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[TRADUCTION FRANÇAISE]

Date : 20160517


Dossier : A-299-15

Référence : 2016 CAF 151

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE RYER

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

CLINTON MADRIGGA

demandeur

et

CONFÉRENCE FERROVIAIRE DE TEAMSTERS CANADA et COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

défenderesses

Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 1er mars 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 mai 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE RYER

 


[TRADUCTION FRANÇAISE]

Date : 20160517


Dossier : A-299-15

Référence : 2016 CAF 151

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE RYER

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

CLINTON MADRIGGA

demandeur

et

CONFÉRENCE FERROVIAIRE DE TEAMSTERS CANADA et COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

défenderesses

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DE MONTIGNY

[1]               La présente demande à pour origine deux plaintes qui ont été déposées par M. Clinton Madrigga (le demandeur), alléguant que la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada (la défenderesse ou la CFTC) a violé l’article 37 (devoir de juste représentation) et l’alinéa 95g) (interdiction de prendre des mesures disciplinaires d’une manière discriminatoire) du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 (le Code) au cours du processus visant à déterminer son ancienneté à titre de mécanicien de locomotive.

[2]               Par une décision datée du 12 juin 2014, le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) a rejeté la plainte du demandeur. Le demandeur n’a pas demandé le contrôle judiciaire de cette décision. Il a plutôt demandé au Conseil de réexaminer sa décision. Le 11 février 2015, le Conseil a rejeté la demande. C’est cette décision dont le demandeur sollicite maintenant l’annulation par voie de contrôle judiciaire.

[3]               Pour les motifs établis ci-dessous, je suis d’avis que la Cour n’a aucune raison d’intervenir et que la demande doit être rejetée.

I.                   Faits

[4]               Le demandeur représente plusieurs unités de négociation à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (l’employeur ou le CN), notamment l’unité de négociation des chefs de train, des agents de train et des agents de triage (CAT), ainsi que l’unité de négociation des mécaniciens de locomotive. Comme il est courant dans l’industrie ferroviaire que des CAT aspirent à devenir mécaniciens de locomotive, l’article 137 de la convention collective des CAT expose le processus que ces employés doivent suivre pour recevoir la formation de mécanicien de locomotive. Lorsque l’employé se qualifie et effectue son premier voyage en qualité de mécanicien de locomotive, il commence à acquérir des droits d’ancienneté à ce titre. L’article 56 de la convention collective des mécaniciens de locomotive dispose en outre que l’ancienneté d’un employé peut être transférée de l’unité de négociation des CAT à l’unité de négociation des mécaniciens de locomotive si l’employé en question suit la formation de mécanicien de locomotive à la première occasion.

[5]               Le demandeur a été embauché comme pointeur-releveur de wagons et comme aide-mécanicien en 1988; par la suite, il est devenu serre-freins/agent de triage, puis s’est qualifié comme coordonnateur du trafic en 2001. Après avoir été en congé de maladie du 22 juillet au 10 décembre 2007, le demandeur s’est vu offrir par l’employeur l’occasion de s’inscrire à la formation de mécanicien de locomotive, en mars 2008. Cette offre a toutefois été retirée par la suite et il y a controverse entre les parties quant à la raison de ce retrait. Selon le demandeur, il a été freiné parce que l’employeur l’obligeait à travailler comme coordinateur du trafic, alors que le syndicat et l’employeur soutiennent que le demandeur s’est vu refuser la formation de mécanicien de locomotive en raison de problèmes liés à ses antécédents d’assiduité. Bien que le demandeur ait alors fait valoir ses préoccupations à l’employeur et au syndicat qui représentait les CAT à cette époque (les Travailleurs unis des transports), aucun grief n’a été déposé relativement à cet événement.

[6]               En juin 2008, le demandeur a été libéré de ses fonctions de coordonnateur du trafic, mais il ne lui a pas été proposé de suivre la formation de mécanicien de locomotive. En juin 2008 et en mars 2009, il s’est vu attribuer des points d’inaptitude en raison de problèmes d’assiduité et d’un appel manqué. En fin de compte, ces points d’inaptitude ont été purgés du dossier disciplinaire du demandeur et remplacés par une lettre de réprimande en août 2011, en raison de griefs accueillis par la CFTC. Le demandeur n’a pas demandé à suivre la formation de mécanicien de locomotive en 2009 et en 2010, puisqu’il croyait ne pas avoir le droit de le faire vu son dossier disciplinaire.

