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Date : 20160615


Dossier : A-215-14

Référence : 2016 CAF 180

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE STRATAS

LE JUGE BOIVIN

 

 

ENTRE :

GARY HENNESSEY

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador) le 7 juin 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 15 juin 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE BOIVIN

 


Date : 20160615


Dossier : A-215-14

Référence : 2016 CAF 180

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE STRATAS

LE JUGE BOIVIN

 

 

ENTRE :

GARY HENNESSEY

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STRATAS

[1]               L’appelant interjette appel du jugement rendu le 24 mars 2014 par la Cour fédérale (2014 CF 286) sous la plume du juge Barnes. Dans de longs motifs détaillés et soignés, la Cour fédérale a rejeté l’action en dommages-intérêts fondée sur de prétendus actes accomplis par des fonctionnaires de l’Agence du revenu du Canada.

[2]               Après un procès ayant duré 14 jours, la Cour fédérale a conclu, au vu de la preuve, qu’aucun des moyens invoqués n’avait été établi. Plus précisément, la Cour fédérale a conclu que les fonctionnaires de l’Agence du revenu du Canada n’avaient pas agi de façon malveillante et illégale ni porté atteinte aux droits que l’appelant tire de la Charte dans leurs tentatives de recouvrer auprès de lui l’arriéré des versements des retenues sur la paye.

[3]               Tout juste après le début de l’audience d’appel, nous avons informé l’appelant, qui se représente lui-même, du droit concernant la norme de contrôle applicable en appel. Nous l’avons invité à indiquer les erreurs de droit ou les erreurs manifestes et dominantes dans les motifs de la Cour fédérale.

[4]               L’appelant n’y est pas parvenu. Essentiellement, il nous a priés de soupeser de nouveau la preuve et d’en arriver à des conclusions différentes de celles tirées par la Cour fédérale, ce que notre Cour, en tant que cour d’appel, ne peut faire (voir, par exemple, Astrazeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2011 CAF 211, par. 8; Hershkovitz c. Tyco Safety Products Canada Ltd., 2010 CAF 190, par. 39).

[5]               Il est notoire qu’en l’absence d’une erreur de droit ou d’une erreur de principe à l’origine d’une conclusion mixte de droit et de fait, un jugement de la Cour fédérale rejetant une action ne peut être annulé que si une erreur manifeste et dominante est prouvée (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235). L’erreur manifeste et dominante est une norme difficile, à laquelle il est rarement satisfait.

Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier.

(Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, par. 46.)

[6]               L’appelant n’a pas relevé d’erreur de droit ni d’erreur de principe pouvant être dégagée sur lesquelles serait fondée une conclusion mixte de droit et de fait tirée par la Cour fédérale. À mon avis, les motifs de la Cour fédérale ne contiennent aucune pareille erreur. La Cour fédérale n’a pas mal exposé ou mal appliqué le droit ou un principe juridique quelconque.

[7]               En outre, la Cour fédérale n’a commis aucune erreur manifeste et dominante. Toutes ses conclusions factuelles et ses conclusions sur des questions mixtes de fait et de droit où les faits dominent étaient fondées sur la preuve dont elle disposait.

[8]               Devant nous, l’appelant a semblé laisser entendre que la Cour fédérale avait fait fi de certains des éléments de preuve dont elle disposait ou fourni des motifs inadéquats pour ses conclusions. Je ne suis pas d’accord.

[9]               À moins d’être convaincue du contraire, une cour d’appel comme la nôtre doit présumer que le tribunal de première instance a examiné tous les éléments de preuve dont il disposait (Housen, précité, par. 46). En l’espèce, l’appelant n’a pas réfuté cette présomption.

[10]           De plus, les motifs du jugement doivent être adéquats, sans plus; ils ne se veulent pas une description encyclopédique de la moindre parcelle de preuve offerte par les parties. C’est particulièrement vrai dans le cas de longs procès, comme celui qui nous occupe. Je fais mien le raisonnement suivant tiré de la décision South Yukon (par. 49-51), à mon avis tout à fait pertinent en l’espèce :

Les juges de première instance qui, jour après jour et semaine après semaine, sont plongés dans des procès longs et complexes comme c’est le cas en l’espèce, occupent une position unique et privilégiée. Armés des outils de la logique et de la raison, ils étudient et examinent tous les témoignages et toutes les pièces. Au fil du temps, une appréciation des faits se dégage, évolue et finalement prend la forme d’un récit factuel, plein d’interconnexions, de détails et de nuances complexes.

Lorsque vient le temps de rédiger les motifs d’une cause complexe, les juges de première instance n’essaient pas de rédiger une encyclopédie où les plus petits détails factuels seraient consignés, et ils ne le peuvent d’ailleurs pas. Ils examinent minutieusement des masses de renseignements et en font la synthèse, en séparant le bon grain de l’ivraie, et en ne formulant finalement que les conclusions de fait les plus importantes et leurs justifications.

