Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20160623


Dossier : A-378-15

Référence : 2016 CAF 189

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE RYER

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

SHELDON BLANK

appelant

et

LE MINISTRE DE LA JUSTICE

intimé

Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 29 février 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 23 juin 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE RYER

 


Date : 20160623


Dossier : A-378-15

Référence : 2016 CAF 189

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE RYER

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

SHELDON BLANK

appelant

et

LE MINISTRE DE LA JUSTICE

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DE MONTIGNY

[1]               La Cour est saisie de l’appel d’une décision du juge Brown (le juge) de la Cour fédérale rendue le 16 juin 2015 (2015 CF 753) par laquelle il a rejeté la demande présentée par l’appelant, en vertu de l’article 41 de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1 (la Loi), pour obtenir la révision de la décision du ministère de la Justice de refuser la communication de parties des documents demandées qui traitaient du litige civil opposant les parties.

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’en viens à la conclusion que le présent appel devrait être rejeté.

I.                   Faits

[3]               Le juge de première instance a présenté en détail les faits pertinents dans ses motifs. Par conséquent, je renverrai uniquement aux faits qui importent pour les besoins du présent appel.

[4]               L’appelant était le propriétaire d’une usine de pâtes et papier exploitée par son entreprise, Gateway Industries Ltd., à Winnipeg. En 1995, l’appelant et son entreprise ont été accusés de 13 infractions à la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, passibles de poursuites par procédure sommaire. Le 4 avril 1997, huit chefs ont été annulés au motif qu’ils ne précisaient pas le lieu où les infractions auraient été commises (voir R. c. Gateway Industries Ltd., [1997] M.J. No 185, [1997] 7 W.W.R. 120).

[5]               Le 10 avril 2001, les cinq chefs d’accusation restants ont été rejetés pour cause de nullité en raison de l’absence d’un certificat établissant à quel moment le ministre avait été mis au courant des infractions reprochées (R. c. Gateway Industries Ltd, 2001 MBQB 106, [2001] M.J. No 172). La Couronne, voulant procéder aux poursuites relatives à ces cinq chefs par voie de mise en accusation, a porté de nouvelles accusations en juillet 2002. Le 4 février 2004, la Couronne a demandé l’arrêt des poursuites. À ce moment, l’usine n’était plus en activité.

[6]               En mai 2002, l’appelant et son entreprise ont intenté une action civile contre l’intimé et certains de ses employés et représentants pour abus de procédure relativement aux 13 accusations criminelles susmentionnées. Cette poursuite, toujours en instance, est défendue par le ministère de la Justice et les avocats qu’il a engagés à cette fin.

[7]               Le 30 novembre 2006, l’appelant a déposé une demande en vertu de la Loi afin d’obtenir :

[traduction]

Tous les dossiers et toutes les communications concernant ou mentionnant le procès civil intenté par Sheldon Blank et Gateway Industries Ltd. (dossier no CI 02‑01‑28295 de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba) échangés entre Rod Garson et toute autre personne. La présente demande vise également les notes prises par Rod Garson à ce sujet.

[8]               Me Garson était l’avocat de la Couronne, du Service fédéral des poursuites (SFP), lequel était responsable, du moins pour un certain temps, de la poursuite.

[9]               Le 14 mars 2007, le ministère de la Justice a fourni dans un premier temps 194 pages caviardées qui constituaient, selon lui, les documents communicables en réponse à la demande d’accès à l’information de l’appelant, en invoquant les exceptions prévues au paragraphe 19(1) (renseignements personnels), à l’alinéa 21(1)a) (avis ou recommandations), à l’alinéa 21(1)b) (consultations ou délibérations) ainsi qu’à l’article 23 (secret professionnel des avocats) de la Loi. L’appelant a porté plainte auprès du Bureau du commissaire à l’information du Canada (le commissaire) au motif que le ministère avait, à tort, amputé le dossier et appliqué les exceptions. En réponse à cette plainte, le ministère de la Justice a accepté de communiquer deux autres ensembles de documents. Le 10 novembre 2009, le commissaire a rendu compte du résultat de son enquête à l’appelant et s’est dit convaincu que le ministère de la Justice avait bien appliqué les exceptions.

[10]           Le 9 décembre 2009, l’appelant a demandé à la Cour fédérale réviser la décision du ministère de la Justice de refuser de lui communiquer les parties des dossiers qu’il demandait. Le 30 août 2010, le ministère de la Justice a communiqué 111 autres pages. Il s’agissait d’annexes à des documents déjà transmis, qui auraient été omises par inadvertance. Seules 27 des 111 pages n’avaient pas été caviardées, le ministère de la Justice continuant de faire valoir les mêmes exceptions prévues à la Loi que celles invoquées en 2007. L’appelant n’a pas porté plainte au commissaire au sujet des annexes caviardées.

[11]           La question de la compétence de la Cour fédérale pour réviser la communication des annexes a été soulevée devant le juge chargé de la gestion de l’instance, qui l’a renvoyée au juge saisi de la demande.

II.                Décision de la Cour fédérale

[12]           Renvoyant à une décision antérieure de la Cour fédérale opposant les mêmes parties (Blank c. Canada (Justice), 2009 CF 1221, par. 31 (Blank 2009)), le juge a conclu que la jurisprudence avait déjà établi de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable à la décision de l’intimé de refuser la communication des renseignements sur le fondement d’exceptions discrétionnaires prévues par la Loi : la norme de la décision correcte s’applique à la décision selon laquelle les renseignements non communiqués sont visés par l’exception légale, et celle de la décision raisonnable s’applique à la décision, discrétionnaire, de refuser la communication des renseignements exemptés.

[13]           Le juge saisi de la demande de révision n’a pas tenu compte de deux affidavits, datés respectivement du 11 juillet 2013 et du 28 février 2013, déposés par l’appelant à l’appui de requêtes interlocutoires précédentes. Ces affidavits sont devenus échus après la décision sur les requêtes, en l’absence d’une demande visant à les déposer en preuve au dossier de la présente instance en révision. De l’avis du juge, l’intimé était en droit de savoir ce qui lui était reproché afin d’y répondre. De plus, l’appelant a attendu jusqu’à la fin de l’audience avant de demander l’autorisation de déposer ces affidavits, ce qui, selon le juge, était beaucoup trop tard.

