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Date : 20160831


Dossier : A-233-15

Référence : 2016 CAF 213

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

 

ENTRE :

MICHAEL NEWMAN

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 28 janvier 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 31 août 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20160831


Dossier : A-233-15

Référence : 2016 CAF 213

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

 

ENTRE :

MICHAEL NEWMAN

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

[1]               M. Michael Newman a subi des voies de fait et a été grièvement blessé pendant qu’il était sous la garde du Service correctionnel du Canada. Il a poursuivi la Couronne au motif qu’elle avait enfreint les droits qu’il tire de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.­U.), 1982, ch. 11 (la Charte), en n’assurant pas sa sécurité personnelle pendant sa détention. La déclaration de M. Newman a été déposée plus de trois ans après les faits. À la fin des plaidoiries, la Couronne a présenté une requête en jugement sommaire, la demande de M. Newman étant à son avis prescrite. Selon la Couronne, il s’agissait d’une action [traduction] « pour préjudice corporel ou matériel [...], qu’elle soit fondée sur la responsabilité contractuelle, la responsabilité délictuelle ou une obligation légale » et qu’elle était par conséquent visée par le délai de prescription de deux ans prévu à l’alinéa 3(2)a) de la Limitation Act (Loi sur la prescription) de la Colombie-Britannique, R.S.B.C. 1996, ch. 266 (la Limitation Act). M. Newman a affirmé que son action en dommages-intérêts était fondée sur la Charte et ne saurait donc être assujettie au délai de prescription applicable aux actions pour préjudice corporel. Elle était plutôt visée par le paragraphe 3(5) de la Limitation Act, qui s’applique à [traduction] « [t]oute autre action qui n’est pas expressément prévue ». En outre, selon M. Newman, quoi qu’il en soit, le délai de prescription ne commençait pas à courir à partir de la date du préjudice corporel, car le paragraphe 6(4) avait pour effet de suspendre la prescription dans certaines circonstances.

[2]               La Cour fédérale a retenu l’argument de la Couronne quant à la nature de la demande de M. Newman et a rejeté l’argument de ce dernier selon lequel le délai de prescription n’avait pas commencé à courir à la date des voies de fait ou autour de cette date. Par conséquent, la Cour fédérale a accueilli la requête en jugement sommaire et a rejeté la demande de M. Newman. M. Newman porte la décision de la Cour fédérale en appel devant la Cour.

I.                    LES FAITS

[3]               En novembre 2010, M. Newman, qui appartenait à un gang, purgeait une peine à l’établissement de Matsqui, à Abbotsford, pour des infractions liées à la drogue. Il attendait de subir son procès pour meurtre au premier degré et a été transféré à l’établissement de Kent (Kent). Il a été placé en isolement préventif, aussi appelé isolement cellulaire. En mai 2011, les responsables des services correctionnels ont indiqué qu’il pouvait être placé au sein de la population carcérale générale. M. Newman s’est opposé à son placement au sein de la population générale, à moins que ce ne soit dans un secteur où il serait protégé des attaques d’un membre influent d’un gang rival, M. Bacon, également incarcéré à l’établissement de Kent. Le 19 juillet 2011, les responsables des services correctionnels ont transféré M. Newman, malgré ses objections, dans l’aile d’orientation. Il a été sauvagement battu dès le lendemain par deux détenus sur ordre, selon lui, de M. Bacon. M. Newman a subi une fracture du nez, une fracture à l’os de la pommette et une fracture à une vertèbre du cou. À la suite de ces voies de fait, il a aussi souffert d’un trouble de stress post-traumatique, de convulsions et de troubles urinaires.

[4]               À partir de la date de l’incident jusqu’en février 2013, M. Newman a participé à la préparation de son procès pour meurtre au premier degré et y a assisté; il s’est soldé par une déclaration de culpabilité. M. Newman a commencé à purger sa peine, puis s’est mis à la recherche d’un avocat pour le représenter contre le Service correctionnel du Canada. À l’été 2013, il a entendu parler d’une avocate prête à représenter des prisonniers moyennant des honoraires conditionnels. Il l’a consultée en septembre 2013, plus de deux ans après les faits. Elle a accepté de le prendre comme client et de travailler à son dossier quand le temps le lui permettrait. Elle a rédigé les actes de procédure après avoir obtenu les renseignements nécessaires des responsables des services correctionnels, dont leur avis selon lequel M. Bacon avait ordonné les voies de fait. Selon l’avocate, ce renseignement augmentait les chances de M. Newman d’obtenir gain de cause. Le dossier indique que la déclaration de M. Newman a été déposée le 17 octobre 2014.

[5]               Aux termes de la déclaration, la cause d’action de M. Newman découlait exclusivement d’une violation des droits qui lui sont garantis par les articles 7 et 12 de la Charte et il demandait par conséquent à la Couronne des dommages-intérêts en vertu de ce texte. La Couronne a opposé divers moyens de défense, mais a déposé sa requête en jugement sommaire au motif que la demande de M. Newton était prescrite en vertu de la Limitation Act.

