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Date : 20160607


Dossier : A-371-14

Référence : 2016 CAF 170

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE SCOTT

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

M.Y.

appelant

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue à Québec (Québec), le 1 juin 2016.

Jugement rendu à Québec (Québec), le 7 juin 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE SCOTT

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20160607


Dossier : A-371-14

Référence : 2016 CAF 170

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE SCOTT

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

M.Y.

appelant

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GAUTHIER

[1]               La Cour est saisie d’un appel de la décision d’un juge de la Cour fédérale [le juge] (2014 CF 599), lequel a rejeté la demande de contrôle judiciaire de l’appelant, M.Y., à l’encontre d’une décision rendue en 2013 par la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Dans cette décision, la Commission a révoqué la suspension du casier judiciaire (à l’époque appelée un pardon) de M.Y. au motif qu’il a cessé de bien se conduire au sens de l’alinéa 7b) de la Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. 1985, ch. C-47 [la Loi].

[2]               Lorsque saisie d’un appel d’une demande de contrôle judiciaire, notre Cour doit décider si la Cour fédérale a identifié la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, para. 47, [2013] 2 R.C.S. 559 [Agraira]). Pour déterminer si le juge a correctement appliqué la ou les normes de contrôle, notre Cour se met à la place du juge et notre examen porte sur la décision administrative qui faisait l’objet du contrôle judiciaire (Agraira, para. 46).

[3]               Quant à la première question soulevée par l’appelant, soit que la Commission a manqué à son devoir d’équité procédurale, l’appelant ne conteste pas la norme de contrôle choisie par le juge. Il argue seulement que celui-ci a mal appliqué cette norme. Toutefois, il ne sera pas nécessaire d’examiner cette question pour trancher l’appel devant nous.

[4]               L’appelant fait valoir par ailleurs que le juge s’est trompé en choisissant d’appliquer la norme de la raisonnabilité à ce qu’il considère être une véritable question de compétence. Selon l’appelant, la Commission n’a pas exercé sa discrétion, mais a plutôt appliqué la Loi comme si la révocation devait être automatique, compte tenu de sa condamnation. Par voie de conséquence, le juge aurait dû appliquer la norme de la décision correcte.

[5]               Je ne peux accepter cet argument. La Cour suprême du Canada nous enseigne qu’il faut interpréter restrictivement ce qui constitue une véritable question de compétence (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, para. 59, [2008] 1 R.C.S. 190; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers' Association, 2011 CSC 61, paras. 33-50, [2011] 3 R.C.S. 654 [Alberta Teachers]). Ici, l’appelant s’attaque à la façon dont la Commission a interprété la Loi et l’a appliquée aux faits de l’espèce, ce qui constitue une question mixte de faits et de droit. Même en considérant que la question devant la Cour, soit l’interprétation de l’alinéa 7b) (particulièrement le sens à sonner aux mots « bien se conduire ») est une pure question de droit, je suis d’avis que la norme de contrôle de la raisonnabilité s’appliquerait tout de même. En effet, la Commission interprète une loi qui est étroitement liée à son rôle et il n’y a rien qui puisse me permette de réfuter la présomption que la norme de la raisonnabilité s’applique en l’espèce (Alberta Teachers, paras. 30 et 34).

[6]               Ceci étant dit, et malgré la déférence que commande l’application de cette norme, l’appelant m’a persuadée que la décision de la Commission aurait dû être annulée.

[7]               À ce stade, il est utile de rappeler que M.Y. a obtenu la suspension de son casier judiciaire le 4 février 2011. La commission de l’infraction pour laquelle M.Y. a été condamné par procédure sommaire en 2007 remonte à une période allant de 2000 à 2003; il avait alors été condamné pour avoir comploté pour exporter un produit contrôlé sans le permis d’exportation exigé par la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, L.R.C. 1985, c. E-19.

[8]               C’est donc plus de neuf ans après la commission de cette infraction, soit en août 2012, que M.Y. a plaidé coupable dans une procédure sommaire à l’infraction mixte prévue à l’article 255 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 (conduite avec facultés affaiblies). Cette infraction a été commise le 2 mars 2012. Le tribunal a imposé à M.Y. la peine minimale prévue au Code criminel, soit une amende de 1 000$ et une suspension de son permis de conduire pour un an.

