Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160512


Dossier : A-282-15

Référence : 2016 CAF 149

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE WEBB

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

DONALD JAMES SATHER

demandeur

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

intimé

Audience tenue à Edmonton (Alberta), le 11 mai 2016.

Jugement rendu à Edmonton (Alberta), le 12 mai 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20160512


Dossier : A-282-15

Référence : 2016 CAF 149

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE WEBB

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

DONALD JAMES SATHER

demandeur

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

[1]               M. Sather (le demandeur) dépose la présente demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un arbitre de grief, nommé en vertu de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2013, ch. 40, art. 365, rejetant son grief pour congédiement de son poste au sein de Service correctionnel du Canada (l’employeur). La décision de l’arbitre de grief porte le numéro de référence 2015 CRTEFP 45 (la décision). Le congédiement repose sur une allégation voulant que le demandeur ait contrevenu au Code de discipline du commissaire en commettant un acte de harcèlement personnel ou sexuel contre un autre membre du personnel en agressant sexuellement la plaignante. Le demandeur a déposé un grief à l’encontre de son congédiement et, même s’il n’a pas témoigné en son propre nom, il a invoqué, comme moyen de défense, que les relations sexuelles entre la plaignante et lui-même étaient consensuelles. Il a cherché à établir le bien-fondé de sa défense en attaquant la crédibilité de la plaignante.

[2]               L’arbitre de grief, après avoir examiné l’ensemble de la preuve, a conclu que, bien que certains éléments de preuve présentés par la plaignante n’étaient pas crédibles, son témoignage voulant qu’elle n’ait pas consenti à avoir des relations sexuelles avec le demandeur était crédible. Il a ensuite déterminé qu’il était en droit de tirer une conclusion défavorable en raison du fait que le demandeur n’a pas témoigné de sa version des événements. L’arbitre a par conséquent rejeté le grief.

[3]               Devant nous, le demandeur a renouvelé ses attaques contre la crédibilité de la plaignante. L’avocat du demandeur a concédé que l’arbitre de grief était libre de croire certains aspects de la preuve de la plaignante et de ne pas croire certains autres. Il a également admis, suivant la jurisprudence enseignée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Ewanchuk [1999]1 R.C.S. 330 et réaffirmée dans l’arrêt R. c. J.A. 2011  C.S.C. 28, [2011] 2  R.C.S 440, au paragraphe 34, que le consentement signifie de consentir aux actes sexuels au moment où ils ont lieu. Cependant, l’avocat du demandeur s’appuie également sur le paragraphe 30 de l’arrêt Ewanchuk dans lequel la Cour suprême du Canada a conclu que :

« La déclaration de la plaignante selon laquelle elle n’a pas consenti est une question de crédibilité, qui doit être appréciée à la lumière de l’ensemble de la preuve, y compris de tout comportement ambigu. À cette étape, il s’agit purement d’une question de crédibilité, qui consiste à se demander si, dans son ensemble, le comportement de la plaignante est compatible avec sa prétention selon laquelle elle n’a pas consenti. »

[4]               L’avocat du demandeur a essentiellement fait valoir que, lorsque l’on examine toute la preuve, y compris les occasions où l’arbitre de grief a conclu que des éléments de preuve spécifiques de la plaignante n’étaient pas crédibles, ce dernier ne pouvait pas raisonnablement conclure que la preuve de la plaignante voulant qu’elle n’ait pas consenti à avoir des relations sexuelles avec le demandeur était crédible.

[5]               La norme de contrôle d’une décision d’un arbitre de grief est le caractère raisonnable relatif aux questions de fait. La question de savoir si la plaignante a consenti à avoir des relations sexuelles avec le demandeur au moment où ces relations ont eu lieu est une pure question de fait. En conséquence, le demandeur doit démontrer, comme il a tenté de le faire, que la décision de l’arbitre de grief était déraisonnable.

[6]               L’arbitre de grief a commencé son analyse en reconnaissant que, dans une affaire civile, une seule norme de preuve s’applique, celle de la prépondérance des probabilités. Puis, il a cité de nombreux extraits des arrêts Ewanchuk et J.A relatifs à la question du consentement. Enfin, l’arbitre de grief a passé la preuve en revue, reconnaissant les incohérences dans la preuve de la plaignante, sur lesquelles l’avocat du demandeur a porté son attention. L’arbitre a tiré des conclusions concernant les parties de la preuve de la plaignante qu’il croyait et celles qu’il ne croyait pas. Sur la question essentielle du consentement, l’arbitre de grief a conclu, selon le témoignage de la plaignante, « qu’il est clair qu’elle n’a pas consenti à une activité sexuelle. » Voir le paragraphe 166 de la décision. Après avoir examiné l’argument du demandeur relatif à l’improbabilité de certains éléments de preuve, sur lesquels l’employeur s’est fondé pour établir la chronologie des événements, l’arbitre de grief a conclu de ce qui suit :

« Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, j’accepte le fait qu’il est crédible que le témoignage de la plaignante indique, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle a été agressée sexuellement par le fonctionnaire. »

Voir le paragraphe 170 de la décision.

[7]               Après en être venu à cette conclusion, l’arbitre de grief a alors abordé la question de la conclusion défavorable. Il a fait remarquer qu’il n’y a pas de présomption d’innocence dans les affaires civiles. Il a ensuite déclaré que l’omission du fonctionnaire de témoigner en l’espèce devrait entraîner une conclusion défavorable voulant que la partie de son témoignage relatif à l’agression sexuelle ne soit pas utile à sa cause. Voir les paragraphes 173 à 175 de la décision.