Parfois, des appelants soutiennent, en invoquant l’erreur manifeste et dominante, que les motifs ne mentionnent pas certaines questions qu’ils estiment importantes, ou ne le font que sommairement. Pour juger de la validité d’une telle prétention, il faut veiller à bien faire la différence entre l’erreur manifeste et dominante véritable, d’une part, et le sous-produit légitime de l’examen minutieux et de la synthèse ou les formulations inadéquates innocentes, d’autre part.

[11]           Dans une autre affaire, la Cour a tenu les propos suivants :

Nous ne pouvons pas exiger des juges qu’ils discutent explicitement toutes les questions sans exception dont ils sont saisis et qu’ils fassent état des éléments évidents; il ne s’agit pas pour eux d’indiquer comment ils sont parvenus à leur conclusion, ni d’une invitation à suivre leur raisonnement : R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, [2008] 3 R.C.S. 3, aux paragraphes 17, 43 et 44; R. c. Dinardo, 2008 CSC 24, [2008] 1 R.C.S. 788, au paragraphe 25; R. c. Walker, 2008 CSC 34, [2008] 2 R.C.S. 245, au paragraphe 27. Nous préférons plutôt retenir une approche très pratique et fonctionnelle à l’égard de la suffisance des motifs : voir, par exemple, R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, [2002] 1 R.C.S. 869, au paragraphe 55; R.E.M., précité, au paragraphe 35; Hill c. Commission des services policiers de la municipalité régionale de Hamilton-Wentworth, 2007 CSC 41, [2007] 3 R.C.S. 129, au paragraphe 101. Les motifs doivent être considérés dans leur ensemble et dans leur contexte global, y compris les éléments de preuve versés au dossier, les observations des parties, les questions en litige devant la juridiction et le fait que les juges sont censés connaître les principes fondamentaux du droit : R.E.M., précité, aux paragraphes 35 et 45. Ce qui importe, c’est que ces motifs, aussi brefs qu’ils puissent être, soient intelligibles ou aptes à être compris et se prêtent à un examen valable en appel : Sheppard, précité, au paragraphe 25; R. c. Gagnon, 2006 CSC 17, [2006] 1 R.C.S. 621; R.E.M., précité, au paragraphe 35.

(Canada c. Première nation de Long Plain, 2015 CAF 177, par. 143)

[12]           Les motifs de la Cour fédérale satisfont aisément à ces critères. Loin d’être déficients, ils constituent plutôt un modèle de clarté et présentent des conclusions factuelles claires, notamment des conclusions solides concernant la crédibilité de l’appelant en tant que témoin qu’ils étayent par d’amples détails et explications.

[13]           L’appelant prétend également que la Cour fédérale était partiale. Il invoque à cet effet en partie des éléments de preuve qu’il a cherché en vain à produire dans le présent appel au moyen d’une requête interlocutoire déposée un peu plus tôt cette année. Ces éléments de preuve concernaient certains mots que la Cour fédérale aurait prétendument prononcés à l’audience ainsi que l’assertion selon laquelle l’enregistrement audio de l’audience avait été modifié pour en retrancher ces mots. La Cour a rejeté la requête. L’appelant n’a pas demandé l’autorisation d’interjeter appel de cette décision. Par conséquent, dans l’état actuel des choses, l’assertion de partialité formulée par l’appelant ne peut reposer sur ces éléments de preuve.

[14]           Cependant, même si la requête interlocutoire avait été accueillie et qu’il nous était permis d’examiner les éléments de preuve produits par l’appelant, je rejetterais quand même cette assertion de partialité.

[15]           Le critère à appliquer pour juger d’un cas de partialité consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » (Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie (1976), [1978] 1 R.S.C. 369, page 394, 1976 CanLII 2 (CSC); Trevor Nicholas Construction Co. Ltd. c. Canada (Ministre des travaux publics), 2003 CAF 277, par. 8). Ce critère n’est pas respecté en l’espèce.

[16]           Selon l’appelant (voir le par. 35 de son mémoire des faits et du droit), la première journée du procès, la Cour fédérale a demandé avec insistance à son avocat où étaient les éléments de preuve appuyant l’idée d’une [traduction] « grosse conspiration ». À supposer que la Cour fédérale ait prononcé ces mots, ils doivent être examinés en contexte.

[17]           La Cour fédérale — consciente de la nécessité de régler les litiges de façon expéditive et économique, comme il est énoncé à l’article 3 des Règles des Cours fédérales, D.O.R.S./98-106 — avait entièrement le droit de poser ce genre de question. Une personne raisonnable, sensée et bien renseignée ne considérerait pas que ces mots expriment un préjugé relativement au dossier de l’appelant. Au contraire, cette personne jugerait qu’il s’agit d’une intervention visant à encourager l’appelant à en venir aux vraies questions en litige. À supposer que la Cour fédérale ait prononcé les mots litigieux, il s’agissait d’un exemple de saine gestion des instances, et non de partialité.