II.                 LA DÉCISION EN APPEL

[6]               Dans une décision non publiée (motifs), le juge Mosley de la Cour fédérale (ci-après « le juge ») a accueilli la requête de la Couronne en jugement sommaire et a rejeté la demande de M. Newman.

[7]               Il est acquis aux débats que la demande de M. Newman était visée par la Limitation Act. Les questions en litige dans le présent appel sont les suivantes : a) la demande était-elle visée par le délai de prescription de deux ans prévu à l’alinéa 3(2)a), lequel s’applique aux actions en dommages-intérêts intentées pour préjudice corporel? et b) la prescription a-t-elle été suspendue jusqu’en 2013 par application du paragraphe 6(4)?

[8]               Le juge a conclu que la demande de M. Newman était bel et bien une action en [traduction] « dommages-intérêts pour préjudice corporel » au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’alinéa 3(2)a), qui [traduction] « aurait constitué une action en responsabilité délictuelle ou une action pour manquement aux obligations légales du SCC [Service correctionnel du Canada] à l’égard des prisonniers sous sa garde, n’eût été la prescription » (motifs, par. 7). Le juge a cité l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Vancouver (Ville) c. Ward, 2010 CSC 27, [2010] 2 R.C.S. 28, au paragraphe 43 [Ward], pour étayer la thèse voulant que le paragraphe 24(1) de la Charte « s’applique parallèlement aux règles générales du droit commun, sans s’y substituer ».

[9]               Le juge a ensuite abordé les quatre critères qui déterminent le moment auquel la prescription commence à courir contre le demandeur. Il a cité l’arrêt de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l’affaire Ounjian c. St Paul’s Hospital, 2002 BCSC 104, [2002] B.C.J. No 99 (QL) [Ounjian] :

[traduction]

1.      L’identité du défendeur est connue du demandeur.

2.      Certains faits (dont ceux qui appartiennent aux catégories énoncées à l’alinéa 6(5)b)) sont à la portée de sa connaissance.

3.      Une personne raisonnable, connaissant ces faits et ayant demandé des conseils pertinents à cet égard, serait d’avis que les faits révèlent qu’une action aurait une chance raisonnable d’être accueillie.

4.      Une personne raisonnable, connaissant ces faits et ayant demandé des conseils pertinents à cet égard, serait d’avis que les faits révèlent que le demandeur devrait, dans son propre intérêt et compte tenu des circonstances qui lui sont propres, être en mesure d’intenter une action.

Ounjian, précité, au paragraphe 21.

[10]           Ces quatre critères reprennent les critères prévus au paragraphe 6(4) de la Limitation Act, cités ci-après :

[traduction]

(4) Dans les actions visées au paragraphe (3), la prescription ne court contre le demandeur qu’à compter du jour où l’identité du défendeur est connue du demandeur et où les faits à la portée de sa connaissance sont tels qu’une personne raisonnable, connaissant ces faits et ayant obtenu des conseils pertinents à ce sujet, serait d’avis que ces faits révèlent :

a) qu’une action fondée sur la cause d’action aurait une chance raisonnable d’être accueillie, n’eût été l’effet de l’expiration du délai de prescription,

b) que la personne dont la connaissance des faits est en cause devrait, dans son intérêt et compte tenu des circonstances qui lui sont propres, être en mesure d’intenter une action.

[11]           Le juge a conclu que M. Newman connaissait l’identité des fonctionnaires de la Couronne [traduction] « et avait connaissance de l’existence de l’obligation qu’avaient ces fonctionnaires à son égard et savait que le manquement reproché à cette obligation lui avait causé un préjudice » (motifs, par. 8). Le juge en a conclu qu’une personne raisonnable, connaissant les faits que connaissait M. Newman et ayant demandé des conseils juridiques pertinents, serait d’avis qu’une action aurait une chance raisonnable d’être accueillie. Dans sa conclusion, le juge n’a pas ajouté foi aux arguments de M. Newman selon lesquels il n’avait pas été informé de ses droits avant les voies de fait. De même, le juge estimait que l’information selon laquelle les responsables des services correctionnels avaient accusé le membre du gang rival d’avoir orchestré le passage à tabac de M. Newman ne changeait rien aux chances que l’action soit accueillie.

[12]           Enfin, selon le juge, [traduction] « une personne raisonnable aurait demandé des conseils pertinents et serait d’avis que les faits révèlent que M. Newman aurait dû, dans son propre intérêt et compte tenu des circonstances qui lui sont propres, être en mesure d’intenter une action dans les délais prévus » (motifs, par. 8 et 9).

[13]           Le juge a reconnu la participation de M. Newman à sa défense contre les accusations de meurtre. Cependant, à son avis, il ne s’agissait pas de circonstances impérieuses excusant M. Newman d’avoir omis de demander à son avocat de la défense de lui recommander un avocat spécialisé en droit civil. Il était au courant de tous les faits et aurait pu agir dans son propre intérêt.

