Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20160831


Dossier : A‑303‑15

Référence : 2016 CAF 215

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE RENNIE

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

 

ENTRE :

CORPORATION DE SOINS DE LA SANTÉ HOSPIRA

appelante

(demanderesse)

et

THE KENNEDY INSTITUTE OF RHEUMATOLOGY

intimé

(défendeur)

ET ENTRE :

THE KENNEDY TRUST FOR RHEUMATOLOGY RESEARCH, JANSSEN BIOTECH, INC., JANSSEN INC. et CILAG GmbH INTERNATIONAL

intimées

(demanderesses reconventionnelles)

et

CORPORATION DE SOINS DE LA SANTÉ HOSPIRA, CELLTRION HEALTHCARE CO., LTD. et CELLTRION, INC.

appelantes

(défenderesses reconventionnelles)

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 15 avril 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 31 août 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE RENNIE

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20160831


Dossier : A‑303‑15

Référence : 2016 CAF 215

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE RENNIE

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

 

ENTRE :

CORPORATION DE SOINS DE LA SANTÉ HOSPIRA

appelante

(demanderesse)

et

THE KENNEDY INSTITUTE OF RHEUMATOLOGY

intimé

(défendeur)

ET ENTRE :

THE KENNEDY TRUST FOR RHEUMATOLOGY RESEARCH, JANSSEN BIOTECH, INC., JANSSEN INC. et CILAG GmbH INTERNATIONAL

intimées

(demanderesses reconventionnelles)

et

CORPORATION DE SOINS DE LA SANTÉ HOSPIRA, CELLTRION HEALTHCARE CO., LTD. et CELLTRION, INC.

appelantes

(défenderesses reconventionnelles)

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d'un appel d'une ordonnance de la Cour fédérale du 18 juin 2015 par laquelle le juge Boswell (le juge des requêtes) a rejeté l'appel formé par les appelantes à l'encontre d'une ordonnance de la protonotaire Milczynski (la protonotaire) du 17 avril 2015 portant notamment que l'interrogatoire complémentaire de deux témoins par les appelantes serait limité à une demi‑journée par témoin et serait tenu par visioconférence.

[2]               Par ordre du juge en chef, le présent appel a été instruit par une formation de cinq juges. La question à laquelle il nous faut répondre ici est celle de savoir si notre Cour devrait réexaminer la norme de contrôle applicable aux ordonnances discrétionnaires des protonotaires qui est formulée dans l'arrêt Canada c. Aqua‑Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (Aqua‑Gem). Les intimés nous invitent à abandonner la norme de contrôle exposée dans Aqua‑Gem pour la remplacer par la norme qu'a énoncée la Cour suprême du Canada dans Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 (Housen). Pour les motifs dont l'exposé suit, j'estime que nous devrions abandonner la norme Aqua‑Gem et adopter la norme Housen.

II.                Les faits

[3]               La Kennedy Trust for Rheumatology Research (Kennedy), l'une des intimés, est la titulaire du brevet no 2 261 630 (le brevet 630), intitulé « Anticorps anti‑facteur de nécrose tumorale et méthotrexate dans le traitement des maladies auto‑immunes ». Les deux inventeurs nommés dans ce brevet, sir Ravinder Nath Maini (M. Maini) et sir Marc Feldmann (M. Feldmann), collectivement désignés les « inventeurs », sont à la retraite et habitent le Royaume‑Uni. Ils sont respectivement âgés de 79 et de 71 ans.

[4]               Le 6 mars 2013, l'une des appelantes, la Corporation de soins de la santé Hospira (Hospira), a introduit contre Kennedy une action afin d'obtenir notamment des déclarations que le brevet 630 était invalide et que le produit qu'elle projetait de vendre ne le contrefaisait pas.

[5]               Le 4 octobre 2013, Kennedy et les autres intimées, à savoir Janssen Biotech, Inc., Janssen Inc. et Cilag GmbH International, ont déposé contre Hospira et les autres appelantes, soit Celltrion Healthcare Co., Ltd. et Celltrion, Inc., une demande reconventionnelle afin d'obtenir notamment des déclarations que le brevet 630 était valide et que les appelantes l'avaient contrefait ou avaient incité à sa contrefaçon.

[6]               En mai 2014, les appelantes ont procédé à l'interrogatoire préalable de chacun des deux inventeurs — à Londres dans le cas de M. Maini, et à New York en ce qui concerne M. Feldmann, qui se trouvait alors à y séjourner. Cependant, elles n'ont pu achever ces interrogatoires. Avant ceux‑ci, les avocats des appelantes avaient demandé deux journées d'interrogatoire préalable pour chacun des inventeurs, mais les avocats des intimés avaient rejeté cette demande, estimant qu'une journée pour chaque inventeur suffirait. Par conséquent, les intimés ont mis un terme à l'interrogatoire de chacun des inventeurs à la fin de la première journée.

[7]               Le 31 juillet 2014, les appelantes ont déposé une requête afin d'obtenir notamment l'autorisation de poursuivre l'interrogatoire des inventeurs à leurs propres frais, à raison d'une journée de plus pour chacun d'eux. Elles demandaient en outre à interroger les inventeurs à Toronto.

III.             Les décisions des instances inférieures

A.                L'ordonnance de la protonotaire

[8]               La requête des appelantes a été instruite à Toronto le 10 mars 2015 par la protonotaire chargée de la gestion de l'action depuis le début. Le 17 avril 2015, elle a ordonné, au paragraphe 6 de sa décision : [TRADUCTION] « Hospira et Celltrion achèveront les interrogatoires de M. Feldmann et de M. Maini en une demi‑journée chacun et, sauf accord des parties, elles tiendront ces interrogatoires par visioconférence. »

B.                 L'ordonnance du juge des requêtes

[9]               Le 18 juin 2015, le juge des requêtes a rejeté l'appel formé par les appelantes à l'encontre de l'ordonnance de la protonotaire. Appliquant la norme de contrôle formulée dans l'arrêt Aqua‑Gem, il a conclu que la nouvelle comparution des inventeurs et la poursuite de leur interrogatoire n'avaient pas d'influence déterminante sur l'issue de la cause, et que l'ordonnance de la protonotaire n'était pas entachée d'erreur flagrante. Il a insisté sur la réticence de la Cour fédérale à infirmer ou à modifier les décisions en matière de gestion des instances rendues par les protonotaires, dont le « travail difficile » exige qu'on leur laisse une « liberté d'action » (paragraphe 4 de l'ordonnance du juge des requêtes).

[10]           Le juge des requêtes a conclu au paragraphe 5 de son ordonnance que la protonotaire avait valablement exercé son pouvoir discrétionnaire et qu'elle avait rendu « non seulement une décision ciblée, mais une décision raisonnable ». Il a ajouté (au paragraphe 6 de son ordonnance) que « la nécessité ou le mérite de la requête [dont il était saisi] étaient pour le moins discutables » et que celle‑ci portait atteinte aux « objectifs du système de gestion des instances ».

IV.             Les questions en litige

[11]           Le présent appel soulève les deux questions suivantes :

                         i.          Notre Cour devrait‑elle réexaminer la norme de contrôle qui s'applique aux ordonnances discrétionnaires des protonotaires énoncée dans l'arrêt Aqua‑Gem?

                       ii.          Le juge des requêtes a‑t‑il eu tort de refuser d'infirmer ou de modifier l'ordonnance de la protonotaire?

V.                Les thèses des parties

A.                La thèse des appelantes

1)                  La norme de contrôle

[12]           Les appelantes soutiennent que la norme de contrôle applicable aux décisions discrétionnaires des protonotaires est celle que notre Cour a formulée dans Aqua‑Gem et que la Cour suprême a reprise au paragraphe 18 de Z.I. Pompey Industrie c. ECU‑Line N.V., 2003 CSC 27, [2003] 1 R.C.S. 450 (Pompey). Elles ajoutent que la norme de contrôle applicable en appel devant notre Cour est celle de la décision correcte pour ce qui concerne les questions de droit, et celle de l'erreur manifeste et dominante relativement aux conclusions de fait.

2)                  Le bien‑fondé de l'appel

[13]           Les appelantes soutiennent que le juge des requêtes a commis une erreur en permettant aux intimés de porter atteinte au droit à l'interrogatoire préalable au paragraphe 237(4) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), qui dispose : « Lorsqu'un cessionnaire est partie à l'action, le cédant peut également être soumis à un interrogatoire préalable. » Les parties conviennent que les inventeurs, en tant que cédants du brevet en litige, peuvent être interrogés par les appelantes en vertu de cette disposition.

[14]           Contestant l'opinion du juge des requêtes selon laquelle la « nouvelle comparution [des inventeurs] servira au mieux à fournir un contexte historique », les appelantes soulignent les autres objets de l'interrogatoire préalable des inventeurs et avancent que la partie interrogatrice n'est nullement tenue d'établir a priori [TRADUCTION] « la nécessité d'interroger un cédant ni de préciser en quoi son interrogatoire sera utile au litige » (paragraphe 39 du mémoire des appelantes). Selon les appelantes, comme le droit d'interroger un cédant n'est pas assorti de limites, la charge d'établir que l'interrogatoire est « abusif, vexatoire ou inutile » repose sur la partie interrogée, c'est‑à‑dire, en l'espèce, les intimés. Selon les appelantes, la protonotaire a déplacé à tort la charge en ce qu'elle a exigé qu'elles justifient la nécessité d'interroger les inventeurs.

