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Date : 20160524


Dossier : A-302-15

Référence : 2016 CAF 157

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE RENNIE

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

JASYN EVERETT WALSH

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 20 avril 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 24 mai 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20160524


Dossier : A-302-15

Référence : 2016 CAF 157

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE RENNIE

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

JASYN EVERETT WALSH

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]               L’appelant, Jasyn Everett Walsh, cherche à faire annuler le jugement du juge de Montigny de la Cour fédérale (maintenant juge de la Cour) (le juge) daté du 22 juin 2015 (2015 CF 775), qui a rejeté la demande de contrôle judiciaire de l’appelant à l’encontre d’une décision rendue par le chef d’état-major de la Défense (CEMD) datée du 17 mars 2014, dans laquelle le CEMD a conclu que la libération de l’appelant des Forces armées canadiennes (FAC) [TRADUCTION] « était une issue raisonnable eu égard à la nature de [son] inconduite répétée » (à la page 12 de la décision). En d’autres termes, le grief de l’appelant à l’encontre de la décision de le libérer des FAC a été rejeté.

[2]               Je n’ai pas besoin de répéter les faits, car ils sont bien résumés dans les motifs du juge (les motifs). Je me contenterai de dire que l’appelant, matelot-chef, a été libéré des FAC en raison de trois actes distincts d’inconduite sexuelle, qu’il a déposé un grief à l’égard de sa libération et que le grief a finalement été rejeté par le CEMD, à la suite d’un examen de novo du grief.

[3]               L’appelant affirme, dans ses arguments écrits et oraux, qu’il a soulevé sept points devant le juge et que ce dernier a commis une erreur en ce qui les concerne. Les sept questions soulevées par l’appelant devant le juge sont les suivantes et figurent au paragraphe 2 de son mémoire des faits et du droit :

[TRADUCTION]

1)        Un examen de novo permet-il de remédier à un manquement à l’équité procédurale?

2)         La libération d’un membre des Forces canadiennes (FC) est-elle déclarée nulle ab initio si le processus suivi qui mène à la libération a présenté des problèmes d’équité procédurale importants?

3)         Le CEMD a-t-il omis de fournir des motifs suffisants pour expliquer pourquoi il n’a pas accepté les conclusions et recommandations du Comité?

4)         Le CEMD a-t-il dûment et pleinement tenu compte de tous les points principaux avancés par l’appelant tout au long du processus militaire de règlement des griefs?

5)         Le CEMD a-t-il dûment libéré l’appelant des FC après avoir annulé la décision initiale du directeur – Administration (Carrières militaires) (DACM)?

6)         Le CEMD a-t-il compris, ou avait-il un fondement probatoire pour rejeter, l’avis médical concernant la prise de Paxil prescrite à l’appelant et son service continu dans les FAC?

7)        Le retard inexpliqué du CEMD à statuer sur le grief d’une manière rapide donne-t-il lieu à un manquement à l’équité procédurale ou à un abus de procédure?

[4]               Dans ses arguments écrits qui nous ont été présentés, au paragraphe 3, l’appelant dit que la Cour doit aussi décider s’il existe une crainte raisonnable de partialité de la part du juge parce que ce dernier n’a pas tenu compte de la plupart des questions qu’il avait soulevées et que le juge a, de fait, adopté la version des faits de l’intimé. Cependant, tout à son honneur, l’appelant n’a ni soulevé ni abordé cette question lors de sa plaidoirie devant nous et, par conséquent, nous n’avons entendu aucun argument du procureur général sur ce point. Par conséquent, je ne vais pas aborder cette question dans les présents motifs.

[5]               Malgré l’appel énergique et bien argumenté de l’appelant, je ne suis pas persuadé qu’il existe des motifs justifiant notre intervention. Je voudrais aussi ajouter que, pour les motifs énoncés par le juge, l’appel devrait être rejeté.

[6]               Comme le juge, je suis d’avis que la décision du CEMD, lorsque toutes les circonstances pertinentes sont prises en considération, n’en est pas une qui peut être qualifiée de déraisonnable.

[7]               Contrairement à ce qu’a affirmé l’appelant, le juge a pleinement pris en considération les questions soulevées par l’appelant et les arguments avancés par lui en ce qui concerne ces questions. Il suffit de lire les motifs du juge pour être convaincu de cette proposition.

[8]               Après avoir exposé les faits pertinents (paragraphes 3 à 17 des motifs), le juge s’est tourné vers la décision du CEMD et l’a examinée de près (paragraphes 18 à 27 des motifs). Le juge a ensuite abordé les questions soulevées par l’appelant en ce qui concerne le caractère raisonnable de la décision du CEMD et la question de l’équité procédurale.