[14]           Selon M. Newman, les questions dont était saisie la Cour ne pouvaient valablement faire l’objet d’une requête en jugement sommaire, parce qu’elles soulevaient des questions de crédibilité. Pour reprendre les propose du juge, [traduction] « [i]l n’y a pas matière à procès si le défendeur peut prouver que la demande ne respecte pas le délai de prescription applicable » (motifs, par. 4). Autrement dit, une action intentée après l’expiration du délai de prescription de deux ans applicable aux actions en dommages-intérêts pour préjudice corporel serait prescrite et pourrait, par conséquent, être rejetée sur requête en jugement sommaire.

[15]           Le juge a conclu que la preuve par affidavit de M. Newman ne soulevait aucune question de crédibilité au regard des faits présentés au soutien de la défense de prescription. Il a également conclu qu’il n’y avait pas matière à procès [traduction] « concernant la suspension de la prescription » (motifs, par. 9).

III.               QUESTIONS EN LITIGE

[16]           M. Newman soulève les questions suivantes en appel :

-     Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que le délai de prescription applicable dans le cas d’une action en dommages-intérêts intentée en application du paragraphe 24(1) de la Charte est de deux ans, parce qu’il est prévu à l’alinéa 3(2)a) plutôt qu’au paragraphe 3(5) de la Limitation Act?

-     Le juge a-t-il commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas matière à procès concernant la question de la suspension de la prescription?

[17]           L’énoncé que fait M. Newman de la première question en litige est d’une portée trop large, en ce sens que l’espèce porte sur une seule action, susceptible d’être intentée soit pour préjudice corporel, soit pour obtenir des dommages-intérêts en vertu de la Charte. Par conséquent, je reformulerais ainsi la première question :

- Est-ce que le juge a commis une erreur en concluant que le délai de prescription applicable aux actions en dommages-intérêts pour préjudice corporel s’applique également à une action en dommages-intérêts intentée en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte, dans le cas où les faits pourraient donner lieu à une action en responsabilité délictuelle pour préjudice corporel ou à une action pour violation des droits garantis au demandeur par la Charte?

[18]           Étant donné qu’il s’agit en l’espèce d’un appel d’une décision d’un juge de première instance siégeant en cette qualité, la norme de contrôle est celle établie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. La qualification d’une cause d’action aux fins de l’application des lois en matière de prescription est une question de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (voir Canaccord Capital Corporation c. Roscoe, 2013 ONCA 378, 115 O.R. (3d) 641). En l’absence d’une erreur de droit, la décision sur la question de savoir s’il y a matière à procès suivant les règles régissant les requêtes en jugement sommaire appartient aux questions mixtes de fait et de droit et est assujettie au contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et dominante (Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87, par. 81).

[19]           Concernant la première question en litige, M. Newman affirme que la demande de réparation présentée en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte ne peut être réduite à une demande en dommages-intérêts pour préjudice corporel, étant donné que les dommages-intérêts accordés en réparation d’une violation des droits constitutionnels visent un objet différent de ceux qui sanctionnent une conduite délictuelle. Alors que les dommages-intérêts issus de la common law ont pour objet d’indemniser, ceux qui sont accordés en vertu du paragraphe 24(1) servent d’autres intérêts :

Des dommages-intérêts ne seront accordés [en vertu du paragraphe 24(1)] que s’ils servent les objectifs généraux de la Charte. Trois fonctions interreliées des dommages-intérêts leur permettront de satisfaire à cette condition. La fonction d’indemnisation, généralement la plus importante, reconnaît que l’atteinte à un droit garanti par la Charte peut causer une perte personnelle qui exige réparation. La fonction de défense reconnaît que les droits conférés par la Charte doivent demeurer intacts et qu’il faut veiller à ce qu’ils ne s’effritent pas. Enfin, la fonction de dissuasion reconnaît que les dommages-intérêts peuvent permettre de décourager la perpétration d’autres violations par des représentants de l’État.

Ward, précité, au paragraphe 25 [en italiques dans l’original].

[20]           M. Newman affirme de plus que, puisque la demande relative aux dommages-intérêts présentée en vertu de la Charte découle d’une cause d’action distincte, en l’absence d’un renvoi exprès à ce type de demande dans la Limitation Act, elle constitue une action qui n’est pas expressément prévue.

[21]           La jurisprudence appuie les conclusions selon lesquelles a) les délais de prescription s’appliquent aux demandes personnelles de réparation présentées en vertu de la Charte et b) le délai de prescription prévu à l’alinéa 3(2)a) s’applique.

[22]            Dans l’arrêt Ravndahl c. Saskatchewan, 2009 CSC 7, [2009] 1 R.C.S. 181, aux paragraphes 16 et 17, la Cour suprême du Canada a confirmé que des délais de prescription s’appliquaient aux demandes personnelles de réparation fondées sur la Constitution. Dans cette affaire, le délai applicable était celui fixé dans les cas non expressément prévus, puisque la demande était fondée sur des préjudices découlant de l’adoption d’une loi incompatible avec l’article 15 de la Charte.

