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Date : 20160607


Dossier : A-337-15

Référence : 2016 CAF 172

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE SCOTT

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

DAVID LESSARD-GAUVIN

appelant

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue à Québec (Québec), le 31 mai 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 juin 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE SCOTT

 


Date : 20160607


Dossier : A-337-15

Référence : 2016 CAF 172

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE SCOTT

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

DAVID LESSARD-GAUVIN

appelant

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DE MONTIGNY

[1]               L’appelant se pourvoit à l’encontre d’une décision rendue par le juge Harrington de la Cour fédérale (dossier T-641-15), par laquelle il a accueilli la requête en irrecevabilité présentée par l’intimé et rejeté du même coup sa demande de contrôle judiciaire. Cette dernière visait essentiellement à contester la décision d’un comité d’évaluation d’Emploi et Développement Social Canada (le Ministère) qui a rejeté sa candidature au processus de nomination externe 2014-CSD-EA-QUE-2115 dans une décision rendue le 24 mars 2015.

[2]               Malgré les prétentions écrites et orales fort étoffées de l’appelant, je suis d’avis que le juge de première instance n’a pas erré en faisant droit à la requête en irrecevabilité de l’intimé.

[3]               La nature discrétionnaire du contrôle judiciaire est bien établie en droit administratif canadien, et la jurisprudence de Common Law en cette matière a été confirmée par les paragraphes 18(1) et 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7. Au nombre de facteurs que la Cour fédérale peut prendre en considération pour refuser d’entendre une demande de contrôle judiciaire, se trouve l’existence d’une solution de rechange appropriée et efficace: voir, entre autres, Canada (Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250, aux paras. 84 et s.; Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561; Strickland c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, aux paras. 40-41; Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929; Canada (Agence des services frontaliers) c. C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61; Canadian Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, aux paras. 30 et s.; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, [2011] 3 R.C.S. 654, au para. 22. La Cour suprême a d’ailleurs rappelé que la déférence était de mise lorsqu’une cour d’appel révise l’exercice d’une telle discrétion.

[4]               En l’occurrence, l’article 66 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la Loi), prévoit un tel recours alternatif dont s’est d’ailleurs prévalu l’appelant. Cette disposition permet en effet à la Commission de la fonction publique (la Commission) de révoquer une nomination, de ne pas procéder à une nomination ou de prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées lorsqu’elle est convaincue, après enquête, qu’une nomination externe n’est pas fondée sur le mérite ou qu’une erreur, une omission ou une conduite irrégulière a influé sur le choix de la personne nommée ou dont la nomination est proposée. Compte tenu des vastes pouvoirs d’enquête et de redressement qui sont dévolus à la Commission et du caractère indépendant de cet organisme, le juge Harrington pouvait raisonnablement conclure que le mécanisme prévu par le législateur à l’article 66 de la Loi constitue une solution de rechange appropriée et efficace que l’appelant devait épuiser avant de présenter une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale.

[5]               Il est vrai qu’en l’espèce, la Commission en est arrivée à la conclusion qu’il n’y avait pas lieu de mener une enquête concernant le processus de nomination dont se plaint l’appelant. Je note cependant que la Commission a pris cette décision après avoir examiné les prétentions de l’appelant ce qu’il considère comme un abus de droit qu’aurait commis le comité d’évaluation et pris connaissance des politiques pertinentes en la matière. La Commission a notamment tenu compte du fait que le consentement du postulant n’est pas nécessaire pour communiquer avec les répondants de la fonction publique, et qu’un gestionnaire peut déterminer les méthodes d’évaluation qu’il estime indiquées dans le cadre d’un processus de nomination en vertu de l’article 66 de la Loi. Dans la mesure où l’appelant n’est pas satisfait de cette décision, il aurait pu la contester par voie de contrôle judiciaire : voir, par analogie : Agnaou c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 30; comme l’y avait d’ailleurs invité le juge Harrington. Ne l’ayant pas fait, il ne peut maintenant prétendre avoir épuisé ses recours.

