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Date : 20160614


Dossier : A-436-15

Référence : 2016 CAF 179

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE SCOTT

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

 

 

ROBERT ARSENAULT

et

LE CONSEIL DES MÉTIERS ET DU TRAVAIL

DES CHANTIERS MARITIMES DU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL (EST)

 

 

demandeurs

 

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et

LE SECRÉTARIAT DU CONSEIL DU TRÉSOR
DU CANADA (MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE)

 

 

défendeurs

 

Audience tenue à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 25 avril 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 juin 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE SCOTT

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE DE MONTIGNY


Date : 20160614


Dossier : A-436-15

Référence : 2016 CAF 179

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE SCOTT

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

ROBERT ARSENAULT

et

LE CONSEIL DES MÉTIERS ET DU TRAVAIL DES CHANTIERS MARITIMES DU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL (EST)

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et

LE SECRÉTARIAT DU CONSEIL DU TRÉSOR DU CANADA (MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE)

défendeurs

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SCOTT

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 (la Loi), visant à faire annuler une décision rendue par un arbitre (l’arbitre) de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) le 22 juin 2015. L’arbitre a rejeté le grief de M. Robert Arsenault (le demandeur Arsenault), au motif que ce dernier avait droit uniquement à la rémunération prévue à la clause 17.03d) de la convention collective datée du 16 juin 2008 intervenue entre le Conseil du Trésor et le Conseil des métiers et du travail des chantiers maritimes du gouvernement fédéral (est) pour le groupe Réparation des navires (la convention collective).

I.                    Les faits

[2]               Les faits ne sont pas contestés. L’employeur du demandeur Arsenault a exigé de lui qu’il se rende à Stockholm, en Suède, pour effectuer des réparations de systèmes sur un navire. Le demandeur Arsenault a donc pris l’avion au départ de Halifax le samedi 5 juin 2010 à 23 h 35, heure locale, et a atterri à Londres le dimanche 6 juin 2010 à 9 h 35, heure locale. Il a passé la nuit à l’hôtel et a quitté Londres pour Stockholm le lendemain matin. La question en litige devant l’arbitre concernait le montant de la rémunération à laquelle avait droit le demandeur Arsenault pour le déplacement de Halifax à Londres, puisque les 5 et 6 juin étaient pour lui des jours de repos.

[3]               Pour cette étape de son voyage — le vol et les déplacements terrestres connexes — le demandeur Arsenault a été en déplacement pendant 11 heures, réparties de la façon suivante : 3 heures et 30 minutes le samedi et 7 heures et 30 minutes le dimanche.

[4]               L’employeur a rémunéré le demandeur, en application de la clause 17.03a) de la convention collective, pour les heures de déplacement des 5 et 6 juin à tarif double, puisque ces deux journées étaient des jours de repos dans son cas. Le demandeur a été rémunéré au total pour l’équivalent de 7 heures au taux des heures normales pour la première journée et de 15 heures au taux des heures normales la deuxième journée, pour un total de 22 heures.

[5]               La clause 17.03 de la convention collective régit les indemnités de déplacement. Cette disposition est ainsi libellée :

Réparation des navires - Est (SRE)

Ship Repair - East (SRE)

17.03 Lorsqu’un employé est tenu par l’Employeur de se rendre à un endroit qui est éloigné de son lieu de travail normal, il est rémunéré dans les conditions suivantes :

17.03 Where an employee is required by the Employer to travel to a point away from the employee’s normal place of work, the employee shall be compensated as follows:

a. Durant n’importe quel jour pendant lequel il voyage mais ne travaille pas, il est rémunéré au taux des heures normales ou au taux des heures supplémentaires applicables durant ses heures de trajet mais le montant total ne doit pas dépasser quinze (15) heures normales.