[23]           Dans la décision St-Onge c. Canada, 1999 CanLII 8991 (CF), [1999] F.C.J. no 1842 (1re inst.), confirmée par la Cour d’appel, 2001 CAF 308, [2001] F.C.J. no 1569, le demandeur affirmait qu’on avait enfreint ses droits à l’égalité et ses droits linguistiques. En rejetant sa demande parce qu’elle était frappée de prescription, le juge Hugessen, aux paragraphes 4 et 5 de ses motifs, a tiré la conclusion suivante :

A mon avis, il ne fait absolument aucun doute que l’action en responsabilité civile, basée sur des délits qui sont en même temps des violations de droits garantis par la Charte, est assujettie à la prescription qui est généralement applicable à toute autre action de nature délictuelle. La Charte a été adoptée dans un contexte qui comprenait déjà deux systèmes bien développés de droit civil avec des règles de procédure sophistiquées et des tribunaux appropriés pour les rendre efficaces. La Charte ne contient aucune disposition de nature purement procédurale ni de règle concernant la prescription.

[É]videmment, il ne faut pas déduire de ce fait que la Charte a complètement détruit les systèmes existants et a créé un régime où il n’existe aucune procédure et aucune prescription. Au contraire, les lois et les procédures existantes ont continué à s’appliquer sauf dans la mesure où elles sont clairement incompatibles avec la Charte elle-même. Or, un délai de prescription qui s’applique généralement à toutes les actions de la même nature et qui ne fait aucune discrimination envers certains groupes de justiciables ne contrevient en rien à la Charte.

[24]           En adoptant ce point de vue, le juge Hugessen donnait effet aux remarques du juge McIntyre énoncées dans ses motifs concordants dans l’arrêt Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863, à la page 953, 1986 CanLII 17 (CSC), quant à l’intégration des mesures de réparation prévues par la Charte dans le système judiciaire actuel. Les commentaires du juge McIntyre ont été repris avec approbation par la juge en chef McLachlin, au nom de la Cour, dans l’arrêt R. c. 974649 Ontario Inc., 2001 CSC 81, [2001] 3 R.C.S. 575, au paragraphe 24.

[25]           Dans Nagy c. Phillips, 1996 ABCA 280, 187 A.R. 97, la Cour d’appel de l’Alberta a conclu qu’une action en dommages-intérêts pour atteinte aux droits garantis au demandeur par l’article 8 de la Charte lors d’une fouille à nu effectuée par les défendeurs tombait sous le coup de l’article 51 de la Alberta Limitation of Actions Act (Loi sur la prescription de l’Alberta), R.S.A. 1980, c. L-15, qui s’applique aux actions pour [traduction] « préjudice corporel découlant d’un acte illégal [...] ou d’un manquement à une obligation légale. » La Cour d’appel de l’Alberta a rejeté l’argument selon lequel les demandes fondées sur la Charte revêtaient un caractère particulier et étaient par conséquent assujetties au délai de prescription applicable dans les cas non expressément prévus. La disposition albertaine relative au délai de prescription correspond essentiellement à celle, adoptée en Colombie-Britannique, en litige dans le cas de M. Newman.

[26]           Les tribunaux de la Colombie-Britannique en sont venus à la même conclusion. Dans la décision Bush c. City of Vancouver, 2006 BCSC 1207, [2006] B.C.J. No 1816 (QL), la cour a conclu que l’action en dommages-intérêts découlant d’une violation de ses droits constitutionnels au cours de son arrestation et de sa détention était visée par le délai de prescription applicable aux actions pour préjudice corporel. La Cour est arrivée à la même conclusion dans les affaires Fidler c. Burns Lake (Village), 2013 BCSC 921, [2013] B.C.J. No 1088 (QL), au paragraphe 27, et Foote c. Canada (Attorney General), 2012 BCSC 177, [2012] B.C.J. No 225 (QL), au paragraphe 31 (conf. par 2013 BCCA 135, [2013] B.C.J. No 691 (QL)).

[27]           M. Newman reconnaît cette jurisprudence, mais affirme qu’elle ne tient pas compte de l’arrêt Ward rendu par la Cour suprême, notamment de la nature particulière d’une demande de dommages-intérêts fondée sur la Charte, de l’objectif visé par l’octroi de dommages-intérêts dans une affaire faisant intervenir la Charte et du cadre analytique unique appliqué dans ce type de demandes, élaboré dans l’arrêt Ward :

Je conclus que des dommages-intérêts pour violation de la Charte peuvent être accordés en vertu du par. 24(1) lorsqu’ils constituent une réparation convenable et juste. À la première étape de l’analyse, il doit être établi qu’un droit garanti par la Charte a été enfreint. À la deuxième, il faut démontrer pourquoi les dommages‑intérêts constituent une réparation convenable et juste, selon qu’ils peuvent remplir au moins une des fonctions interreliées suivantes : l’indemnisation, la défense du droit en cause et la dissuasion contre toute nouvelle violation. À la troisième, l’État a la possibilité de démontrer, le cas échéant, que des facteurs faisant contrepoids l’emportent sur les considérations fonctionnelles favorables à l’octroi de dommages‑intérêts, de sorte que ces derniers ne seraient ni convenables, ni justes. La dernière étape consiste à fixer le montant des dommages-intérêts.

