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Date : 20160627


Dossier : A-223-15

Référence : 2016 CAF 192

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

KRUGER WAYAGAMACK INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Montréal (Québec), le 21 juin 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 juin 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20160627


Dossier : A-223-15

Référence : 2016 CAF 192

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

KRUGER WAYAGAMACK INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EN CHEF NOËL

[1]               Le présent appel est interjeté par Kruger Wayagamack Inc. (l'appelante) à l'encontre d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt (2015 CCI 90) par laquelle le juge Jorré (le juge de la Cour de l'impôt) a rejeté l'appel de l'appelante interjeté à l'encontre des nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national (le ministre) conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi), pour les années d'imposition 2003, 2004, 2005 et 2006.

[2]               Les dispositions légales pertinentes à l'analyse sont reproduites à l'annexe I des présents motifs.

LE CONTEXTE

[3]               Au cours des années d'imposition en cause, l'appelante a exploité une usine de papier à Trois‑Rivières (Québec) et a mené des activités de recherche scientifique et de développement expérimental pour lesquelles elle est devenue admissible aux crédits d'impôt à l'investissement (CII). Puisqu'elle n'avait réalisé au cours de la période aucun revenu dont elle pouvait déduire les CII, l'appelante a réclamé des CII remboursables.

[4]               Conformément au paragraphe 127.1(1), ainsi qu'à la définition du terme « crédit d'impôt à l'investissement remboursable » au paragraphe 127.1(2) de la Loi, une « société admissible » est réputée avoir payé, au titre de l'impôt, un montant équivalant à 40 % de ses CII à la fin de l'année. Le terme « société admissible » est défini comme suit (au paragraphe 127.1(2)) :

a)    une société privée sous contrôle canadien (qui n'est pas associée à une autre société) dont le revenu imposable pour l'année précédente ne dépasse pas son plafond des affaires pour cette année précédente;

b)    une société privée sous contrôle canadien associée à une autre société, dans le cas où le total de leurs revenus imposables pour l'année précédente ne dépasse pas le total de leurs plafonds des affaires pour cette année d'imposition précédente.

[5]               Conformément au paragraphe 248(1) de la Loi, le « plafond des affaires » d'une société est le montant déterminé selon l'article 125. Le paragraphe 125(2) prévoit le plafond des affaires de base d'une société, qui est alors assujetti à une réduction aux termes du paragraphe 125(5.1) selon l'impôt que doit payer cette société — ou toute société associée — aux termes de la partie I.3.

[6]               Pendant toute la période pertinente, 51 % des actions émises et en circulation de l'appelante appartenaient à Kruger Inc. (Kruger) par le biais de 3864057 Canada Inc., sa filiale en propriété exclusive; le 49 % restant appartenait à SGF Rexfor inc. (SGF), une société appartenant au gouvernement du Québec. Aux fins des présentes, il n'importe pas que l'intérêt de Kruger dans l'appelante était détenu par une filiale.

[7]               Il est admis que le revenu imposable de Kruger excédait largement le total du plafond des affaires au sens du paragraphe 127.1(2); par conséquent, si Kruger était associée à l'appelante au cours de la période de quatre ans en cause, l'appelante a dépassé son plafond des affaires. Il s'ensuit également que Kruger était associée à l'appelante si l'on peut établir qu'elle contrôlait cette dernière.

[8]               Lors du procès, l'argument principal de la Couronne était que Kruger avait le contrôle de droit et/ou de fait de l'appelante (alinéa 256(1)a)). La Couronne soutenait également que Kruger était réputée contrôler l'appelante au sens de l'alinéa 256(1.2)c), puisque ses actions avaient une juste valeur marchande qui excédait 50 % de la juste valeur marchande de toutes les actions émises et en circulation du capital-actions de l'appelante.

[9]               Le juge de la Cour de l'impôt a conclu que Kruger contrôlait l'appelante uniquement en vertu de cette dernière disposition. Bien que le fait que Kruger possédait 51 % des actions lui donnait le contrôle sur les décisions d'exploitation, la convention unanime des actionnaires (CUA) lui a retiré ce contrôle en ce qui a trait à de nombreuses décisions stratégiques; par conséquent, Kruger n'avait pas le contrôle de droit (motifs, aux paragraphes 29 à 71). On ne pouvait affirmer non plus que Kruger avait le contrôle de fait puisque, dans les faits, rien ne modifiait l'effet de la CUA quant à l'orientation générale de l'appelante (motifs, aux paragraphes 72 à 89).