a. on any day on which the employee travels but does not work, at the applicable straight-time or overtime rate for the hours travelled, but the total amount shall not exceed fifteen (15) hours’ straight time;

b. Durant une journée de travail normale où il voyage et travaille :

b. on a normal workday in which the employee travels and works:

i. pour les heures de travail normales prévues à son horaire, il est rémunéré au taux normal et ne touche pas plus de huit (8) heures de rémunération;

i. during the employee’s regular scheduled hours of work at the straight-time rate not exceeding eight (8) hours’ pay,

ii. au taux des heures supplémentaires pour toute heure effectuée en dehors des heures de travail normales prévues à son horaire;

ii. at the applicable overtime rate for all time worked outside the employee’s regular scheduled hours of work,

iii. au taux des heures supplémentaires applicable pour tout trajet effectué en dehors des heures de travail normales prévues à son horaire jusqu’à un maximum de quinze (15) heures de rémunération calculées au taux normal dans toute période de vingt-quatre (24) heures.

iii. at the applicable overtime rate for all travel outside the employee’s regular scheduled hours of work to a maximum of fifteen (15) hours’ pay at straight time in any twenty-four (24) hour period;

c. Durant un jour de repos où il voyage et travaille, au taux des heures supplémentaires :

c. on a rest day on which the employee travels and works, at the applicable overtime rate:

i. pour tout temps de trajet et pour un montant ne devant pas excéder quinze (15) heures de rémunération au taux normal, et

i. for travel time, in an amount not exceeding fifteen (15) hours’ straight-time pay, and

ii. pour toute heure travaillée.

ii. for all time worked;

d. Nonobstant les restrictions énoncées aux alinéas a), b) et c) du paragraphe 17.03, l’employé qui voyage en service commandé, mais ne travaille pas, durant plus de quatre (4) heures au cours de la période allant de 22 heures à 6 heures, sans que le coucher lui soit fourni, est rémunéré au taux des heures supplémentaires applicable, jusqu’à concurrence de quinze (15) heures de rémunération au taux normal.

d. notwithstanding the limitations stated in paragraphs 17.03(a), (b) and (c), where an employee travels on duty, but does not work, for more than four (4) hours between 2200 hours and 0600 hours, and no sleeping accommodation is provided, the employee shall be compensated at the applicable overtime rate for a maximum of fifteen (15) hours’ straight-time pay.

II.                 La décision de l’arbitre

[6]               L’arbitre a rejeté le grief au motif que le demandeur Arsenault avait droit uniquement à la rémunération prévue à la clause 17.03d) de la convention collective. La clause 17.03d) prévoit l’indemnité de déplacement à verser à un employé qui voyage durant au moins quatre heures entre 22 h et 6 h sans que l’hébergement lui soit fourni. L’arbitre a décidé qu’aucune autre rémunération ne devait être versée au demandeur Arsenault, les autres paragraphes de la clause 17.03 ne s’appliquant pas et ce, nonobstant les observations des parties.

[7]               En rejetant le grief, l’arbitre a fait abstraction de l’interprétation de la clause 17.03a) de la convention collective acceptée par toutes les parties, selon laquelle le demandeur Arsenault avait droit à la rémunération prévue à cette disposition, et de la véritable question en litige qui consistait à savoir s’il pouvait également recevoir l’indemnité prévue à la clause 17.03d). Les demandeurs prétendaient que le demandeur Arsenault avait droit, en vertu de cette disposition, à une indemnité additionnelle correspondant à 15 heures, alors que, selon les défendeurs, l’indemnité se limitait à l’équivalent de 7 heures.