Ward, précité, au paragraphe 4.

[28]           Alors que les décisions ayant précédé Ward ont reconnu que les demandes de dommages-intérêts fondées sur la Charte étaient distinctes, elles ont aussi conclu que celles qui auraient pu donner lieu à une action en responsabilité délictuelle pour préjudice corporel étaient assujetties au délai de prescription applicable aux actions [traduction] « pour préjudice corporel ou matériel [...], qu’elle soit fondée sur la responsabilité contractuelle, la responsabilité délictuelle ou une obligation légale » (voir, par exemple, Nagy v. Phillips, précité, aux par. 10 et 11).

[29]           Dans l’arrêt Ward, la Cour suprême du Canada traite du rôle des réparations fondées sur la Charte dans le contexte des recours existants prévus par les lois.

La Charte s’est inscrite dans un régime de recours qui comportait déjà des outils pour corriger les comportements attentatoires de l’État. Le paragraphe 24(1) s’applique parallèlement à ces autres domaines du droit, sans s’y substituer. Les autres recours comprennent les actions de droit privé pour préjudice personnel, les autres réparations fondées sur la Charte, comme les jugements déclaratoires rendus en vertu du par. 24(1), et les recours prévus par les lois qui autorisent des poursuites contre l’État.

Ward, précité, au paragraphe 34.

[30]           Ainsi, la jurisprudence appuie majoritairement le principe selon lequel les mesures de réparation personnelles fondées sur la Charte sont visées par les lois provinciales sur la prescription. Qui plus est, la jurisprudence porte que les demandes de dommages-intérêts fondées sur la Charte pour préjudice corporel sont assujetties aux délais de prescription applicables aux actions de droit privé pour préjudice corporel.

[31]           J’estime que les considérations de principe qui suivent vont dans le même sens.

[32]           L’application d’un délai de prescription à l’action en dommages-intérêts fondée sur la Charte n’empêche pas celle du cadre analytique unique décrit dans Ward. Il faut simplement que l’action soit intentée dans le délai prescrit. Il est alors loisible au demandeur d’invoquer l’analyse relative aux dommages-intérêts fondés sur la Charte.

[33]           Un délai de prescription de deux ans applicable aux demandes en dommages-intérêts fondées sur la Charte et découlant d’un [traduction] « préjudice corporel » est justifié par les mêmes considérations que celles qui appellent un délai de prescription court dans le cas des actions pour préjudice corporel en général. Ces considérations incluent la nécessité de mener une enquête en temps opportun — la célérité important peut-être davantage dans le cas d’un préjudice corporel en raison de l’importance des témoins oculaires, dont la mémoire risque de s’estomper avec le passage du temps et en raison du rôle limité de la preuve documentaire dans les affaires découlant d’un préjudice corporel, du moins en ce qui concerne l’aspect de la demande lié à la responsabilité. Ces facteurs font ressortir les préoccupations en matière de preuve qui s’appliquent en général en matière de prescription (voir Peixeiro c. Haberman, [1997] 3 R.C.S. 549, [1997] A.C.S. no 31 (QL), par. 34.). J’ajouterais que la brièveté des délais de prescription n’est pas exclusivement liée à l’importance accordée à leur rôle pour assurer la tranquillité d’esprit, comme l’a laissé entendre la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Peixeiro c. Haberman. Voir, par exemple, Banque Canadienne Impériale de Commerce c. Green, 2015 CSC 60, [2015] 3 R.C.S. 801, aux paragraphes 57 et 58. Pour ces motifs, il est opportun qu’une demande en dommages-intérêts fondée sur la Charte et découlant d’un préjudice corporel soit assujettie au même délai de prescription que celui qui s’appliquerait en responsabilité délictuelle pour le même préjudice.

[34]           Qui plus est, il n’est pas souhaitable, en principe, que les demandes pour préjudice corporel soient visées par des délais de prescription différents, selon l’identité du défendeur. Les demandes en dommages-intérêts fondées sur la Charte peuvent uniquement être intentées à l’encontre de représentants de l’État. La position avancée par M. Newman aurait pour résultat des délais de prescription plus longs dans le cas des actions intentées à l’encontre de représentants de l’État que ceux applicables aux actions contre d’autres défendeurs. Les entités publiques ont les mêmes besoins en matière de finalité et de protection contre les demandes caduques que les autres auteurs de délit, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises, et ces besoins sont peut-être encore plus grands étant donné leur taille et la portée de leurs activités (voir Des Champs c. Conseil des écoles séparées catholiques de langue française de Prescott-Russell, [1999] 3 R.C.S. 281, [1999] A.C.S. no 53 (QL), par. 1). Par conséquent, je suis d’avis que le juge n’a pas commis d’erreur en concluant que la demande en dommages-intérêts de M. Newman fondée sur la Charte était assujettie au délai de prescription de deux ans prévu à l’alinéa 3(2)a).