[14]           En ce qui concerne la question de la compétence de la Cour fédérale d’examiner ces annexes, le juge a souligné que l’appelant n’avait pas demandé au commissaire de faire enquête ou de faire rapport sur le caviardage de ces documents. Le juge a conclu que cette omission avait pour effet d’empêcher l’appelant de demander la révision de la décision à la Cour fédérale, car, aux termes de l’article 41 de la Loi, la Cour n’est compétente que si une plainte a été déposée auprès du commissaire.

[15]           Pour ce qui est de la question de l’application des exceptions prévues à la Loi, le juge a précisé que, même si c’est la décision du ministère de la Justice qui faisait l’objet de la révision, les conclusions du commissaire commandaient une grande retenue en raison de l’expertise de ce dernier en matière d’accès à l’information. Le commissaire avait conclu que les renseignements dont la communication avait été refusée en vertu du paragraphe 19(1) étaient visés par la définition de « renseignements personnels » et qu’aucune des conditions permettant la communication de ce type de renseignements prévue au paragraphe 19(2) ne s’appliquait. Après avoir examiné les documents caviardés, le juge en est venu à la même conclusion.

[16]           Comme le commissaire, le juge a conclu que le secret professionnel avait correctement été invoqué et que le ministère de la Justice avait exercé son pouvoir discrétionnaire à bon droit en refusant de renoncer à l’exception. Le juge a souligné que le privilège relatif au litige s’appliquait toujours au litige civil en cours, contrairement à celui qui visait l’instance criminelle, qui s’est éteint en 2004 après l’arrêt des procédures à l’égard des chefs restants.

[17]           Pour ce qui est de la plainte de l’appelant, selon lequel il manquait peut-être certains documents, le juge a déclaré que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour ordonner une recherche ou une communication plus approfondie et qu’il n’avait pas de raison de croire que l’intégrité du dossier avait été compromise.

[18]           Le juge a ensuite analysé les exceptions au secret professionnel de l’avocat, énumérées par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 39, [2006] 2 R.C.S. 319 (Blank CSC), et Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44, [2008] 2 R.C.S. 574 (Blood Tribe). Après avoir examiné les documents en question, le juge en est venu à la conclusion qu’il n’y avait pas de preuve d’abus des procédures ou d’autre conduite répréhensible qui aurait eu pour effet de vicier le secret professionnel de l’avocat.

[19]           Puisque le juge a conclu que la non-communication était justifiée par le secret professionnel de l’avocat, il n’était pas nécessaire de trancher la question des exceptions prévues à la Loi relativement aux avis, aux recommandations ou aux consultations. Quoi qu’il en soit, le juge a conclu que les documents étaient visés par les exceptions invoquées et que les parties en question du dossier en avaient été retirées à bon droit.

[20]           Enfin, le juge a accordé à l’intimé des dépens recouvrables auprès de l’appelant à hauteur de 7 000 $.

III.             Questions en litige

[21]           Je suis d’accord avec l’intimé pour dire que le présent appel soulève les cinq questions suivantes :

A.    Le juge a-t-il commis une erreur en refusant de tenir compte des deux affidavits de l’appelant?

B.     Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour réviser la décision de caviarder les annexes communiquées par l’intimé le 30 août 2010 parce qu’il n’y avait eu aucune plainte adressée au commissaire ni aucun examen effectué par lui à cet égard?

C.     Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour ordonner des recherches plus approfondies?

D.    Le juge a-t-il commis une erreur en décidant que les parties caviardées du dossier étaient protégées par le secret professionnel de l’avocat?

E.     Le juge a-t-il commis une erreur en adjugeant les dépens?

IV.             Norme de contrôle

[22]           Dans l’appel interjeté à l’encontre d’un contrôle judiciaire, notre Cour doit voir si la Cour fédérale a choisi la bonne norme de contrôle et l’a bien appliquée (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, par. 47; Erasmo c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 129, [2015] A.C.F. no 638, par. 25).

[23]           Contrairement à ce que prétend l’intimé, la Cour ne doit pas décider uniquement si la cour d’instance inférieure a commis une erreur manifeste et dominante dans son application de la norme de contrôle applicable (Canada (Agence du revenu) c. Telfer, 2009 CAF 23, A.C.F. no 71, par. 18 (Telfer)). Au contraire, la Cour suprême a conclu qu’une cour siégeant en appel du jugement d’une cour d’instance inférieure ayant procédé au contrôle judiciaire d’une décision administrative devrait se « met[tre] à la place » de la cour d’instance inférieure pour réviser la décision administrative selon la norme de contrôle applicable (Prairie Acid Rain Coalition c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [2006] 3 R.C.F. 610, 2006 CAF 31, par. 14, citée dans Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), [2012] 1 R.C.S. 23, 2012 CSC 3, par. 247; voir aussi Telfer, par. 18).

[24]           Il est bien établi que la révision de la décision de refuser la communication des renseignements en vertu de l’article 23 de la Loi fait intervenir deux normes de contrôle, car il faut dans ce cas arriver à deux conclusions distinctes. La norme de la décision correcte s’applique lorsqu’il s’agit de voir si la décision de refuser la communication respecte les exceptions prescrites par la loi, et la norme de la décision raisonnable lorsqu’il s’agit de l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui permet de refuser de communiquer les renseignements visés par les exceptions (voir Blank 2009, par. 27 à 31; 3430901 Canada Inc. c. Canada (Ministre de l’Industrie), [2002] 1 R.C.F. 421, 2001 CAF 254, par. 47). Le juge a choisi les bonnes normes de contrôle au paragraphe 27 de ses motifs, et l’appelant n’a pas contesté cet aspect de la décision.