[6]               L’appelant a fait valoir que cette façon de procéder n’était pas la plus efficiente, et ne lui permettrait pas de s’attaquer directement à la décision prise par le comité de sélection. Cet argument doit être rejeté. D’une part, l’appelant a pu présenter devant la Commission essentiellement les mêmes arguments qu’il entendait soulever dans une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision du comité de sélection devant cette Cour. D’autre part, l’enquête par la Commission est le mécanisme qu’a choisi le législateur pour contester une nomination externe, et il n’est pas loisible à cette Cour d’y déroger même si l’appelant peut être d’avis qu’il ne s’agit pas de la meilleure façon de procéder.

[7]               Lors de l’audition, l’appelant nous a également cité quelques décisions émanant du Québec pour étayer son argument selon lequel il devrait pouvoir contester directement la décision du comité de sélection par voie de contrôle judiciaire plutôt que de demander la révision judiciaire de la Commission de ne pas faire enquête : voir notamment MacDonell c. Québec (Procureur général), [2000] R.J.Q. 1674 (C.A. Qué.), conf. (sub nom. MacDonell c. Québec (Commission d’accès à l’information), [2002] 3 R.C.S. 661; Vaillancourt c. Dion, 2010 QCCA 1499. Ces affaires s’inscrivent dans un corpus législatif distinct du droit applicable en l’instance et font intervenir le refus d’accorder une permission d’appeler par la Cour du Québec; or une telle décision n’est pas en soi sujette à révision, ce qui n’est pas le cas de la décision de la Commission en l’espèce. Qui plus est, ces décisions me semblent confirmer le principe de l’épuisement des recours. On y a en effet décidé que le refus d’accorder une permission d’appeler par la Cour du Québec donnait ouverture à l’exercice du pouvoir de surveillance et de contrôle de la Cour supérieure, dans la mesure où la décision de l’organisme administratif devenait par le fait même finale. Ces décisions ne sont donc d’aucun secours pour l’appelant.

[8]               Quant à l’argument de l’appelant selon lequel le mécanisme d’enquête par la Commission ne lui permettrait pas d’obtenir les mesures de redressement de nature civile qu’il réclame, il est mal fondé. La Cour fédérale n’a pas davantage la compétence d’ordonner des dommages-intérêts dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, comme l’a rappelé la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Procureur Général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, au para. 26. Une demande de contrôle judiciaire est une procédure sommaire dont l’objet essentiel est d’invalider les décisions illégales de l’administration publique. Par conséquent, l’impossibilité d’obtenir des dommages devant la Commission ne saurait constituer un argument au soutien de la prétention voulant que le recours prévu à l’article 66 de la Loi ne constitue pas un remède efficace et approprié.

[9]               Pour tous ces motifs, je propose que l’appel soit rejeté, avec dépens au montant de 250 $ (tout inclus) en faveur de l’intimé. À la demande de la Cour, l’intimé dans le présent dossier a confirmé qu’il ne s’opposerait pas à une requête en prorogation de délai pour le dépôt d’une demande de révision judiciaire portant sur la décision de la Commission de ne pas enquêter. Étant donné que près d’une année s’est déjà écoulée depuis que la Commission a pris sa décision, j’estime qu’il est dans l’intérêt de l’administration de la justice que l’appelant dépose sa demande de prorogation de délai dans un délai raisonnable. Si l’appelant choisit de se prévaloir de cette possibilité, il devrait donc déposer sa demande de prorogation de délai dans les 30 jours du présent jugement.

« Yves de Montigny »

j.c.a.

« Je suis d’accord

Johanne Gauthier j.c.a. »

« Je suis d’accord

A.F. Scott j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-337-15

 

INTITULÉ :

DAVID LESSARD-GAUVIN c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 mai 2016

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

Y ONT SOUSCRIT :

la juge gauthier

LE JUGE SCOTT

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 juin 2016

 

 

COMPARUTIONS :

David Lessard-Gauvin

 

Pour l'appelant

(SE REPRÉSENTANT SEUL)

 

Pierre Marc Champagne

 

Pour l'intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour l'intimé

 

 

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