[8]               L’arbitre a circonscrit la question en litige comme s’il s’agissait d’un désaccord entre les parties sur le sens de la clause 17.03d) de la convention collective (motifs, par. 54). Il a ainsi rejeté l’interprétation de la clause 17.03d) acceptée par les deux parties et a conclu que la clause 17.03 établit quatre options distinctes de rémunération d’un employé en déplacement (motifs, par. 69 et 70). Il a donc conclu que la clause 17.03d) visait exactement les situations semblables à celle où s’était trouvé le demandeur Arsenault : un voyage de nuit, s’étendant sur deux jours, et où l’hébergement n’est pas fourni (motifs, par. 75). Par conséquent, il a conclu que le demandeur Arsenault avait droit uniquement à l’indemnité prévue à la clause 17.03d) et non pas à la rémunération prévue aux clauses 17.03a) et 17.03d) (motifs, par. 81).

III.               Questions en litige

[9]               La première question à trancher est de savoir si l’arbitre a manqué à l’équité procédurale et aux attentes légitimes du demandeur Arsenault en omettant de l’aviser qu’il envisageait une interprétation de la convention collective qui n’avait pas été soulevée à l’audience et qui n’avait été abordée par aucune des parties. En d’autres mots, est-ce que l’arbitre a par le fait même empêché les demandeurs de présenter des arguments et de produire des éléments de preuve afin de réfuter cette interprétation de la clause 17.03?

[10]           La deuxième question est de savoir si la décision de l’arbitre est raisonnable.

IV.              La norme de contrôle

[11]           Le droit est bien établi : un litige portant sur un manquement à l’équité procédurale doit être revu suivant l’application de la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502, par. 79; Henri c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 38, [2016] A.C.F. no 129, par. 16; Abi-Mansour c. Canada (Affaires étrangères et Commerce international Canada), 2015 CAF 135, [2015] A.C.F. no 682, par. 6). En outre, la question du caractère raisonnable ou non de la décision de l’arbitre appelle l’application de la norme de la décision raisonnable, laquelle impose une importante retenue compte tenu de l’expertise spécialisée des arbitres concernant l’interprétation de conventions collectives (Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, par. 18 à 21).

V.                 Les observations

[12]           Abordons la première question. Y a-t-il eu un manquement à l’équité procédurale?

[13]           L’affaire soulève une question nouvelle : l’arbitre avait-il, dans les circonstances, l’obligation d’informer les parties qu’il envisageait une interprétation de la clause 17.03 de la convention collective qu’aucune des parties n’avait abordée? Avait-il l’obligation d’offrir aux demandeurs la possibilité de présenter des arguments et de produire des éléments de preuve afin de réfuter son interprétation de la convention collective, vu que celle-ci n’avait pas été soulevée à l’audience et contredisait celle que partageaient les parties selon laquelle le demandeur Arsenault avait droit à la rémunération pour 22 heures en application de la clause 17.03a)?

[14]           Les demandeurs renvoient aux facteurs soulignés dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, qui permettent de déterminer le degré d’équité procédurale à laquelle le demandeur Arsenault avait droit. La Cour doit examiner les points suivants : (i) la nature de la décision recherchée et le processus suivi; (ii) la nature du régime législatif en vertu duquel agit le décideur; (iii) l’importance de la décision pour le demandeur; (iv) ses attentes légitimes; (v) les choix de procédure (Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 R.C.S. 504), par. 42).

[15]           Premièrement, les demandeurs affirment que la procédure d’arbitrage est, au fond, judiciaire, puisque l’arbitre a le pouvoir d’assigner des témoins à comparaître, d’ordonner la production de pièces et d’obliger les parties à faire des dépositions orales ou écrites. De plus, un demandeur peut être représenté par un avocat. Ainsi, ils affirment qu’une obligation d’équité procédurale s’appliquait. Ils invoquent le paragraphe 75 de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, [2002] 1 R.C.S. 249 [Moreau-Bérubé] :