[25]           Les autres questions soulevées par le présent appel concernent les décisions rendues par le juge et non la révision par ce dernier des décisions de l’intimé. Par conséquent, la norme de contrôle applicable est celle énoncée dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33, qui s’applique en appel. Ainsi, pour avoir gain de cause, l’appelant doit nous convaincre que la Cour fédérale a commis une erreur sur une pure question de droit ou sur une question de droit qu’il est possible de dégager d’une question mixte de faits et de droit. À défaut de ce type d’erreur de droit, l’appel ne peut être accueilli que si l’appelant parvient à démontrer qu’il y a eu une erreur manifeste et dominante.

V.                Analyse

A.                Le juge a-t-il commis une erreur en refusant de tenir compte des deux affidavits de l’appelant?

[26]           Selon l’appelant, qui se dit profane, plusieurs documents qui auraient été versés au dossier comme annexes à ses affidavits du 11 juillet 2011 et du 28 février 2013 avaient été reçus de l’intimé. Il ajoute que ces dossiers n’auraient donc pas porté atteinte à l’intimé et qu’ils auraient été utiles à la Cour, car ils auraient démontré que l’intimé a volontairement refusé la communication de documents pertinents et qu’il a donc agi de mauvaise foi.

[27]           À mon avis, l’appelant n’a pas réussi à démontrer que le juge avait commis une erreur en exerçant son pouvoir discrétionnaire. Comme le juge l’a mentionné, il faut imputer à l’appelant une certaine connaissance de la procédure, car il n’en est pas à sa première demande de contrôle judiciaire ni à son premier appel devant la Cour fédérale et notre Cour. Fait plus important, ces affidavits avaient déjà été déposés par l’appelant à l’appui de ses requêtes interlocutoires devant un protonotaire, qui avait tranché ces dernières à la date de l’audience sur la demande de contrôle judiciaire. Les affidavits étaient donc périmés et ne faisaient pas partie du dossier de l’appelant relatif au recours en révision judiciaire.

[28]           L’article 306 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, énonce clairement que les affidavits à l’appui d’une demande de contrôle judiciaire doivent être déposés dans les 30 jours suivant le dépôt de l’avis de demande. Certes, une partie peut déposer des affidavits supplémentaires sur autorisation de la Cour. En l’espèce, le juge a refusé cette autorisation en raison de la présentation tardive de la requête (qui a été faite le dernier jour d’une audience de deux jours et demi) et parce que cette autorisation aurait entraîné un manquement à l’équité procédurale à l’égard de l’intimé, qui était en droit de connaître le dossier constitué contre lui. Même si l’appelant soutient le contraire, je ne vois aucune erreur susceptible de révision dans la décision du juge.

B.                 Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour réviser la décision de caviarder les annexes communiquées par l’intimé le 30 août 2010 parce qu’il n’y avait eu aucune plainte adressée au commissaire ni aucun examen effectué par lui à cet égard?

[29]           La Cour fédérale n’avait pas compétence pour réviser la décision relative à la communication de 2010, étant donné que l’appelant n’avait pas préalablement déposé de plainte auprès du commissaire conformément à l’article 41 de la Loi :

Révision par la Cour fédérale

Review by Federal Court

41 La personne qui s’est vu refuser communication totale ou partielle d’un document demandé en vertu de la présente loi et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à l’information peut, dans un délai de quarante-cinq jours suivant le compte rendu du Commissaire prévu au paragraphe 37(2), exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. La Cour peut, avant ou après l’expiration du délai, le proroger ou en autoriser la prorogation.

41 Any person who has been refused access to a record requested under this Act or a part thereof may, if a complaint has been made to the Information Commissioner in respect of the refusal, apply to the Court for a review of the matter within forty-five days after the time the results of an investigation of the complaint by the Information Commissioner are reported to the complainant under subsection 37(2) or within such further time as the Court may, either before or after the expiration of those forty-five days, fix or allow.

(je souligne)

(emphasis added)

[30]           Il ressort clairement de la jurisprudence que la décision de la Cour fédérale sur l’application d’une exception ou d’une exclusion prévue à la Loi est subordonnée au dépôt d’une plainte auprès du commissaire et d’un rapport de celui-ci (voir Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (ministre de la Défense nationale), [1999] A.C.F. no 522, par. 27; Statham c. Société Radio-Canada, 2010 CAF 315, [2012] 2 R.C.F. 421, par. 55). Comme mon collègue le juge Stratas le mentionne dans l’arrêt Whitty c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 30, au paragraphe 8, cette exigence est la reformulation légale du principe de common law selon lequel, à moins de circonstances exceptionnelles, il faut avoir épuisé tous les autres recours possibles avant de présenter une demande de contrôle judiciaire.

[31]           En l’espèce, non seulement l’appelant n’a pas déposé de plainte auprès du commissaire concernant la communication des 111 pages additionnelles qui lui ont été remises le 30 août 2010, mais encore il a agi en toute connaissance de cause. Comme le juge l’a mentionné, même si l’appelant avait été avisé par l’intimé qu’il contrevenait à l’article 41 de la Loi, il a choisi de ne pas se prévaloir de son droit de déposer une plainte. Il doit maintenant en subir les conséquences. L’examen indépendant des plaintes par le commissaire constitue la pierre angulaire du régime mis en place par le législateur, et la Cour fédérale est en droit de bénéficier de l’expertise et des connaissances considérables de cet agent du Parlement avant de se pencher sur l’application des exceptions et le caviardage de documents par une institution publique. Je souscris à l’avis du juge selon lequel l’appelant ne pouvait unilatéralement faire fi de cette exigence et s’adresser directement aux tribunaux.