[7]               En octobre 2011, le demandeur a présenté une demande pour suivre la formation de mécanicien de locomotive; sa requête a été acceptée et il a achevé sa formation le 4 septembre 2012. À cette époque, son numéro d’ancienneté était 925. Cependant, il est tombé à 1 368 peu après, à la demande de la défenderesse. Le 12 décembre 2012, le demandeur a interjeté appel de la décision concernant son ancienneté auprès de la CFTC. Il a soutenu qu’il ne devrait pas être privé de la pratique établie depuis longtemps qui consiste à attribuer l’ancienneté à titre de mécanicien de locomotive comme si un employé avait commencé sa formation par ordre d’ancienneté, lorsqu’on a refusé audit employé de suivre la formation de mécanicien de locomotive afin qu’il exécute d’autres fonctions à la demande de l’employeur. L’appel a été rejeté le 15 octobre 2013 au motif qu’il avait été présenté hors délais et qu’il n’était soutenu par aucun élément de preuve.

[8]               Le 13 janvier 2014, le demandeur a présenté deux demandes auprès du Conseil, alléguant que la défenderesse avait enfreint l’article 37 et l’alinéa 95g) du Code. Ces deux demandes ont par la suite été regroupées conformément à l’article 20 du Code, étant donné qu’elles découlaient des mêmes circonstances.

II.                La décision initiale du Conseil (2014 CCRI DL 3230)

[9]               Notant d’entrée de jeu qu’il était satisfait des documents versés au dossier, le Conseil a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 16.1 du Code de ne pas tenir d’audience malgré la demande du demandeur.

[10]           Le Conseil a conclu que le demandeur n’avait pas demandé au syndicat de déposer un grief en son nom en mars 2008 lorsqu’il s’était vu refuser le droit de suivre la formation de mécanicien de locomotive par l’employeur, et que le syndicat n’était pas tenu de prendre des mesures proactives à cet égard. Le Conseil a également noté que la CFTC n’était pas l’agent négociateur en mars 2008, puisqu’elle n’a obtenu ce statut qu’en septembre 2008. Le Conseil a conclu que la plainte avait été déposée en dehors des délais prescrits et qu’il n’y avait pas de motifs de déposer une plainte de manquement au devoir de représentation juste contre le défendeur. Le Conseil a donc rejeté cette partie de la plainte.

[11]           En ce qui concerne le changement du numéro d’ancienneté du demandeur, le Conseil a observé que la plainte fondée sur l’article 37 avait clairement été présentée hors délais. Elle aurait dû être présentée dans les 90 jours suivant le 5 octobre 2012, date à laquelle le demandeur a appris que son numéro d’ancienneté avait été modifié. Toutefois, la plainte a été déposée auprès du Conseil le 13 janvier 2014. Étant donné que le demandeur n’a pas justifié son défaut de déposer sa plainte en temps opportun, le Conseil a refusé d’accorder la prorogation de délai.

[12]           Le Conseil a néanmoins conclu que la partie de la plainte alléguant une violation de l’alinéa 95g) du Code respectait les délais, car, aux termes du paragraphe 97(4), le demandeur devait d’abord épuiser le processus d’appel interne du syndicat. Relativement au fond de la plainte fondée sur l’alinéa 95g), le Conseil a conclu qu’il s’agissait essentiellement d’un différend entre le demandeur et le syndicat portant sur l’interprétation et l’application d’une disposition de la convention collective, et que rien n’indiquait que le syndicat avait pris des mesures disciplinaires contre le demandeur.