[15]           Toujours selon les appelantes, [TRADUCTION] « la “liberté d'action” afférente à la gestion de l'instance ne confère pas aux protonotaires la faculté de ne pas tenir compte des Règles » (paragraphe 46 du mémoire des appelantes). En fait, la déférence qui convient dans un tel cas n'est pas illimitée. Les appelantes estiment que l'on doit établir une distinction avec l'arrêt sur lequel s'est appuyé le juge des requêtes, à savoir Bande de Sawridge c. La Reine, 2006 CAF 228, [2006] A.C.F. no 956 (QL) (Sawridge), en raison de différences dans les faits. Si le juge des requêtes avait effectué le même examen du bien‑fondé de l'ordonnance de la protonotaire que notre Cour avait fait dans Sawridge, affirment les appelantes, il aurait conclu que l'ordonnance était entachée d'erreur flagrante.

[16]           Les appelantes font en outre valoir, au paragraphe 59 de leur mémoire, que [TRADUCTION] « le protonotaire chargé de la gestion d'une instance ne peut préférer ce qui est pratique à un droit que prévoient les Règles »; or, affirment‑elles, c'est précisément ce que la protonotaire a fait en restreignant la durée et la forme de l'interrogatoire préalable qu'elles demandaient sans conclure d'abord que celui‑ci était abusif ou irrégulier pour une autre raison. La protonotaire, soutiennent les appelantes, a commis une erreur en permettant aux intimés de mettre arbitrairement fin à leur interrogatoire des inventeurs, de sorte que le juge des requêtes aurait dû intervenir.

[17]           Pour ce qui est de la façon dont les interrogatoires préalables devraient avoir lieu, les appelantes maintiennent que la règle exige en principe la présence physique des témoins, et qu'une ordonnance prescrivant la tenue de tels interrogatoires par visioconférence constitue une mesure exceptionnelle et qu'il incombe à la partie qui la demande de la justifier. La protonotaire, ajoutent les appelantes, a également préjugé de la pertinence des questions qu'il restait à poser en limitant à une demi‑journée chacun les interrogatoires des inventeurs.

[18]           La protonotaire a mal apprécié les faits de l'espèce, soutiennent en outre les appelantes, puisqu'aucun élément de preuve ne démontrait que les interrogatoires étaient abusifs ou que les inventeurs étaient incapables de se présenter en personne pour une séance d'une journée chacun. Enfin, les questions devant faire l'objet des interrogatoires étaient trop vastes, selon les appelantes, pour qu'on puisse les couvrir dans le peu de temps accordé par la protonotaire.

B.                 La thèse des intimés

1)                  La norme de contrôle

[19]           Les intimés invitent notre Cour à réexaminer la norme de contrôle des ordonnances discrétionnaires des protonotaires. Ils affirment que la norme énoncée dans Housen devrait s'appliquer plutôt que la norme Aqua‑Gem/Pompey en usage, qui, selon eux, est manifestement erronée et devrait être abandonnée.

[20]           Les intimés avancent que l'examen de novo des décisions des protonotaires ayant une influence déterminante sur l'issue de la cause est incompatible avec la présomption d'aptitude et qu'il n'existe [TRADUCTION] « aucune raison convaincante d'adopter pour le contrôle en appel des normes différentes selon la place qu'occupe le décideur de première instance dans la hiérarchie judiciaire » (paragraphes 33 et 34 du mémoire des intimés).

[21]           Les intimés font également observer que la Cour suprême, dans Pompey, s'est contentée de répéter sans autre explication la norme formulée par notre Cour dans Aqua‑Gem. Selon eux, c'est l'arrêt Housen qui constitue le dernier mot de la Cour suprême sur la norme de contrôle et qui est contraignant pour notre Cour.

[22]           De plus, soutiennent les intimés, la norme Aqua‑Gem/Pompey se révèle génératrice d'incertitude, étant donné que la question de savoir si une question a ou non une influence déterminante est difficile à trancher et exige un examen au cas par cas. En revanche, ajoutent‑ils, la norme Housen est d'application facile. Enfin, les intimés font valoir qu'on applique déjà la norme Housen aux décisions rendues par les protonotaires sur le bien‑fondé d'actions mettant en jeu au plus 50 000 $. Quoi qu'il en soit, disent les intimés, mis à part l'examen de novo des questions ayant une influence déterminante, les normes Aqua‑Gem/Pompey et Housen sont en fait identiques.

2)                  Le bien‑fondé de l'appel

[23]           Concernant le bien‑fondé du présent appel, les intimés affirment que les appelantes ne font qu'avancer devant notre Cour les arguments qu'elles ont déjà exposés à la protonotaire et au juge des requêtes. Comme la question portée devant nous n'a pas d'influence déterminante sur l'issue de la cause, soutiennent‑ils, les appelantes se trompent en faisant valoir que le juge des requêtes aurait dû substituer son pouvoir discrétionnaire à celui de la protonotaire.

[24]           Se référant à l'article 3 des Règles, les intimés font observer que la communication préalable [TRADUCTION] « n'est pas une procédure de durée illimitée » et doit être proportionnée. La Cour fédérale, ajoutent‑ils, a fixé avec raison sa procédure suivant ce principe. En outre, les intimés font valoir que le juge responsable de la gestion d'une instance dispose du pouvoir de rendre toute ordonnance nécessaire au juste règlement de l'instance, y compris en dérogeant aux Règles. En accordant à la protonotaire une certaine « liberté d'action », le juge des requêtes a fait preuve de retenue à l'égard de sa décision fondée sur des faits, conformément à Sawridge.

[25]           Les intimés font également valoir que l'interrogatoire préalable d'un inventeur a un objet limité et que le fait de limiter l'interrogatoire préalable en l'espèce à une journée et demie par inventeur ne porte pas préjudice aux appelantes. Enfin, ils soulignent que, sauf commission rogatoire, ils n'ont pas le pouvoir de contraindre les deux inventeurs à se présenter de nouveau, puisqu'ils habitent le Royaume‑Uni. Pour cette raison, il était légitime de la part de la protonotaire d'ordonner que leur interrogatoire se tienne par visioconférence.

VI.             Analyse

A.                Notre Cour devrait‑elle réexaminer la norme de contrôle applicable aux ordonnances discrétionnaires des protonotaires?

[26]           Il faut noter dès l'abord que, l'ordonnance de la protonotaire visée par le présent appel ne tranchant pas une question déterminante sur l'issue de la cause, le fait de décider s'il convient ou non de réexaminer la norme de contrôle ne réglera nullement le sort de l'affaire. Comme l'ont constaté les intimés, il ne semble pas y avoir, hormis l'examen de novo lorsque la question en litige a une influence déterminante, de différence substantielle entre la norme Aqua‑Gem/Pompey et la norme Housen. Les deux normes, à mon avis, ne font que formuler en termes différents les mêmes principes.

[27]           En fait, suivant la norme Aqua‑Gem/Pompey, la décision discrétionnaire d'un protonotaire est entachée d'erreur flagrante, et ouvre donc droit à l'intervention d'un juge en appel, lorsqu'elle se fonde (1) sur un mauvais principe — d'où il suit qu'elle doit être correcte en ce qui concerne les questions de droit — ou (2) sur une mauvaise appréciation des faits — critère qui semble correspondre à celui de l'« erreur manifeste et dominante » de la norme Housen si cette mauvaise appréciation a eu pour effet d'entacher la décision d'une « erreur flagrante ».

[28]           Néanmoins, il ne fait pour moi aucun doute qu'il convient de réexaminer la question de la norme de contrôle applicable aux décisions discrétionnaires des protonotaires. J'estime que nous devrions maintenant adopter la norme Housen à l'égard des décisions discrétionnaires rendues par les protonotaires comme nous l'avons fait relativement aux décisions de même nature prononcées par les juges de première instance (dans l'arrêt Decor Grates Incorporated c. Imperial Manufacturing Group Inc., 2015 CAF 100, [2016] 1 R.C.F. 246 (Imperial Manufacturing), auquel je reviendrai plus loin). Inutile de dire que la question de la norme de contrôle applicable aux ordonnances des juges et des protonotaires est l'une des plus contestées devant notre Cour et devant toutes les cours d'appel, y compris la Cour suprême du Canada, depuis dix ou quinze ans. À mon avis, il ne serait pas dans l'intérêt de la justice de maintenir plusieurs normes pour le contrôle des décisions de première instance alors qu'une seule, à savoir celle de Housen, suffit à cette fin.

1)                  Le critère Aqua‑Gem et la raison pour laquelle il devrait être changé

[29]           Notre Cour a formulé dans son arrêt Aqua‑Gem, prononcé en 1993, la norme appliquée jusqu'à maintenant au contrôle des décisions discrétionnaires des protonotaires. Aqua‑Gem était jusqu'au présent appel la dernière occasion où une formation de cinq juges de notre Cour avait instruit un appel. La question examinée était importante alors et elle l'est encore aujourd'hui.

[30]           L'appel Aqua‑Gem trouvait son origine dans une requête de l'intimée afin d'obtenir une ordonnance portant suspension de l'instance en vertu de l'alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, ou, subsidiairement, une ordonnance portant rejet de l'action pour défaut de poursuivre sous le régime de l'article 440 des Règles de l'époque. Cette requête a été instruite par le protonotaire adjoint, qui l'a rejetée. La décision du protonotaire adjoint a été portée en appel devant un juge des requêtes, qui s'est trouvé en désaccord avec lui et qui a par conséquent annulé son ordonnance, avec dépens.

