ainsi que d’autres autorités gouvernementales telles que la ville de Burnaby. Cette dernière décision n’est pas visée par le présent appel.
[10]
Comme on peut le constater à partir de ces simples descriptions, les décisions ont été rendues très tôt dans le processus de demande d’examen entrepris par l’ONÉ. TM a déposé sa demande relative au Projet le 16 décembre 2013, soit un peu plus de trois mois avant que l’ONÉ rende les décisions.
[11]
Il n’est pas contesté que la NTW a eu la possibilité de bénéficier du processus de l’ONÉ pour obtenir des renseignements auprès de TM et de divers organismes fédéraux touchés. La NTW a également été en mesure de déposer de nombreux éléments de preuve, comprenant le rapport définitif de sa propre évaluation environnementale et ses propres rapports d’experts. Elle a également pu présenter des éléments de preuve traditionnels de façon orale et a eu l’occasion de faire des observations orales et écrites concernant toutes les questions soulevées par l’ONÉ, concernant l’incidence de l’accroissement du transport maritime qui découlerait de l’exploitation de quantité de pétrole accrue depuis le terminal maritime Westridge une fois le Projet terminé, lorsque les producteurs canadiens utiliseront les nouvelles installations.
[12]
Nous ne disposons d’aucun élément de preuve selon lequel la NTW a déposé une requête, ou soulevé auprès de l’ONÉ, à l’oral ou par écrit, les arguments qui nous sont présentés à un moment donné avant le 2 avril 2014.
[13]
Puisque personne n’a demandé de suspension des procédures de l’ONÉ, le 20 mai 2016, comme le prévoyait sa dernière ordonnance d’audience, l’ONÉ a publié son rapport final de 533 pages (le rapport). Ce rapport comprend une recommandation de l’ONÉ voulant que le gouverneur en conseil approuve le Projet, sous réserve des 157 conditions énumérées dans ledit rapport. L’ONÉ a conclu que le Projet sert l’intérêt public du Canada, malgré les incidences importantes de l’augmentation du transport maritime découlant de la future exploitation du pétrole au terminal maritime de Westridge qui ne pourront pas être totalement atténuées.
[14]
Il est de connaissance publique qu’une commission composée de trois membres a entrepris un nouveau cycle de consultation sur le rapport. Ce cycle de consultation doit être terminé avant que le gouverneur en conseil rende sa décision visant à déterminer si l’ONÉ devrait ou non délivrer un certificat d’utilité publique à TM ou si l’ONÉ devrait être tenue ou non de réexaminer certaines questions conformément à l’article 54 de la Loi sur l’Office national de l’énergie. La décision du gouverneur en conseil devrait être rendue vers la fin du mois de décembre 2016.
[15]
Le dossier public de la Cour démontre également que depuis le 20 mai 2016, au moins sept demandes de contrôles judiciaires contestant le rapport ont été déposées.
[16]
Très récemment, la Cour a rendu sa décision dans l’arrêt Nation Gitxaala c. Canada, 2016 CAF 187 [Northern Gateway], qui, pour la première fois, traite de façon très détaillée du nouveau régime législatif applicable aux demandes de certificat d’utilité publique comme celle déposée pour le Projet. Dans l’arrêt Northern Gateway (aux paragraphes 120 à 123), la Cour a précisé qu’en matière d’approbation d’une demande pour un projet semblable à celui devant nous, le gouverneur en conseil est le seul décideur.
[17]
Pour de multiples raisons, l’audition du présent appel s’est déroulée par étapes et l’affaire n’a pas été prise en délibéré avant la mi-juin 2016. Le cas en l’espèce s’est déroulé de façon inhabituelle. Tout d’abord, les parties ont demandé et ont obtenu la possibilité de déposer des mémoires supplémentaires lorsque, au cours de la première audition, la NTW a modifié sa position relativement au rôle de l’ONÉ concernant l’obligation de consulter de la Couronne, une question étant au cœur de l’appel. Selon la NTW, ce changement de position était nécessaire en raison des arrêts récents de la Cour dont Hamlet of Clyde River c. TGS-NOPEC Geophysical Company ASA (TGS), 2015 CAF 179, 474 NR 96 (le 17 août 2015) [Clyde River] et Première nation des Chippawas de la Thames c. Enbridge Pipelines Inc., 2015 CAF 222, [2016] 3 R.C.F. 96 (le 20 octobre 2015); ce dernier arrêt traite de l’incidence de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 RCS 650, [Carrier Sekani]. Toutefois, la NTW n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi il ne lui a pas été possible de donner avis de cet important changement de position avant l’audition. Un tel avis aurait pu éviter les délais qui ont découlé d’un tel changement.
[18]
Deuxièmement, par l’intermédiaire d’un avis de requête déposé la veille du second jour d’audition fixé au 22 janvier 2016, le procureur général du Canada (PG) a demandé un ajournement de trois mois afin de lui permettre de réexaminer sa position au titre de la révision générale sur les questions de droit autochtone du gouvernement nouvellement élu. La NTW a consenti à cette demande du PG, et ce, même si les parties savaient que l’ONÉ publierait son rapport en mai 2016 et qu’un ajournement aurait très certainement comme conséquence d’empêcher la Cour de rendre une décision sur cette affaire avant la publication du rapport. La requête en ajournement, malgré son caractère peu opportun, a été accueillie par la Cour (les dépens devant être adjugés plus tard) afin de donner l’occasion demandée d’encourager la réconciliation entre les peuples autochtones et la Couronne. Afin de minimiser les inconvénients et le gaspillage de ressources découlant de cet ajournement, la Cour, sur consentement, a terminé l’audition de toutes les questions en litige le 22 janvier 2016, à l’exception de celle liée à la position du PG sur les arguments relatifs à l’obligation de consulter de la NTW et de toute réponse subséquente de la NTW à cette question.
[19]
Le 11 avril 2016, la NTW a écrit à la Cour pour l’aviser qu’elle avait rencontré des représentants du gouvernement fédéral à deux reprises et qu’il avait été convenu que l’appel devrait être réglé en fonction des éléments déposés et des observations faites.
[20]
Le rapport a toutefois été publié dans la foulée de cette correspondance. Puisque le rapport contenait des renseignements probablement pertinents pour certaines des questions en litige dont nous sommes saisis, l’occasion a été donnée aux parties de faire des observations sur ses conséquences potentielles. Elles ont saisi l’occasion de le faire et ont déposé des observations concernant les conséquences du rapport sur le présent appel. Les dernières observations ont été déposées le 17 juin 2016.
[21]
Pour les motifs exposés ci-dessous, nous sommes d’avis que l’appel doit être rejeté. Cette conclusion ne cause pas de préjudice aux droits de la NTW de soulever toutes les questions dont nous avons été saisis (à l’exception des allégations relatives au caractère définitif des décisions et à la violation de l’ONÉ de l’article 18 de la LCEE 2012 avant le 2 avril 2014) dans des instances subséquentes qu’elle jugerait nécessaires pour contester la décision finale du gouverneur en conseil à l’égard du Projet.
[22]
Toutes les dispositions de la Loi sur l’Office national de l’énergie et de la LCCE 2012 citées aux présentes sont reproduites à l’annexe 1 des présents motifs.
II.
Questions en litige
[23]
Il est commun, lors de la rédaction des motifs, de résumer d’abord les faits pertinents avant d’énumérer les questions en litige auxquelles la Cour doit répondre. Toutefois, en l’espèce, nous considérons utile de résumer d’abord les questions en litige qui nous sont présentées avant de dresser un aperçu du contexte factuel pertinent de l’espèce. Traiter les choses dans cet ordre permettra de comprendre pourquoi les parties ont présenté plusieurs faits datant d’avant et d’après le 2 avril 2014 comme étant pertinents, date des décisions faisant l’objet du contrôle judiciaire.
[24]
La NTW soulève devant nous quatre questions en litige. Elles peuvent se décliner comme suit :
i) L’ONÉ, agissant comme autorité responsable en vertu de la LCEE 2012, a-t-il la compétence pour s’acquitter de l’obligation de consulter de la Couronne et a-t-il l’obligation de s’en acquitter? Nous observons que cette question comprend l’interprétation du cadre législatif pertinent afin de confirmer si la LCEE 2012 a délégué des obligations procédurales à l’ONÉ relativement à l’obligation de consulter de la Couronne. Dans l’affirmative, la Couronne, par l’intermédiaire de l’ONÉ, a-t-elle contrevenu à son obligation de consulter avant que les décisions aient été rendues? Dans la négative et subsidiairement, l’ONÉ a-t-il toujours l’obligation, en vertu de la Loi sur l’Office national de l’énergie ou de la LCEE 2012, d’évaluer le caractère adéquat de la consultation avant de rendre des décisions, de telle façon qu’il a commis une erreur de droit en ne déterminant pas si la Couronne a manqué à son obligation de consulter avant de rendre les décisions?
ii) L’ONÉ a-t-il manqué à ses obligations légales d’offrir de consulter la NTW et de collaborer avec elle en tant qu’
« instance »
au sens de l’article 18 de la LCEE 2012 avant de rendre ses décisions?iii) L’ONÉ a-t-il manqué à son devoir d’équité envers la NTW agissant à titre d’intervenante en n’obtenant pas ses commentaires sur l’ensemble des questions soulevées dans ses décisions?
iv) L’ONÉ a-t-il commis une erreur de droit en omettant d’inclure le transport maritime, qui va probablement découler de l’exportation de pétrole à partir du terminal maritime Westridge, dans la description du projet désigné de façon à élargir la portée des facteurs à examiner en vertu de la LCEE 2012 (plutôt qu’en vertu de la Loi sur l’Office national de l’énergie)?