[75]      L’obligation de se conformer aux règles de justice naturelle et à celles de l’équité procédurale s’étend à tous les organismes administratifs qui agissent en vertu de la loi (voir Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Cardinal c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, p. 653; Baker, précité, par. 20; Therrien, précité, par. 81). Ces règles comportent l’obligation d’agir équitablement, notamment d’accorder aux parties le droit d’être entendu (la règle audi alteram partem). Cette obligation a une nature et une étendue « éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas » (le juge L’Heureux-Dubé dans Baker, précité, par. 21). En l’espèce, il faut interpréter généreusement la portée du droit d’être entendu puisque le processus administratif du Conseil de la magistrature ressemble au processus judiciaire habituel (voir Knight, précité, page 683); la décision du Conseil est sans appel (voir D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), vol. 1, p. 7-66 et 7-67); et les enjeux de l’audience sont très graves pour l’intimée (voir Kane c. Conseil d’administration de l’Université de la Colombie-Britannique, [1980] 1 R.C.S. 1105, p. 1113).

[16]           Deuxièmement, les demandeurs citent le paragraphe 228(1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (LRTFP), qui énonce qu’on donne aux parties l’occasion de se faire entendre. Cette disposition a été rédigée en termes impératifs; le verbe y est conjugué au présent de l’indicatif, et le verbe « must » (doit) figure dans la version anglaise.

[17]           Les demandeurs font valoir à nouveau l’arrêt Moreau-Bérubé, qui soutient que l’absence d’un droit d’appel entraine des garanties procédurales plus généreuses.

[18]           Troisièmement, les demandeurs soulignent que l’issue de l’instance est importante non seulement pour le demandeur Arsenault, mais aussi généralement pour son unité de négociation, parce qu’elle aura une incidence sur les revenus de tous les membres de l’unité qui doivent fournir des services de réparation de navires à l’extérieur d’Halifax. En fait, les paragraphes 208(4) et 209(2) de la LRTSPF envisagent les répercussions d’un grief lié à l’interprétation  d’une convention collective : un fonctionnaire ne peut déposer un grief de ce type qu’à condition d’avoir obtenu l’approbation de l’agent négociateur de l’unité de négociation à laquelle s’applique la convention collective ou la décision arbitrale et d’être représenté par cet agent.

[19]           Quatrièmement, les demandeurs s’attendaient à être autorisés à présenter des arguments relativement aux questions sur lesquelles l’arbitre se prononcerait, comme le prévoit le paragraphe 228(1) de la LRTSPF, et cette attente était légitime selon eux. Les demandeurs prétendent qu’en tenant une audience complète — avec présentation d’un dossier de preuve écrit et d’arguments juridiques — on reconnaissait implicitement l’importance de l’affaire; par conséquent, des garanties procédurales généreuses étaient nécessaires.

[20]           Les demandeurs ont renvoyé à la jurisprudence qui, à leur avis, a réitéré le principe selon lequel une partie a le droit de connaître les arguments à réfuter et de répondre aux questions centrales soulevées.

[21]           Les demandeurs invoquent d’abord la décision Bulat c. Canada (Conseil du Trésor), [2000] A.C.F. no 148, de notre Cour. Suivant cet arrêt, une personne qui subira les effets d’une décision devrait avoir la possibilité d’aborder les questions auxquelles elle ne pouvait raisonnablement s’attendre, mais qui se révèlent déterminantes. Dans l’affaire Bulat, l’auteur du grief contestait la classification de son poste en faisant valoir que la cote numérique attribuée n’était pas assez élevée. En l’absence de l’auteur du grief et de son représentant, le représentant de l’employeur avait informé le comité de règlement des griefs de classification que l’auteur du grief avait effectué, à titre bénévole ou de formation, certaines tâches nécessitant des contacts avec des personnes n’appartenant pas à la fonction publique et que ces tâches ne comptaient pas dans l’évaluation du poste. Une classification moins élevée était à leur avis justifiée. Ces observations n’ont jamais été communiquées à l’auteur du grief, et notre Cour a déterminé qu’il s’agissait d’un manquement à l’équité procédurale.