[18]           L’appelant laisse entendre également (au par. 35 de son mémoire des faits et du droit aussi) que la Cour fédérale a fait preuve de partialité en exprimant de la frustration après plusieurs jours d’audience en raison de l’absence totale de preuve appuyant la thèse de l’appelant. Du point de vue de la personne raisonnable, sensée et bien renseignée, la Cour visait ainsi à encourager l’appelant à produire des éléments de preuve pertinents et à en venir au fait. Il s’agissait là encore d’un exemple de saine gestion des instances, et non de partialité.

[19]           Selon l’appelant, la Cour fédérale était aussi partiale parce qu’elle ne l’a pas aidé à obtenir les coordonnées d’un fonctionnaire de l’Agence du revenu du Canada. La décision en l’espèce rejette une requête précise présentée par l’appelant; elle ne constitue pas un exemple de partialité à l’encontre de son dossier.

[20]           Je ne peux ajouter fois à toutes ces assertions de partialité et d’injustice pour un autre motif. Il est notoire que des assertions de partialité et de manquement à l’équité procédurale en première instance ne sauraient être invoquées en appel ou dans un contrôle judiciaire si elles pouvaient raisonnablement être soulevées en temps opportun devant la juridiction inférieure, en l’occurrence la Cour fédérale (Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 191, [2001] 4 R.C.F. 85; Affaire intéressant le Tribunal des droits de la personne et Énergie atomique Canada Ltée, [1986] 1 C.F. 103 (C.A.), page 113; Maritime Broadcasting System Limited c. La guilde canadienne des médias, 2014 CAF 59, par. 67-68).

[21]           Une partie doit présenter ses objections au moment où elle prend conscience d’un problème de procédure en première instance. Elle doit donner au premier décideur la chance d’aborder la question avant qu’il n’en résulte un préjudice, d’essayer de réparer tout préjudice causé ou de s’expliquer. Une partie, consciente d’un problème de procédure en première instance, ne peut demeurer tapie dans l’herbe, pour bondir une fois que l’affaire est devant la cour d’appel.

[22]           S’il y a eu partialité ou injustice à la Cour fédérale, l’avocat de l’appelant aurait dû formuler des objections. La transcription des débats ne montre aucune objection liée aux points que l’appelant soulève maintenant en appel.

[23]           Au début de l’audience dans l’appel, l’appelant a demandé un ajournement. L’appelant a dit en avoir besoin afin de présenter une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada relativement à la décision sur la requête interlocutoire. Il nous a présenté une copie d’un courriel laissant croire qu’il avait demandé à un groupe d’aide juridique de l’épauler dans cette demande.

[24]           La Cour a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire et d’ajourner l’audience. Dans la mesure du possible, les appels doivent être réglés de manière expéditive (Règles des Cours fédérales, précité, article 3). Au début de l’automne dernier, à la demande de l’appelant, l’audience d’appel avait été ajournée pendant plusieurs mois. Récemment, l’appelant a demandé un ajournement qui lui a été refusé. On peut dire que la dernière demande d’ajournement constitue un cas de remise en cause inacceptable.

[25]           En outre, la raison précise invoquée par l’appelant pour cette demande d’ajournement en particulier, soit la nécessité d’interjeter appel de la requête interlocutoire à la Cour suprême du Canada et l’assistance possible d’un groupe d’aide juridique, ne résiste pas à un examen. La requête interlocutoire aurait dû être présentée il y a des mois, au moment où l’appelant a préparé son dossier d’appel. De plus, le délai prescrit pour présenter une demande d’autorisation d’appel du rejet par notre Cour de la requête est écoulé. Le groupe d’aide juridique ne s’est pas engagé à épauler l’appelant. Enfin, comme je le dis aux paragraphes 14 à 17 et 20 à 22, même si la requête interlocutoire avait été accueillie et que les termes employés par la Cour fédérale étaient admis en preuve en l’espèce, l’assertion de partialité fondée sur ces termes aurait quand même été rejetée, et l’issue du présent appel resterait inchangée.

[26]           L’appelant prétend également que les dépens adjugés par la Cour fédérale doivent être annulés. En exerçant son pouvoir discrétionnaire quant aux dépens, la Cour fédérale a appliqué la bonne règle de droit et a adjugé des dépens justifiés par les faits du dossier. Il n’y a aucune raison de les annuler.

[27]           Dans l’ensemble, je conclus qu’il n’existe aucun motif justifiant de modifier le jugement de la Cour fédérale. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter l’appel, et ce avec dépens.

« David Stratas »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Johanne Trudel, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Richard Boivin, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-215-14

APPEL D’UN JUGEMENT DE MONSIEUR LE JUGE BARNES DATÉ DU 24 MARS 2014, DOSSIER NO T-953-10

INTITULÉ :

GARY HENNESSEY c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 juin 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE BOIVIN

 

DATE :

Le 15 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

Gary Hennessey

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Me Caitlin Ward

Me Maeve Baird

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

Pour l’intimée

 

 

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