[25]
Le PG et TM ont pour leur part soulevé une question préliminaire selon laquelle la Cour devrait refuser d’examiner ces questions à cette étape, car la NTW a omis de les présenter directement à l’ONÉ et qu’il serait par conséquent inapproprié que la Cour y réponde pour la première fois dans un appel. Ils ont également fait valoir qu’il serait prématuré de commenter le caractère adéquat des consultations de la Couronne dans le contexte abstrait de l’étape de formation du processus de l’ONÉ, sachant que la NTW a eu la possibilité de faire part de ses préoccupations à l’ONÉ concernant le Projet et d’utiliser le processus de l’ONÉ pour obtenir des renseignements supplémentaires de la part de la Couronne et de TM.
[26]
Enfin, les parties ne partagent pas le même avis pour ce qui est de savoir si la question concernant l’inclusion du transport maritime comme faisant partie du projet désigné est une question de droit (pure ou isolable) ou une question mixte de fait et de droit (voir par exemple le mémoire des faits et du droit de TM daté du 22 janvier 2015, au paragraphe 59). Il s’agit évidemment d’une préoccupation importante considérant les limites de la compétence de la Cour aux termes de l’article 22 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, qui ne permet d’examiner que des questions de droit ou de compétence. À cet égard, la NTW soutient que la Cour doit examiner les questions dont elle est saisie puisque l’autorisation d’interjeter appel a été accordée le 10 juillet 2014 et que l’affaire a donc été tranchée (chose jugée).
[27]
Bien que partie à l’instance, l’ONÉ a clairement fait savoir qu’il ne prendrait pas position sur ces questions puisqu’il a pris part au processus d’audience publique lorsque les parties ont comparu devant nous. Il a été convenu que son rôle se résumerait à fournir des renseignements factuels à propos du processus, dans les limites jugées acceptables par la Cour.
[28]
Enfin, la Cour doit déterminer l’adjudication des dépens de l’appel, des deux requêtes (celle précitée concernant l’ajournement et celle visant l’ajout d’éléments de preuve au dossier) et les dépens liés à la modification de la position de la NTW pendant la première audition.
III.
Chronologie des évènements telle qu’elle a été présentée par les parties
[29]
Les premières questions à examiner sont les questions préliminaires visant à déterminer s’il est opportun que la Cour entende l’appel à cette étape en fonction du dossier lui étant présenté. Pour les motifs qui suivent, nous sommes d’avis que l’appel doit être rejeté en raison de nos conclusions sur les questions préliminaires, sans préjudice aux droits de la NTW de soulever ces questions de nouveau (sauf en ce qui concerne le caractère définitif allégué des décisions et la violation alléguée de l’article 18 de la LCEE 2012 par l’ONÉ avant le 2 avril 2014) si elle le souhaite, lorsque le moment sera opportun. Il s’agit principalement d’une conclusion factuelle qui nécessite une appréciation de la façon dont l’affaire a été présentée à l’ONÉ ainsi que du contexte général.
[30]
La chronologie suivante permettra de mieux comprendre dans quelle mesure chacune des parties a tenté d’impliquer l’autre sans toutefois fournir toutes les raisons pour lesquelles elles n’auraient, en revanche, pas dû le faire. La chronologie met également en lumière les ambiguïtés de l’espèce ainsi que le fait que la Cour n’a pas bénéficié d’un tableau complet des discussions et des interactions des parties relativement à l’ampleur de la consultation des autochtones entreprise à ce jour par rapport au Projet. Ce tableau demeure incomplet malgré le dépôt de certains éléments de preuve par les parties relatifs aux faits survenus avant et après que les décisions ont été rendues. La chronologie offrira néanmoins une aide utile à tout décideur qui pourrait avoir à déterminer si, en l’espèce, la Couronne s’est adéquatement acquittée de son obligation de consulter.
[31]
Nous soulignons dès le départ que la Cour ne dispose pas de tous les détails concernant le début des activités de TM relativement au Projet. Bien que certaines correspondances fassent bien référence à une demande relative aux droits, le lien avec l’affaire qui nous occupe n’est pas clair. Toutefois, l’affidavit de Maximilian Nock daté du 21 mai 2014 semble démontrer que TM a tenté de consulter la NTW concernant le Projet au cours de l’automne 2011 (dossier d’appel, volume 3, onglet 6). Il ressort également du dossier que la NTW a été représentée par des avocats d’expérience dès les premiers jours de la demande relative au Projet, puisqu’un certain nombre de lettres ont été échangées par les parties et envoyées en copie à l’avocat de la NTW tout au long de la procédure de l’ONÉ.
[32]
La partie du registre que nous possédons où sont consignées les tentatives de TM de communiquer avec la NTW et rencontrer ses représentants couvre la période allant de l’automne 2011 au 30 septembre 2013. Pendant cette période, on retrouve au moins 102 entrées d’appels et de correspondances entre les deux parties. Il est toutefois probable que les communications aient été plus nombreuses puisque certaines correspondances entre le président de TM et la NTW ne sont pas consignées dans le registre. Il semble par contre que ces nombreuses tentatives de TM n’ont pas abouti à une rencontre ou à une participation de la NTW dans quelque étude ou discussion que ce soit, organisée par TM, et ce, en raison du refus de la NTW. Ce refus est quelque peu surprenant étant donné que selon la politique d’intendance environnementale de la NTW, les promoteurs sont encouragés à communiquer dès que possible avec la NTW relativement à tout projet pouvant avoir des conséquences pour la Première Nation. Les échanges par correspondance suivants illustrent quelque peu les raisons sous-jacentes à cette situation.
[33]
Dès le 31 octobre 2011, la NTW a décliné une offre de rencontrer le président de TM, indiquant qu’elle avait décidé de s’opposer au Projet. Il est pertinent de reproduire une partie de cette lettre : [traduction]
Tsleil-Waututh ne participera plus bilatéralement avec vous à tout processus pouvant être présenté dans une certaine limite comme étant une « consultation » concernant le projet proposé. Nous compterons sur notre réseau de relations avec le gouvernement et les organismes de réglementation ainsi que sur nos propres efforts pour demeurer informés et pour participer à la sensibilisation du public et des intervenants aux risques associés à la proposition de prolongement de pipeline de Kinder Morgan et Trans Mountain.
(Toute référence à Kinder Morgan sera ci-après considérée comme faisant référence à TM dans l’ensemble des documents, étant donné que Kinder Morgan est la société mère de TM).
[34]
Malgré cela, TM a poursuivi ses efforts pour communiquer avec la NTW tout au long de la période couverte par le registre et après, comme le démontre une preuve de communication de renseignements fournis par TM à la NTW ultérieurement.
[35]
Il faut mentionner une lettre de TM à la NTW datée du 21 mars 2012, demandant entre autres de quelle façon et à quel moment appliquer la politique d’intendance de la NTW afin de commencer les consultations avec la communauté (dossier d’appel, volume 4, onglet 6S). Cette information est pertinente puisqu’il s’agit de la même politique à laquelle il sera plus tard fait allusion dans la discussion relative à la demande de la NTW d’être reconnue comme « instance »
conformément à l’article 18 de la LCEE 2012.
[36]
Au mois d’août 2012, TM a envoyé un chèque de 250 $ afin d’enclencher le processus de demande relative à la politique d’intendance environnementale de la NTW (voir ci-après la lettre de la NTW du 12 décembre 2012).
[37]
Dans une correspondance adressée à TM datée du 12 décembre 2012, la NTW a retourné le chèque de 250 $ de frais de TM (dossier d’appel, volume 4, onglet 6T). Dans la lettre accompagnant le chèque retourné, la NTW a avisé TM que l’obligation de consulter et de trouver des accommodements est celle de la Couronne, à moins que les obligations procédurales ou opérationnelles n’aient expressément été déléguées. À son avis, il n’y a pas eu de telle délégation et cette obligation ne peut être confiée ou implicitement déléguée à une tierce partie. La NTW a ensuite expliqué qu’elle considérait que le processus de l’ONÉ était problématique :
[TRADUCTION]
[...] L’Office national de l’énergie soutient qu’il ne peut conserver une objectivité quasi judiciaire et collaborer avec les Premières Nations dans un processus bilatéral de consultation. Dans sa publication de juillet 2008 « Les enjeux autochtones dans les décisions de l’Office national de l’énergie », l’ONÉ déclare qu’il compte sur les promoteurs de projet pour exercer la responsabilité de la Couronne de communiquer des renseignements, de déterminer les conséquences possibles et d’en proposer une atténuation. Cette politique est tout à fait incompatible avec ce que nous comprenons être l’obligation de la Couronne et de ses organismes [...]
[38]
La NTW a confirmé avoir interjeté appel auprès du ministre afin d’établir un processus de consultation entre gouvernements approprié et que sans un tel processus, elle ne mettrait pas en application la politique d’intendance pour le Projet proposé. Une fois de plus, cela a réitéré le message transmis dans sa lettre précédente du 31 octobre 2011 indiquant qu’elle ne participerait pas de façon bilatérale avec TM à tout processus pouvant être présenté comme une [traduction] « consultation »
et qu’elle [traduction] « poursuivrait ses tentatives d’obtenir un engagement de la Couronne de modifier le processus de l’ONÉ ou d’établir un processus de consultation entre gouvernements approprié avec ce dernier, comme un processus parallèle à l’ONÉ afin de réaliser une consultation significative et complète à l’égard des effets négatifs potentiels associés à [...] la proposition de prolongement du pipeline »
(dossier d’appel, volume 4, onglet 6T).
[39]
L’appel interjeté auprès du ministre mentionné précédemment fait référence à une lettre de la NTW adressée au ministre datée du 5 novembre 2012 (dossier d’appel, volume 2, onglet 4J). Dans cette lettre, la NTW se plaint du fait que l’ONÉ ne lui a pas accordé son statut d’intervenant à l’égard de la demande relative aux droits en lien avec le Projet et déposée le février 2011. Après avoir rappelé son point de vue selon lequel la Couronne ne peut déléguer sa responsabilité de consultation à un promoteur de projet et renvoyé à la publication de l’ONÉ de juillet 2008, la NTW a souligné qu’elle ne pouvait pas être reléguée au statut d’intervenante plutôt que d’être considérée comme une entité autonome titulaire de droits et de titres constitutionnellement protégés. La NTW a ajouté que si, comme il a été suggéré, l’ONÉ [traduction] « ne peut collaborer avec les Premières Nations de gouvernement à gouvernement tout en conservant son objectivité quasi judiciaire, il incombe donc [à l’ONÉ ou au ministre] d’établir un processus parallèle qui assurera que l’avis des Premières Nations sera pris en considération tout au long du processus décisionnel de l’ONÉ »
.