[13]           Pour ce qui est de l’instruction par le syndicat de l’appel en matière d’ancienneté interjeté par le demandeur, le Conseil a observé que le demandeur n’avait pas établi que le syndicat avait agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi, comme il était tenu de le faire pour démontrer qu’il y avait eu violation de l’article 37. Le Conseil a souligné le fait que même en supposant que l’employeur a eu tort d’invoquer la longue absence du travail du demandeur en 2007 pour lui refuser le droit de suivre la formation de mécanicien de locomotive en 2008, il ne s’agissait pas là d’un facteur pertinent dans cette plainte contre le syndicat. La CFTC a rejeté l’appel interjeté par le demandeur parce qu’il avait été déposé en dehors des délais prescrits et qu’aucun élément de preuve n’avait été produit pour l’étayer. Selon le Conseil, ces facteurs n’étaient ni arbitraires ni discriminatoires.

[14]           Le Conseil a également conclu que l’appel interjeté par le demandeur ne constituait pas un processus disciplinaire; par conséquent, il a rejeté la plainte en vertu de l’alinéa 95g). En réponse à la thèse du demandeur portant que le syndicat aurait dû l’informer sans délai lorsque les points d’inaptitude ont été effacés de son dossier, le rendant ainsi admissible à la formation, le Conseil a conclu que [TRADUCTION] « le syndicat ne peut être tenu responsable des conséquences de la propre incapacité du [demandeur] à obtenir des renseignements exacts » (décision initiale, page 9) et que la plainte fondée sur l’article 37 relativement à ces événements avait été déposée hors délais.

III.             La décision révisée du Conseil (2015 CCRI DL 3366)

[15]           Comme il a été mentionné précédemment, le demandeur n’a pas déposé de demande de contrôle judiciaire visant la décision initiale rendue par le Conseil. Au lieu de cela, il a demandé au Conseil le réexamen de sa décision conformément à l’article 18 du Code.

[16]           Le Conseil a noté que le 18 juin 2014, la CFTC avait publié la circulaire 1/14 pour informer ses membres de ce qui suit :

En termes simples, il est entendu qu’un chef de train doit acquérir une formation à la première occasion pour conserver sa position relative de mécanicien de locomotive. Il n’est pas loisible à un chef de train de décider d’attendre qu’un autre cours soit offert quelques années plus tard, puis d’affirmer que son ancienneté comme mécanicien devrait refléter sa position initiale par rapport aux autres chefs de train. Il existe toutefois certaines circonstances qui pourraient justifier qu’un chef de train conserve son ancienneté, même s’il n’a pas suivi le cours à la première occasion. C’est le cas, par exemple, d’une maladie, d’une affectation à un autre service à la demande de l’entreprise, ou d’autres situations similaires. Si un chef de train estime ne pas avoir été formé dans le bon ordre ou avoir été ignoré, il doit communiquer avec l’entreprise afin de chercher à savoir pourquoi on ne lui a pas donné la formation dans le bon ordre. Si le chef de train n’est pas d’accord avec les renseignements fournis par l’entreprise, il devra peut-être déposer un grief. L’article 110 indique clairement que les appels en matière d’ancienneté doivent être interjetés dans un délai de 60 jours. Le non-respect de ce délai entraînera le rejet de tout appel en matière d’ancienneté, sauf motifs impérieux. [Non souligné dans l’original.]

[17]           Après avoir recensé les principes applicables en matière de demandes de réexamen, le Conseil a affirmé qu’il n’était pas nécessaire de tenir une audience pour tous les dossiers, pourvu que les parties aient la possibilité de faire valoir leurs moyens.

[18]           Le Conseil a conclu que les affirmations du demandeur selon lesquelles il aurait été traité différemment des autres employés étaient de simples allégations non étayées par des éléments de preuve. De plus, le Conseil s’est déclaré satisfait de l’explication de la défenderesse quant au traitement des autres employés – une explication que la défenderesse n’avait aucune obligation de produire, puisque le fardeau de la preuve incombait au demandeur.