[9]               Après avoir exposé brièvement les motifs de la plainte de l’appelant à l’encontre de la décision du CEMD, le juge a expliqué le cadre législatif et politique applicable au grief de l’appelant. Le juge a ensuite indiqué la norme en vertu de laquelle il examinerait la décision du CEMD, à savoir la norme du caractère raisonnable. Toutefois, en ce qui concerne les questions relatives à l’équité procédurale, le juge a dit qu’il allait appliquer la norme de la décision correcte. Il ne fait aucun doute que le juge a dûment déterminé les normes applicables.

[10]           Le juge a ensuite abordé la question de savoir si la décision du CEMD était raisonnable. Ce faisant, il s’est penché sur des points précis soulevés par l’appelant à ce propos. Plus particulièrement, le juge a examiné les arguments de l’appelant quant à la pertinence des motifs du CEMD de ne pas tenir compte de la recommandation faite par le Comité externe d’examen des griefs militaires (le Comité), selon laquelle il ne devait pas être libéré. Le juge a également examiné la question de savoir si le CEMD avait pris en compte les avis médicaux qui, selon l’appelant, appuyaient le point de vue selon lequel il pouvait être soigné et que sa participation à des programmes de réadaptation avant sa libération avait été très positive. Le juge a, en outre, examiné les arguments de l’appelant selon lesquels le CEMD n’avait pas bien expliqué pourquoi la sanction choisie était la libération des FAC et non pas ce que recommandaient le Comité, le thérapeute et l’agent de probation.

[11]           Le juge a conclu que les arguments de l’appelant étaient sans fondement. Aux paragraphes 37 à 48, il expose sa justification du rejet des arguments de l’appelant en ce qui concerne le caractère raisonnable de la décision du CEMD.

[12]           Le juge précise qu’à son avis, le CEMD a bel et bien tenu compte de tous les avis médicaux se rapportant au dossier pour parvenir à sa conclusion. Le juge précise aussi qu’il estimait que le CEMD avait bien expliqué dans ses motifs pourquoi il ne pouvait pas souscrire à la recommandation du Comité, ajoutant que les motifs du CEMD étaient « tout à fait intelligibles » à la fois en ce qui concerne la recommandation finale du Comité et les domaines dans lesquels il était en désaccord avec le Comité.

[13]           Ensuite, le juge a dit que le CEMD avait également expliqué de manière satisfaisante pourquoi une audience de novo pouvait remédier à un manquement à l’équité procédurale.

[14]           Après avoir souligné que la décision du CEMD de libérer l’appelant des FAC pourrait être considérée comme étant sévère, le juge a estimé qu’on ne pouvait pas dire que la décision était « inintelligible ou [n’avait] aucune assise dans la preuve » (au paragraphe 43 des motifs). Le juge a ensuite fait les remarques suivantes au paragraphe 43 de ses motifs auxquels je souscris entièrement :

L’autorité de dernière instance jouit d’une grande latitude lorsqu’elle se penche et se prononce sur des griefs, particulièrement lorsqu’elle établit les mesures de redressement appropriées dans les circonstances, en raison de sa connaissance approfondie du milieu et des activités militaires. Il faut faire preuve d’une grande retenue judiciaire à l’égard de ce genre de décisions et je ne suis pas convaincu que la mesure choisie (la libération au lieu de la mise en garde et surveillance) n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

[15]           Le juge a ensuite examiné l’argument de l’appelant selon lequel le CEMD n’avait pas tenu compte de ses observations voulant que son utilité pour les FAC n’ait pas été compromise par son état psychologique ou ses problèmes de santé. En avançant cet argument, l’appelant a fait des comparaisons avec d’autres décisions où, bien que l’inconduite sexuelle en cause était nettement plus grave que la sienne, le contrevenant n’avait pas été libéré, mais placé sous mise en garde et surveillance.

[16]           Tout d’abord, le juge a dit qu’il avait conclu que le CEMD avait abordé tous les arguments de l’appelant, ajoutant qu’il ne pouvait y avoir aucun doute que l’inconduite sexuelle répétée de l’appelant était au cœur de la décision du CEMD selon laquelle il était inapte au service dans les FAC. Le juge a également indiqué qu’il était évident que le CEMD avait déterminé que l’appelant maîtrisait clairement ses actes d’inconduite sexuelle et qu’il était responsable de ses actes.

[17]           Il a également souligné qu’en approuvant la libération de l’appelant des FAC, le CEMD avait conclu, sur la foi des avis médicaux, que le sevrage du Paxil, que l’appelant avait déjà pris pendant un certain temps, n’expliquait pas ou ne justifiait pas sa conduite de septembre 2009, date à laquelle son dernier acte d’inconduite sexuelle a eu lieu.