[40]
Dans sa réponse datée de 18 janvier 2013, le ministre indique que l’ONÉ est un [traduction] « organisme de réglementation quasi judiciaire indépendant et sans lien de dépendance »
et qu’il serait par conséquent inapproprié qu’il intervienne relativement à sa décision de ne pas accorder de statut d’intervenant en lien avec la demande relative aux droits (dossier d’appel, volume 2, onglet 4K). Ceci étant dit, le ministre a fortement encouragé la NTW à saisir toutes les occasions de discuter du projet avec TM, qui a lancé un processus de collaboration à grande échelle. Pour ce qui est de l’obligation de consulter de la Couronne, le ministre a soutenu que la Couronne s’appuierait, dans la mesure du possible, sur l’examen fait par l’ONÉ de la demande de la NTW pour s’acquitter de toute obligation de consulter des groupes autochtones de la Couronne. Après avoir observé qu’en vertu de la Loi sur l’Office national de l’énergie, l’ONÉ doit tenir compte des préoccupations et des questions soulevées par les groupes autochtones, le ministre a souligné que [traduction] « la Couronne surveillerait le caractère adéquat et suffisant des efforts de consultation des Premières Nations tout au long du processus de [l’ONÉ] »
et qu’il [TRADUCTION] « encourage[ait] fortement [la NTW] à participer à tout processus d’examen éventuel des installations en fournissant des renseignements et en portant à l’attention de [TM] et de [l’ONÉ] ses préoccupations de même que les questions non résolues »
. Enfin, le ministre a souligné que l’ONÉ ne peut pas entretenir de discussions individuelles en dehors de son processus, mais que l’ONÉ avait entrepris les démarches nécessaires pour s’assurer d’avoir en main les éléments de preuve sur les conséquences possibles du Projet, puisqu’il s’attend à ce que les entreprises entreprennent des consultations aussitôt que possible lorsqu’elles planifient un projet.
[41]
Rien ne démontre que cette correspondance entre la NTW et le ministre a été fournie à l’ONÉ en temps utile. À ce stade, il est important de noter que toute la correspondance envoyée ou reçue par l’ONÉ a été publiée sur son site Web afin que toutes les parties concernées puissent en avoir connaissance.
[42]
Les 26 et 27 mai 2013 ou aux alentours de ces dates, TM a soumis une description de projet à l’ONÉ pour sa proposition de Projet. Le 26 juillet 2013, des représentants de la NTW ont avisé TM qu’ils s’opposeraient au Projet.
[43]
Le 29 juillet 2013, l’ONÉ a publié une « liste de questions »
dont il tiendrait compte dans le cadre des audiences publiques tenues conformément à la Loi sur l’Office national de l’énergie concernant le projet anticipé (dossier d’appel, volume 2, onglet 5A). Cette liste comprenait « les éventuels effets environnementaux et répercussions socioéconomiques du transport maritime découlant du projet proposé, notamment les effets d’accidents ou de défaillances qui pourraient survenir »
. Le 8 août 2013, TM a fait parvenir cette liste à la NTW (dossier d’appel, volume 2, onglet 6P).
[44]
Le 12 août 2013, l’ONÉ a écrit à la NTW pour lui fournir un résumé du Projet proposé, une carte de l’itinéraire proposé du pipeline, des renseignements à propos du financement des participants, son processus et l’endroit où elle pourra trouver les détails concernant le programme de consultation de TM, ses résultats et les mesures d’atténuation proposées. L’ONÉ a également offert de répondre à toute question à propos de son processus, par téléphone ou par l’intermédiaire d’une rencontre au sein de la communauté de la Première Nation. Annexée à la lettre de l’ONÉ se trouvait une lettre distincte de Ressources naturelles Canada (RNCan) donnant des renseignements à propos du processus de consultation de la Couronne. L’ONÉ a avisé les communautés autochtones visées que le processus d’examen serait géré par l’initiative du Bureau de gestion des grands projets du gouvernement. Il a encouragé, entre autres, les groupes autochtones à communiquer toute préoccupation liée au Projet à TM et par la suite à faire part à l’ONÉ de toute préoccupation n’ayant pas été résolue, verbalement ou par écrit, dans le contexte du processus d’audience publique. Une fois de plus, il a été souligné que la Couronne se fonderait, dans la mesure du possible, sur le processus d’audience publique de l’ONÉ pour s’acquitter de l’obligation de consulter due aux groupes autochtones pour le Projet proposé. En conclusion, il était indiqué dans la lettre que toute question relative à l’approche générale de la Couronne quant aux consultations devrait être envoyée au Bureau de gestion des grands projets alors que les questions relatives au processus de l’ONÉ devraient être soumises au personnel de l’ONÉ.
[45]
Le rapport démontre de façon claire que le personnel du Bureau de gestion des grands projets et celui de l’ONÉ ont organisé plusieurs réunions avec les Premières Nations qui en ont exprimé le souhait. Il y a peu d’éléments de preuve relativement à ces réunions et aucun élément de preuve ne démontre que la NTW a communiqué avec le personnel du Bureau de gestion des grands projets ou celui de l’ONÉ avant le 2 avril 2014 pour poser des questions à propos du processus de consultation de la Couronne ou du processus de l’ONÉ en vertu de la Loi sur l’Office national de l’énergie ou de la LCEE 2012.
[46]
Le 10 septembre 2013, l’ONÉ écrit à TM pour l’informer des exigences de dépôt supplémentaires relativement aux effets environnementaux et socioéconomiques potentiels découlant de l’accroissement du transport maritime, rappelant que bien que l’accroissement du transport maritime vers ou depuis le terminal maritime de Westridge ne faisait pas partie du Projet proposé, l’ONÉ avait déterminé, comme indiqué dans sa liste de questions, que les éventuels effets environnementaux et répercussions socioéconomiques de ce transport maritime étaient pertinents pour l’analyse de l’ONÉ de la demande en vertu de la Loi sur l’Office national de l’énergie.
[47]
Il convient de mentionner que selon le Guide de dépôt de l’ONÉ, tous les promoteurs des projets comprenant une évaluation par l’ONÉ en vertu de la Loi sur l’Office national de l’énergie doivent entreprendre un processus de consultation approfondie bien avant le dépôt de leur demande. Au cours de leurs consultations, les promoteurs doivent consulter l’ensemble des autorités fédérales, provinciales, municipales et autochtones ainsi que tout autre intervenant ou membre du public pouvant avoir des préoccupations à propos du projet. Il faut également ajouter que dans son Guide de dépôt, l’ONÉ mentionne que tous les promoteurs doivent répondre à tous les éléments présentés à l’article 19 de la LCEE 2012, et ce, peu importe si le projet est un « projet désigné »
ou non en vertu de cette Loi.
[48]
Le 16 décembre 2013, TM a déposé sa demande de certificat d’utilité publique pour le Projet. Seulement une partie de cette demande, qui comprend plus de 15 000 pages, a été déposée au dossier devant nous. Le 20 décembre 2013, l’ONÉ a mis à jour la page Web du site Internet du Registre canadien d’évaluation environnementale (RCEE) pour indiquer que l’ONÉ avait été désigné comme étant l’autorité responsable d’entreprendre l’EE du projet désigné. Cette mise à jour comprenait également une description du Projet ainsi qu’une section traitant de la consultation et de la collaboration avec d’autres instances. Il y était également indiqué que conformément à l’article 18 de la LCEE 2012, une autorité responsable est tenue d’offrir de consulter toute instance visée à l’un des alinéas c) à h) de la définition d’« instance »
au paragraphe 2(1) de la LCEE 2012 qui a des attributions relatives à l’évaluation des effets environnementaux du projet et de coopérer avec elle, à l’égard de l’évaluation environnementale du projet. Plus important encore, l’ONÉ a souligné que dans l’éventualité où un intervenant était d’avis qu’il constituait une telle instance et souhaitait être consulté en vertu de l’article 18, il devait communiquer avec l’ONÉ dans les plus brefs délais, et au plus tard le 31 janvier 2014, et préciser de quelle façon il satisfaisait à la définition prévue en soulignant ses attributions pertinentes relatives à l’évaluation environnementale.
[49]
Le 31 décembre 2013, après avoir accusé réception de la demande, l’ONÉ a demandé à TM de solliciter les demandes des intervenants désirant participer à l’audience publique (dossier d’appel, volume 3, onglet 6D). L’ONÉ a avisé TM de solliciter ces demandes uniquement entre le 15 janvier et le 29 janvier. Le 15 janvier 2014, TM fait part de l’avis à la NTW.
[50]
Le 31 janvier 2014, la NTW a écrit à l’ONÉ, déclarant qu’à son avis, elle était une « instance »
au sens de l’article 18 de la LCEE 2012 et souhaitait être consultée. Elle a toutefois souligné que cette consultation et cette collaboration n’auraient pas pour effet de remplacer ou d’annuler l’obligation de la Couronne de consulter directement la NTW. Pour soutenir cet argument, la NTW a renvoyé aux trois documents suivants, qui n’étaient toutefois pas joints à sa lettre :
- La politique d’intendance de 2009 de la NTW, qui prévoit l’évaluation par la NTW de projets proposés dans une zone définie de consultation. Selon la NTW, le Projet est situé exactement dans la zone de consultation (dossier d’appel, volume 4, onglet 7A);
- L’Accord-cadre sur la gestion des terres des Premières nations conclu avec le gouvernement du Canada et signé par la NTW en 2005, qui confirme le pouvoir légal de la NTW d’élaborer et de mettre en place un processus d’évaluation environnementale (dossier d’appel, volume 2, onglet 4G);
Le Code foncier de 2007 de la NTW adopté conformément à l’Accord-cadre sur la gestion des terres des Premières nations (dossier d’appel, volume 2, onglet 4H).