[9]               Informée de cette condamnation, la Commission a écrit à M.Y. le 15 juillet 2013 pour l’aviser qu’elle se proposait de révoquer son pardon parce qu’elle doutait qu’il remplissait toujours le critère de bonne conduite prévu à la Loi et pour lui permettre de faire des représentations à cet égard. Dans ses commentaires, M.Y. attribue son comportement à une erreur de jugement – la seule à son dossier depuis plus de neuf ans. Le rapport d’évaluation de la Société de l’assurance automobile du Québec qu’il a soumis conclut qu’il y a peu de risque de récidive. Cette conclusion était fondée sur le fait que M.Y. ne semblait pas avoir de problèmes avec l’alcool et n’avait pas d’autres infractions impliquant sa conduite automobile. Finalement, M.Y. fait état des conséquences graves qu’entrainerait une révocation de la suspension de son casier judiciaire sur son travail, sur sa famille (son fils) et ses affaires (lesquelles exigent qu’il aille régulièrement aux États-Unis).

[10]           La Commission a révoqué la suspension du casier judiciaire de l’appelant le 20 septembre 2013. Les motifs de la Commission sont brefs. Après avoir décrit l’infraction, y inclus le haut taux d’alcoolémie de l’appelant et la peine imposée, la Commission écrit :

La Commission a procédé à l’examen de toute la documentation qui lui a été fournie pour déterminer si vous respectez toujours les critères prévus par la loi. La Commission a fait une lecture attentive des informations soumises par votre assistant, ainsi que les résultats du programme d’évaluation de la Société de l’assurance automobile du Québec. Au terme de son examen la Commission constate que le délit qui vous est reproché démontre encore que votre comportement est susceptible de mettre en danger la vie de personnes. Vos gestes ont de nouveau nécessité l’intervention des forces policières et du tribunal.

[11]           Aux termes de l’alinéa 7.2a)i) de la Loi, la révocation d’une suspension de casier judiciaire est notamment automatique lorsqu’une personne qui a bénéficié de ce privilège est condamnée pour une infraction mixte – soit une infraction qui peut faire l’objet d’une mise en accusation ou d’une déclaration de culpabilité par procédure sommaire – visée à l’alinéa 4(1)a) de la Loi. Cette dernière disposition traite d’infractions où la poursuite s’est faite par voie de mise en accusation, ce qui n’est pas le cas ici.

[12]           La révocation est aussi automatique lorsque l’infraction en est une décrite au sous-alinéa 7.2a)ii), qui se lit comme suit :

Nullité de la suspension du casier

Cessation of effect of record suspension

7.2 Les faits ci-après entraînent la nullité de la suspension du casier :

7.2 A record suspension ceases to have effect if

a) la personne dont le casier a été suspendu est condamnée :

(a) the person to whom it relates is subsequently convicted of

[…]

(ii) soit pour toute autre infraction — punissable par voie de mise en accusation ou par procédure sommaire — au Code criminel, à l’exception de l’infraction prévue au paragraphe 255(1) de cette loi, à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, à la Loi sur les armes à feu, aux parties III ou IV de la Loi sur les aliments et drogues ou à la Loi sur les stupéfiants, chapitre N-1 des Lois révisées du Canada (1985);

(ii) any other offence under the Criminal Code, except subsection 255(1), or under the Controlled Drugs and Substances Act, the Firearms Act, Part III or IV of the Food and Drugs Act or the Narcotic Control Act, chapter N-1 of the Revised Statutes of Canada, 1985, that is punishable either on conviction on indictment or on summary conviction; or

[…]

[13]           La conduite avec facultés affaiblies, lorsqu’elle est poursuivie par procédure sommaire, est donc la seule infraction mixte prévue au Code criminel qui est exemptée de la révocation automatique. Puisque cette infraction n’est pas visée par les sous-alinéas 7.2a)i) et 7.2a)ii), il convient de se tourner vers les alinéas 7a) et b) de la Loi afin de déterminer si ceux-ci permettraient la révocation discrétionnaire du casier judiciaire de l’appelant.