[35]           La question suivante est celle-ci : est-ce que le juge a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas matière à procès à l’égard de la suspension de la prescription? M. Newman soulève la question distincte de savoir si la défense de prescription opposée par la Couronne pouvait fonder une demande en jugement sommaire puisqu’il fallait que la Cour tienne compte de questions de crédibilité ou de questions de fait litigieuses. En fait, les deux moyens découlent des mêmes prétentions, à savoir que la preuve par affidavit de M. Newman soulevait des questions qui n’auraient pas dû être tranchées sur examen d’une preuve par affidavit. Selon M. Newman, par conséquent, la défense de prescription opposée par la Couronne et les arguments qu’il a invoqués concernant la suspension de la prescription n’ont pas été jugés à bon droit dans le cadre d’une requête en jugement sommaire.

[36]           Je souligne que le juge a conclu qu’il revenait à la Couronne d’établir les faits à l’appui de sa défense de prescription. Il incombait ensuite à M. Newman d’établir les faits qui pourraient soutenir sa thèse selon laquelle la prescription était suspendue (Limitation Act, par. 6(6)).

[37]           Il ressort des motifs du juge qu’il n’y avait pas débat sur le moment où le délai de prescription prévu à l’alinéa 3(2)a) avait commencé à courir, sauf en ce qui a trait à la suspension possible de la prescription. Suivant l’affidavit de M. Newman, il a été victime de voies de fait sous la garde de responsables des services correctionnels, dans des circonstances où ces derniers connaissaient le risque à son endroit. La date de l’incident n’est pas en litige. Étant donné qu’une demande pour préjudice corporel, quelle qu’elle soit, tombe sous le coup de l’alinéa 3(2)a) de la Limitation Act, ces faits suffisent à établir que le droit de M. Newman d’intenter une action en dommages-intérêts pour préjudice corporel a pris naissance le 20 juillet 2011, à moins de la suspension possible de la prescription.

[38]           Reste la question de savoir si le juge pouvait trancher, comme il l’a fait, la question de la suspension de la prescription sans indûment résoudre des questions litigieuses de fait ou de crédibilité.

[39]           Le critère relatif à la suspension du délai de prescription prévu au paragraphe 6(4) de la Limitation Act a été décrit comme étant [traduction] « ésotérique, obscur et inélégant » (Edgeworth Construction, ci-après), à raison. Toutefois, une lecture attentive du paragraphe 6(4) permet de constater qu’il contient à la fois des éléments objectifs et subjectifs. Les éléments subjectifs portent sur la connaissance de l’identité du défendeur et des autres faits déterminants pour la cause d’action, y compris le fait que les actes du défendeur proposé ont causé un préjudice à quelqu’un.

[40]           Cette proposition apparemment simple est compliquée par le paragraphe 6(5), qui définit ce qui semble, à première vue, constituer des questions de droit comme des questions de fait. Il s’agit d’un point déterminant pour l’affaire de M. Newman, étant donné qu’une des questions de fait litigieuses concerne le moment où il a pris connaissance de ces faits particuliers. Le paragraphe 6(5) est libellé ainsi :
[traduction]

6(5) Les définitions qui suivent s’appliquent au paragraphe (4).

            [...]

b) « faits » s’entend notamment :

(i) de l’existence d’une obligation à laquelle est tenu le défendeur à l’égard du demandeur,

(ii) du fait qu’un manquement à une obligation a causé au demandeur un préjudice ou une perte,

[41]           Aux termes du paragraphe 6(5), le demandeur doit avoir une connaissance véritable de l’existence d’une obligation et du manquement à cette obligation de la part du défendeur. Or, l’existence d’une obligation et l’assimilation d’un acte à un manquement à cette obligation constituent des questions de droit. Dans l’arrêt Edgeworth Construction Ltd. v. Thurber Consultants Ltd., 2000 BCCA 453, [2000] B.C.J. No 1609 (QL) [Edgeworth Construction], la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a examiné le libellé et l’application des paragraphes 6(4) et 6(5) dans une affaire où, selon les parties, une modification à la loi avait fait revivre une cause d’action qui aurait été prescrite suivant l’ancienne loi. Cette affaire soulevait la question du sens à donner au paragraphe 6(5), car l’existence d’une obligation et l’assimilation d’un acte à un manquement à cette obligation constituent a priori des questions de droit.

[42]           Après avoir examiné l’historique, en Angleterre, en Australie et au Canada, des dispositions relatives à la « découverte » de causes d’action, la Cour a rejeté l’argument suivant lequel la modification à la loi avait fait revivre une cause d’action. Elle a fait les remarques suivantes sur le paragraphe 6(5) :

[traduction]

À mon avis, la définition du terme « faits » à l’alinéa b) du paragraphe 6(5) n’a pas non plus pour effet de transformer des questions de droit (comme celle de savoir s’il existe une obligation à l’égard du demandeur) en questions de fait. On écarte plutôt les questions de droit soulevées ou on présume qu’elles seront tranchées en faveur du demandeur, et on se demande à quel moment le demandeur a pris connaissance, ou aurait raisonnablement dû prendre connaissance, de la possibilité d’intenter une action en dommages-intérêts. C’est à ce moment que commence à courir la prescription.