La lettre de la NTW ne mentionnait pas si ces documents étaient publiquement accessibles.
[51]
Le 12 février 2014, la NTW a déposé une demande de participation et a demandé un statut d’intervenante.
[52]
Le 4 mars 2014, l’ONÉ a écrit à la NTW pour obtenir des clarifications relativement à sa lettre du 31 janvier 2014, plus particulièrement pour savoir si la NTW demandait d’obtenir une consultation ou une collaboration en plus des droits qu’elle obtiendrait en tant qu’intervenante (dossier d’appel, volume 2, onglet 4P). L’ONÉ précisait dans cette lettre ce en quoi consiste la participation d’un intervenant lors d’une audience et de quelle façon un intervenant serait en mesure de vérifier les éléments de preuve du demandeur par l’intermédiaire de questions, du dépôt de preuve et de plaidoiries. L’ONÉ a souligné que si la NTW souhaitait obtenir des consultations supplémentaires, elle devrait fournir les détails de ce qu’elle envisage ainsi que des détails de son propre processus d’évaluation environnementale, comprenant les échéances anticipées. Dans sa lettre, l’ONÉ a également précisé : [traduction]
[qu’il] évaluait
actuellement si la demande relative au projet est complète. Si l’ONÉ conclut que la demande est complète, il publiera une ordonnance d’audience expliquant les détails du processus d’audience. L’Office établira également une liste de participants, y compris le mode de participation de chacun d’eux (commentateur ou intervenant), en temps utile.
[53]
Le 5 mars 2014, la NTW a écrit au ministre (dossier d’appel, volume 2, onglet 4M) pour expliquer les raisons pour lesquelles elle est d’avis que la Couronne avait une obligation de consulter relativement au Projet, les motifs pour lesquels la position de la Couronne concernant la consultation n’est pas valide sur le plan juridique et ne préserve pas l’honneur de la Couronne. Elle a indiqué entre autres choses que cette obligation comprenait, à son avis, la consultation de la NTW dans la conception du cadre général pour la consultation et l’évaluation environnementale du Projet, c’est à dire, en amont du rôle de l’ONÉ, et, la prise en considération de ses lois traditionnelles et droits relatifs à la prise de décision de la NTW. La NTW a ajouté qu’à ce jour, rien de cela n’avait été fait. Elle a souligné que [traduction] « l’ONÉ ne peut consulter la NTW ou déléguer des aspects procéduraux de l’obligation de la Couronne à [TM] relativement à sa demande portant sur des installations, car la Loi sur l’Office national de l’énergie n’habilite pas l’ONÉ à consulter les peuples autochtones »
. Elle a noté qu’en vertu du cadre législatif actuel, l’ONÉ n’était pas en mesure de concevoir et de mettre en place un processus décisionnel qui tiendrait compte des droits de gouvernance de la NTW ni de modifier les échéanciers qui faciliteraient le processus décisionnel relativement aux droits et aux intérêts de la NTW. Elle a ensuite ajouté qu’à son avis, les échéanciers imposés par la Loi sur l’Office national de l’énergie et la LCEE 2012 n’offrent pas suffisamment de temps à la NTW pour évaluer le Projet, recueillir et fournir des connaissances écologiques traditionnelles et des renseignements sur ses coutumes, pratiques et traditions ou pour participer et dialoguer de manière significative. Elle a ajouté qu’une audience publique ne pouvait substituer une consultation officielle des Premières Nations. Une collaboration directe avec les Premières Nations, y compris avec la NTW, a été demandée.
[54]
Il est important de mentionner que dans sa lettre du 5 mars 2014, la NTW a reconnu que l’ONÉ était sur le point de rendre des décisions sur la définition du Projet, la portée des facteurs à évaluer en vertu de la LCEE 2012 et d’autres questions centrales de l’évaluation environnementale, sans avoir consulté la NTW.
[55]
Il faut également mentionner que la NTW semble avoir contesté la liste de questions publiée en juillet 2013, soutenant que cette liste excluait la prise en compte des effets découlant de l’aménagement en amont et en aval et qu’elle n’avait pas été consultée à cet égard. Elle a souligné que cela pourrait empêcher l’ONÉ et subséquemment la Couronne d’aborder des questions critiques qui pourraient nuire aux droits et aux intérêts de la NTW. Bien qu’une copie de cette lettre ait été envoyée au premier ministre du Canada et au ministre d’Affaires autochtones et du Nord du Canada, l’ONÉ n’a pas eu connaissance des préoccupations de la NTW à aucun moment pertinent en l’espèce.
[56]
L’ONÉ a rendu sa décision le 2 avril 2014.
[57]
Le 22 avril 2014, la NTW a répondu à la lettre du 4 mars 2014 de l’ONÉ demandant des détails sur le type de consultation attendu, sur le processus d’évaluation de la NTW et sur ses échéanciers (dossier d’appel, volume 2, onglet 4Q). La lettre du 22 avril n’a fourni aucun détail sur la politique d’intendance de la NTW ni sur les deux autres documents auxquels la lettre du 31 décembre 2014 faisait référence. La NTW n’a pas non plus fourni d’échéancier relatif à son propre processus. En fait, il aurait été difficile pour elle de fournir un tel échéancier puisque comme il a été mentionné, la NTW a décidé en décembre 2012 de ne pas mettre en œuvre sa politique d’intendance et a refusé la demande de TM d’entreprendre un processus d’évaluation officiel. (Voir toutefois le paragraphe 59 ci-après concernant le changement de position subséquent de la NTW).
[58]
Dans sa lettre datée du 22 avril, la NTW est d’avis que le processus ou une décision de l’ONÉ ne peut tenir lieu de substitut ou de remplacement pour sa propre évaluation du Projet ni pour la décision qu’elle prendrait en fin de compte, aux termes de sa politique d’intendance. Puisque l’article 18 de la LCEE 2012 s’appliquait sans égard au rôle de la NTW à titre d’intervenante, elle a pris une position selon laquelle les questions de l’ONÉ sur les attentes de la NTW en matière de consultation devraient être reportées jusqu’à ce que les questions de compétence aient été [traduction] « examinées en détail »
. Elle a ensuite mentionné que l’ONÉ avait rendu trois décisions importantes le 2 avril 2014, sans avoir consulté la NTW ou collaboré avec elle et a demandé à [traduction] « l’ONÉ de modifier son orientation et d’inverser [ses] priorités »
qui semblaient répondre à une demande particulière plutôt que de valoriser la collaboration entre les instances. Elle a mentionné que l’approche de l’ONÉ a soulevé des préoccupations, craignant [traduction] « qu’il soit désormais plus difficile pour l’ONÉ de collaborer avec la NTW afin de s’assurer que les deux instances, dans la mesure du possible, entreprennent une approche coordonnée de leurs évaluations environnementales respectives »
(dossier d’appel, volume 2, onglet 4Q). Elle a également demandé à l’ONÉ de faire preuve de transparence relativement à ses obligations en vertu de l’article 18 de la LCEE 2012 en demandant à l’ONÉ de divulguer les instances avec qui il avait traité et comment il proposait de coordonner son processus d’évaluation avec celui d’autres instances, y compris la NTW.
[59]
Le 30 avril 2014, la NTW a écrit à TM, lui demandant de déposer une nouvelle demande d’évaluation en vertu de la politique d’intendance de la NTW. Elle a souligné que sa demande à la Couronne d’établir un processus de consultation entre gouvernements était demeurée sans réponse (voir sa lettre datée du 12 décembre 2012) et que depuis, la demande officielle de TM avait été déposée, et que le Projet donnerait lieu à une EE en vertu de la LCEE 2012 (faisant référence au site Web du RCEE). Elle a indiqué espérer que de plus amples discussions concernant une approche collaborative de l’évaluation du Projet découleraient de sa lettre à l’ONÉ (faisant probablement référence à sa lettre du 31 janvier 2014). La NTW a ajouté qu’elle était [traduction] « surprise et déçue des nombreuses décisions prises le 2 avril 2014 sans qu’il y ait eu de discussions préalables avec la NTW »
. Elle a déclaré néanmoins que la NTW avait établi qu’il était approprié d’effectuer un examen technique du Projet et de ses conséquences potentielles pour la NTW. Par conséquent, elle a invité TM à déposer des frais de 250 $, précisant que le processus nécessiterait le remboursement intégral de tous les frais engendrés par les activités de la NTW découlant de l’évaluation. La NTW a également indiqué qu’étant donné l’absence continue de participation de la part de la Couronne et de processus de consultation convenu entre la NTW et la Couronne, l’évaluation de la politique d’intendance serait entreprise sans consultation de la Couronne et qu’aucun aspect des interactions entre la NTW et TM, y compris la lettre du 30 avril 2014, ne constituait une collaboration ou une consultation de la Couronne relativement au Projet.
[60]
Le 2 mai 2014, la NTW a signifié et déposé sa demande d’autorisation d’interjeter appel des décisions.
[61]
Le 15 mai 2014, l’ONÉ a répondu à la lettre de la NTW datée du 22 avril 2014 (dossier d’appel, volume 3, onglet 6K). L’ONÉ a indiqué qu’une seule autre Première Nation avait répondu à son offre de consultation et de collaboration relativement à l’EE du projet à titre d’instance au sens de l’article 18 de la LCEE 2012. Il a renvoyé la NTW à la correspondance avec cette Première Nation accessible dans le registre public en ligne de l’ONÉ. Concernant ses opinions générales sur l’article 18, l’ONÉ a mentionné ce qui suit : [traduction]
L’Office considère que l’un des objectifs de l’article 18 est, entre autres, de permettre l’amélioration de l’efficacité et l’efficience de [l’ONÉ] et des processus de toute autre instance applicable pour l’évaluation des effets environnementaux d’un projet désigné. Ces objectifs pourraient comprendre, entre autres, l’examen de moyens d’éviter le dédoublement des évaluations, en coordonnant les étapes duprocessus, en facilitant les échanges de renseignements et en coordonnant le calendrier. Tel que cela est mentionné à l’article 4 de la LCEE 2012, l’objectif de cette loi est également de promouvoir la communication et la collaboration avec les peuples autochtones dans le cadre des évaluations environnementales.