[18]           Le juge a ensuite expliqué pourquoi le refus du CEMD d’envisager d’autres causes d’inconduite sexuelle ne constituait pas une erreur de sa part. Il a fait remarquer que, dans le contexte d’un examen administratif, il était bien établi en droit que chaque affaire doit être tranchée en fonction des faits qui lui sont propres et que chaque décideur devait rendre sa décision sur la foi des faits dont il dispose et des dispositions législatives pertinentes.

[19]           Pour conclure sur le caractère raisonnable de la décision du CEMD, le juge a déclaré qu’il ne pouvait pas intervenir parce que tous les arguments de l’appelant avaient été examinés et qu’une explication raisonnable avait été donnée quant à la raison pour laquelle le CEMD n’était pas prêt à infirmer la décision de le libérer des FAC.

[20]           Le juge a également été d’avis que la décision du CEMD avait été prise conformément à la loi applicable au grief de l’appelant et à la décision de le libérer.

[21]           Il a également précisé le fait que, dans une procédure de contrôle judiciaire, son rôle se limitait à l’examen de la légalité de la décision conformément aux principes applicables énoncés dans la jurisprudence. Par conséquent, il n’a pas le pouvoir d’évaluer après coup la décision et les conclusions du CEMD pour parvenir à sa conclusion.

[22]           Le juge a ensuite abordé la question de l’équité procédurale (aux paragraphes 49 à 54 des motifs). Il a commencé en soulignant que le Comité avait jugé qu’en raison d’un processus d’examen administratif vicié, il y avait eu manquement au droit à l’équité procédurale de l’appelant. Par conséquent, de l’avis du Comité, la procédure de règlement des griefs ne pouvait pas remédier à ces manquements à ses droits.

[23]           Comme je l’ai déjà indiqué, le CEMD n’était pas d’accord avec l’avis du Comité sur cette question. En invoquant la décision que la Cour a rendue dans l’arrêt McBride v. Canada (National Defence), 2012 FCA 181, 431 N.R. 383; confirmant la décision McBride c. Canada, 2011 CF 1019, [2011] A.C.F. no 1250 (QL), le CEMD a jugé qu’une audience de novo avait remédié à un manquement à l’équité procédurale.

[24]           Aux paragraphes 50 et 51 de ses motifs, le juge traite de cette question et explique pourquoi il ne peut pas retenir les arguments de l’appelant, concluant que, « examiné dans son ensemble, le processus d’examen administratif était équitable ». Je ne vois aucune raison d’être en désaccord avec la conclusion du juge sur cette question.

[25]           Le juge a ensuite examiné l’argument de l’appelant selon lequel le retard pris pour prendre une décision quant à son grief constituait un manquement à l’équité procédurale ou un abus de procédure ayant forcément conduit à l’annulation de la décision du CEMD.

[26]           Après avoir déclaré qu’il était indéniable que le temps nécessaire pour traiter le grief de l’appelant était « malheureux » et que le CEMD avait reconnu dans sa décision qu’il n’y avait pas de véritable justification pour les quatre années qui s’étaient écoulées, le juge, après avoir fait référence à la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 RCS 307, 2000 CSC 44, aux paragraphes 121 et 122, a conclu que la preuve dont il disposait n’avait pas montré, dans les termes de la Cour suprême, que « le délai était inacceptable au point d’être oppressif et de vicier les procédures en cause » (au paragraphe 121 de l’arrêt Blencoe).

[27]           Le juge a également fait remarquer qu’à la lumière des éléments de preuve, il ne pouvait pas conclure que le préjudice causé à l’appelant était susceptible « de compromettre l’équité de l’instruction de son grief » (au paragraphe 54 des motifs). Ainsi, de l’avis du juge, malgré l’inconvénient du retard qui n’a pas été expliqué de façon satisfaisante par le CEMD, il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale exigeant que la décision de ce dernier soit annulée. Encore une fois, je ne vois aucune raison de modifier la décision du juge.

[28]           J’en conclus, donc, que le juge n’a commis aucune erreur justifiant notre intervention en concluant que la décision contestée était raisonnable et qu’aucune violation de l’équité procédurale n’avait entaché la procédure de règlement des griefs. Par conséquent, il n’y a aucune raison pour que nous intervenions.

[29]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel. Toutefois, dans les circonstances de l’espèce, je ne rendrais pas d’ordonnance quant aux dépens.

« M. Nadon »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Mary J.L. Gleason, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-302-15

(APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR LE JUGE DE MONTIGNY LE 22 JUIN 2015, DOSSIER NO T-1205-14)

INTITULÉ :

JASYN EVERETT WALSH c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 avril 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :

[LE JUGE RENNIE ET LA JUGE GLEASON]

 

DATE DES MOTIFS :

Le 24 mai 2016

 

COMPARUTIONS :

Jasyn Everett Walsh

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Helen Park

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour l’intimé

 

 

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