[32]           Il n’est pas permis de faire valoir que l’intimé a contrevenu à son devoir d’agir de bonne foi parce qu’il a omis de répondre complètement et en temps utile à la demande de l’appelant et que les annexes auraient dû être joints à la demande d’accès à l’information initiale déposée par l’appelant. En effet, des éléments de preuve démontrent que l’intimé avait connaissance des annexes manquantes dès le 22 février 2007 et il a reconnu qu’elles étaient pertinentes pour la demande (dossier d’appel, à la page 2135). Peu importe les raisons pour lesquelles ces documents n’ont pas été communiqués avant le dépôt de la demande de révision, les faits demeurent que les dossiers en question (soit 111 pages moins les 27 pages qui ont été communiquées en entier) n’ont pas fait l’objet d’une enquête par le commissaire, et aucune conclusion n’a été rendue sur le bien-fondé du caviardage. Il ressort clairement de l’article 41 de la Loi que la Cour fédérale ne peut réviser la décision de refuser la communication des renseignements personnels que si le commissaire a fait enquête à cet égard. Par conséquent, le juge a conclu à bon droit qu’il n’avait pas compétence pour réviser les documents communiqués après la publication du rapport du commissaire.

C.                 Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour ordonner des recherches plus approfondies?

[33]           L’appelant a fait valoir devant le commissaire et devant la Cour fédérale que des documents manquaient ou que leur intégrité pouvait avoir été compromise. Il a fondé cette déclaration audacieuse sur le fait que les annexes ne lui avaient pas été communiquées initialement et que certains documents avaient d’abord été [traduction] « épurés » afin de cacher les icônes sur les originaux indiquant que certains documents comprenaient des annexes. En conséquence, il a demandé à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale d’ordonner [traduction] « une nouvelle recherche en profondeur pour trouver les dossiers pertinents pour la demande ».

[34]           Sur le fondement des jugements Blank c. Canada (Minister of The Environment), [2000] A.C.F. no 1620, 2000 CanLII 16437 (CF), CF 1re inst. (Blank 2000) et Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2004 CAF 287, [2005] 1 R.C.F. 403 (Blank 2004), le juge a conclu que la Cour n’était pas compétente pour rendre une telle ordonnance en l’absence de motifs de croire que l’intégrité des dossiers avait été compromise. Après avoir lu attentivement la version non caviardée des documents invoqués par l’appelant pour faire valoir la mauvaise foi de l’intimé, je me vois incapable de trancher en faveur de l’appelant. Bien que la décision de retirer (plutôt que de biffer) les icônes montrant l’existence d’annexes à certains documents puisse être regrettable, le dossier démontre qu’elle découle de la croyance que ces annexes étaient des renseignements confidentiels et que certaines icônes dévoilaient l’existence de renseignements confidentiels. Le dossier ne démontre pas que l’intimé a modifié les documents ou a tenté de se soustraire aux obligations que lui confère la Loi.

[35]           Comme la Cour d’instance inférieure l’a noté, l’appelant a déposé 96 demandes d’accès à l’information, et le ministère de la Justice avait examiné 61 312 pages en date du mois de janvier 2010. Dans ces circonstances, il n’est pas surprenant que certains documents lui aient échappé dans les premières étapes du processus de collecte ou qu’ils aient été communiqués par la suite. Je note également que l’appelant a constamment demandé depuis les quinze dernières années des recherches et une communication approfondies au motif que des documents manquaient. Ces prétentions et requêtes ont toutes été rejetées par la Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale (voir Blank 2000, par. 9, 15 et 19; Blank 2004, par. 76 et 77, Blank c. Canada (Environnement), 2006 CF 1253, [2006] A.C.F. no 1635, par. 33(g), conf. 2007 CAF 289, [2007] ACF no 1218; Blank c. Canada (Justice), 2015 CF 956, [2015] A.C.F. no 949, par. 56 (Blank 2015)).

[36]           Répétons-le, en vertu de la Loi, le rôle principal de surveillance appartient au commissaire. Le rôle de la Cour fédérale est étroitement circonscrit : l’article 41, s’il est interprété à la lumière des articles 48 et 49, limite le pouvoir de la Cour fédérale en matière de révision à ordonner la communication de dossiers précis lorsqu’elle a été refusée en contravention à la Loi. À moins que le législateur ne change la loi, il n’appartient pas à la Cour d’ordonner et de superviser la collecte des dossiers détenus par l’administrateur d’une institution publique ou d’examiner la façon dont les institutions publiques répondent aux demandes d’accès, à l’exception peut-être des circonstances les plus flagrantes de mauvaise foi. Le dossier confidentiel dont je dispose ne me donne pas de motifs raisonnables de conclure à une tentative de compromettre l’intégrité des dossiers. Par conséquent, le juge n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il n’avait pas la compétence d’ordonner une recherche plus poussée de ces dossiers.

D.                Le juge a-t-il commis une erreur en décidant que les parties caviardées du dossier étaient protégées par le secret professionnel de l’avocat?

[37]           L’appelant affirme que le juge a commis une erreur en concluant que les parties du dossier caviardées ou supprimées étaient visées par l’exception relative au secret professionnel de l’avocat prévue à l’article 23 de la Loi, et ce pour deux raisons. Premièrement, ce privilège était éteint, car ces documents avaient été créés principalement pour l’instance criminelle, à l’égard de laquelle un arrêt des procédures avait été ordonné. Deuxièmement, l’appelant prétend que ce privilège a été vicié par un abus de procédures, le substitut de la Couronne lui ayant fait une proposition inacceptable, à savoir de retirer les accusations dans l’instance criminelle en contrepartie du retrait du recours en responsabilité civile.

[38]           Le secret professionnel de l’avocat a évolué au fil du temps, passant d’une règle de preuve à une règle de droit positif (Descôteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860 (Descôteaux)). Cette règle a même été décrite comme un « droit civil fondamental » (Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, p. 839 (Solosky)), et le juge en chef Lamer est allé jusqu’à dire que « les rapports et les communications entre l’avocat et son client sont essentiels au bon fonctionnement du système juridique » (R. c. Gruenke, [1991] 3 R.C.S. 263).