[62]
L’ONÉ ajoute qu’afin d’être en mesure d’évaluer les possibilités de collaboration, l’ONÉ avait besoin de renseignements provenant d’instances potentielles sur la façon dont répondent à la définition d’instance, sur leur processus d’évaluation environnementale envisagé pour le Projet et sur la façon dont elles prévoient s’acquitter de leurs obligations et de leurs fonctions, et exercer leurs pouvoirs à cet égard. L’ONÉ a indiqué qu’une fois les renseignements reçus, [traduction] « il est probable que des occasions de collaboration puissent être trouvées, bien qu’il existe également certaines contraintes »
en raison, par exemple, du délai dans lequel l’ONÉ a l’obligation de terminer l’évaluation d’un projet désigné. L’ONÉ a souligné qu’il s’agissait d’un des éléments qu’il doit prendre en considération en évaluant la mesure dans laquelle la collaboration est possible. L’ONÉ a poursuivi ainsi : [traduction]
« [L’ONÉ] doit demeurer conscient de son rôle quasi judiciaire et ne peut établir de collaboration qui pourrait entrer en conflit avec ce rôle » (dossier d’appel, volume 3, onglet 6K).
[63]
L’ONÉ a également répondu à une préoccupation exprimée par la NTW relativement à l’interrogatoire oral des détenteurs du savoir traditionnel des Premières Nations et a renvoyé à sa directive procédurale no 1. Il souligne que lorsque l’ordonnance d’audience et autres correspondances ont été publiées le 2 avril 2014, l’ONÉ n’avait pas encore reçu de réponse à sa lettre; sans détails relativement au processus d’évaluation environnementale de la NTW et à la façon dont elle envisageait d’exercer ses pouvoirs et fonctions, et de s’acquitter de ses obligations, l’ONÉ n’était pas en mesure d’évaluer la possibilité d’une collaboration. L’ONÉ rappelle les droits d’un intervenant au processus et mentionne que la NTW a déjà posé des questions par écrit à TM dans le cadre du processus de l’ONÉ.
[64]
Entre l’été 2014 et l’été 2015, la NTW a maintenu sa correspondance avec le ministre dans le but d’obtenir une consultation directe entre gouvernements à propos du Projet, en dehors du processus d’audience de l’ONÉ. La NTW a également correspondu avec l’ONÉ concernant son statut d’instance et l’établissement possible d’une collaboration entre les deux. Elle a aussi communiqué avec le Bureau de gestion des grands projets pour exprimer son insatisfaction au sujet du processus de consultation de la Couronne. Puisque nous ne sommes pas saisis de la question visant à déterminer si l’ONÉ s’est véritablement acquitté de ses obligations en vertu de l’article 18 après le 2 avril 2014, nous ne n’entrerons pas dans les détails de cette correspondance à laquelle les parties ont fait très peu référence, voire aucunement. Il suffit de dire qu’après que la NTW a fourni sa documentation puis son échéancier proposé à l’ONÉ en janvier 2014, l’ONÉ a confirmé son statut « d’instance »
grâce à ce qu’il a défini comme une interprétation large de l’article 18 de la LCEE 2012.
[65]
La NTW a déposé diverses demandes d’information par l’intermédiaire du processus de l’ONÉ. Mis à part la demande d’information envoyée à TM en mai 2014, la NTW a déposé une demande d’information le 21 mai 2014 aux « organismes fédéraux »
comprenant plusieurs pages de questions relativement à la façon dont la Couronne a satisfait à ses obligations jusqu’à ce moment. La réponse à cette demande ne fait pas partie du dossier devant nous. Le Bureau de gestion des grands projets a également déposé une demande d’information à l’égard de la NTW, lui posant plusieurs questions sur les préoccupations désignées par le Bureau de gestion des grands projets comme ayant été soulevées à ce stade par la NTW et demandant quelles préoccupations devaient encore être traitées. Une fois de plus, nous ne disposons pas de la réponse de la NTW.
[66]
Le 26 mai 2015, la NTW a déposé son rapport d’évaluation technique et sa preuve d’expert auprès de l’ONÉ. La NTW a conclu qu’elle ne peut pas accepter un risque de déversement, même à petite échelle et encore moins un déversement de plus grande importance et qu’elle ne consentirait donc pas à la poursuite du Projet.
[67]
Le 27 mai 2015, à titre d’élément de preuve déposé par RNCan (Bureau de gestion des grands projets), l’ONÉ a reçu l’évaluation préliminaire des droits des Premières Nations prenant part au processus de consultation de la Couronne (voir le paragraphe 5 ci-dessus) ainsi que les détails du plan de consultation de la Couronne (dossier d’appel supplémentaire, volume 2, onglet 15 et affidavit de Mark Youden daté du 21 janvier 2016). Il n’y a aucun élément de preuve démontrant que l’ONÉ a été avisé des résultats de cette évaluation ou des détails du plan de consultation avant le 2 avril 2014.
[68]
Il est pertinent de reproduire le passage suivant des observations du 27 mai 2015 de RNCan relativement au plan de consultation de la Couronne : [traduction]
49. Les renseignements rendus accessibles à la Couronne au cours de chacune des phases du processus de consultation seront consolidés dans un Rapport de consultation de la Couronne, distinct et séparé du rapport de l’ONÉ remis au gouverneur en conseil. Le Rapport de consultation de la Couronne résumera les aspects procéduraux des consultations entreprises en plus des principales questions soulevées par les groupes autochtones et la façon dont il y sera répondu dans le cadre du processus. Les sections d’ébauche du Rapport de consultation de la Couronne seront transmises aux groupes autochtones aux fins d’examens et de commentaires; le Rapport sera ensuite terminé et utilisé pour renseigner le gouverneur en conseil.
50. En plus d’avoir la possibilité d’examiner et de commenter le Rapport de consultation de la Couronne, les groupes autochtones auront l’occasion de fournir des observations sur leurs préoccupations actuelles, questions ou points de vue fondamentaux reliés au Projet qui permettra, de concert avec le Rapport de consultation de la Couronne, de dresser un portrait complet de la vision des autochtones.
51. Les résultats de la récente collaboration, le processus d’examen de l’ONÉ et les consultations postérieures à l’audience seront rassemblés dans une trousse d’information qui permettra de soutenir le processus décisionnel du gouverneur en conseil relativement au projet.
(À la page 1286, aux paragraphes 49 à 51 des observations écrites sur la preuve du 27 mai 2015).
[69]
Les documents susmentionnés, à savoir le Rapport de consultation et les observations faites par les Premières Nations sur ce Rapport, principalement celles de la NTW, ne font pas partie du dossier devant nous.
IV.
Analyse
A.
Questions préliminaires
[70]
Dans le contexte de la contestation de décisions administratives, le rôle des cours demeure le même, que la décision soit contestée par voie de demandes de contrôle judiciaire ou par voie d’appel. Nous tranchons d’abord « toute question préliminaire, établissons la norme de contrôle applicable, appliquons cette norme de contrôle aux décisions administratives pour déterminer si la Cour devrait intervenir, et ensuite, si nous estimons que l’intervention est justifiée, nous décidons quelle réparation, le cas échéant, devrait être accordée »
(arrêt Northern Gateway aux paragraphes 76 et 77 et arrêt Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, [2015] 2 R.C.S. 3 [Mouvement laïque québécois]).
[71]
Nous trancherons donc d’abord les questions préliminaires exposées aux paragraphes 25 et 26 susmentionnés. De manière générale, le procureur général et TM soutiennent qu’il serait inapproprié pour la Cour de considérer les questions soulevées par la NTW (voir le paragraphe 24 précité) alors que ces questions n’ont pas été soulevées devant l’ONÉ, sachant que la NTW aurait pu les soulever et a décidé de ne pas le faire. Il faut également tenir compte du fait que la NTW a été entendue pleinement sur les questions liées à ses préoccupations de fond découlant des conséquences et des risques associés à l’accroissement du transport maritime. De plus, avant que le gouverneur en conseil ne rende une décision conformément aux articles 53 et 54 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, la NTW aura la possibilité de faire valoir ses préoccupations relativement au respect de l’obligation de consulter de la Couronne et au respect du processus établi dans la Loi sur l’Office national de l’énergie et la LCEE 2012 (voir également les articles 30 et 31 de la LCEE 2012).
[72]
Nous tiendrons compte, pour décider de ces questions préliminaires, du régime législatif, des principes de droit administratif pertinents, de la nature et du caractère définitif des décisions ainsi que des circonstances particulières entourant l’état actuel de l’espèce.
1)
Cadre législatif et principes de droit administratif
[73]
Les caractéristiques distinctives et uniques de ce cadre législatif, qui prévoit un code complet pour la délivrance d’un certificat d’utilité publique, ont très récemment été définies de façon exhaustive dans l’arrêt Northern Gateway, aux paragraphes 92 à 124. Nous faisons nôtre cette description. Il n’est donc pas nécessaire de la répéter ici. Il est toutefois important de rappeler que le gouverneur en conseil est le seul décideur pour l’approbation d’une demande de certificat d’utilité publique.
[74]
Nous reproduirons toutefois les paragraphes 22(1) et 22(4) de la Loi sur l’Office national de l’énergie puisque les procédures de la NTW ont été introduites en vertu du paragraphe 22(1), et le paragraphe 22(4) a par la suite été ajoutée lorsque le législateur a adopté le nouveau cadre législatif pour la délivrance des certificats d’utilité publique :
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[75]
Le paragraphe 22(4) a été ajouté par le législateur seulement en 2012, afin de clarifier qu’aux fins de cet article, le rapport déposé par l’ONÉ en vertu des articles 52 et 53 de la Loi sur l’Office national de l’énergie ou des articles 29 et 30 de la LCEE 2012 ne constitue pas une décision ou une ordonnance de l’Office. Cette même réflexion s’applique à toutes les parties d’un tel rapport.