[22]           Dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Garg, 2004 CAF 410 [Garg], les parties s’entendaient pour dire que le défendeur était agriculteur. Toutefois, l’arbitre a conclu que les activités du défendeur ne constituaient pas de l’agriculture, et ce sans avoir donné aux parties la possibilité de se faire entendre à ce sujet. La Cour a également déterminé qu’il s’agissait d’un manquement à l’équité procédurale.

[23]           Avant l’arrêt Garg, dans l’affaire Danakas v. Canada (Commission des allocations aux anciens combattants), [1985] A.C.F. no 32, la Cour a conclu que la décision de la Commission des allocations aux anciens combattants de rejeter une demande d’allocation était injuste, puisqu’elle reposait sur une question qui n’avait jamais été débattue à l’audience.

[24]           Enfin, les demandeurs citent également la décision Fischer c. Canada (Procureur général), 2012 CF 720. Cette affaire soulevait une question d’équité procédurale, à savoir si un comité de règlement des griefs de classification devait informer l’auteur du grief de la possibilité d’un déclassement auquel il ne pouvait raisonnablement s’attendre, même si le comité avait révélé tous les éléments de preuve nécessaires à une telle décision. La juge Gleason (tel était alors son titre) a conclu que le comité, par cette omission, avait manqué à son obligation d’équité procédurale :

[25]      À mon avis, l’équité procédurale exigeait, dans les circonstances de l’espèce, que le comité révèle qu’il envisageait d’abaisser le degré attribué au facteur des responsabilités professionnelles et qu’il donne aux parties la possibilité de présenter des observations sur cette question avant de rendre sa décision. S’il est assurément exact que, dans le contexte des griefs de classification dans la fonction publique fédérale, la teneur de l’obligation d’équité « se situe du côté d’une moindre exigence » (Chong II, au paragraphe 12), même les exigences minimales de l’équité procédurale n’ont pas été respectées en l’espèce à mon avis. M. Fischer ne revendique pas le droit de présenter des témoignages de vive voix, de contre-interroger des témoins ou de se prévaloir de règles propres à une audience contradictoire. Il revendique plutôt le droit minimal d’être informé de la possibilité de présenter des arguments relativement à la question déterminante de son grief et de se voir offrir cette possibilité. [...]

[25]           Devant notre Cour, les défendeurs soutiennent que la preuve incombe au demandeur Arsenault et qu’il revient aux défendeurs de soumettre tous leurs arguments et de présenter des éléments de preuve afin de faire en sorte que leur interprétation de la clause 17.03d) soit retenue.

[26]            Les défendeurs reconnaissent que les parties n’ont pas reçu d’avis préalable de l’interprétation adoptée par l’arbitre, et que cette interprétation n’a jamais été abordée durant l’audience. Ils prétendent néanmoins que, compte tenu de l’expertise de l’arbitre, il ne pouvait examiner la clause 17.03d) indépendamment. Par conséquent, l’arbitre pouvait légitimement conclure que la clause 17.03a) ne s’appliquait pas, même si les deux parties avaient convenu du contraire.

[27]           De l’avis des défendeurs, il était loisible à l’arbitre d’opter pour cette interprétation. Elle constitue une issue raisonnable et acceptable; la décision de l’arbitre est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable.

VI.              Analyse

[28]           Je ne suis pas d’accord avec les défendeurs pour les motifs suivants.

[29]           En l’espèce, les deux parties s’entendent pour dire que la clause 17.03a) s’appliquait. Rien ne leur permettait de croire que leur interprétation commune pouvait être remise en question. À mon avis, à la lumière des faits, l’équité procédurale exigeait, à tout le moins, qu’on les avise et qu’on leur offre la possibilité d’aborder la question et de produire des éléments de preuve pour réfuter l’interprétation faite par l’arbitre de la clause 17.03d) de la convention collective.