[39]           Le secret professionnel de l’avocat se divise en deux privilèges distincts ayant chacun un fondement, une portée et une durée distincts. Le professeur Sharpe (tel était alors son titre) a souligné les différences entre le privilège relatif au litige et le secret professionnel de l’avocat :

[traduction]

Il est crucial de faire la distinction entre le privilège relatif au litige et le secret professionnel de l’avocat. Au moins trois différences importantes, à mon sens, existent entre les deux. Premièrement, le secret professionnel de l’avocat ne s’applique qu’aux communications confidentielles entre le client et son avocat. Le privilège relatif au litige, en revanche, s’applique aux communications à caractère non confidentiel entre l’avocat et des tiers et englobe même des documents qui ne sont pas de la nature d’une communication. Deuxièmement, le secret professionnel de l’avocat existe chaque fois qu’un client consulte son avocat, que ce soit à propos d’un litige ou non. Le privilège relatif au litige, en revanche, ne s’applique que dans le contexte du litige lui-même. Troisièmement, et c’est ce qui importe le plus, le fondement du secret professionnel de l’avocat est très différent de celui du privilège relatif au litige. Cette différence mérite qu’on s’y arrête. L’intérêt qui sous-tend la protection contre la divulgation accordée aux communications entre un client et son avocat est l’intérêt de tous les citoyens dans la possibilité de consulter sans réserve et facilement un avocat. Si une personne ne peut pas faire de confidences à un avocat en sachant que ce qu’elle lui confie ne sera pas révélé, il lui sera difficile, voire impossible, d’obtenir en toute franchise des conseils juridiques judicieux.

Le privilège relatif au litige, en revanche, est adapté directement au processus du litige. Son but ne s’explique pas valablement par la nécessité de protéger les communications entre un avocat et son client pour permettre au client d’obtenir des conseils juridiques, soit l’intérêt que protège le secret professionnel de l’avocat. Son objet se rattache plus particulièrement aux besoins du processus du procès contradictoire. Le privilège relatif au litige est basé sur le besoin d’une zone protégée destinée à faciliter, pour l’avocat, l’enquête et la préparation du dossier en vue de l’instruction contradictoire. Autrement dit, le privilège relatif au litige vise à faciliter un processus (le processus contradictoire), tandis que le secret professionnel de l’avocat vise à protéger une relation (la relation de confiance entre un avocat et son client).

[R.J. Sharpe, « Claiming Privilege in the Discovery Process », dans Law in Transition: Evidence – Special Lectures of the Law Society of Upper Canada (Don Mills, Ont : Richard De Boo, 1984) p. 164 et 165, citée dans Blank CSC, par. 28.]

[40]           Bien que le privilège relatif au litige ne soit pas visé expressément à l’article 23 de la Loi, la Cour suprême du Canada a confirmé dans l’arrêt Blank CSC que l’expression « le secret professionnel qui lie un avocat à son client » qui figure à cet article renvoie tant au secret professionnel de l’avocat qu’au privilège relatif au litige (Blank CSC, par. 3 et 4). Cela dit, la Cour suprême a clairement indiqué que le privilège relatif au litige s’applique aux documents créés principalement pour un litige et s’éteint avec le litige (voir Blank CSC, par. 35 à 37 et 58 à 60). À cet égard, la Cour suprême a soutenu que le terme « litige » devait recevoir une définition élargie qui comprend « les procédures distinctes qui opposent les mêmes parties ou des parties liées et qui découlent de la même cause d’action [...] ou d’une cause d’action connexe » (Blank CSC, par. 38 et 39). Néanmoins, les poursuites criminelles et les poursuites civiles émanent de sources juridiques différentes et ne sont donc pas reliées (Blank CSC, par. 43).

[41]           En l’espèce, les exceptions invoquées concernent le privilège relatif aux conseils juridiques et le privilège relatif au litige. La majorité des dossiers dont la communication a été refusée (ou les parties de ceux-ci) constituent des communications des avocats du ministère de la Justice ou du cabinet juridique représentant l’appelant dans le litige civil au sujet de ce dernier. Ce n’est pas surprenant, compte tenu des termes de la demande d’accès à l’information présentée par l’appelant. Puisque la poursuite civile contre l’intimé, ses employés et ses représentants est actuellement en instance devant la Cour du banc de la Reine du Manitoba, le litige est toujours actif, et le privilège relatif au litige s’applique.

[42]           Certains dossiers ont été créés pour la poursuite criminelle, mais sont inextricablement liés aux discussions portant sur le litige civil. Ce n’est pas surprenant non plus, car le litige civil a été intenté deux ans l’arrêt de la poursuite criminelle. Il s’ensuit que ces dossiers sont également protégés par le privilège relatif au litige. Seuls quelques-uns de ces documents intéressent uniquement la poursuite criminelle et traitent de la décision de surseoir aux accusations. Ces documents seront abordés ci-après.

[43]           Par conséquent, je suis d’accord avec le juge pour dire que les exceptions invoquées en vertu de l’article 23 s’appliquent à bon droit et que le ministère de la Justice a raisonnablement exercé le pouvoir discrétionnaire qui l’habilite à refuser la communication de certaines parties du dossier. Contrairement à la situation examinée par la Cour suprême dans l’affaire Blank CSC, le litige qui nous intéresse en l’espèce est non pas la poursuite criminelle, mais la poursuite civile qui est actuellement devant les cours du Manitoba. Puisque ce litige n’a pas encore été réglé, le privilège relatif au litige s’applique.

[44]           Quant aux quelques documents intéressant exclusivement la poursuite criminelle, même si le privilège relatif au litige ne s’applique plus, ils sont visés par le secret professionnel de l’avocat. Il faut qu’un document (ou une partie de celui-ci) satisfasse à quatre critères pour être assimilé à un avis juridique faisant intervenir ce privilège : 1) il doit y avoir une communication; 2) à titre confidentiel; 3) avec un conseiller juridique professionnel; 4) en vue de donner et de recevoir un conseil juridique (Descôteaux, p. 873 et 874; Solosky, p. 837; R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565, par. 49 (R. c. Campbell)).

[45]           Mon examen minutieux des versions non caviardées m’a convaincu que tous les documents contestés concernant exclusivement la poursuite criminelle satisfont à ces quatre critères. Tous ces documents sont constitués de lettres, de notes de service et de courriels qui contiennent des conseils juridiques ou y font référence et qui ont été échangés entre les avocats fonctionnaires, les mandataires de la Couronne et les représentants ministériels. Ils sont donc visés par le secret professionnel de l’avocat, qui est permanent.