[76]
La LCEE 2012 ne prévoit pas de dispositions ayant trait aux décisions examinées en vertu de cette loi.
[77]
Le paragraphe 22(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie s’applique à un grand nombre de décisions pour lesquelles l’ONÉ est le décideur final. Cela comprend les décisions interlocutoires telles qu’une décision finale relative à une demande d’intervention ou à une décision finale relative à une demande d’approbation d’une demande en vertu des articles 44, 58 et 58.11 de la Loi sur l’Office national de l’énergie par exemple. Toutefois, cela ne s’applique pas, à notre avis, aux décisions prises en l’espèce, et ce, pour les raisons suivantes.
[78]
Le législateur est réputé connaître les principes généraux de droit administratif appliqués par les cours dans les contrôles judiciaires de décisions administratives. Les principes pertinents ici sont au cœur même du droit administratif. Premièrement, la Cour suprême du Canada a précisé que les cours n’examinent pas les décisions de tribunaux administratifs selon les mêmes normes de contrôle que pour examiner des décisions de cours comme la Cour fédérale (arrêt Mouvement laïque québécois). Deuxièmement, à l’exception de circonstances exceptionnelles, les tribunaux ne devraient pas intervenir prématurément dans le processus administratif établi par le législateur et le tribunal administratif (arrêt Canada (Agence des services frontaliers) c. C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61, [2011] 2 F.C.R. 332 aux paragraphes 30 à 33). Enfin, les tribunaux ne statuent généralement pas sur des questions qui auraient pu être soulevées devant le tribunal administratif, mais qui ne l’ont pas été (arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654, au paragraphe 23, arrêt Forest Ethics Advocacy Association c. Canada (Office nationale de l’énergie), 2014 CAF 245, [2015] 4 F.C.R. 75, aux paragraphes 46, 47, 54, 55 et 57). Un corollaire de ces principes est que les décisions des tribunaux administratifs sont généralement évaluées en fonction du dossier présenté au décideur au moment de rendre sa décision.
[79]
La Cour suprême du Canada a maintes fois expliqué que ces principes généraux ont pour but d’assurer que les cours respectent le choix du législateur de laisser des tribunaux experts ou d’autres décideurs administratifs experts décider de certaines questions; lorsque les cours sont appelées à intervenir, elles devraient bénéficier de cette expertise et avoir en main un dossier adéquat pour y parvenir.
[80]
Le principe selon lequel le dossier doit normalement être celui qui a été présenté au décideur administratif n’est pas sans importance. C’est ce qui assure que les cours appliqueront la norme de contrôle appropriée. Il est effectivement important de souligner que si les parties pouvaient ajouter tous les éléments de preuve qu’elles jugent pertinents pour soulever de nouvelles questions, les cours ne feraient en fait que substituer leurs propres points de vue à ceux des décideurs administratifs. Cela serait inapproprié, non seulement à l’égard des conclusions factuelles qui doivent être laissées aux décideurs administratifs, mais également à l’égard des questions de droit qui appellent l’interprétation de la loi constitutive du décideur ou d’une loi constitutive y étant étroitement liée et pour laquelle la norme de contrôle présumée est celle de la décision raisonnable. Cette norme entraîne de la retenue envers la décision du décideur et, dans la plupart des cas, un éventail d’interprétations possibles.
[81]
Naturellement, comme c’est presque toujours le cas, ces principes généraux emportent quelques exceptions pour permettre aux cours de gérer les circonstances spéciales. Par exemple, dans les circonstances d’une question d’équité procédurale qui n’aurait pas pu être soulevée devant le décideur administratif, les parties peuvent présenter de nouveaux éléments de preuve pour soutenir leurs allégations en ce sens. Des éléments de preuve supplémentaires peuvent également être acceptés pour mettre des questions dans leur contexte, au besoin (arrêts Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, 428 N.R. 297, aux paragraphes 18 à 20; Connolly c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 294, 466 N.R. 44; Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117; Bernard c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, 479 N.R. 189, aux paragraphes 16 à 28).
[82]
En l’espèce, il est évident que la plupart des éléments de preuve dans le dossier devant nous n’étaient pas à la disposition de l’ONÉ le 2 avril 2014. Une partie de ces éléments de preuve a été déposée sur consentement et nous avons autorisé le dépôt d’éléments supplémentaires afin de mettre les arguments en contexte relativement à la violation alléguée de l’équité procédurale ainsi qu’à la prétention selon laquelle il n’est pas approprié pour la Cour, à cette étape du processus, de se pencher sur les questions soulevées par la NTW.
[83]
La Loi sur l’Office national de l’énergie dispose que l’ONÉ possède la compétence pour décider de toutes les questions de fait ou de droit, y compris les questions constitutionnelles comme celles soulevées devant nous (voir l’article 12 de la Loi sur l’Office national de l’énergie et arrêt Forest Ethics, au paragraphe 49). En réalité, il ressort de l’annexe 7 du Rapport que l’ONÉ s’est en fait penché sur des questions constitutionnelles au cours de ses instances, comme la constitutionnalité de l’article 55.2 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, l’examen de la liste de questions en raison d’une violation alléguée de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que sur des questions d’équité procédurale telle que la partialité alléguée d’un membre de la commission.
[84]
De plus, le législateur a expressément prévu que sous réserve de deux exceptions qui ne sont pas pertinentes ici, l’ONÉ a le pouvoir de modifier ou d’annuler ses décisions ou ses ordonnances [paragraphe 21(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie].
[85]
Nous ne percevons rien dans le cadre législatif applicable qui nous permettrait de conclure que le législateur avait l’intention de permettre un contrôle judiciaire par voie d’appel en vertu de l’article 22 sur un fondement plus vaste que ce qui est normalement permis par l’application des principes généraux de droit administratif auxquels nous avons fait référence.
2)
Application des principes aux décisions
[86]
Dans ses différents mémoires (voir la note 22 et les paragraphes 28 à 30 du mémoire de faits et de droit supplémentaire de la NTW daté du 9 juin 2016), la NTW soutient ce qui suit :
i) les décisions sont définitives en ce qu’elles figent les paramètres de l’EE pour les évaluations ultérieures;
ii) en raison de l’impossibilité pour la Couronne de remédier à son manquement après les faits, les décisions prises en violation de l’obligation de la Couronne doivent être contestées à la première occasion avant l’exécution de l’évaluation environnementale;
iii) les décisions sont toutes importantes en ce sens qu’elles ne constituent pas de simples recommandations, mais sont plutôt des décisions se rapportant aux étapes prévues par le régime législatif;
iv) un refus de contrôler ces décisions par voie d’appel à la première occasion priverait la NTW d’une mesure de réparation efficace et serait inéquitable. Cela occasionnerait des frais, des inconvénients et des retards.
i.
Ordonnance d’audience
[87]
L’ONÉ est maître de son processus et de sa procédure. Par conséquent, il est important d’examiner d’abord l’ordonnance d’audience dans laquelle l’ONÉ explique, à la section 4.4, la façon appropriée de soulever une question de procédure ou de fond nécessitant une décision de l’Office. L’ONÉ indique clairement que cela doit être fait par voie de requête, conformément à l’article 35 des Règles de pratique et de procédure de l’Office national de l’énergie (1995). Il n’est pas possible de simplement garder le silence ou de faire totalement fi du processus établi par l’ONÉ en soulevant des questions de droit dans des correspondances avec l’ONÉ (voir la lettre du 22 avril 2014, au paragraphe 58 ci-dessus). Un simple examen de l’annexe 7 du rapport (aux pages 505 à 506) confirme que l’ONÉ a tranché des centaines de requêtes sur le fond présentées conformément à l’ordonnance d’audience (ordonnances d’audience subséquentes). Cette approche fluide est bien adaptée à des procédures qui mettent en cause autant de parties. Il est évident que dans la présente procédure, l’ONÉ a exercé sa discrétion d’utiliser son pouvoir en vertu de l’article 21 différemment de ce que prévoient ses lignes directrices générales (quatrième recueil supplémentaire de jurisprudence de la NTW, onglet 2) puisque l’ONÉ a déterminé qu’il était prêt à revoir ses décisions après avoir reçu une requête.
[88]
À la lumière de ce qui précède, il est difficile de concevoir comment l’ordonnance d’audience devant nous pourrait être considérée comme définitive et comment sa délivrance, sans consultation préalable de la myriade d’intervenants potentiels, pourrait constituer une violation de l’équité procédurale alors qu’il est clair qu’elle a été sujette à modification. D’ailleurs, l’ordonnance d’audience a été modifiée dès le 24 avril 2014, après qu’un intervenant a demandé une prorogation de certains délais et a, depuis, subi d’importantes modifications. En fait, à la section 4.4. de l’ordonnance d’audience, l’ONÉ mentionne la possibilité de demander une prorogation par voie de requête pour illustrer la façon dont les questions devraient être posées. L’ONÉ a également autorisé une prorogation d’un mois pour permettre à une Première Nation souhaitant établir une collaboration en vertu de l’article 18 de la LCEE 2012 de remplir son rapport d’évaluation en dehors des échéances de dépôt imposées aux autres intervenants par la version de l’ordonnance d’audience applicable à ce moment-là.
[89]
Ceci étant dit, même dans l’éventualité où l’ordonnance d’audience ou toute autre décision auraient été considérées définitives et se seraient inscrites dans la portée du paragraphe 22(1), la NTW n’a pas démontré qu’elles ont été rendues en violation de ses droits procéduraux. La NTW a également fait valoir devant nous que le processus adopté par l’ONÉ est inéquitable, en ce sens qu’il ne lui a pas fourni l’occasion d’être entendue relativement aux questions visées par l’ordonnance d’audience avant qu’elle ne soit rendue. Par contre, la NTW n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi le processus choisi par l’ONÉ (voulant que toutes les demandes soient faites par le dépôt d’une requête), qui a manifestement permis à 400 intervenants de demander des modifications à l’ordonnance d’audience (ou à toute autre ordonnance rendue sans l’avis de la partie concernée) n’était pas suffisant pour satisfaire à l’obligation de l’ONÉ d’agir équitablement dans le contexte d’une procédure importante et complexe. Si la NTW s’était sentie lésée par une partie de l’ordonnance d’audience, elle aurait pu tenter de la faire modifier, ce qu’elle n’a pas fait. De plus, il n’y a pas d’éléments de preuve démontrant que les décisions ont une quelconque incidence sur la possibilité pour la NTW de présenter, à titre d’intervenante, tous les éléments de preuve qu’elle juge pertinents ou d’entreprendre une évaluation technique du projet de façon satisfaisante et de présenter cette évaluation à l’ONÉ.
ii.