[31]           La question que notre Cour devait trancher dans l'affaire Aqua‑Gem était celle de savoir s'il convenait de contrôler par voie d'instruction de novo toutes les décisions discrétionnaires rendues par les protonotaires, ce que semblait donner à penser l'arrêt Canada c. Jala Godavari (Le), [1991] A.C.F. no 1047 (QL) (Jala Godavari), ou si ces décisions n'étaient susceptibles de contrôle que pour erreur, dans certains cas ou dans tous les cas.

[32]           Trois séries de motifs ont été rendus dans Aqua‑Gem. Le juge en chef Isaac (le juge en chef) s'est prononcé aussi bien sur la norme de contrôle que sur le bien‑fondé de l'appel. Le juge Robertson s'est exprimé sur le bien‑fondé seulement, tandis que le juge MacGuigan, à l'opinion duquel ont souscrit les juges Mahoney et Décary, a examiné à la fois la question de la norme de contrôle et le bien‑fondé de l'appel.

[33]           Selon les premiers motifs, ceux du juge en chef, la norme de contrôle formulée dans Jala Godavari était incomplète, et le juge des requêtes, s'étant fondé sur elle, avait commis une erreur en annulant la décision du protonotaire adjoint. Dans l'analyse qui l'a mené à cette conclusion, le juge en chef a soigneusement examiné les assises légales du rôle des protonotaires et la nature des fonctions qui leur sont confiées. Il a formulé à ce propos les observations suivantes, à la page 441 :

Il est hors de doute qu'en créant les fonctions de registraire ou protonotaire de la Cour de l'Échiquier et de protonotaire de notre Cour, le législateur avait à l'esprit le soutien que les protonotaires assuraient aux juges des cours supérieures, avant et après le jugement, dans les systèmes judiciaires d'Angleterre et de l'Ontario, lesquels faisaient un large usage de ces auxiliaires de la justice.

[34]           Le juge en chef a ensuite étudié l'histoire et l'évolution du droit relatif à la fonction de protonotaire au Canada et en Angleterre. Il a ainsi notamment examiné des affaires aussi bien anglaises qu'ontariennes au sujet de la norme de contrôle applicable aux décisions des protonotaires. Il a conclu de cet examen que le point de vue le plus juste était celui qu'avait exposé la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Stoicevski c. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (Stoicevski), et il invitait notre Cour à l'adopter. Le juge en chef a formulé dans les termes suivants, à la page 454 de ses motifs, la norme qu'il convenait selon lui que notre Cour applique au contrôle des décisions discrétionnaires des protonotaires :

Je conviens avec l'avocat de l'appelante que la norme de révision des ordonnances discrétionnaires des protonotaires de cette Cour doit être la même que celle qu'a instituée la décision Stoicevski pour les protonotaires de l'Ontario. J'estime que ces ordonnances ne doivent être révisées en appel que dans les deux cas suivants :

a)         elles sont manifestement erronées, en ce sens que l'exercice du pouvoir discrétionnaire par le protonotaire a été fondé sur un mauvais principe ou sur une fausse appréciation des faits,

b)         le protonotaire a mal exercé son pouvoir discrétionnaire sur une question ayant une influence déterminante sur la solution des questions en litige dans la cause.

[35]           Se fondant sur cette norme de contrôle, le juge en chef a conclu que rien ne justifiait l'annulation de l'ordonnance du protonotaire adjoint par le juge des requêtes, de sorte qu'il aurait accueilli l'appel.

[36]           Les deuxièmes motifs, majoritaires, étaient ceux du juge MacGuigan, qui a souscrit au rappel des faits donné par le juge en chef et, en partie, à son avis sur la norme de contrôle. Il a reformulé dans les termes suivants, aux pages 462 et 463, la norme de contrôle à appliquer par notre Cour aux ordonnances discrétionnaires des protonotaires :

Je souscris aussi en partie à l'avis du juge en chef au sujet de la norme de révision à appliquer par le juge des requêtes à l'égard des décisions discrétionnaires de protonotaire. Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans v. Bartlam, [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacourcière, J.C.A., dans Stoicevski v. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 [C.A. Ont.], le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,

b) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.

Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

[37]           Après avoir expliqué qu'il ne fallait pas interpréter l'arrêt Jala Godavari comme ayant établi que les juges ne devraient jamais faire preuve de retenue à l'égard d'une décision discrétionnaire d'un protonotaire, mais plutôt que, lorsque la question en cause avait une influence déterminante sur l'issue du principal, le pouvoir discrétionnaire du protonotaire était assujetti au pouvoir discrétionnaire supérieur du juge, et après avoir précisé qu'une erreur de droit de la part d'un protonotaire était toujours un motif d'intervention, le juge MacGuigan a examiné la question de savoir quand on peut dire que l'ordonnance d'un protonotaire avait une influence déterminante sur l'issue du principal. Il a ainsi fait observer ce qui suit aux pages 464 et 465 :

La matière soumise en l'espèce au protonotaire peut être considérée comme interlocutoire seulement parce qu'il a prononcé en faveur de l'appelante. Eût-il prononcé en faveur de l'intimée, sa décision aurait résolu définitivement la cause; voir P‑G du Canada c. S.F. Enterprises Inc. et autre (1990), 90 DTC 6195 (C.A.F.) aux pages 6197 et 6198; Ainsworth v. Bickersteth et al., [1947] O.R. 525 (C.A.). Il me semble qu'une décision qui peut être ainsi soit interlocutoire soit définitive selon la manière dont elle est rendue, même si elle est interlocutoire en raison du résultat, doit néanmoins être considérée comme déterminante pour la solution définitive de la cause principale. Autrement dit, pour savoir si le résultat de la procédure est un facteur déterminant de l'issue du principal, il faut examiner le point à trancher avant que le protonotaire ne réponde à la question, alors que pour savoir si la décision est interlocutoire ou définitive (ce qui est purement une question de forme), la question doit se poser après la décision du protonotaire. Il me semble que toute autre approche réduirait la question de fond de « l'influence déterminante sur l'issue du principal » à une question purement procédurale de distinction entre décision interlocutoire et décision définitive, et protégerait toutes les décisions interlocutoires contre les attaques (sauf le cas d'erreur de droit).

(Souligné dans l'original.)

[38]           Donc, selon le juge MacGuigan, la question de savoir si une question a ou non une influence déterminante sur l'issue du principal dépend de l'objet de la requête dont le protonotaire était saisi, et non de la manière dont il a tranché la requête.

[39]           En ce qui concerne le bien‑fondé de l'appel, le juge MacGuigan estimait que le juge des requêtes n'avait pas commis d'erreur en annulant l'ordonnance du protonotaire adjoint.

[40]           Les troisièmes motifs étaient ceux du juge Robertson, qui pensait comme le juge en chef qu'il convenait d'accueillir l'appel.

[41]           Ainsi, notre Cour a bien précisé dans Aqua‑Gem que ce n'étaient pas toutes les décisions des protonotaires qui pouvaient donner lieu à un examen de novo. Se fondant sur une étude approfondie de l'évolution historique du rôle des protonotaires dans le système judiciaire canadien, la Cour a conclu que seules les décisions qui tranchaient des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal devaient être examinées de novo par un juge de la Cour fédérale. Selon notre Cour, cette conclusion tenait compte de l'intention exprimée par le législateur dans la Loi sur la Cour fédérale de conférer des pouvoirs aux protonotaires dans le but de favoriser le bon fonctionnement de la Cour. Notre Cour a formulé ce point de vue après avoir retrouvé dans l'Angleterre du XIXe siècle les origines du système recourant à des protonotaires pour régler les questions préalables à l'instruction et après avoir décrit l'évolution de la norme de contrôle au Canada depuis la Confédération. Cette histoire se révèle marquée d'une tension entre la nécessité de donner effet aux pouvoirs conférés aux juges et aux protonotaires et celle de protéger les pouvoirs permettant aux juges de statuer sans ingérence.

[42]           Pour conclure au sujet de la norme adoptée par notre Cour dans Aqua‑Gem, je dois ajouter que le juge Décary, après avoir fait référence aux pages 464 et 465 des motifs exposés par le juge MacGuigan dans cet arrêt, a reformulé le critère applicable comme suit, au nom d'une formation unanime, au paragraphe 19 de Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, [2004] 2 R.C.F. 459 (Merck) :

[19]      Afin d'éviter la confusion que nous voyons parfois découler du choix des termes employés par le juge MacGuigan, je pense qu'il est approprié de reformuler légèrement le critère de la norme de contrôle. Je saisirai l'occasion pour renverser l'ordre des propositions initiales pour la raison pratique que le juge doit logiquement d'abord trancher la question de savoir si les questions sont déterminantes pour l'issue de l'affaire. Ce n'est que quand elles ne le sont pas que le juge a effectivement besoin de se demander si les ordonnances sont clairement erronées. J'énoncerais le critère comme suit : « Le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants : a) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, b) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits. »

[43]           Il est important d'ajouter à cela que la Cour suprême, dans son arrêt Pompey, rendu en 2003, a approuvé la norme Aqua‑Gem et a formulé cette approbation dans les termes suivants, au paragraphe 18 de ses motifs :

18        Le juge des requêtes ne doit modifier l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire que dans les cas suivants : a) l'ordonnance est entachée d'une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire sur le fondement d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits, ou b) le protonotaire a mal exercé son pouvoir discrétionnaire relativement à une question ayant une influence déterminante sur la décision finale quant au fond : Canada c. Aqua‑Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.), le juge MacGuigan, p. 462‑463. Une cour d'appel ne peut intervenir que si le juge des requêtes n'avait aucun motif de modifier la décision du protonotaire ou, advenant l'existence d'un tel motif, si la décision du juge des requêtes était mal fondée ou manifestement erronée : Jian Sheng Co. c. Great Tempo S.A., [1998] 3 C.F. 418 (C.A.), le juge Décary, p. 427‑428, autorisation de pourvoi refusée, [1998] 3 R.C.S. vi. [...]