[19]           Le Conseil a également conclu que [TRADUCTION] « la croyance erronée d’un employé qu’un syndicat a l’obligation de protéger de façon proactive ses intérêts ne constitue pas un motif permettant de conclure qu’il y a eu manquement » à son devoir de juste représentation (décision révisée, page 10). De plus, le fait que le demandeur croyait à tort qu’il devait introduire un appel à l’interne concernant son ancienneté avant de déposer une plainte de manquement au devoir de représentation juste ne peut servir de justification pour accorder la prorogation de délai. Finalement, le Conseil a également conclu que la circulaire 1/14 ne pouvait être utilement invoquée par le demandeur, puisqu’elle était conforme aux observations formulées par le syndicat auprès du Conseil dans le cadre de la procédure concernant la plainte initiale déposée par le demandeur.

[20]           Le Conseil a conclu en déclarant que le demandeur n’a pas établi que la défenderesse l’avait traité différemment des autres membres et qu’il [TRADUCTION] « n’a pas démontré en quoi les actions du syndicat constituaient l’application de ses normes disciplinaires, et encore moins que ces normes lui ont été appliquées de façon discriminatoire » (décision révisée, page 10).

[21]           Par conséquent, le Conseil a rejeté la demande de réexamen.

IV.             Questions en litige

[22]           À mon avis, la présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

A.                Le Conseil a-t-il commis une erreur en refusant de tenir une audience?

B.                 La plainte du demandeur, fondée sur l’article 37, a-t-elle été déposée en dehors des délais prescrits? Le Conseil a-t-il commis une erreur en refusant d’accorder la prorogation de délai?

C.                  Le Conseil a-t-il commis une erreur en établissant que le demandeur devait faire valoir ses moyens par affidavit?

V.                Analyse

[23]           Avant de discuter les questions soulevées par le demandeur au fond, la Cour doit discuter brièvement la déclaration de la défenderesse selon laquelle la présente demande est théorique, car l’examen de la décision révisée ne peut pas résulter en la modification de la décision rendue le 12 juin 2014. Nul doute que selon la jurisprudence de la Cour, une décision définitive rendue par le Conseil ne peut pas être attaquée indirectement par l’appel de la décision révisée : voir Lamoureux c. C.A.L.P.A., [1993] A.C.F. no 1128, 1993 CarswellNat 2215; Sarty c. Canada (Commission des relations de travail), [1987] A.C.F. no 310, 1987 CarswellNat 1279; Ager c. U.T.U., section locale 701, [1991] A.C.F. no 216, 1991 CarswellNat 1252.

[24]           Toutefois, en l’espèce, le demandeur n’essaie pas d’attaquer indirectement la décision initiale rendue par le Conseil. Tout d’abord, le demandeur n’attaque nulle des conclusions relatives à sa plainte fondée sur l’article 95. Plus important encore, les questions de la présente demande de contrôle judiciaire soulevées par le demandeur ont été portées devant le Conseil, qui les a discutées dans sa décision révisée. Par conséquent, à ce titre, la présente demande ne constitue pas une attaque indirecte de la décision initiale du Conseil. Bien entendu, si la Cour devait accueillir la présente demande, une nouvelle décision révisée pourrait modifier la décision initiale, comme l’a reconnu l’avocat du défendeur à l’audience. Cela est toutefois différent d’une attaque parallèle. Par conséquent, pour ces motifs, la présente demande n’est pas théorique et les questions soulevées par le demandeur doivent être analysées.

A.                Le Conseil a-t-il commis une erreur en refusant de tenir une audience?

[25]           Le demandeur soutient qu’étant donné que d’importants éléments de preuve contradictoires ont été produits devant le Conseil, la tenue d’une audience aurait dû être ordonnée. Il souligne notamment le fait qu’il y a des versions contradictoires quant à l’existence d’une pratique consistant à maintenir l’ancienneté d’un employé qu’on a empêché de suivre la formation de mécanicien de locomotive pour l’affecter au poste de coordonnateur de la circulation, ainsi qu’aux raisons pour lesquelles on l’a empêché de suivre la formation de mécanicien de locomotive en 2008.

[26]           En vertu d’un principe généralement établi, le Conseil exerce un contrôle total sur ses propres procédures. De plus, l’article 16.1 du Code prévoit explicitement que le Conseil a le pouvoir discrétionnaire de ne pas tenir une audience.