[30]           Le contexte factuel de la présente instance ressemble en quelque sorte à celui de l’affaire Garg. Dans cet arrêt, notre Cour explique, aux paragraphes 7 et 8, que le fait pour un arbitre d’aborder de son propre chef une question qui n’a été soulevée par aucune des parties à l’instance, et ce sans donner au demandeur la possibilité de se faire entendre sur le sujet et de présenter des observations est répréhensible en ce sens qu’il s’agit d’un manquement à l’équité procédurale, pour l’application de l’alinéa 18.1(4)b) de la Loi.

[31]           Comme la convention collective constitue le contrat qui régit les rapports entre les parties, il est essentiel, à mon avis, qu’elles aient la possibilité de se faire entendre, puisqu’elles doivent en respecter les modalités. Les deux parties avaient un intérêt vital à l’égard de l’interprétation faite par l’arbitre de leur convention collective. En l’espèce, l’arbitre en est venu  à une interprétation de la clause 17.03d) qui différait de celle des parties sans leur accorder le bénéfice de répliques de leur part sur l’effet possible de cette interprétation sur l’application de la clause 17.03 de manière générale.

[32]           Compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, je suis d’avis que le fait que l’arbitre n’a pas avisé les parties qu’il envisageait une interprétation de la clause 17.03d) qui contredisait leur interprétation commune de la clause 17.03a) constituait un manquement à l’équité procédurale. Les deux parties convenaient que le demandeur avait le droit à l’indemnité équivalant à 22 heures pour son déplacement entre Halifax et Londres. En fait, l’employeur avait déjà rémunéré le demandeur pour ces 22 heures. Le différend se limitait clairement à l’interprétation de la clause 17.03d) de la convention collective. À quelle rémunération supplémentaire le demandeur Arsenault avait-il droit aux termes de la clause 17.03d)? Les demandeurs prétendaient qu’il avait droit à une indemnité additionnelle équivalant à 15 heures en vertu de cette disposition, alors que les défendeurs soutenaient qu’il n’avait droit qu’à une indemnité équivalant à 7 heures additionnelles. Avant d’arrêter son interprétation, l’arbitre aurait dû en aviser les parties; en omettant de ce faire, il les a privées de la possibilité de présenter leurs arguments et de produire des éléments de preuve afin de soutenir leur interprétation commune selon laquelle l’indemnité prévue à la clause 17.03d) s’additionnait à la rémunération  prévue à la clause 17.03a).

[33]           La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte. En l’espèce, l’arbitre a décidé de rejeter l’interprétation acceptée d’une clause de la convention collective et a conclu que le demandeur Arsenault n’avait droit à aucune rémunération conformément à la clause 17.03a) de la convention collective. Les parties à cette convention auraient dû, à mon avis, avoir la possibilité de présenter des arguments et de produire des éléments de preuve concernant une question aussi déterminante. Dans ces circonstances, la Cour doit intervenir pour faire respecter l’équité procédurale.

[34]           Pour les motifs qui précèdent, je propose d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire, d’annuler la décision de l’arbitre et de renvoyer l’affaire pour un nouvel examen par un autre arbitre, le tout avec dépens.

« A.F. Scott »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-436-15

DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE DE LA DÉCISION DATÉE DU 22 JUIN 2015 RENDUE PAR UN ARBITRE DE GRIEF NOMMÉ EN VERTU DE LA LOI SUR LES RELATIONS DE TRAVAIL DANS LE SECTEUR PUBLIC FÉDÉRAL

INTITULÉ :

ROBERT ARSENAULT ET LE CONSEIL DES MÉTIERS ET DU TRAVAIL DES CHANTIERS MARITIMES DU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL (EST) c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE SECRÉTARIAT DU CONSEIL DU TRÉSOR DU CANADA (MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE)

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 avril 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE SCOTT

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 JUIN 2016

 

COMPARUTIONS :

Me Ronald A. Pink

 

Pour les demandeurs

 

Me Martin Desmeules

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pink Larkin

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour les défendeurs

 

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