[8]               Seules deux personnes étaient présentes quand l’agression sexuelle est alléguée avoir eu lieu. Seule l’une d’entre elles a témoigné. Si l’on ne croit pas la plaignante, il n’y a aucune autre preuve relative à son consentement. L’arbitre de grief l’a manifestement compris :

« Le témoignage de la plaignante n’a pas été contredit, puisque seuls elle-même et le fonctionnaire se trouvaient dans le camion et qu’il n’a pas témoigné. Il s’ensuit que la seule façon dont [l’employeur] pouvait  montrer qu’il s’était acquitté de son fardeau d’établir que l’agression sexuelle avait eu lieu était au moyen d’une preuve qui aurait révélé que la plaignante n’était pas crédible. Même si le témoignage d’un plaignant peut manquer de crédibilité sur certaines questions, le témoignage de la plaignante quant à l’ensemble des allégations peut résister à l’examen. Il est possible qu’on la croie pour certaines questions et non pour d’autres et quand même conclure qu’elle a été agressée. »

Voir le paragraphe 160 de la décision [non souligné dans l’original.].

[9]               L’avocat du demandeur s’est fondé sur la proposition que l’employeur ne pouvait avoir gain de cause si la plaignante manquait de crédibilité. Comme indiqué, il a admis que la question essentielle était de savoir si l’on devait croire la plaignante quand elle a dit qu’elle n’avait pas consenti aux relations sexuelles, mais il a soutenu que, compte tenu des omissions, des incohérences et des improbabilités qu’il a soulignées, on devrait conclure que la plaignante manque de crédibilité et, par conséquent, qu’il était déraisonnable de la part de l’arbitre de grief de conclure qu’elle était crédible quant à la question du consentement. Il me semble que cela revient à soutenir qu’un tribunal devrait évaluer globalement la crédibilité d’un plaignant, puis soit croire tous les éléments de preuve du plaignant soit n’en croire aucun. Cela va à l’encontre de ce qu’enseigne l’arrêt Ewanchuk.

[10]           Au soutien de cette argumentation, il nous a présenté minutieusement la preuve, puis il nous a invités à tirer des conclusions défavorables à l’égard de la plaignante. Il est inutile de préciser que ce n’est pas notre rôle. L’arbitre de grief a entendu l’ensemble de la preuve et tous les témoins, et pour reprendre les propos de R. D. Gibbens dans l’article intitulé « Appellate Review of Findings of Fact » (1991-92), 13 Advocates’ Q. 445, à la page 446, cités avec approbation dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 C.S.C. 33, [2002] 2 R.C.S. 235 au paragraphe 14 :

[traduction] « Cette connaissance, acquise par le juge de première instance au fil des jours, des semaines voire des mois qu’a duré l’instance, peut se révéler beaucoup plus profonde que celle de la cour d’appel, dont la perception est beaucoup plus limitée et étroite, et souvent déterminée et déformée par les diverses ordonnances et décisions qui sont contestées. »

[11]           Dans les présentes circonstances, l’arbitre de grief est le juge de première instance. Il s’est consacré à la présente instance pendant plusieurs mois et il connaissait très bien l’ensemble de la preuve. Alors que j’ai examiné les parties de la preuve sur lesquelles l’avocat du demandeur a attiré notre attention, cette preuve doit être évaluée dans son ensemble. Contrairement à nous, l’arbitre de grief était en mesure de le faire.  Je n’ai pas été convaincu que l’évaluation de la preuve par l’arbitre de grief était telle qu’elle l’a mené à une conclusion qui ne faisait pas partie de l’éventail d’issues possibles et acceptables. Je ne remettrais pas en question la conclusion de l’arbitre de grief selon laquelle on devait croire la plaignante quand elle affirme qu’elle n’a pas consenti aux relations sexuelles avec le demandeur, et qu’en conséquence, elle a été agressée sexuellement.

[12]           Quant à la question de tirer une conclusion défavorable, la décision précise clairement que l’arbitre de grief a tranché la question de la crédibilité de la plaignante avant d’examiner l’incidence de l’omission du demandeur de témoigner. Selon ma lecture de la décision, l’arbitre de grief a traité la question de la conclusion défavorable comme venant simplement confirmer la conclusion qu’il a tirée après un examen de l’ensemble de la preuve. Puisque cette question n’était pas déterminante, il n’est pas nécessaire d’en dire davantage à ce sujet.

[13]           Le demandeur a également soulevé la question de la mauvaise foi et du manque d’équité procédurale de l’employeur. Comme la communication initiale par l’employeur de son rapport d’enquête était manifestement insatisfaisante compte tenu de son recours libéral à la censure, l’arbitre de grief a ordonné une communication complète, ce qui a remédié à toute violation potentielle de l’équité procédurale. La possible partialité de l’employeur ne compromet pas le caractère équitable de l’instance devant l’arbitre de grief.

[14]           Pour ces motifs, je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire, avec dépens.

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-282-15

 

INTITULÉ :

DONALD JAMES SATHER c. ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL (SERVICE CORRECTIONNEL CANADA)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 mai 2016

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE DE MONTIGNY

DATE DES MOTIFS :

Le 12 mai 2016

COMPARUTIONS :

Michael Prokosh

Pour le DEMANDEUR

Barry Benkendorf

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McGrady & Company

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

Pour l’intimé

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.