[46]           Il est également nécessaire de voir dans quelle mesure le secret professionnel de l’avocat s’applique aux conseils donnés par les avocats fonctionnaires.

[47]           Dans l’arrêt de principe R. c. Campbell, la Cour suprême a conclu que le secret professionnel de l’avocat intervient lorsque les avocats fonctionnaires donnent des conseils juridiques à leurs clients, dans ce cas, la Gendarmerie royale du Canada. La Cour a ajouté que le privilège ne protégera toutefois pas les conseils donnés par un avocat fonctionnaire au sujet de questions de politique générale qui n’ont rien à voir avec les compétences en droit de l’intéressé. Comme la Cour le dit, « [l]e secret professionnel de l’avocat s’appliquera ou non à ces situations selon la nature de la relation, l’objet de l’avis et les circonstances dans lesquelles il est demandé et fourni » (R. c. Campbell, par. 50; voir également Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), 2004 CSC 31, [2004] 1 R.S.C. 809).

[48]           Au cœur des documents contestés se trouve une note de service rédigée par un avocat du Service fédéral des poursuites à propos de l’opportunité de surseoir ou non aux accusations criminelles portées contre M. Blank et son entreprise. Cette note de service a été distribuée aux hauts fonctionnaires du SFP et a fait l’objet d’une série de modifications. Les avocats au sein des Services juridiques ministériels (SJM) d’Environnement Canada en ont reçu une copie pour commentaires. Puisque l’appelant avait été accusé en vertu de la Loi sur les pêches, il semblerait raisonnable que le SFP souhaite obtenir l’avis de ce ministère et ouvrir le dialogue avant d’en arriver à une décision définitive. Les SJM ont répondu au SFP par une note de service l’informant de la position du ministère relativement à la démarche proposée. Ces deux notes de service expliquent, du moins en partie, pourquoi, sur le plan juridique, il était opportun ou non d’arrêter les procédures dans les circonstances. Une note de service finale et révisée a été envoyée à l’avocat général principal par intérim et directeur de la division du droit criminel.

[49]           À mon avis, ces communications sont protégées par le privilège relatif aux avis juridiques, et tout particulièrement celles entre les avocats de la Couronne du SFP et les SJM du ministère de l’Environnement. Ces communications satisfont manifestement à tous les critères élaborés dans l’arrêt Descôteaux. Elles contiennent un avis juridique confidentiel concernant la poursuite en cours, comme le démontre le fait que cet avis cite de la jurisprudence et de la législation et aborde l’opportunité d’un arrêt des procédures. Le courriel de réponse des SJM comportait les déclarations suivantes : [traduction] « protégé par le secret professionnel de l’avocat » et « réservé au ministère de la Justice ». De plus, les rapports entre le SFP et Environnement Canada sont assimilés à ceux qui lient un avocat à son client. Ces communications concernaient des avis juridiques donnés par les avocats d’un ministère fédéral à des avocats travaillant d’un autre ministère dans le contexte d’un dialogue continu à l’égard des accusations criminelles existantes. Par conséquent, elles étaient visées par le secret professionnel de l’avocat, et leur communication à l’appelant a été refusée à bon droit.

[50]           Je crois que la version définitive de la note de service de l’avocat de la Couronne à l’avocat général principal par intérim et directeur de la division du droit criminel sur l’opportunité de surseoir aux accusations est également visée par le privilège relatif aux avis juridiques. Comme je le mentionne précédemment, la réponse à la question de savoir si le privilège relatif aux avis juridiques s’applique à un avis donné par des avocats fonctionnaires dans l’exercice de leurs responsabilités dépend de la nature des rapports, de l’objet de l’avis et des circonstances dans lesquelles celui-ci est demandé et donné.

[51]           Aux termes de l’article 579 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, « [l]e procureur général ou le procureur mandaté par lui à cette fin » peut, à tout moment, ordonner l’arrêt des procédures avant qu’un jugement ne soit rendu. Le dossier ne permet pas de savoir avec certitude qui avait l’autorité déléguée de prendre cette décision au nom du procureur général au moment pertinent. Que ce soit l’avocat général principal par intérim et directeur de la division du droit criminel, le sous-procureur général adjoint ou tout autre haut fonctionnaire, la décision d’arrêter les procédures, tout comme celle d’opter pour une mise en accusation ou celle d’interjeter appel, implique de nombreuses considérations étant souvent d’une portée différente de la décision de porter ou non des accusations.

[52]           Il existe une relation du type avocat-client entre un procureur de la Couronne et le procureur général ou ses mandataires lorsqu’un avis juridique est demandé et obtenu dans ce contexte. Avant d’exercer les fonctions que lui confère la loi, le procureur général ou son délégué est en droit de recevoir un avis juridique. En effet, un ministre de la Couronne n’est pas moins en droit d’obtenir un avis juridique dans l’exercice de ses fonctions que toute partie à un litige privé. À cet égard, je cite les motifs du juge Brennan de la Haute Cour de l’Australie dans l’arrêt Waterford v. Australia (1987), 163 C.L.R. 54 (H.C.A.), aux pages 74 et 75, cité dans l’arrêt R. v. Ahmad (2008), 77 W.C.B. (2d) 804, 59 C.R. (6th) 308 (Ont. S.C.) (R. v. Ahmad) :

[traduction]

... Je pense que l’intérêt public est réellement servi lorsqu’on accorde aux professionnels juridiques le privilège relatif aux communications créées par un ministère gouvernemental afin de demander ou d’obtenir des avis juridiques sur la nature et la portée des pouvoirs, fonctions et obligations des fonctionnaires de l’État et la façon dont ils doivent être exercés ou exécutés. Si le titulaire du pouvoir ne connaît pas la portée ou la nature de ce pouvoir ou s’il ne saisit pas la portée des restrictions légales sur la façon dont il doit l’exercer, il y a un risque important qu’il l’exerce à tort. La même réflexion s’applique à l’exécution des fonctions et des obligations. L’intérêt public qui veut diminuer les risques en encourageant le recours aux avis juridiques est supérieur, peut-être, à l’intérêt public voulant diminuer les risques qu’un particulier puisse agir sans bien comprendre ses droits et obligations légales. Tant pour l’État que pour les particuliers, le secret professionnel de l’avocat tend à favoriser l’application de la loi, et le public a un grand intérêt au maintien de la primauté du droit dans l’administration publique. Pourvu que l’unique objet pour lequel le document a été créé soit d’obtenir ou de donner un avis juridique relativement à l’exécution d’un pouvoir, d’une fonction ou d’une obligation conférés par la loi, il n’existe aucune raison de soustraire ce document au privilège du secret professionnel de l’avocat. [Non souligné dans l’original.]