[10]           Toutefois, il restait que les actions que possédait Kruger avaient une juste valeur marchande qui excédait 50 % de la juste valeur marchande des actions émises et en circulation de l'appelante; par conséquent, Kruger était réputée contrôler l'appelante aux termes de l'alinéa 256(1.2)c) de la Loi.

ANALYSE ET DÉCISION

[11]           La seule question soulevée dans le présent appel est de savoir si l’exercice d'évaluation qui a permis d'en arriver à cette conclusion a été effectué de façon convenable. Cette évaluation devait être effectuée selon l'alinéa 256(1.2)g) de la Loi, qui dispose que toutes les actions sont réputées ne pas conférer de droit de vote aux fins de cet exercice.

[12]           En mettant l'accent sur cette contrainte, le juge de la Cour de l'impôt a présenté des motifs exhaustifs pour expliquer la raison pour laquelle il a privilégié l'avis de l'expert de la Couronne, selon lequel la participation de Kruger, soit 51 % des actions de l'appelante, avait une juste valeur marchande qui correspondait à ce pourcentage (motifs, aux paragraphes 90 à 160). Il a également expliqué longuement pourquoi il ne pouvait accepter la prétention de l'appelante selon laquelle la valeur des actions de Kruger devait faire l'objet d'une décote, en raison du manque de liquidité et de la difficulté à les vendre, alors que la valeur des actions détenues par SGF ne devait pas faire l'objet d'une décote (ibidem).

[13]           L'appelante affirme qu'en rejetant cette dernière prétention, le juge de la Cour de l'impôt soit a commis une erreur en appliquant les principes juridiques pertinents, soit a commis un certain nombre d'erreurs manifestes et dominantes (mémoire de l'appelante, aux paragraphes 47 à 57).

[14]           L'appelante a d'abord relevé l'énoncé du juge de la Cour de l'impôt au paragraphe 127 de ses motifs, ainsi que la note de bas de page 63, pour affirmer que [TRADUCTION] « le résultat final [de son raisonnement] est que le bloc d'actions [de Kruger] devait faire l'objet d'une décote de 4,1 % pour que celle‑ci ne soit pas associée à l'appelante » (mémoire de l'appelante, au paragraphe 81). L'appelante soutient que cette conclusion est manifestement erronée ou qu'elle révèle une erreur de principe, puisqu'il est clair qu'un escompte de 2 % seulement est nécessaire pour réduire la valeur du bloc d'actions de Kruger sous 50 % (ibidem).

[15]           Un examen sérieux des motifs n'appuie pas cette critique, puisqu'il apparaît clairement de ses motifs que le juge de la Cour de l'impôt ne faisait référence qu'à la valeur relative de l'intérêt de 51 % de Kruger par rapport à l'intérêt de 49 % de SGF selon l'approche adoptée par l'expert de l'appelante elle‑même (motifs, au paragraphe 121). L'allégation selon laquelle le juge de la Cour de l'impôt s'est trompé dans ses chiffres et que cela [TRADUCTION] « a porté atteinte à son analyse générale » n'est pas fondée (mémoire de l'appelante, au paragraphe 82).

[16]           L'appelante a également remis en question la compréhension qu'avait le juge de la Cour de l'impôt de la question qu'il devait trancher en soulignant les deux questions qu'il s'est posées au sujet de l'alinéa 256(1.2)c) (motifs, au paragraphe 92) :

a)         cette disposition s'applique‑t‑elle si les actions de l'appelante que détient Kruger valent plus que 50 % de ce qu'une personne paierait pour acheter en une fois la totalité des actions de l'appelante?

Ou

b)         cette disposition s'applique‑t‑elle si les actions de Kruger valent plus de 50 % de la totalité des actions et que l'on évalue séparément les actions que possèdent des détenteurs différents, c'est‑à‑dire : les actions de Kruger valent‑elles plus que celles que détient la SGF?

[17]           L'appelante soutient que le juge de la Cour de l'impôt a omis de conclure que la première question était la seule question pertinente qu'il devait trancher (mémoire de l'appelante, au paragraphe 80).