Décision sans audience

Determination without oral hearing

16.1 Le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience.

16.1 The Board may decide any matter before it without holding an oral hearing.

[27]           Le Conseil n’est pas tenu de tenir une audience chaque fois qu’on lui en fait la demande. Le fait qu’il existe des éléments de preuve contradictoires n’appelle pas automatiquement non plus la tenue d’une audience. Comme l’a déclaré notre Cour à l’occasion de l’affaire Syndicat des services du grain (SIDM-Canada) c. Freisen, 2010 CAF 339, au paragraphe 24, 414 N.R. 171 :

Notre Cour a aussi conclu que, dans le contexte d’une plainte de représentation injuste en vertu de l’article 37 du Code, le simple fait que la preuve soit contradictoire ne justifie pas automatiquement la tenue d’une audience devant le Conseil, à moins que d’autres motifs sérieux le justifient. Certes, comme des questions de crédibilité sont presque toujours inévitablement soulevées dans le contexte des relations de travail, l’article 16.1 du Code pourrait être privé de tout effet s’il était interprété ou appliqué autrement : Nadeau c. Métallurgistes Unis d’Amérique, 2009 CAF 100 (CanLII), 400 N.R. 246, par. 6; Guan c. Purolator Courrier Ltée, 2010 CAF 103 (CanLII), par. 28; voir aussi dans un contexte législatif différent Vancouver Wharves Ltd. c. Syndicat international des débardeurs et magasiniers, Ship and Dock Foremen, Section locale 514 (C.A.F.) (1985), 60 N.R. 118.

[28]           Compte tenu de l’importance que revêt le principe du caractère définitif d’un jugement, comme le souligne le Conseil, il est important que les plaignants exposent, par écrit, tous les faits et moyens pertinents à l’appui de leur plainte. En l’espèce, les parties ont eu la possibilité de déposer auprès du Conseil les observations écrites qu’elles jugeaient appropriées, et ces observations ne soulèvent pas de questions de crédibilité importantes exigeant la tenue d’une audience. Une simple question de crédibilité, sans plus, ne constitue pas un « motif impérieux » appelant l’accueil de la demande de contrôle judiciaire visant le refus du Conseil de tenir une audience.

[29]           De plus, le fait qu’il ait pu y avoir confusion parmi les membres quant à la pratique suivie lorsqu’on empêche un employé de suivre la formation de mécanicien de locomotive pour l’affecter à un autre poste n’est d’aucune utilité au demandeur, comme l’a fait remarquer le Conseil. Même s’il existait une pratique de maintien de l’ancienneté de l’employé dans de telles circonstances, les preuves allant dans le sens de la thèse du demandeur portant que sa situation le rendait admissible à une telle différence de traitement étaient pour le moins minces. Quoi qu’il en soit, c’est une bataille qu’il a perdue en 2008 lorsqu’il a omis de déposer dans les délais un grief alléguant qu’on lui avait refusé à tort la formation de mécanicien de locomotive par ordre d’ancienneté, et la présentation d’un témoignage oral à l’étape de réexamen n’aurait pas permis de revenir en arrière.

[30]           Pour ces motifs, le Conseil n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en concluant qu’il n’était pas nécessaire de tenir une audience.

B.                 La plainte du demandeur, fondée sur l’article 37, a-t-elle été déposée hors délais? Le Conseil a-t-il commis une erreur en refusant d’accorder la prorogation de délai?

[31]           Le demandeur soutient que sa plainte fondée sur l’article 37 a été déposée dans les délais, car les délais prescrits par le paragraphe 97(2) du Code ne jouent qu’une fois que le syndicat a rendu une décision définitive. Cela ne s’est produit que le 15 octobre 2013, lorsque le syndicat a rendu sa décision définitive quant à l’appel en matière d’ancienneté interjeté au nom du demandeur. Par conséquent, le demandeur déclare que sa plainte fondée sur l’article 37 a été déposée dans les délais, puisqu’elle l’a été le 13 janvier 2014 ou aux environs de cette date.