[44]           Comme on le voit de ce passage du juge Bastarache, qui a rédigé les motifs de l'arrêt Pompey, la Cour suprême a aussi formulé la norme de contrôle applicable aux décisions des juges des requêtes statuant en appel de décisions discrétionnaires des protonotaires.

[45]           Les intimés soutiennent que les décisions discrétionnaires rendues par les protonotaires, qu'elles aient ou non une influence déterminante sur l'issue du principal, ne devraient pas être soumises à un examen de novo, mais plutôt au critère adopté par la Cour suprême dans Housen. Le compromis par lequel Aqua‑Gem a voulu résoudre la tension entre les pouvoirs conférés aux protonotaires et ceux des juges ne répond plus aux besoins actuels, expliquent-ils, et nous devrions adopter la pratique maintenant en vigueur en Ontario. Plus précisément, nous devrions, selon les intimés, nous aligner sur l'arrêt Zeitoun c. The Economical Insurance Group, 2009 ONCA 415, 96 R.J.O. (3e) 639 (Zeitoun), où la Cour d'appel de l'Ontario a abandonné l'équivalent ontarien de la norme Aqua‑Gem et a établi que la norme de contrôle qu'il convenait dorénavant d'appliquer aux ordonnances discrétionnaires des protonotaires ontariens était celle que la Cour suprême a formulée dans Housen.

[46]           Je vois plusieurs raisons pour lesquelles nous devrions suivre l'exemple donné par la Cour d'appel de l'Ontario dans son arrêt Zeitoun. Premièrement, il continue d'y avoir à la Cour fédérale de la confusion à propos du critère permettant d'établir si une ordonnance soulève des questions à influence déterminante sur l'issue du principal. Dans Winnipeg Enterprises Corporation c. Fieldturf (IP) Inc., 2007 CAF 95, une formation de notre Cour, s'appuyant sur l'opinion majoritaire du juge MacGuigan dans Aqua‑Gem, a établi que le facteur qui confère à l'ordonnance d'un protonotaire une influence déterminante sur l'issue du principal est la nature de la question portée devant lui. Par conséquent, la manière dont le protonotaire règle la question dont il est saisi n'est pas pertinente pour savoir si son ordonnance soulève des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.

[47]           Malheureusement, ce point de vue a manifestement été mal compris par un certain nombre de juges de la Cour fédérale, où un courant jurisprudentiel, qui s'appuie aussi sur Aqua‑Gem, part du principe que « ce n'est pas le recours présenté, mais plutôt l'ordonnance que le protonotaire rend qui doit avoir une influence déterminante sur l'issue du principal pour que le juge ait à examiner l'affaire de novo »; voir le paragraphe 2 de Peter G. White Management Ltd. c. La Reine, 2007 CF 686 (le juge Hugessen). Voir aussi Scheuer c. La Reine, 2015 CF 74, au paragraphe 12 (le juge Diner); Teva Canada Limited c. Pfizer Canada Inc., 2013 CF 1066, au paragraphe 10 (le juge Campbell); Gordon c. Canada, 2013 CF 597, [2013] 4 R.C.F. F‑8, au paragraphe 11 (le juge Hughes); Chrysler Canada Inc. c. La Reine, 2008 CF 1049, au paragraphe 4 (le juge Hughes).

[48]           Je note que le juge Locke de la Cour fédérale a récemment déploré, aux paragraphes 9 à 19 de la décision Alcon Canada Inc. c. Actavis Pharma Company, 2015 CF 1323, [2015] A.C.F. no 1540 (QL), la confusion qui règne actuellement à la Cour fédérale sur cette question.

[49]           À mon avis, le libellé employé dans AquaGem a compromis l'efficacité de la procédure d'appel des ordonnances des protonotaires devant les juges de la Cour fédérale. Je ne veux évidemment pas critiquer ici la formation qui a rendu l'arrêt Aqua‑Gem; je fais simplement remarquer que s'est glissée dans la procédure une confusion qui nuit à l'efficacité du contrôle des ordonnances discrétionnaires rendues par les protonotaires.

[50]           À cause de la norme Aqua‑Gem, la question de savoir si l'ordonnance discrétionnaire du protonotaire a ou non une influence déterminante sur l'issue du principal ne cesse de se poser. Par conséquent, un grand nombre des appels formés devant un juge des requêtes contre des ordonnances discrétionnaires des protonotaires exigent du juge qu'il se demande s'il y a lieu ou non de procéder à un examen de novo. Or, cette question s'est révélée difficile à trancher. Certaines catégories de requêtes, par exemple les requêtes en autorisation de modifier des actes de procédure, ont donné beaucoup de mal aux juges; voir, par exemple, Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., [2004] 2 R.C.F. 459, 2003 CAF 488 (le juge en chef Richard, dissident, et les juges Décary et Létourneau ), et Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2012 CF 454, aux paragraphes 8 à 10 (le juge Rennie, alors juge à la Cour fédérale).

[51]           Une deuxième raison de s'écarter de la norme Aqua‑Gem est la force de persuasion des motifs exposés par la Cour divisionnaire de la Cour supérieure de justice de l'Ontario concernant la norme de contrôle que devrait appliquer le juge des requêtes saisi d'un appel d'une ordonnance d'un protonotaire de l'Ontario, décision à laquelle la Cour d'appel de l'Ontario a unanimement souscrit dans Zeitoun. La Cour d'appel de l'Ontario a notamment exprimé son accord avec la Cour divisionnaire sur le fait que la norme en vigueur, pratiquement identique à celle d'Aqua‑Gem, devrait être abandonnée et remplacée par la norme qu'a formulée la Cour suprême dans Housen. En affirmant qu'aucun principe ne justifiait d'établir une distinction entre les décisions des protonotaires et celles des juges quant à la norme de contrôle, la Cour d'appel a renvoyé explicitement aux paragraphes 26, 36, 40 et 41 des motifs du juge Low de la Cour divisionnaire. À mon avis, les motifs que le juge Low a exposés dans ces paragraphes touchent à l'essence de la question et méritent d'être répétés.

[52]           Premièrement, le juge Low a fait remarquer que la norme de contrôle en vigueur en Ontario concernant les décisions des protonotaires, qui permettait l'instruction de novo dans certains cas, découlait de notions historiques sur la hiérarchie qu'il convenait de réexaminer pour les raisons suivantes : i) l'évolution et la rationalisation des normes de contrôle dans la jurisprudence, ii) l'extension du rôle des protonotaires dans la justice civile ontarienne, iii) les principes d'économie et de célérité qui imprègnent les règles ontariennes de procédure civile, et enfin iv) les difficultés qui avaient surgi sur la question de savoir si les ordonnances discrétionnaires des protonotaires avaient ou non une influence déterminante sur l'issue du principal.

[53]           Deuxièmement, le juge Low a exprimé l'avis que la cour de révision devait supposer l'aptitude des juges et des protonotaires à remplir les fonctions que leur a attribuées le législateur. Par conséquent, aucun principe ne justifiait qu'un juge des requêtes, au seul motif de sa place dans la hiérarchie, intervienne à l'égard d'une question confiée par le législateur à un protonotaire, si ce n'est dans le cas où il aurait été établi que la décision du protonotaire était erronée en droit, ou qu'il avait mal apprécié les faits ou la preuve.

[54]           Troisièmement, le juge Low a affirmé qu'il convenait d'aborder le contrôle des décisions discrétionnaires des protonotaires de la même façon que le contrôle des décisions discrétionnaires des juges des requêtes. Autrement dit, l'intervention du juge ne se justifierait que dans le cas où le protonotaire aurait commis une erreur de droit, exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur des principes erronés, ou mal apprécié la preuve de manière à commettre une erreur manifeste et dominante. D'après le juge Low, c'était la norme Housen qu'il convenait d'appliquer aux décisions discrétionnaires des protonotaires.

[55]           À mon sens, les arguments que la Cour d'appel de l'Ontario a déclarés convaincants dans Zeitoun le sont tout autant pour les Cours fédérales.

[56]           Il est à noter que la question dont nous sommes ici saisis a été soulevée à quelques reprises devant notre Cour : voir Pfizer Canada Inc. c. Teva Canada limitée, 2014 CAF 244, au paragraphe 3; Bayer Inc. c. Fresenius Kabi Canada Ltd., 2016 CAF 13, [2016] A.C.F. no 43 (QL) (Bayer), au paragraphe 7; Apotex Inc. c. Bristol‑Myers Squibb Company, 2011 CAF 34 (Apotex), au paragraphe 9. Je remarque en particulier qu'au paragraphe 9 d'Apotex, mon collègue le juge Stratas a fait référence à l'arrêt Zeitoun de la Cour d'appel de l'Ontario et a noté que l'argument voulant qu'il faille examiner à nouveau la norme Aqua‑Gem avait « quelque chose de séduisant ». Cependant, il n'était pas selon lui nécessaire de trancher cette question dans l'appel porté devant lui.