[53]           Un examen du contexte entourant la note de service m’amène à conclure que le document satisfait à tous les critères requis pour que le secret professionnel de l’avocat s’applique. Il s’agit d’une communication faite à titre confidentiel par un avocat dans le but de fournir un avis juridique à l’intimé. Il ne s’agit pas d’une communication ayant pour objet de solliciter le consentement à une démarche particulière, mais bien d’une véritable recommandation de nature juridique. À cet égard, cette communication est assimilée à la note de service d’un avocat de la Couronne au procureur général ou à son délégué sur l’opportunité de procéder par voie de mise en accusation (R. v. Ahmad et R. v. Chan, 2003 ABQB 169, 172 C.C.C. (3d) 349) ou d’interjeter appel (Samaroo v. Canada Revenue Agency, 2014 BCSC 1349, [2014] B.C.J. No. 1879). Le fait que la note de service a été rédigée par l’avocat de la Couronne chargé du dossier, après consultation d’autres avocats, n’empêche pas qu’elle procède de la nature d’un avis juridique. Comme la Haute Cour de justice de l’Ontario le dit dans l’affaire R. c. Ahmad, l’avocat de la Couronne peut porter deux chapeaux : tout en étant intimement lié à la poursuite, il est également l’avocat le mieux placé pour donner un avis juridique sur le dossier.

[54]           La teneur de la note de service, plus particulièrement lorsqu’elle est examinée à la lumière des circonstances ayant présidé à sa rédaction, démontre qu’il s’agissait d’une communication confidentielle. Les circonstances qui, de concert avec la teneur de la note de service, étayent une conclusion de confidentialité comprennent notamment la nature complexe de la poursuite, son historique procédural unique, la publicité entourant l’affaire et le recours civil en cours intenté contre l’intimé et certains de ses employés et représentants.

[55]           Je sais que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu, dans l’arrêt British Columbia (Attorney General) v. Davies, 2009 BCCA 337, [2009] B.C.J. No. 1469, que les communications entre les avocats de la Couronne à propos de décisions quant aux accusations à porter ne sont pas protégées par le secret professionnel de l’avocat, étant donné qu’elles ne s’inscrivent pas dans une relation avocat-client. Cette situation se distingue toutefois de l’espèce. Au moment d’exercer le pouvoir discrétionnaire l’habilitant à porter ou non des accusations, l’avocat de la Couronne peut consulter ses collègues, mais la décision finale lui appartient. L’avis ainsi sollicité n’est pas comparable à celui qu’un client demande à un autre avocat. Comme la Cour d’appel de la Colombie-Britannique le fait observer, le simple fait que le procureur général ou ses délégués puissent écarter la décision d’un de ses subalternes ne suffit pas pour assimiler cette décision à un avis juridique. Cependant, la Cour d’appel a reconnu volontiers que le secret professionnel de l’avocat est susceptible de s’appliquer dans d’autres situations où l’avocat de la Couronne donne un véritable avis juridique :

[traduction]

[107] Cette conclusion ne devrait pas non plus laisser croire qu’un avocat de la Couronne ne peut jamais faire valoir ce privilège. Dans un autre contexte que celui du processus d’approbation des accusations, il est tout à fait possible que l’avocat de la Couronne demande l’avis d’un autre avocat de la Couronne ou d’un avocat indépendant. Ces communications sont visées par le secret professionnel de l’avocat. Il est possible que, même dans le contexte du processus d’approbation des accusations, des situations inhabituelles surviennent pour lesquelles le procureur général, le sous‑procureur général, le sous-procureur général adjoint ou un avocat de la Couronne demande un avis juridique relatif aux limites des pouvoirs que lui confère la Crown Counsel Act. Dans de telles circonstances, l’avis serait reçu dans le contexte d’une relation avocat-client et serait donc visé par le secret professionnel de l’avocat.

[56]           À mon avis, la décision d’arrêter les procédures dans une instance aussi délicate que celle en l’espèce n’est pas de même nature que la décision routinière de porter ou non des accusations qui est prise par l’avocat de la Couronne dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire relatif aux poursuites et peut à tout le moins être assimilée à l’une des situations inhabituelles envisagées par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans le paragraphe précité. La note de service en litige a manifestement été rédigée à titre de recommandation, et le procureur général ou son délégué était en droit d’obtenir une telle recommandation avant d’exercer le pouvoir que lui confère l’article 579 du Code criminel. Par conséquent, je conclus qu’elle était visée par le secret professionnel de l’avocat.

[57]           La seule question qui reste à trancher est donc de savoir si le secret professionnel de l’avocat qui protège les dossiers contestés a été vicié par un abus de procédure. Dans une décision antérieure concernant l’appelant, la Cour suprême a explicitement analysé cette possibilité :

Quoi qu’il en soit, le privilège relatif au litige ne saurait protéger contre la divulgation d’éléments de preuve démontrant un abus de procédure ou une conduite répréhensible similaire de la part de la partie qui le revendique. Il ne s’agit pas d’un puits sans fond duquel la preuve que l’on s’est mal conduit ne pourra jamais être extraite pour être exposée au grand jour.

Même lorsque des documents seraient autrement protégés par le privilège relatif au litige, l’auteur d’une demande d’accès peut en obtenir la divulgation, s’il démontre prima facie que l’autre partie a eu une conduite donnant ouverture à action dans le cadre de la procédure à l’égard de laquelle elle revendique le privilège. Peu importe que le privilège soit revendiqué dans le cadre du litige initial ou d’un litige connexe, le tribunal peut examiner les documents afin de décider s’il y a lieu d’ordonner leur divulgation pour ce motif.