[32]           Le paragraphe 97(2) du Code impose une exigence stricte, selon laquelle « les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon le Conseil, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à la plainte ». Dans sa décision initiale, le Conseil a constaté le fait que la date à laquelle le demandeur a eu, ou aurait dû avoir, connaissance des mesures ayant donné lieu à sa plainte – c.-à-d. celle où son ancienneté avait été modifiée à la demande de la CFTC – était le 5 octobre 2012. Non seulement cette décision est-elle conforme à la jurisprudence du Conseil qui enseigne que les processus internes des syndicats n’interrompent pas le délai obligatoire de 90 jours applicable à la présentation des plaintes fondées sur l’article 37 (voir Auto Haulaway Ltd. (Re) (1987), 72 di 127, 19 C.L.R.B.R. (N.S.) 196; Coull (1992), 89 di 64, 17 C.L.R.B. (2d) 301; Pinel (Re), 1999 CIRB 19, [1999] C.I.R.B.D. 19), mais elle n’a pas été contestée par le demandeur dans sa demande de réexamen. Par conséquent, il ne peut pas invoquer cette thèse devant la Cour.

[33]           Pour ce qui est du refus du Conseil d’accorder la prorogation de délai pour le dépôt d’une plainte fondée sur l’article 37 du Code, le droit est bien fixé : une telle décision est de nature discrétionnaire. Il en résulte que la décision est en principe raisonnable, à moins qu’elle ne soit pas suffisamment expliquée ou qu’elle n’appartienne pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47. Dans sa décision, le Conseil a conclu que le fait que le demandeur croyait à tort qu’il devait déposer un appel en interne concernant son ancienneté avant de déposer une plainte de manquement au devoir de représentation juste ne peut servir de justification à la prorogation de délai. À mon avis, cette conclusion n’est nullement déraisonnable; étant donné le degré élevé de déférence auquel le Conseil a droit lorsqu’il rend une décision de nature discrétionnaire, cette conclusion ne devrait pas être infirmée dans le cadre d’une procédure en contrôle judiciaire.

C.                 Le Conseil a-t-il commis une erreur en établissant que le demandeur devait faire valoir ses moyens par affidavit?

[34]           Le demandeur affirme qu’il était déraisonnable de la part du Conseil d’invoquer le fait qu’il n’avait pas produit d’affidavit à l’appui de son allégation selon laquelle il avait été traité différemment des autres employés, puisqu’il n’existe aucune obligation légale de présenter des affidavits.

[35]           À la page 9 de sa décision révisée, le Conseil a observé :

Le demandeur affirme qu’il a été traité différemment des autres employés, mais dans les deux cas, il n’a pas présenté d’affidavits de ces employés pour étayer ses allégations. Par conséquent, ses affirmations ne sont rien de plus que des allégations.

[36]           Ces observations doivent être mises en contexte. Le demandeur affirme qu’il a été traité différemment des autres employés, mais il n’a pas précisé ses allégations en produisant des éléments de preuve solides. Comme l’a noté le Conseil, il incombait au demandeur de faire valoir ses moyens et de défendre ses allégations de traitement inégal. C’est dans cette perspective que doivent être lues les observations du Conseil. Un affidavit aurait certainement été utile pour appuyer l’allégation du demandeur; il ne faut faire dire à la simple observation incidente que le Conseil a formulée plus qu’elle ne dit et il ne faut certainement pas y voir l’exigence de présenter des affidavits.

VI.             Conclusion

[37]           Pour tous les motifs qui précèdent, je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire, avec dépens.

« Yves de Montigny »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

C. Michael Ryer, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Francois Brunet, réviseur


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-299-15

 

INTITULÉ :

CLINTON MADRIGGA c. CONFÉRENCE FERROVIAIRE DE TEAMSTERS CANADA et COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er mars 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE RYER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 17 mai 2016

 

COMPARUTIONS :

Todd C. Andres

 

Pour le demandeur

 

Ken Stuebing

 

Pour la défenderesse

Conférence ferroviaire de Teamsters Canada

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pitblado LLP

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour le demandeur

 

Caley Wray

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse Conférence ferroviaire de Teamsters Canada

 

Thompson Dorfman Sweatman LLP

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

Pour la défenderesse

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

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