[43]           La conséquence de la présomption selon laquelle les faits décrits au paragraphe 6(5) seront tranchés en faveur du demandeur est peut-être éclairée par le passage suivant tiré de l’arrêt Vance c. Peglar, 1996 CanLII 1834 (BCCA), 138 D.L.R. (4th) 711, cité avec approbation au paragraphe 30 de l’arrêt Edgeworth Construction :

[traduction]

La question de savoir s’il y a eu manquement à une obligation comporte habituellement un aspect de droit, mais la Loi l’assimile à une question de fait parce que, dans un cas soulevant la prescription, la responsabilité du défendeur pour manquement à une obligation à l’égard du demandeur se présume; ainsi, dans un cas soulevant la prescription, on présume qu’il y a eu manquement à une obligation et on s’attache à déterminer la date à laquelle le manquement présumé a été connu du demandeur, ou aurait pu être connu du demandeur, s’il avait pris les mesures qu’il aurait raisonnablement dû prendre dans les circonstances. Par conséquent, dans un cas soulevant la prescription, la question pertinente en est une de fait [soulignement omis].

[44]           Si l’analyse peut soulever des doutes, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu à mon avis que la question de l’existence d’une obligation légale et d’un manquement à cette obligation est intégrée à l’examen des faits qui appuieraient une telle conclusion de droit. La qualification de ces faits appartient à l’examen qu’appelle l’alinéa 6(4)a), de même que l’effet des conseils juridiques que le demandeur a obtenus ou aurait dû obtenir.

[45]           En l’espèce, le juge semble avoir traité les questions de l’existence d’une obligation et d’un manquement à cette obligation comme des faits à prouver :

[TRADUCTION]

Il est manifestement satisfait aux premier et deuxième critères énoncés dans la décision Ounjian, précitée, puisque le demandeur connaissait l’identité des fonctionnaires de la Couronne, avait connaissance de l’existence de l’obligation qu’avaient ces fonctionnaires à son égard et savait que le manquement à cette obligation qui leur était reproché lui avait causé un préjudice.

Motifs, par. 8.

[46]           Dans la mesure où le juge est arrivé à cette conclusion en tranchant une question de fait litigieuse, à savoir quels conseils M. Newman avait reçus (ou n’avait pas reçus) de la part d’une « conseillère » juridique — une personne n’appartenant pas à la profession juridique qui défend les droits des prisonniers au sein du système correctionnel —, on ne peut annuler sa décision pour ce motif, parce que sa conclusion sur cette question serait maintenue de toute façon. La connaissance qu’il faut démontrer est celle des faits qui étayeraient la conclusion selon laquelle il existait une obligation et qu’il y a eu manquement à cette obligation. M. Newman avait connaissance des faits déterminants. La conclusion du juge sur cet élément du critère est correcte.

[47]           Si l’on revient à la dichotomie qui existe au sujet des éléments subjectifs et objectifs, il me semble que les éléments objectifs concernent la question de savoir si une personne raisonnable, connaissant les faits que connaît le demandeur, et ayant demandé conseil comme l’aurait fait une personne raisonnable en présence de tels faits, serait d’avis que ces faits révèlent :

(1)        qu’une action fondée sur la cause d’action, n’eût été l’expiration d’un délai de prescription, aurait une chance raisonnable d’être accueillie,

(2)        que la personne dont la connaissance est en cause devrait, dans son intérêt et compte tenu des circonstances qui lui sont propres, être en mesure d’intenter une action.

[48]           Les points (1) et (2) qui précèdent reprennent essentiellement les alinéas 6(4)a) et b) de la Limitation Act, respectivement.

[49]           L’alinéa 6(4)a) énonce une question purement objective. Est-ce qu’une personne raisonnable, informée des faits que connaît le demandeur, et ayant demandé des conseils pertinents, estimerait qu’une action fondée sur ces faits aurait une chance raisonnable d’être accueillie? Le juge a conclu que, dans ces circonstances, une personne raisonnable en viendrait à cette conclusion. Le critère est objectif; le témoignage de M. Newman quant à son état d’esprit n’est pas pertinent.

[50]           En revanche, l’alinéa 6(4)b) est différent. Il a été examiné dans l’arrêt Novak c. Bond, [1999] 1 R.C.S. 808, 1999 CanLII 685, par la Cour suprême du Canada qui a conclu, par le truchement d’une faible majorité, que cette disposition nécessitait une démarche à la fois subjective et objective. Au paragraphe 81, la juge McLachlin (tel était alors son titre), au nom de la majorité, a tenu les propos suivants :

Dans cette optique, l’al. 6(4)b) renverrait au moment où une personne raisonnable estimerait qu’une personne placée dans la situation du demandeur, agissant de manière raisonnable, compte tenu de son intérêt et des circonstances qui lui sont propres, pourrait — et pas nécessairement devrait — intenter une action. Cette approche est ni purement subjective ni purement objective. La question à poser est alors la suivante : « compte tenu des circonstances et des intérêts qui lui sont propres, à quel moment le demandeur aurait-il pu raisonnablement intenter une action? » La personne raisonnable estime que le demandeur n’aurait pas pu intenter une action au moment où le droit de le faire a pris naissance seulement si les intérêts du demandeur et les circonstances qui lui sont propres étaient sérieux, importants et impérieux. Les préoccupations d’ordre purement stratégique demeurent étrangères à cette analyse.