[18]           On ne conteste pas qu'il s'agit de la seule question pertinente. Toutefois, en établissant les questions qui précèdent, le juge de la Cour de l'impôt a une fois de plus abordé le litige comme l'expert de l'appelante l'avait présenté au cours de l'audience (motifs, au paragraphe 99). Il a répondu que, peu importe la question posée, la juste valeur marchande des actions de Kruger excédait le seuil de 50 % (motifs, au paragraphe 123). Je ne relève aucune erreur à cet égard.

[19]           L'appelante allègue également que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en concluant que la décote présumée en raison du manque de liquidité et de la difficulté à vendre les actions aurait eu le même effet sur les actions de Kruger et sur celles de SGF, de sorte que la valeur relative de leurs actions demeurait inchangée (mémoire de l'appelante, au paragraphe 86).

[20]           À cet égard, il suffit de dire que les conclusions tirées par le juge de la Cour de l'impôt à l'appui de cette conclusion étaient toutes des conclusions de fait (motifs, aux paragraphes 114, 115, 117, 118 et 130 à 162) et qu'aucune erreur manifeste et dominante n'a été relevée par rapport à celles‑ci.

[21]           Je rejetterais l'appel, avec dépens.

« Marc Noël »

Juge en chef

« Je suis d'accord.

Richard Boivin, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »

Traduction


Annexe I

Dispositions légales pertinentes

Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), telle que modifiée

 

Income Tax Act, R.S.C. 1985, c. 1 (5th Supp.), as amended

 

Sociétés associées

256(1) Pour l'application de la présente loi, deux sociétés sont associées l'une à l'autre au cours d'une année d'imposition si, à un moment donné de l'année:

 a) l'une contrôle l'autre, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit;

Associated corporations

256(1) For the purposes of this Act, one corporation is associated with another in a taxation year if, at any time in the year,

(a) one of the corporations controlled, directly or indirectly in any manner whatever, the other;

[...]

. . .

Précisions sur les notions de contrôle et de propriété des actions

 (1.2) Pour l'application du présent paragraphe et des paragraphes (1), (1.1) et (1.3) à (5):

Control, etc.

 (1.2) For the purposes of this subsection and subsections (1), (1.1) and (1.3) to (5),

[...]

. . .

c) la société, la personne ou le groupe de personnes qui est propriétaire, à un moment donné, d'actions du capital‑actions d'une autre société dont la juste valeur marchande correspond à plus de 50 % de la juste valeur marchande de toutes les actions émises et en circulation du capital‑actions de cette autre société, ou qui est propriétaire, à ce moment, d'actions ordinaires du capital‑actions de cette autre société dont la juste valeur marchande correspond à plus de 50 % de la juste valeur marchande de toutes les actions ordinaires émises et en circulation du capital‑actions de cette autre société, est réputé contrôler cette autre société à ce moment;

 

(c) a corporation shall be deemed to be controlled by another corporation, a person or a group of persons at any time where

 (i) shares of the capital stock of the corporation having a fair market value of more than 50% of the fair market value of all the issued and outstanding shares of the capital stock of the corporation, or

(ii) common shares of the capital stock of the corporation having a fair market value of more than 50% of the fair market value of all the issued and outstanding common shares of the capital stock of the corporation

are owned at that time by the other corporation, the person or the group of persons, as the case may be;

[...]

. . .

g) dans la détermination de la juste valeur marchande d'actions du capital‑actions d'une société, toutes les actions émises et en circulation de ce capital‑actions sont réputées ne pas conférer de droit de vote.

(g) in determining the fair market value of a share of the capital stock of a corporation, all issued and outstanding shares of the capital stock of the corporation shall be deemed to be non‑voting.

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-223-15

APPEL D'UN JUGEMENT RENDU PAR LE JUGE JORRÉ DE LA COUR CANADIENNE DE L'IMPÔT LE 14 AVRIL 2015, DOSSIER NO 2011‑1739(IT)G.

INTITULÉ :

KRUGER WAYAGAMACK INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 21 juin 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DU JUGEMENT :

LE 27 JUIN 2016

 

COMPARUTIONS :

Wilfrid Lefebvre

Vincent Dionne

 

Pour l'appelante

 

Philippe Dupuis

Marie-Andrée Legault

 

Pour l'intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fullbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l

Montréal (Québec)

 

Pour l'appelante

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour l'intimée

 

 

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