Décision relative à l’exhaustivité
[90]
En ce qui concerne la décision relative à l’exhaustivité, nous observons d’abord que l’ONÉ, dans ses motifs, répond directement aux opinions exprimées par les personnes ayant fait état de leurs préoccupations avant le 2 avril 2014. Rien n’indique que la NTW n’aurait pas pu faire valoir son point de vue avant le 2 avril 2014 comme l’a fait la ville de Burnaby et une autre Première Nation. La NTW était certainement déjà d’avis qu’il y avait des problèmes puisqu’elle en fait état dans sa lettre au ministre datée du 5 mars 2014.
[91]
Plus important encore, dans ses motifs (dossier d’appel, volume 1 aux pages 16 à 18). l’ONÉ mentionne ce qui suit :
[TRADUCTION]
i) La détermination de l’exhaustivité est une question tellement préliminaire que l’Office ne sollicite généralement pas de commentaires à ce sujet et rend sa décision avant de décider quels participants seront entendus relativement à une demande donnée.
ii) La détermination de l’exhaustivité, en tant que question initiale de base, n’empêche pas les participants d’exprimer leurs opinions ou de poser des questions sur ce qu’ils considèrent être des lacunes de la demande tout au long du processus d’audience.
iii) L’ONÉ utilise une approche holistique pour déterminer si une demande est complète ou si des questions importantes sont manquantes et risque d’empêcher les participants de prendre part au débat lors de l’audience publique.
[92]
En l’espèce, la NTW a refusé d’aviser TM de ses préoccupations, conformément au processus établi dans le Guide de dépôt de l’ONÉ. Ce processus vise à s’assurer qu’une demande telle que celle de TM sera la plus complète possible au moment de son dépôt. Dans de telles circonstances, il est manifeste que la NTW doit être proactive et diligente pour faire entendre ses préoccupations à l’ONÉ, puisque les lacunes, le cas échéant, étaient peut-être la conséquence directe de son choix de ne pas participer au processus de l’ONÉ avant le dépôt de la demande.
[93]
Il n’est pas nécessaire qu’une demande contienne tous les détails pour conclure qu’elle est suffisamment complète pour générer un débat public par l’intermédiaire d’un processus d’audience. D’ailleurs, le fait que le 15 avril 2014, l’ONÉ lui-même a envoyé une demande de 95 pages à TM requérant plus de détails et que peu de temps après, la NTW a envoyé sa propre demande d’information à TM le démontre bien.
[94]
Notre lecture de l’annexe 7 du Rapport confirme que l’ONÉ était prête à modifier sa décision relative à l’exhaustivité de la demande à tout moment avant le début des plaidoiries, en cas de contestation par voie de requête. L’ONÉ n’était cependant pas prêt à renoncer à la nécessité de déposer une requête pour ce faire. Une fois de plus, il semble que la NTW n’a pas suivi le processus établi par l’ONÉ pour faire valoir ses préoccupations et ne s’est donc pas prévalue de l’occasion d’être entendue.
iii.
Décision concernant la LCEE 2012
[95]
Examinons maintenant la décision concernant la LCEE 2012. Le Guide de dépôt de l’ONÉ énonce que :
L’ONÉ passera en revue et évaluera la portée de l’ÉE en fonction de la preuve à sa disposition. Bien que des éléments du projet ou la portée des facteurs à examiner puissent changer au fil de l’instance (à la suite des commentaires exprimés par le public ou par des groupes autochtones ou de changements apportés au projet, par exemple), la demande constitue habituellement la principale source d’information et le point de départ pour déterminer ce sur quoi l’office se penchera au moment de l’évaluation environnementale d’un projet.
[Non souligné dans l’original] (Recueil de jurisprudence du PG, volume 1, onglet A-2, page 4A à 20)
[96]
En l’espèce, la décision concernant la LCEE 2012 a été modifiée après la modification du Projet. Le fait qu’il n’y a pas eu d’autres requêtes déposées visant à obtenir des modifications ne signifie pas que l’ONÉ n’était pas prêt à prendre en considération de telles demandes. En fait, très tôt dans le processus (décision no 25 datée du 23 juillet 2014), l’ONÉ a examiné une requête sur le fond déposée par plusieurs intervenants souhaitant élargir la liste de questions publiée le 29 juillet 2013 afin d’y inclure [traduction] « les effets environnementaux et répercussions socioéconomiques associés aux activités en amont et en aval »
. Cette requête a été entendue malgré le fait que l’ONÉ avait déjà expressément décidé qu’il ne tiendrait pas compte de ces questions précises. Il est par conséquent difficile de conclure que la NTW ne pouvait pas présenter à l’ONÉ les questions soulevées devant nous à l’égard de la description du projet désigné, d’abord publiée sur le site Web de RCEE puis incluse à la décision concernant la LCEE 2012.
[97]
Qui plus est, même si l’argument de la NTW selon lequel la décision concernant la LCEE 2012 est une décision au sens du paragraphe 22(1) était avéré, il semble improbable que la description du projet désigné dans la décision concernant la LCEE 2012 soit le résultat d’une erreur de droit plutôt que l’application de la définition claire de la LCEE 2012 aux faits, c’est-à-dire au Projet. Une autorisation a été accordée par la Cour sans commentaires sur le fait que la question soulevée par la NTW était une question de droit au sens de l’article 22. Le critère applicable pour accorder une autorisation n’est pas le même que celui devant être appliqué par la formation qui entendra l’appel, particulièrement lorsque la question de sa compétence est soulevée. De plus, le dossier devant nous est beaucoup plus détaillé que celui déposé à l’étape de l’autorisation. Par conséquent, le principe de la chose jugée ne s’applique tout simplement pas ici.
[98]
Tel qu’il a été mentionné, l’ONÉ a ajouté les effets de l’accroissement du transport maritime à la liste de questions rendue publique en juillet 2013. Les éléments à examiner en vertu de l’alinéa 19(1)a) de la LCEE 2012 comprennent donc également les conséquences cumulatives possibles d’un tel accroissement du transport maritime. Si la NTW était d’avis qu’il existait une différence majeure entre une évaluation de l’impact de l’accroissement du transport maritime faite en vertu de la Loi sur l’Office national de l’énergie et une évaluation faite en vertu de la LCEE 2012, elle aurait dû soulever cette question auprès de l’ONÉ, puisqu’il s’agit d’une question entraînant l’interprétation par ce tribunal administratif de sa loi constitutive et d’une loi constitutive étant étroitement liée à son mandat. C’est particulièrement vrai lorsque l’argument vise les recommandations pouvant être faites par l’ONÉ en vertu de chacune des lois constitutives comme c’est le cas en l’espèce.
[99]
À notre avis, et de façon résumée, aucune des décisions n’était définitive. Elles n’ont pas figé les paramètres de l’évaluation faite par l’ONÉ. De surcroît, selon les éléments de preuve déposés devant nous, il semble que la NTW a choisi de ne pas se prévaloir de l’occasion d’être entendue afin de faire modifier les décisions. Une telle omission retire à la NTW le droit de prétendre que la décision relative à l’exhaustivité de la demande et la décision concernant la LCEE 2012 entachent le Rapport et les recommandations de l’ONÉ, car elles n’ont pas été modifiées.
B.
Article 18 de la LCEE 2012
[100]
Nous examinerons à présent l’omission alléguée d’offrir une consultation selon l’article 18 de la LCEE 2012 avant de rendre les décisions, argument présenté comme étant distinct et séparé de la question constitutionnelle relative à l’obligation de consulter de la Couronne.
[101]
Contrairement à ce qui a été allégué, à notre avis, l’ONÉ a offert de consulter toutes les parties susceptibles d’être des « instances »
et de collaborer avec elles, conformément à l’article 18 de la LCEE 2012, lorsque l’ONÉ a publié un avis en ce sens sur le site Web de RCEE le 20 décembre 2013.
[102]
Un des objectifs du régime législatif adopté en 2012 était d’assurer l’examen en temps opportun d’une demande de certificat d’utilité publique, que cette demande entraîne ou non une EE en vertu de la LCEE 2012. Même si la NTW n’était pas d’accord avec l’échéancier strict de la loi ou ne considérait pas que son objectif législatif était important, l’ONÉ était néanmoins tenue de le respecter et avait l’obligation de traiter la demande de TM avec célérité.
[103]
La NTW n’a pas fourni tous les renseignements raisonnablement requis par l’ONÉ pour permettre de décider de la question de la compétence avant le 2 avril 2014. Elle a également omis d’aviser l’ONÉ qu’elle s’attendait à ce qu’il n’y ait pas de décisions prises permettant la poursuite du processus établi dans la Loi sur l’Office national de l’énergie sans que son statut ait auparavant été confirmé et qu’un plan de collaboration ait été établi.
[104]
Dans ces circonstances, il serait inapproprié pour la Cour de commenter davantage la façon dont une collaboration établie en vertu de l’article 18 fonctionne généralement puisque cette question doit d’abord être réellement examinée par l’ONÉ. C’est on ne peut plus vrai considérant que la seule question en litige ici est de déterminer si l’ONÉ devait offrir de consulter et de collaborer avec la NTW avant de rendre ses décisions. Il n’y a rien au dossier permettant d’établir si l’autre autorité responsable en vertu de la LCEE 2012 a publié des lignes directrices à ce sujet. Il ne fait aucun doute qu’il serait avantageux de disposer de lignes directrices concernant cette question, bien qu’il soit probable que la nature exacte de la consultation varie selon les circonstances. Cela ne signifie toutefois pas que sans ces lignes directrices, il serait possible de retarder indûment le processus prévu par le régime législatif.