[14]           L’alinéa 7a) permet la révocation d’une suspension de casier judiciaire lorsqu’une personne est condamnée pour une infraction visée à l’alinéa 4(1)b) qui n’est pas déjà couverte par le sous-alinéa 7.2a)ii). Il n’est pas contesté que c’est bien l’alinéa 4(1)b) qui s’applique à l’infraction pour laquelle M.Y. a été condamné, considérant que celle-ci a été poursuivie par procédure sommaire; voir aussi R. c. Dudley, 2009 CSC 58, para. 49, [2009] 3 R.C.S. 570. D’autre part, l’alinéa 7b) de la Loi prévoit que la Commission peut révoquer la suspension d’un casier lorsqu’il « existe des preuves convaincantes, selon elle, du fait que l’intéressé a cessé de bien se conduire ». La Commission aurait donc pu exercer sa discrétion tant en vertu de l’alinéa 7a) que de l’alinéa 7b); elle a choisi de le faire en vertu de l’alinéa 7b).

[15]           Ayant fait ce choix, la Commission devait mettre l’accent sur le critère de bonne conduite plutôt que sur la seule commission de l’infraction elle-même. En effet, l’alinéa 7b) de la Loi a visiblement pour objet de permettre à la Commission de prendre en compte des circonstances autres qu’une condamnation prévue à l’alinéa 7a).

[16]           La notion de bonne conduite que l’on retrouve aux articles 4 et 7 de la Loi n’est pas définie dans la Loi. Il faut toutefois noter que, comme dans l’article 7, le législateur distingue, à l’alinéa 4.1(1)a) de la Loi, la bonne conduite du fait d’avoir été condamné au titre d’une loi. Il n’est pas nécessaire pour les fins du présent appel d’en dire plus sur l’interaction possible entre la bonne conduite et une nouvelle condamnation. En effet, en l’espèce, notre conclusion se fonde essentiellement sur les faits très particuliers de ce dossier.

[17]           Bien que le Manuel des politiques de la Commission n’ait pas de force obligatoire, je suis d’accord avec l’appelant que ce Manuel donne par ailleurs une indication de ce que l’on peut normalement et légitimement s’attendre à ce que la Commission considère dans sa prise de décision et à ce que l’on retrouvera dans ses motifs. Ce n’est clairement pas le cas ici.

[18]            La Commission indique, à l’article 12 du Manuel, comment elle interprète la bonne conduite. Selon elle, cela désigne des comportements qui sont compatibles avec un style de vie respectueux des lois. Bien que cette définition soit incluse dans la section traitant de l’octroi d’une suspension de casier judiciaire, elle semble s’appliquer à l’ensemble de la Loi. Il convient de noter aussi qu’à l’article 24 du Manuel, qui traite plus spécifiquement de la révocation d’une telle suspension, la Commission indique que même lorsqu’elle considère une nouvelle condamnation en vertu de l’article 7a), elle prend en compte les renseignements qui laissent penser que la personne fait preuve d’un mépris marqué à l’égard de la sécurité publique, de l’ordre public et/ou des lois et règlements, étant donné ses antécédents criminels.

[19]           Dans le cas qui nous occupe, je ne vois pas comment la Commission pouvait raisonnablement conclure qu’il existait des preuves convaincantes que M.Y. avait cessé de bien se conduire parce que son comportement avait nécessité l’intervention des forces policières et du tribunal pour l’infraction prévue à l’article 255 du Code criminel. Cela allait de soi et pourtant, le législateur a fait de cette infraction une exception au sous-alinéa 7.2a)ii). La conclusion de la Commission est d’autant plus surprenante lorsque l’on considère que la Commission n’avait à son dossier aucune indication de quelque circonstance particulière que ce soit relativement à l’implication policière dans ce dossier et que M.Y. a plaidé coupable et n’a donc pas abusé des ressources judiciaires. Je note par ailleurs à nouveau que le tribunal n’a imposé que la peine minimale à M.Y.

[20]           De fait, la Commission n’avait mené absolument aucune enquête et n’a pas cherché à obtenir quelques détails que ce soit des policiers au sujet des circonstances entourant la commission de l’infraction pour vérifier si, dans les faits, le comportement de M.Y. avait réellement pu mettre en danger la vie d’autrui (Manuel de la Commission, article 16 qui traite de la conduite d’une enquête indépendante visant à évaluer la bonne conduite).