[Blank CSC, par. 44 et 45.]

[58]           Dans une décision ultérieure, la Cour suprême semble avoir restreint les exceptions au secret professionnel de l’avocat (du moins en ce qui concerne l’avis juridique) aux communications qui sont « criminelles en elles‑mêmes ou qui tendraient à réaliser une fin criminelle ». La Cour ajoute que « [l]a nature extrêmement restreinte de cette exception fait ressortir, plutôt que l’atténuer, la suprématie de la règle générale selon laquelle le privilège du secret professionnel de l’avocat est établi et préservé de façon “aussi absolu[e] que possible pour assurer la confiance du public et demeurer pertinent” » (Blood Tribe, par. 10, citant R. c. McClure, 2001 CSC 14, [2001] 1 R.C.S. 445, par. 35).

[59]           L’appelant a fait valoir devant le juge et notre Cour que le privilège a été utilisé pour dissimuler une inconduite de la part de la Couronne et l’offre inacceptable du mandataire de la Couronne, soit le retrait des accusations relatives à la poursuite criminelle en échange d’une renonciation à la poursuite en responsabilité civile. Il appartenait manifestement à l’appelant de démontrer le bien-fondé cette prétention (voir Blank c. Canada (Environnement), 2007 CAF 289, par. 10). Après examen des dossiers confidentiels, le juge n’a trouvé aucun élément de preuve démontrant un abus de procédure, une inconduite ou des communications « criminelles en elles‑mêmes ou qui tendraient à réaliser une fin criminelle ».

[60]           Après le jugement rendu par la Cour suprême dans l’affaire Blood Tribe, la Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale ont conclu à maintes reprises qu’une conduite répréhensible ou un abus de procédure ne sont pas suffisants pour écarter le secret professionnel de l’avocat (voir Blank c. Canada (Justice), 2010 CAF 183, par. 20; Blank c. Canada (Justice), 2015 CF 460, [2015] A.C.F. no 441, par. 14; Blank c. Canada (Environnement), 2015 CF 1251, [2015] A.C.F. n1299; Blank 2015, par. 52 et 53). Après avoir attentivement examiné les documents contestés, je suis d’avis que les communications ne puissent être caractérisées comme étant « criminelles en elles‑mêmes ou qui tendraient à réaliser une fin criminelle ». Le juge n’a pas non plus commis d’erreur en concluant que la preuve ne lui permettait pas de conclure à une inconduite ou à une tentative de dissimuler une conduite répréhensible ou un abus de procédure.

[61]           Pour les motifs qui précèdent, je suis donc d’avis que les parties caviardées du dossier étaient protégées par le secret professionnel de l’avocat et que le juge n’a pas commis d’erreur en arrivant à cette conclusion.

E.                 Le juge a-t-il commis une erreur en adjugeant des dépens?

[62]           L’appelant soutient que le juge a commis une erreur de droit en ne reconnaissant pas qu’une condamnation aux dépens à hauteur de 7 000 $ aurait pour effet de décourager les citoyens souhaitant faire valoir leur droit à un contrôle indépendant du refus de communiquer des dossiers par une institution publique. Il fait également valoir que les dépens auraient pu lui être accordés conformément au paragraphe 53(2) de la Loi, étant donné qu’il a soulevé un principe important et nouveau.

[63]           Il est bien établi que l’adjudication des dépens est un exemple typique d’une décision discrétionnaire. Cette décision ne devrait donc être annulée en appel que si le tribunal inférieur « a commis une erreur de principe ou si cette attribution est nettement erronée » (Sun Indalex Finance, LLC c. Syndicat des Métallos, [2013] 1 R.C.S. 271, 2013 CSC 6, par. 247).

[64]           Certes, le paragraphe 53(2) de la Loi dispose que les dépens peuvent être accordés à la personne ayant exercé le recours, mais ayant été déboutée, lorsque la Cour est convaincue que la demande a soulevé un principe important et nouveau quant à la Loi. Le juge a toutefois fait observer que la demande concernait un argument fondamental qui avait déjà été soulevé à plusieurs reprises devant la Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale, c’est-à-dire que le secret professionnel de l’avocat avait servi à faire obstacle à la communication de la preuve d’une inconduite. Quant au paragraphe 4(2.1) de la Loi, qui traite de la responsabilité accrue de l’institution fédérale de prêter assistance à la personne faisant une demande d’accès et de donner suite à sa demande de façon précise, complète et en temps utile, je suis d’accord avec l’intimé que ce principe ne saurait élargir la portée d’une demande déposée en vertu de l’article 41. Par conséquent, le juge pouvait, en vertu de l’article 53(1) de la Loi, ordonner que les dépens suivent l’issue de la cause.

[65]           Si l’on songe que, si le tarif par défaut avait été appliqué, des dépens de l’ordre de 20 790 $, sans les débours, auraient pu être accordés à l’intimé et compte tenu de la gravité des prétentions de l’appelant, du fait que la Cour les a rejetées ainsi que de la durée et de la complexité de l’instance, la condamnation de l’appelant aux dépens, d’un montant de 7 000 $, n’était ni manifestement erronée ni ne constituait une erreur de principe. Par conséquent, il n’y a pas de raison de modifier cette ordonnance.

VI.             Conclusion

[66]           Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis que l’appel devrait être rejeté avec dépens en faveur de l’intimé, fixés à 2 000 $.

« Yves de Montigny »

j.c.a

« Je suis d’accord.

Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

C. Michael Ryer, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-378-15

INTITULÉ :

SHELDON BLANK c. LE MINISTRE DE LA JUSTICE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 février 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE RYER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

Me Joseph Irving

 

Pour l’appelant

 

Me John Faulhammer

Me Scott Farlinger

 

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

J.W. Irving & Company

Avocats

Mississauga (Ontario)

 

Pour l’appelant

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

Pour l’intimé

 

 

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