[57]           En outre, dois‑je ajouter, je n'ai connaissance d'aucune disposition légale qui nous interdirait de nous écarter de la norme Aqua‑Gem et de supprimer l'examen de novo des ordonnances discrétionnaires des protonotaires qui portent sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. En vertu de la disposition d'habilitation du paragraphe 12(3) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, le paragraphe 50(1) des Règles autorise les protonotaires à entendre toute requête et à rendre les ordonnances nécessaires s'y rapportant, sauf disposition contraire. Le paragraphe 51(1) des Règles assure la surveillance judiciaire de ces décisions en prévoyant le droit de porter en appel toute ordonnance d'un protonotaire à un juge de la Cour fédérale. Je note aussi que le paragraphe 50(2) autorise les protonotaires à statuer au fond sur les actions visant une réparation pécuniaire qui ne dépasse pas 50 000 $. Dans de telles actions, les protonotaires agissent de fait comme juges de première instance, et le contrôle de leurs décisions relève de la norme de contrôle Housen. Je ne vois donc aucun obstacle légal à l'abandon de la norme de contrôle Aqua‑Gem. Il ne paraît exister aucun motif fondé sur des principes d'appliquer une norme de contrôle différente et, en fait, plus rigoureuse aux ordonnances discrétionnaires des protonotaires.

2)                  Pouvons‑nous abandonner la norme Aqua‑Gem/Pompey?

[58]           Tout convaincu que je sois de l'opportunité d'abandonner la norme Aqua‑Gem, je dois encore me demander s'il nous est permis de le faire dans la présente espèce. Les intimés soutiennent que nous pouvons réexaminer cette norme, comme ils nous y invitent, sur le fondement de l'arrêt de notre Cour Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370 (Miller), et de l'arrêt de la Cour suprême Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331 (Carter).

[59]           Premièrement, je voudrais exprimer mon complet accord avec les intimés lorsqu'ils affirment que la Cour suprême, dans Pompey, a simplement donné effet à la norme Aqua‑Gem. Autrement dit, hormis son adoption de la norme formulée par le juge MacGuigan, la Cour suprême est restée muette sur le sujet. Il ressort à l'évidence des motifs de Pompey que la véritable question que la Cour suprême avait à trancher dans cette affaire était celle de savoir si les instances inférieures avaient commis des erreurs de droit et non celle de savoir quelle était la norme de contrôle applicable.

[60]           Les intimés soutiennent que, suivant Miller, il nous est permis de réexaminer nos décisions [TRADUCTION] « dans le cas où elles sont manifestement erronées, au sens où elles auraient négligé de tenir compte d'une loi ou d'une décision pertinente » (paragraphe 31 du mémoire des intimés). Ils fondent cette affirmation sur le paragraphe 10 des motifs de Miller, où le juge Rothstein (alors membre de notre Cour) formulait l'observation suivante :

[10]      Le critère utilisé pour renverser la décision d'une autre formation de notre Cour exige que la décision en cause soit manifestement erronée, du fait que la Cour n'aurait pas tenu compte de la législation applicable ou d'un précédent qui aurait dû être respecté [...]

(Non souligné dans l'original.)

[61]           Soit dit en tout respect, je ne pense pas que l'arrêt Miller s'applique au cas qui nous occupe. On ne peut en effet dire que l'arrêt Aqua‑Gem soit « manifestement erroné » au sens où l'entendait le juge Rothstein dans Miller. À mon sens, Miller n'est pas pertinent quant à la présente espèce.

[62]           Cependant, j'estime que les intimés ont raison d'invoquer l'arrêt Carter, au paragraphe 44 duquel la Cour suprême a prévu au principe du stare decisis une exception qui permet aux tribunaux d'instance inférieure, dans certains cas, de s'écarter des décisions de juridictions supérieures, notamment des arrêts de la Cour suprême. Ce paragraphe est ainsi rédigé :

[44]      La doctrine selon laquelle les tribunaux d'instance inférieure doivent suivre les décisions des juridictions supérieures est un principe fondamental de notre système juridique. Elle confère une certitude tout en permettant l'évolution ordonnée et progressive du droit. Cependant, le principe du stare decisis ne constitue pas un carcan qui condamne le droit à l'inertie. Les juridictions inférieures peuvent réexaminer les précédents de tribunaux supérieurs dans deux situations : (1) lorsqu'une nouvelle question juridique se pose; et (2) lorsqu'une modification de la situation ou de la preuve « change radicalement la donne » (Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101, par. 42).

[63]           Bien que la question de la norme de contrôle applicable aux décisions discrétionnaires des protonotaires ne soit pas une nouvelle question juridique, « une modification de la situation ou de la preuve “change radicalement la donne” ». À mon avis, la norme de contrôle établie dans Aqua‑Gem est maintenant dépassée par une évolution et une rationalisation marquées des normes de contrôle dans la jurisprudence canadienne. À ce propos, il est important de souligner que l'examen du rôle des protonotaires en Angleterre et au Canada effectué par le juge en chef dans Aqua‑Gem montrait que ce rôle était passé de celui d'auxiliaires des juges à celui de juges en titre indépendants. Il est aussi à noter que le rôle des protonotaires de la Cour fédérale a continué à évoluer depuis le prononcé d'Aqua‑Gem en 1993. Ce rôle comprend notamment, comme le font valoir les intimés, la tâche d'instruire et de juger au fond les actions mettant en jeu une somme qui ne dépasse pas 50 000 $. Inutile de dire que la communauté juridique ne considère plus les protonotaires, si elle l'a jamais fait, comme des juges inférieurs ou de seconde classe. Exception faite des questions que leur confie le législateur, ils remplissent en fait les mêmes fonctions que les juges de la Cour fédérale.

[64]           Cette situation « change radicalement la donne » pour ce qui concerne la norme de contrôle applicable aux ordonnances discrétionnaires des protonotaires. À mon avis, le rôle de surveillance des protonotaires que confère aux juges l'article 51 des Règles n'exige plus que les ordonnances discrétionnaires des protonotaires donnent lieu à des instructions de novo. Ce point de vue, comme le juge Low l'a bien fait comprendre dans Zeitoun, est maintenant dépassé par l'évolution et la rationalisation des normes de contrôle, ainsi que par la présomption d'aptitude, tant des juges que des protonotaires, à remplir les fonctions que le législateur leur a attribuées. Autrement dit, les ordonnances discrétionnaires des protonotaires ne devraient être infirmées que lorsqu'elles sont erronées en droit, ou fondées sur une erreur manifeste et dominante quant aux faits.

[65]           Je conclus donc qu'il nous est tout à fait permis de nous écarter de la norme Aqua‑Gem. À mon avis, nous devrions remplacer cette norme par celle que la Cour suprême a formulée dans Housen.

3)                  La norme Housen et la raison pour laquelle elle devrait remplacer la norme Aqua‑Gem

[66]           La Cour suprême a exposé dans Housen la norme de contrôle applicable aux décisions des juges de première instance. Elle y a notamment établi que la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait d'un juge de première instance est celle de l'erreur manifeste et dominante. Quant à la norme applicable aux questions de droit, et aux questions mixtes de fait et de droit lorsqu'il y a une question de droit isolable, la Cour suprême a conclu que c'est celle de la décision correcte (paragraphes 19 à 37 de Housen).

[67]           Je précise tout d'abord qu'il est pour moi évident que la Cour suprême, en formulant la norme de contrôle qu'elle a exposée dans Housen, n'avait pas l'intention de l'appliquer aux décisions discrétionnaires des juges des requêtes ni, bien sûr, aux décisions discrétionnaires des protonotaires. Je suis entièrement convaincu de ce fait. Récemment, dans Banque Canadienne Impériale de Commerce c. Green, 2015 CSC 60, [2015] 3 R.C.S. 801 (Green), la juge Côté, au nom de la Cour suprême unanime, a expliqué que la norme ordinairement applicable à la décision discrétionnaire d'un juge, qui était en l'espèce une ordonnance nunc pro tunc, était celle qu'avait formulée la Cour suprême à la page 404 de Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394, 1994 CanLII 91 (Reza), et au paragraphe 54 de Soulos c. Korkontzilas, [1997] 2 R.C.S. 217, [1997] A.C.S. no 52 (QL) (Soulos). La juge Côté a exposé la norme applicable dans les termes suivants au paragraphe 95 de ses motifs :

95        Je dois maintenant décider si la doctrine nunc pro tunc s'applique en l'espèce. Avant de ce faire, j'exposerai brièvement la norme d'intervention applicable. La norme qui s'applique en temps normal à la décision discrétionnaire du juge de rendre ou non une ordonnance nunc pro tunc est celle de la déférence : si le juge de première instance a accordé suffisamment d'importance à toutes les considérations pertinentes, une cour d'appel doit s'en remettre à l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge (Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394, p. 404). Cependant, si le juge de première instance a exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur un principe erroné, une cour d'appel peut intervenir : Soulos c. Korkontzilas, [1997] 2 R.C.S. 217, par. 54. [...]