C.
Obligation de consulter de la Couronne
[105]
Tel que cela a été mentionné précédemment, la NTW n’a pas soulevé cette question constitutionnelle devant l’ONÉ avant de demander à la Cour d’intervenir. Encore une fois, il ne fait aucun doute que la NTW aurait pu saisir l’ONÉ sur cette question si elle avait suivi le processus adopté par l’ONÉ à ce sujet (voir le paragraphe 83, ci-dessus). L’allégation relative à l’obligation de consulter de l’ONÉ en vertu de la LCEE 2012 est particulièrement troublante puisque ce n’est qu’au milieu de sa plaidoirie devant nous que la NTW a pris position pour soutenir que cette obligation s’appliquait à l’ONÉ lui-même, ce qui est contraire à la position de la NTW exprimée dans sa correspondance avec le ministre. L’impossibilité pour l’ONÉ de tenir lui-même une consultation a été utilisée pour demander un processus entre gouvernements ou bien la mise en place d’un processus parallèle externe au processus de l’ONÉ.
[106]
La Cour a d’ailleurs rappelé dans l’arrêt Forest Ethics (aux paragraphes 46, 47, 54 et 55) qu’il est particulièrement important de ne pas contourner le processus d’un tribunal administratif lorsque des questions constitutionnelles sont soulevées. La Cour a même exprimé certains doutes quant à savoir si elle détenait le pouvoir discrétionnaire examiné dans l’arrêt Alberta Teachers lorsque des questions constitutionnelles étaient soulevées pour la première fois devant une cour de révision.
[107]
Dans ses observations concernant la question préliminaire, la NTW a principalement centré son argument sur la nécessité de soulever à la première occasion une violation potentielle de l’obligation de consulter de la Couronne pour s’assurer de pouvoir obtenir une réparation efficace, c’est-à-dire d’annuler les décisions et de renvoyer l’affaire devant l’ONÉ aux fins de nouvel examen.
[108]
En l’espèce, nous ne voyons aucune bonne raison d’exercer notre discrétion en faveur de la NTW pour ce motif. On ne peut pas dire que cette question, si elle avait été soulevée devant l’ONÉ avant d’entreprendre un recours en vertu de l’article 22 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, aurait occasionné un retard indu de l’affaire. En effet, comment serait-il possible de conclure que la voie choisie par la NTW pour procéder représentait la seule solution rapide possible alors qu’elle outrepasse la solution la plus évidente consistant à demander à l’ONÉ d’examiner ses questions? En fait, la voie choisie par la NTW a occasionné de sérieux retards. Par ailleurs, la NTW ne s’est pas conduite comme s’il était urgent pour elle d’obtenir une décision en l’espèce.
[109]
De plus, même s’il y avait eu une violation de l’obligation de consulter, la détermination de la mesure de réparation appropriée n’est pas évidente. Il semble que la NTW a eu l’occasion d’exprimer tous ses points de vue auprès de l’ONÉ concernant l’ensemble de ses préoccupations, y compris celles relatives aux effets engendrés par l’accroissement du transport maritime et au fait qu’elle n’était pas prête à accepter le risque d’un déversement. Qui plus est, le processus de consultation n’est pas encore terminé. Dans ces circonstances, prononcer une déclaration sur la portée de l’obligation de consulter en ce qui a trait aux décisions interlocutoires n’aurait aucun effet pratique puisque les violations pourraient bien avoir été réparées par le processus subséquent devant l’Office ou pourraient être réparées par l’intermédiaire de la consultation en cours.
[110]
La NTW a fondé ses arguments sur plusieurs jugements, y compris certains jugements de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, dans lesquels les cours sont intervenues aussitôt qu’une [traduction] « décision sur la portée »
avait été rendue pour laquelle le tribunal n’avait pas consulté le groupe autochtone touché avant de rendre sa décision sur la portée. Aucune de ces décisions n’impliquait le cadre législatif unique applicable en l’espèce. Elles ne sont pas non plus particulièrement pertinentes pour décider des questions préliminaires soulevées ici, étant donné le processus fluide adopté par l’ONÉ pour s’assurer que toutes les questions soulevées par les intervenants puissent être rapidement examinées par voie de requête. À notre avis, les décisions citées par la NTW ne sont pas utiles en l’espèce.
[111]
En outre, considérant que l’ONÉ a publié son Rapport, la question de savoir si la Couronne s’est acquittée de son obligation de consulter devra être évaluée et tranchée par le gouverneur en conseil (arrêt Northern Gateway au paragraphe 166), qui a le pouvoir de demander à l’ONÉ d’examiner certaines questions de nouveau s’il considère nécessaire de le faire. Le gouverneur en conseil peut également refuser de donner son approbation s’il conclut que la Couronne n’a pas satisfait à son obligation constitutionnelle de consulter. Ces consultations peuvent elles-mêmes être sujettes à un contrôle par la Cour au moment opportun, tel que cela a été le cas dans l’arrêt Northern Gateway.
[112]
Enfin, nous soulignons que la Cour doit être prudente afin de ne pas utiliser son pouvoir discrétionnaire de façon à retirer l’affaire des mains du gouverneur en conseil, ce qui serait contraire à l’intention du législateur.
[113]
À la lumière de ce qui précède, nous n’avons pas conclu que la Cour devait intervenir à cette étape. Toutefois, nous croyons qu’en raison des circonstances particulières de l’espèce, la Cour doit s’assurer que la NTW ne subit pas de préjudice en raison de ce rejet, puisqu’il est fondé en partie sur le motif qu’il serait prématuré pour la Cour d’examiner les questions entourant la consultation alors que ce processus est toujours en cours et que le gouverneur en conseil n’a pas encore décidé si la Couronne s’est acquittée de son obligation de consulter la NTW à propos du Projet. Par conséquent, nous proposons que ce rejet soit sans préjudice aux droits de la NTW de soulever les questions qui nous ont été présentées (à l’exception des questions relatives à la nature définitive des décisions et à la violation alléguée de l’article 18 de la LCEE 2012 par l’ONÉ avant le 2 avril 2014) dans toute instance qu’elle jugera nécessaire d’engager pour contester la décision définitive du gouverneur en conseil.
V.
Dépens
[114]
Il ne reste donc que la question des dépens à trancher. Puisqu’il n’y a pas eu d’audience supplémentaire après l’autorisation de l’ajournement, nous estimons qu’il n’y a pas lieu d’adjuger de dépens pour la requête du PG, à laquelle la NTW a consenti. Par contre, les dépens découlant de l’omission de l’avocat de la NTW de donner un avis adéquat quant au changement de position juridique de la NTW concernant un élément central de l’affaire est une question plus grave. Nous n’avons pas été convaincus que la NTW n’était pas en mesure de donner cet avis avant le 27 octobre 2015. Son nouvel argument était fondé sur la décision de la Cour dans l’arrêt Clyde River, rendue en août 2015, et sur la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Carrier Sekani. Le respect de la procédure de la Cour et du droit de répondre des autres parties est essentiel. La NTW n’a même pas avisé la Cour au début de l’audience de son changement de position fondamental, un changement qu’elle devait savoir être de la plus grande importance. En raison de la nature de la question en jeu, les parties ont toutes reconnu que la Cour devrait entendre les arguments de la NTW, sujet au droit des parties d’examiner convenablement cette nouvelle position et de faire de plus amples observations à ce sujet. Nous proposons donc d’ordonner des dépens d’une somme de 500 $ relativement au changement de position, en plus des frais de déplacement d’un avocat du PG et d’un avocat de TM, qui ont dû se présenter de
[115]
nouveau à Vancouver en raison de ce changement de position. En ce qui a trait à l’appel lui-même, considérant son issue et l’ensemble des circonstances, nous proposons que chaque partie assume ses propres frais.
« Johanne Gauthier »
j.c.a.
« Mary J.L. Gleason »
j.c.a.
« Je suis d’accord.
Wyman W. Webb, j.c.a. »
ANNEXE
Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N-7
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Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) L.C. 2012, ch. 19, art. 52.
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COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
APPEL DE QUATRE DÉCISIONS DE L’OFFICE NATIONAL DE L’ÉNERGIE DATÉES DU 2 AVRIL 2014. NUMÉRO DE DOSSIER : OF-Fac-Oil-T260-2013-03 02
DOSSIER :
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A-386-14
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INTITULÉ :
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NATION TSLEIL-WAUTUTH c. L’OFFICE NATIONAL DE L’ÉNERGIE, TRANS MOUNTAIN PIPELINE ULC, et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Vancouver (Colombie-Britannique)
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DATES DE L’AUDIENCE :
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Le 27 octobre 2015
Le 22 janvier 2016
DERNIÈRES OBSERVATIONS ÉCRITES DÉPOSÉES LE 17 JUIN 2016
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MOTIFS DU JUGEMENT :
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LA JUGE GAUTHIER
LA JUGE GLEASON
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE WEBB
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DATE DES MOTIFS :
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Le 6 septembre 2016
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COMPARUTIONS :
Maxime Faille
Scott A. Smith
Peter Seaman
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Pour l’appelante
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Asad Chaudhary
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Pour l’intimé
Office national de l’énergie
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Maureen Killoran
Thomas Gelbman
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Pour l’intimée
Trans Mountain Pipeline ULC
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Peter M. Southey
Sarah L. Bird
Dayna S. Anderson
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Pour l’intimé
Procureur général du Canada
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., s.r.l.
Toronto (Ontario)
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Pour l’appelante
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Office national de l’énergie
Calgary (Alberta)
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Pour l’intimé
Office national de l’énergie
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Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L., s.r.l.
Calgary (Alberta)
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Pour l’intimée
Trans Mountain Pipeline ULC
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William F. Pentney
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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Pour l’intimé
Procureur général du Canada
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