[51]           Dans cette perspective, l’élément subjectif consiste à se demander non pas si un demandeur « devrait être en mesure d’intenter une action », mais plutôt à quel moment un demandeur, compte tenu des circonstances qui lui sont propres, pourrait intenter une action. L’élément objectif est qu’une personne raisonnable estimerait seulement qu’il était impossible pour le demandeur d’intenter une action si les circonstances et les intérêts qui lui sont propres étaient « sérieux, importants et impérieux ».

[52]           Le juge a pris connaissance des circonstances qui étaient propres à M. Newman et a conclu qu’elles n’étaient pas impérieuses au point où l’on pourrait raisonnablement affirmer qu’il n’aurait pas pu intenter une action dans le délai prescrit.

[53]           M. Newman reproche surtout au juge de n’avoir pas accordé suffisamment de poids aux différents facteurs que M. Newman a énumérés et qui pesaient sur lui après les voies de fait. Selon un argument connexe, une requête en jugement sommaire ne constitue pas la meilleure voie pour traiter de questions comme celles qu’a soulevées M. Newman dans son plaidoyer, selon lequel la prescription était suspendue.

[54]           Après avoir soigneusement examiné les éléments de preuve, je suis d’avis que les observations de M. Newman sont fondées. La preuve par affidavit de M. Newman indique qu’il a souffert de graves séquelles après les voies de fait, y compris un trouble de stress post-traumatique comme en témoignent ses cauchemars, ses crises de panique et ses épisodes de rythme cardiaque élevé, au point où il lui était insupportable de penser à ce qui lui était arrivé (dossier d’appel, p. 136, par. 40). L’affidavit de M. Newman montre également que durant la période pendant laquelle il a été incarcéré au centre de détention préalable de Surrey (approximativement de décembre 2011 à février 2013), il a suivi le conseil reçu des autres détenus et des membres du personnel selon lequel il ne devait pas intenter une action, parce que cela augmenterait le risque de représailles (dossier d’appel, p. 136, par. 37).

[55]           Ces deux éléments sont déterminants dans l’analyse qu’appelle l’alinéa 6(4)b) : [traduction] « à quel moment un demandeur, dans son intérêt et compte tenu des circonstances qui lui sont propres, pourrait raisonnablement intenter une action? » À mon avis, il est raisonnablement manifeste que, du point de vue de M. Newman, il ne pouvait faire valoir ses droits avant son retour à l’établissement de Kent en février 2013.

[56]           L’étape suivante de l’analyse consiste à se demander si les circonstances qu’a indiquées M. Newman étaient « sérieuses, importantes et impérieuses ». Le juge a conclu qu’elles ne l’étaient pas. Malgré tout le respect que j’ai pour mon collègue, j’estime que cette question n’est pas de celles que l’on peut trancher par jugement sommaire. À leur face même, les allégations de M. Newman suffisent pour satisfaire au critère des circonstances « sérieuses, importantes et impérieuses », puisqu’il n’est pas raisonnable, a priori, de demander à la victime de voies de fait graves de faire valoir ses droits, au risque de représailles graves.

[57]           La question de savoir si les prétentions de M. Newman reposaient sur des éléments de preuve met nécessairement en cause la crédibilité de ce dernier. Ce n’est pas une question à trancher dans le cadre d’une requête en jugement sommaire (Succession MacNeil c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2004 CAF 50, [2004] 3 R.C.F. 3, par. 32; Suntec Environmental Inc. c. Trojan Technologies Inc., 2004 CAF 140, [2004] A.C.F. no 636, par. 20, 28 et 29). La décision du juge de se prononcer sur la question de la crédibilité dans le cadre d’une requête en jugement sommaire équivaut à une erreur qui justifie notre intervention.

[58]           À mon avis, il y a matière à procès, à savoir la prescription était-elle suspendue par l’effet du paragraphe 6(4) de la Limitations Act?

[59]           Ainsi, j’accueillerais l’appel avec dépens, j’annulerais l’ordonnance de la Cour fédérale et je rejetterais la requête en jugement sommaire présentée par le défendeur.

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Mary J.L. Gleason, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-233-15

 

INTITULÉ :

MICHAEL NEWMAN c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 janvier 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 31 août 2016

COMPARUTIONS :

Me Tonia Grace

Me David Honeyman

 

Pour l’appelant

MICHAEL NEWMAN

 

Me Keitha J. Elvin-Jensen

Me Sam F. Arden

Pour l’intimée

SA MAJESTÉ LA REINE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GRACE, SNOWDON & TEREPOCKI LLP

Abbotsford (Colombie-Britannique)

 

Pour l’appelant

MICHAEL NEWMAN

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

Pour l’intimée

SA MAJESTÉ LA REINE

 

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