[68]           Comme je le disais plus haut au paragraphe 26 des présents motifs, la norme Aqua‑Gem/Pompey et la norme Housen, malgré les différences dans l'expression des idées sous‑jacentes, me paraissent en fait identiques. J'ajouterai que je ne discerne pas de différence substantielle entre ces normes et celles qu'a appliquées la Cour suprême dans Reza et Soulos. Autrement dit, la cour de révision a le droit d'intervenir et de substituer son propre pouvoir discrétionnaire ou sa propre décision à celui du décideur s'il a commis une erreur de droit. En ce qui concerne les conclusions de fait, la cour de révision doit s'abstenir d'intervenir à moins que, s'agissant de la norme Reza, le juge des requêtes n'ait pas accordé suffisamment de poids aux circonstances pertinentes, ou que, dans le cas de la norme Aqua‑Gem/Pompey, le protonotaire n'ait mal apprécié les faits. À mon avis, il n'y a pas en fin de compte de différence importante entre ces normes.

[69]           Je ne vois par conséquent aucune raison de ne pas appliquer aux ordonnances discrétionnaires des protonotaires la norme applicable aux ordonnances de même nature rendues par des juges des requêtes. Je suis conforté dans cette opinion par notre arrêt Imperial Manufacturing, où nous avons appliqué la norme Housen au contrôle de la décision discrétionnaire d'une juge des requêtes, lors d'une requête afin d'obtenir des précisions sur certaines allégations contenues dans la déclaration de la demanderesse.

[70]           En abandonnant l'arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (David Bull), à la page 594, ainsi que la jurisprudence subséquente qui avait continué à appliquer la norme de contrôle énoncée dans David Bull aux ordonnances discrétionnaires des juges des requêtes, c'est‑à‑dire que la Cour ne devait intervenir que si la décision reposait sur « un principe erroné » (ce qui était en fait la norme formulée par la Cour suprême dans Soulos) ou si le décideur « n'a pas donné suffisamment d'importance à des facteurs pertinents, a mal apprécié les faits ou encore si une injustice évidente serait autrement causée » (ce qui était en fait la norme exposée par la Cour suprême dans Reza et Pompey), notre Cour a expliqué pourquoi il convenait d'appliquer plutôt la norme Housen.

[71]           Le juge Stratas, qui a rédigé les motifs de la Cour, a d'abord fait observer que se posait une question de stare decisis, en ce que Housen, un arrêt de la Cour suprême, liait notre Cour. Deuxièmement, il a constaté que la jurisprudence issue de l'arrêt David Bull était maintenant devenue redondante du fait de Housen. Troisièmement, il a fait remarquer que la jurisprudence issue de David Bull prêtait à malentendu au sens où l'on pouvait « y voir une invitation faite à notre Cour d'apprécier à nouveau la preuve dont disposait la Cour fédérale et de substituer son opinion à celle de la Cour fédérale » (Imperial Manufacturing, au paragraphe 26). Quatrièmement, il s'est déclaré convaincu que la jurisprudence issue de David Bull, bien comprise, allait dans le même sens que la norme Housen (Imperial Manufacturing, au paragraphe 25). Cinquièmement, il a expliqué que, par souci de simplicité et de cohérence, toutes les juridictions, sauf la Cour fédérale et la Cour d'appel fédérale, appliquaient « systématiquement » la norme de contrôle Housen aux décisions d'instances inférieures, et que nous devrions faire de même (Imperial Manufacturing, au paragraphe 27). Le juge Stratas a conclu son analyse de la norme de contrôle dans les termes suivants au paragraphe 29 de ses motifs :

[29]      Pour éliminer ces problèmes et par souci de cohérence et de simplicité, j'estime que seule la formulation de la norme de contrôle figurant dans l'arrêt Housen — qui nous lie — devrait être utilisée lorsque nous sommes saisis d'une demande de contrôle d'une ordonnance interlocutoire discrétionnaire. Conformément à l'arrêt Housen, à défaut d'erreur sur une question de droit ou un principe juridique isolable, notre intervention n'est justifiée que dans les cas d'erreurs manifestes et dominantes.

[72]           Je souscris entièrement aux observations formulées par le juge Stratas dans Imperial Manufacturing sur la raison pour laquelle nous devrions appliquer la norme de contrôle Housen aux ordonnances discrétionnaires des juges des requêtes. Qui plus est, ces observations viennent manifestement au soutien de l'opinion que la norme Housen devrait aussi être appliquée aux ordonnances discrétionnaires des protonotaires. À mon avis, il n'est pas pertinent qu'une requête soit tranchée par un protonotaire ou par un juge des requêtes. La même norme devrait s'appliquer au contrôle de toutes les ordonnances discrétionnaires.

[73]           Le fait que, à mon avis, la Cour suprême n'ait pas eu l'intention d'appliquer la norme Housen aux décisions discrétionnaires des juges des requêtes ne diminue en rien la force des arguments avancés par mon collègue le juge Stratas dans Imperial Manufacturing. S'il est vrai que mon collègue ne se réfère pas à Green, ni à Reza et Soulos, la principale critique qu'il a formulée à l'égard de la norme de contrôle existante dans l'affaire dont il était saisi était que la norme Housen était plus claire et plus simple et ne différait pas substantiellement de la norme de la jurisprudence découlant de David Bull.

[74]           Je ne peux cependant quitter ce sujet sans discuter de l'arrêt Turmel c. Canada, 2016 CAF 9 (au paragraphe 12), où notre Cour, dont les motifs ont encore une fois été rédigés par le juge Stratas, semble s'être écartée de la norme Housen pour les ordonnances discrétionnaires des juges des requêtes. Au paragraphe 12 des motifs qu'il a rédigés pour la Cour, le juge Stratas a d'abord fait observer que, selon Imperial Manufacturing, David Bull, Green et Housen, il n'est pas permis aux cours d'appel, lorsqu'elles contrôlent les décisions discrétionnaires des juges des requêtes, d'apprécier à nouveau la preuve et de substituer leurs conclusions à celles des juges. Puis, après avoir exposé la raison pour laquelle il avait adopté le critère de Housen dans l'arrêt Imperial Manufacturing, le juge Stratas a formulé une norme différente pour le contrôle des ordonnances discrétionnaires des juges :

[12]      Abstraction faite de ces subtilités [en utilisant le terme « subtilités », le juge Stratas semble vouloir dire les diverses normes de contrôle énoncées dans la jurisprudence qu'il mentionne au paragraphe 11 de ses motifs], le point commun de toutes ces expressions est le fait qu'en l'absence d'une erreur de droit ou d'une erreur touchant aux principes juridiques, le tribunal d'appel ne peut modifier une ordonnance discrétionnaire que s'il y a une erreur manifeste et grave qui met à mal son intégrité et sa viabilité. Il s'agit d'un critère exigeant, auquel il est rarement satisfait, selon la jurisprudence. Notre Cour a appliqué dans le passé cette norme de contrôle qui commande la retenue aux ordonnances discrétionnaires portées en appel, et c'est cette même norme que nous appliquerons à l'ordonnance interlocutoire discrétionnaire de la Cour fédérale dont nous sommes saisis en l'espèce.

[75]           D'après mon calcul, au moins douze arrêts de notre Cour ont appliqué Imperial Manufacturing : Jamieson Laboratories Ltd. c. Reckitt Benckiser LLC, 2015 CAF 104, au paragraphe 21; Mancuso c. Canada (Santé nationale et Bien‑être social), 2015 CAF 227, au paragraphe 8; R. c. Fio Corporation, 2015 CAF 236, au paragraphe 10; AgraCity Ltd. c. La Reine, 2015 CAF 288, au paragraphe 16; Horseman c. Twinn, 2015 CAF 122, [2015] A.C.F. no 637 (QL), au paragraphe 7; ABB Technology AG c. Hyundai Heavy Industries Co., Ltd., 2015 CAF 181, au paragraphe 84; Cameco Corporation c. La Reine, 2015 CAF 143, [2015] A.C.F. no 774 (QL), au paragraphe 39; R. c. Superior Plus Corp., 2015 CAF 241, au paragraphe 5; Kinglon Investments Inc. c. La Reine, 2015 CAF 134, au paragraphe 5; Fong c. La Reine, 2015 CAF 102, au paragraphe 5; Administration de pilotage des Laurentides c. Corporation des pilotes du Saint‑Laurent central inc., 2015 CAF 295, [2015] A.C.F. no 1495 (QL), au paragraphe 5; Sin c. La Reine, 2016 CAF 16, au paragraphe 6.

[76]           Toujours d'après mon calcul, au moins onze arrêts de notre Cour ont appliqué Turmel : French c. La Reine, 2016 CAF 64, [2016] A.C.F. no 238 (QL), au paragraphe 26; Galati c. Harper, 2016 CAF 39, au paragraphe 18; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Bermudez, 2016 CAF 131, [2016] A.C.F. no 468 (QL), au paragraphe 21; R. c. Untel, 2016 CAF 191, [2016] A.C.F. no 695 (QL), au paragraphe 31; Teva Canada limitée c. Gilead Sciences Inc., 2016 CAF 176, [2016] A.C.F. no 605 (QL), au paragraphe 23; Djelebian c. La Reine, 2016 CAF 26, au paragraphe 9; Bemco Confectionery and Sales Ltd. c. La Reine, 2016 CAF 21, au paragraphe 3; Lam c. Chanel S. de R.L., 2016 CAF 111, [2016] A.C.F. no 368 (QL), au paragraphe 15; Zaghbib c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 182, [2016] A.C.F. no 651 (QL), au paragraphe 23; Bayer Inc. c. Fresenius Kabi Canada Ltd., 2016 CAF 13, [2016] A.C.F. no 43 (QL), au paragraphe 7; Contrevenant no 10 c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 42, [2016] A.C.F. no 176 (QL), au paragraphe 6.