[21]           Le Procureur général du Canada a affirmé qu’au lieu de mener une enquête, la Commission pouvait se contenter de laisser à M.Y. le soin de lui donner toutes les informations pertinentes à l’évaluation de sa bonne conduite, y inclus les circonstances entourant la commission de l’infraction.

[22]           Selon moi, si la Commission choisit cette façon d’obtenir l’information qu’elle se doit de considérer, sa lettre à l’individu concerné par une proposition de révocation doit être claire et détaillée quant au type d’information qui peut lui être utile. C’est la Commission qui a l’expertise en la matière et elle ne peut laisser M.Y. ou toute autre personne dans sa situation sans directive claire.

[23]           Je note par ailleurs que l’obligation dans la Loi d’obtenir des observations de M.Y. ne sous-entend pas que c’est M.Y. qui a le fardeau d’établir sa bonne conduite mais reflète plutôt l’obligation d’équité procédurale imposée à la Commission (voir aussi les paragraphes 4.2(2) et (3) de la Loi).

[24]           Quoiqu’il en soit, dans les faits, je suis d’avis que la lettre du 15 juillet invitant M.Y. à présenter ses observations n’était pas suffisamment précise pour qu’il sache qu’il pouvait et/ou devait fournir toutes les explications sur les circonstances entourant la commission de l’infraction, de même que sur sa bonne conduite au cours des 9 années précédentes. Il est évident que dans l’espèce, il a tenté de le faire de son mieux. Toutefois, comme il l’a prétendu à l’audience, il n’avait pas compris que des détails sur la nature même de son infraction et les circonstances l’entourant devaient être fournis par lui à la Commission. En l’absence de tels renseignements au dossier, la Commission ne pouvait conclure qu’il existait des preuves convaincantes que le comportement de M.Y. pouvait être associé à un mépris marqué à l’égard de la sécurité publique et qu’il avait mis en danger la vie du public.

[25]           Certes, un haut taux d’alcoolémie est un élément pertinent dans le cadre d’une évaluation individualisée mais le législateur aurait pu établir une règle générale voulant que seules les infractions prévues à l’article 255 du Code criminel impliquant un faible taux d’alcoolémie soient exemptées. Il ne l’a pas fait. Il faut donc que cet élément soit examiné dans son contexte.

[26]           La Commission aurait dû procéder à une analyse particularisée des circonstances entourant la commission de l’infraction par l’appelant et de toute autre information relative à son style de vie. Selon moi, la Commission a fusionné le concept de bonne conduite avec le fait d’avoir été condamné pour conduite avec facultés affaiblies, alors qu’elle avait choisi de procéder aux termes de l’alinéa 7b) plutôt qu’en vertu de l’alinéa 7a) de la Loi.

[27]           Je conclus que dans les circonstances, le juge n’a pas bien appliqué la norme de la raisonnabilité. Toutefois, je crois que notre Cour ne devrait pas se substituer à la Commission tel que le souhaite l’appelant. Je propose donc que l’appel soit accueilli sans dépens, tel que convenu entre les parties. La décision du juge devrait être annulée, la demande de contrôle judiciaire être accordée et le dossier renvoyé à la Commission pour être réexaminé à la lumière des présents motifs et de la preuve additionnelle qui sera présentée au nouveau décideur.

[28]           M.Y. a demandé à la Cour de confirmer que seul le dossier caviardé en appel soit accessible au public et que le dossier de Cour non-caviardé soit tenu confidentiel et ne soit accessible qu’aux parties et à leurs procureurs. Comme la juge Danielle Tremblay-Lamer dans les ordonnances de la Cour Fédérale des 20 mars et 2 juin 2014, je suis d’avis qu’une telle demande, faite en vertu de la Règle 151 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 devrait être accordée.

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

«Je suis d’accord.

A.F. Scott, j.c.a.»

«Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a.»


COUR D’APPEL FÉDÉRAL

AVOCATS INSCRIT AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR FÉDÉRALE DU 23 JUIN 2014, N° DU DOSSIER T-1832-13 (2014 CF 599)

DOSSIER :

A-371-14

INTITULÉ :

M.Y. c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1 juin 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE SCOTT

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

Me Laval Dallaire

Pour l'appelant

Me Dominique Guimond

Pour l'intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gagné Letarte SENCRL

Québec (Québec)

Pour l'appelant

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour l'intimé

 

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