[77]           Soit dit avec le plus grand respect, il me semble que, si nous voulons simplifier la norme applicable aux décisions des protonotaires et des juges, et ainsi rendre la procédure plus claire aux parties, il faut absolument que nous mettions de l'ordre dans nos propres affaires. Je reprends ici à mon compte les observations formulées par le juge Stratas au paragraphe 22 des motifs de l'arrêt Imperial Manufacturing :

[22]      [...] La Cour suprême a tranché définitivement [dans Housen] la question de la norme de contrôle en matière civile. Elle n'a pas formulé d'observations informelles à l'égard desquelles nous pourrions être tentés d'établir des distinctions. Elle a plutôt analysé la question à fond en examinant les précédents, la doctrine et les principes de droit, et elle s'est prononcée de façon claire et nette sur la question sans conditions ni réserves. [...]

[78]           Je ne suis pas en désaccord avec ce que dit le juge Stratas au paragraphe 12 des motifs de l'arrêt Turmel. Cependant, je le dis en tout respect, l'introduction d'une nouvelle formulation, qui n'a pas de fondement dans Housen, ne peut qu'avoir un effet contraire à celui que notre Cour visait dans l'arrêt Imperial Manufacturing, exprimé comme suit à son paragraphe 29 : « par souci de cohérence et de simplicité, j'estime que seule la formulation de la norme de contrôle figurant dans l'arrêt Housen — qui nous lie — devrait être utilisée lorsque nous sommes saisis d'une demande de contrôle d'une ordonnance interlocutoire discrétionnaire ». L'introduction d'un nouveau libellé ne peut qu'aller à l'encontre de la cohérence et de la simplicité, et, sans doute, inciter les avocats à élaborer une nouvelle argumentation de nature à compromettre inévitablement l'efficacité du contrôle des ordonnances discrétionnaires rendues par les protonotaires et les juges.

[79]           Par conséquent, je conclus que nous devrions appliquer la norme Housen aux décisions discrétionnaires des protonotaires. J'estime en outre que nous devrions également contrôler suivant la norme Housen les décisions discrétionnaires des juges.

B.                 Le juge des requêtes a‑t‑il commis une erreur en refusant d'infirmer la décision de la protonotaire?

[80]           Avant d'aborder la deuxième question, il me paraît nécessaire de dire quelques mots sur la norme de contrôle applicable à la décision du juge des requêtes. La Cour suprême pose en principe au paragraphe 18 de Pompey que notre Cour ne peut infirmer ou modifier la décision rendue par un juge des requêtes lors du contrôle de l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire que si le juge n'avait aucun motif d'infirmer ou de modifier cette ordonnance, ou, advenant l'existence d'un tel motif, si la décision du juge était mal fondée ou manifestement erronée.

[81]           Dans l'affaire Bayer, où l'appel porté devant notre Cour avait pour objet la décision d'un juge des requêtes sur un appel formé en vertu de l'article 51 des Règles d'une ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire, notre Cour a déclaré que, n'eût été la norme Pompey, elle aurait appliqué la norme Housen au contrôle de la décision du juge.

[82]           Selon mon interprétation de ce volet de la norme Pompey, notre Cour ne peut infirmer la décision du juge des requêtes que s'il a commis une erreur de droit, ou une erreur manifeste et dominante au sens de la norme Housen. Donc, si je comprends bien la norme Pompey, elle ne diffère pas en substance de la norme Housen.

[83]           À mon avis, par conséquent, nous devrions appliquer la norme Housen non seulement à la décision de la protonotaire, mais aussi à celle du juge des requêtes.

[84]           La question que nous avons à trancher dans le présent appel est ainsi celle de savoir si le juge des requêtes a commis une erreur de droit ou une erreur manifeste et dominante en refusant d'infirmer ou de modifier la décision de la protonotaire.

[85]           Les faits qui ont mené à la décision de la protonotaire sont simples. Le 19 mars 2014, les avocats des appelantes ont écrit aux avocats des intimés une lettre où ils résumaient leurs discussions concernant les interrogatoires des inventeurs. Ils y rappelaient qu'ils avaient demandé deux jours pour interroger chacun des inventeurs, et que les avocats des intimés avaient exprimé l'avis qu'un seul jour suffirait. Plus précisément, les avocats des appelantes ont écrit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Comme je le disais plus haut, nous prévoyons qu'il faudra plus d'une journée pour l'interrogatoire de M. Feldmann et plus d'une journée aussi pour celui de M. Maini. Nous recommandons de réserver deux jours pour chacun de ces témoins, étant donné notamment notre demande commune d'une date rapprochée pour le procès, le peu de disponibilité des témoins, ainsi que la nécessité de se rendre à Londres et à New York pour tenir leurs interrogatoires. Si vous maintenez votre refus de nous communiquer des dates additionnelles de disponibilité et que nous constatons (conformément à nos prévisions) qu'une journée ne suffit pas pour achever l'interrogatoire de chacun des témoins, nous demanderons à la Cour d'ordonner à Kennedy de payer la totalité des frais qu'entraînera leur nouvelle comparution.

[86]           Comme on l'a vu ci‑dessus, les avocats des intimés ont mis un terme à l'interrogatoire de chacun des inventeurs par les appelantes à la fin de sa première journée.

[87]           La protonotaire a statué comme suit sur cette question à la page 4 de son ordonnance du 17 avril 2015 :

[TRADUCTION]

ET ATTENDU QUE la Cour a mis en délibéré sa décision sur le deuxième chef de la deuxième requête et sur toute question relative aux dépens y afférents, et vu l'examen subséquent des observations des avocats des demandeurs selon lesquelles les interrogatoires de M. Feldmann et de M. Maini, bien qu'ayant duré en tout deux jours, n'étaient pas achevés, et qu'ils avaient demandé deux jours pour l'interrogatoire de chacun dès le départ. Les demandeurs ont défini en termes généraux les sujets qu'ils souhaitaient examiner durant le reste des interrogatoires préalables des inventeurs et ils ont demandé une journée de plus avec chacun de ceux‑ci. J'estime toutefois qu'une demi‑journée suffirait pour chaque témoin, et que les parties devraient coopérer dans la tenue de ces interrogatoires, de manière à permettre à l'instance d'avancer. J'estime également que, sauf entente entre les parties, M. Feldmann et M. Maini devraient être interrogés par visioconférence.

[Non souligné dans l'original.]

[88]           Elle a en conséquence rendu l'ordonnance portée en appel devant le juge des requêtes, dont la décision est maintenant devant notre Cour.

[89]           L'action intentée par Hospira en vue de faire invalider le brevet en cause a été scindée avec le consentement des parties. Une fois que la Cour fédérale aura statué sur la responsabilité, elle statuera, s'il y a lieu, sur la réparation. La protonotaire a dirigé l'action depuis son introduction, elle a présidé à plus de douze conférences de gestion de l'instance et elle a instruit des requêtes au sujet de la communication préalable durant neuf jours. Il ne fait donc aucun doute qu'elle possédait au moment de sa décision une entière connaissance des questions et des faits pertinents ensuite portés devant la Cour fédérale.

[90]           Comme on le voit de l'ordonnance de la protonotaire, la question dont notre Cour est saisie n'était qu'un des nombreux points qu'elle avait à trancher. Pour rendre son ordonnance concernant la nouvelle comparution des inventeurs, la protonotaire a pris acte de l'argument des appelantes comme quoi elles n'avaient pas achevé l'interrogatoire de ceux‑ci et certains sujets restaient à couvrir. Après examen des observations des parties, elle a déclaré estimer qu'il suffirait d'une demi‑journée de plus par inventeur pour achever les interrogatoires. Elle a aussi décidé que, sauf entente entre les parties, les inventeurs seraient interrogés par visioconférence.

[91]           Le juge des requêtes a instruit l'appel formé contre la décision de la protonotaire le 16 juin 2015 et il l'a rejeté deux jours plus tard. Il est arrivé à sa décision en rejet en appliquant la norme de contrôle Aqua‑Gem. Se fondant sur cette norme, il a conclu que la décision de la protonotaire n'était pas entachée d'erreur flagrante et qu'elle n'avait pas exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur de mauvais principes ou une mauvaise appréciation des faits. Je tiens à faire observer que le juge des requêtes, en appliquant la norme Aqua‑Gem au lieu de la norme Housen, n'a pas commis une erreur justifiant notre intervention, au motif que, comme je l'ai déjà dit, les deux normes ne diffèrent pas substantiellement, sauf pour ce qui concerne l'instruction de novo lorsque la question en cause est déterminante pour l'issue du principal, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

[92]           J'examinerai maintenant les moyens précis qu'ont avancés les appelantes au soutien du présent appel.

[93]           Le principal argument que les appelantes ont fait valoir devant notre Cour est que la protonotaire a commis une erreur en déplaçant la charge en ce qui concerne l'interrogatoire. Si les intimés considéraient que deux journées d'interrogatoire pour chaque inventeur ne se justifiaient pas, avancent les appelantes, ils auraient dû former, sous le régime de l'article 243 des Règles, une requête limitant les interrogatoires que la Cour estime « abusifs, vexatoires ou inutiles ». En l'absence d'une telle requête, affirment‑elles, leur droit d'interroger les inventeurs était absolu. Par conséquent, en exigeant qu'elles démontrent qu'elles avaient besoin de plus d'une journée pour interroger les inventeurs, la protonotaire aurait déplacé sur elles la charge de justifier la durée des interrogatoires.

[94]           Je suis prêt à admettre que les appelantes ont raison, encore que seulement dans un sens formel. Autrement dit, lorsqu'il fut devenu évident que les parties ne pourraient s'entendre sur la durée des interrogatoires, ou avant de mettre un terme à ceux‑ci à la fin de la première journée, les intimés auraient dû former une requête sous le régime de l'article 243 des Règles. Cependant, comme nous le savons maintenant, les parties se sont rendues à Londres et à New York pour les interrogatoires, les appelantes espérant, semble‑t‑il, que les choses s'arrangeraient, c'est‑à‑dire que, les participants une fois sur place, les intimés céderaient. Malheureusement, cet espoir ne s'est pas concrétisé, et les intimés ont mis un terme à chacun des interrogatoires à la fin de sa première journée.

[95]           Les appelantes soutiennent — avec raison — qu'il n'appartenait pas aux intimés de mettre fin aux interrogatoires des inventeurs. Cependant, contrairement à la thèse des appelantes, il n'appartenait pas non plus entièrement à celles‑ci, à mon avis, de décider la durée de leurs interrogatoires. Étant donné le désaccord des parties, seule la Cour fédérale pouvait décider cette durée.

[96]           Il va sans dire, vu les circonstances, qu'il aurait été souhaitable pour tous les intéressés au présent litige de faire trancher cette question avant que ne commencent les interrogatoires à Londres et à New York. Cependant, la question qui aurait dû être décidée avant le commencement des interrogatoires a été en fin de compte portée devant la protonotaire, qui l'a tranchée par son ordonnance du 17 avril 2015.

[97]           Il s'ensuit de la décision de la protonotaire qu'elle pensait comme les appelantes que la poursuite de l'interrogatoire des inventeurs n'était ni abusive ni vexatoire, et qu'elle était nécessaire. Cependant, elle a estimé qu'une demi‑journée de plus par inventeur suffisait pour permettre aux appelantes d'achever leurs interrogatoires. Elle est arrivée à cette conclusion après avoir écouté les arguments des parties, qui concernaient notamment les sujets que les appelantes affirmaient avoir besoin d'examiner au cours de ces interrogatoires.

[98]           Je répondrai à l'argument des appelantes selon lequel la protonotaire aurait à tort déplacé sur elles la charge en rappelant d'abord que la durée des interrogatoires, y compris ceux des cédants ou inventeurs, n'est pas illimitée. À mon avis, les appelantes se trompent en affirmant que leur droit à l'interrogatoire est sans limites. Les circonstances et le contexte ont une grande importance. Ils forment les limites à l'intérieur desquelles les interrogatoires doivent être tenus. Les protonotaires et les juges appelés à examiner et à trancher les questions relatives à la communication et aux interrogatoires préalables doivent donc toujours garder ces facteurs à l'esprit. Ils doivent aussi se rappeler l'article 3 des Règles, qui dispose que les Règles, y compris les dispositions relatives aux interrogatoires préalables, « sont interprétées et appliquées de façon à permettre d'apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible ». C'est exactement ce que la protonotaire a fait, à mon sens, en rendant l'ordonnance attaquée.

[99]           Il ne fait aucun doute qu'afin d'établir si la poursuite des interrogatoires des inventeurs était justifiée et s'il faudrait une journée ou moins pour mener chacun d'eux à terme, la protonotaire a examiné de nombreux facteurs pertinents, notamment les sujets que les appelantes avaient l'intention de couvrir, à la lumière des questions en litige devant la Cour. Ce faisant, elle a certainement pris en compte le fait que les inventeurs n'étaient pas parties à l'action et qu'ils allaient devoir se mettre à la disposition des appelantes pour la poursuite des interrogatoires ainsi que l'échéancier de l'action. Tous ces facteurs, à mon avis, étaient pertinents quant à la décision que la protonotaire avait à rendre.

[100]       Son examen de tous les facteurs énumérés ci‑dessus a amené la protonotaire à décider que la poursuite des interrogatoires des inventeurs était justifiée, mais par visioconférence, et qu'une demi‑journée de plus par témoin suffirait.

[101]       Je voudrais ici faire observer qu'au cours de la plaidoirie qu'elles ont prononcée devant notre Cour dans le présent appel, les appelantes n'ont fait aucun effort pour nous informer des sujets qu'elles entendaient examiner dans leurs interrogatoires. Je soupçonne que cette omission découle de leur opinion selon laquelle il leur appartenait entièrement de fixer la durée de ceux‑ci. En d'autres termes, les appelantes semblaient d'avis que ce n'était pas à la protonotaire, ni au juge des requêtes, ni en fait à nous de leur dire combien de temps ils devraient mettre à interroger les inventeurs. C'est pourquoi je faisais observer plus haut que les appelantes ont affirmé le caractère absolu de leur droit d'interroger les inventeurs. Je ne voudrais pas que ces remarques soient interprétées comme une critique des avocats des appelantes. Il me semble cependant que, pour nous aider à décider si le juge des requêtes aurait dû intervenir, les appelantes auraient bien fait de nous instruire un peu des sujets sur lesquels elles avaient l'intention d'interroger les inventeurs. De tels renseignements nous auraient sans doute aidés à mieux comprendre leur besoin de poursuivre les interrogatoires.

[102]       En ce qui concerne les arguments des appelantes suscités par l'observation du juge des requêtes voulant qu'il faille donner une « liberté d'action » aux protonotaires responsables de la gestion d'instances, je suis entièrement d'accord avec les intimés lorsqu'ils font remarquer ce qui suit au paragraphe 67 de leur mémoire des faits et du droit :

[TRADUCTION]

L'expression « liberté d'action » est simplement une manière figurée de dire qu'il convient de faire preuve de retenue à l'égard des décisions qui reposent sur des faits. Cette expression n'est pas équivalente à « immunité contre le contrôle », et le juge Boswell n'a pas dit qu'elle l'était.

[103]       Autrement dit, le juge des requêtes saisi d'un appel fondé sur l'article 51 des Règles fera toujours bien de se rappeler que le protonotaire responsable de la gestion de l'instance connaît très bien les questions et les faits particuliers de l'affaire, de sorte que l'intervention ne doit pas être décidée à la légère. Il ne s'ensuit pas cependant qu'il faille laisser passer les erreurs de fait ou de droit. En fin de compte, l'expression « liberté d'action » signifie tout simplement que, sauf erreur donnant ouverture à annulation, la déférence est appropriée ou applicable aux décisions du protonotaire chargé de la gestion de l'instance — rien de plus, rien de moins.

[104]       Enfin, pour ce qui concerne les arguments des appelantes selon lesquels la protonotaire aurait commis une erreur en ordonnant la tenue des interrogatoires par visioconférence, je suis d'accord avec les intimés lorsqu'ils rappellent que les inventeurs, habitant tous deux au Royaume‑Uni, ne sont pas contraignables, sauf commission rogatoire. Par conséquent, vu les circonstances, je ne discerne aucune erreur dans la décision de la protonotaire d'ordonner la poursuite des interrogatoires par visioconférence.

[105]       Donc, selon mon interprétation du dossier et des observations respectives des parties, je ne vois rien qui nous permettrait de conclure que le juge des requêtes aurait dû infirmer la décision de la protonotaire. Autrement dit, on ne m'a pas convaincu que le juge des requêtes ait commis une erreur de droit, ou une erreur manifeste et dominante, qui nous permettrait d'intervenir.

VII.          Conclusion

[106]       En conséquence, je rejetterais l'appel avec dépens.

« M. Nadon »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

Donald J. Rennie, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

Mary J.L. Gleason, j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

A‑303‑15

(APPEL D'UNE ORDONNANCE DE LA COUR FÉDÉRALE RENDUE PAR LE JUGE BOSWELL LE 18 JUIN 2015 DANS LE DOSSIER NO T‑396‑13)

INTITULÉ :

CORPORATION DE SOINS DE LA SANTÉ HOSPIRA c. THE KENNEDY INSTITUTE OF RHEUMATOLOGY

ET ENTRE

THE KENNEDY TRUST FOR RHEUMATOLOGY RESEARCH, JANSSEN BIOTECH, INC., JANSSEN INC. et CILAG GmbH INTERNATIONAL c. CORPORATION DE SOINS DE LA SANTÉ HOSPIRA, CELLTRION HEALTHCARE CO., LTD. et CELLTRION, INC.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 15 AVRIL 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE RENNIE

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 AOÛT 2016

 

COMPARUTIONS :

Warren Sprigings

Mary McMillan

POUR LES AppelantES

Marguerite Ethier

Melanie Baird

James Holtom

POUR LES INTIMÉS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sprigings IP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES APPELANTES

 

Lenczner Slaght Royce Smith Griffin LLP

Toronto (Ontario)

POUR LES INTIMÉS

 

 

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