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Date : 20160429


Dossier : A-529-14

Référence : 2016 CAF 136

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE DAWSON

LE JUGE SCOTT

 

 

ENTRE :

MAGDALENA FORNER

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 12 janvier 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 29 avril 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE SCOTT

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE DAWSON

 


Date : 20160429


Dossier : A-529-14

Référence : 2016 CAF 136

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE DAWSON

LE JUGE SCOTT

 

 

ENTRE :

MAGDALENA FORNER

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SCOTT

[1]               La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) rendue par un arbitre de grief (l'arbitre) le 31 octobre 2014 (2014 CRTFP 95). Dans sa décision, l'arbitre a rejeté le grief déposé par Magdalena Forner (la demanderesse) par lequel elle contestait son licenciement comme scientifique PC‑02 par l'administrateur général d'Environnement Canada aux termes de l'alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F‑11. Conformément à l'article 230 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la Loi), l'arbitre a conclu qu'il était raisonnable de mettre fin à l'emploi de la demanderesse.

[2]               Cette demande de contrôle judiciaire devait être entendue à Ottawa à la requête de la demanderesse. Cependant, la demanderesse ne s'est pas présentée à l'audience le 12 janvier 2016, sans en avoir auparavant informé la Cour. Par conséquent, il a été décidé que cette demande serait traitée en fonction des observations écrites des parties.

I.                   Les faits

[3]               Les faits sont exposés en détail dans les motifs de l'arbitre. Pour les besoins de cette demande, les faits suivants suffisent.

[4]               En juin 2009, la demanderesse a été embauchée par Environnement Canada à titre de « scientifique en processus atmosphériques ». Elle travaillait au Service météorologique du Canada (région des Prairies et du Nord), à la Section des sciences de la qualité de l'air, au bureau d'Edmonton.

[5]               Au début du mois de janvier 2011, la conduite professionnelle de la demanderesse a commencé à susciter des critiques.

[6]               Considérant qu'elle n'était pas parvenue à améliorer suffisamment son rendement au travail, son employeur a mis fin à son emploi par une lettre du 26 janvier 2012.

II.                La décision de l'arbitre

[7]               La demanderesse a affirmé devant l'arbitre que la décision de l'administrateur général était déraisonnable parce que : i) les normes de rendement en fonction desquelles on évaluait son travail ne lui ont jamais été clairement communiquées; ii) elle n'avait pas reçu l'aide, les outils, la formation et l'encadrement nécessaires pour améliorer son rendement au travail; iii) elle n'avait pas disposé d'un délai raisonnable pour améliorer son rendement au travail. Essentiellement, la demanderesse a invoqué trois des quatre facteurs énoncés dans la décision Raymond c. Conseil du Trésor, 2010 CRTFP 23, [2010] C.R.T.F.P.C. no 24 (QL), au paragraphe 131 (Raymond).

[8]               Selon l'arbitre, la question à trancher était de savoir si l'évaluation voulant que le rendement de la demanderesse s’avérait insatisfaisant était raisonnable. Selon lui, il s'agissait d'une question à deux volets. D'abord, le rendement de la demanderesse était‑il insatisfaisant? Deuxièmement, dans l'affirmative, l'évaluation était‑elle raisonnable (motifs, au paragraphe 184)? Ainsi, l'arbitre a d'abord tenu compte de tous les éléments de preuve présentés par les parties afin de déterminer si le rendement de la demanderesse était insatisfaisant (motifs, aux paragraphes 185 à 199). Il a conclu que le rendement de la demanderesse était insatisfaisant à partir de juin 2011 jusqu'à son licenciement en janvier 2012. L'arbitre a ensuite déterminé que l'évaluation du rendement de la demanderesse était raisonnable (motifs, aux paragraphes 200 à 225).

[9]               Il a constaté que les éléments de preuve présentés montraient clairement que la demanderesse était au courant des exigences de son poste (motifs, au paragraphe 213), que l'employeur avait fourni à la demanderesse l'aide et l'encadrement nécessaires (motifs, aux paragraphes 216 à 219) et qu'elle avait disposé d'un délai raisonnable pour améliorer son rendement (motifs, aux paragraphes 221 à 224). Par conséquent, il a conclu qu'il était raisonnable que l'administrateur général mette fin à l'emploi de la demanderesse.

III.             La norme de contrôle

[10]           Saisie d'une demande de contrôle judiciaire, la Cour doit d'abord déterminer si la jurisprudence a déjà établi la norme de contrôle applicable (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 62 (Dunsmuir)). Il a été établi que la norme de contrôle applicable à une décision d'un arbitre de la CRTFP portant sur un grief à l'encontre d'un licenciement en vertu de la Loi est celle de la décision raisonnable (King c. Procureur général, 2013 CAF 131).

[11]           L'interprétation faite par l'arbitre de l'article 230 de la Loi devrait aussi être examinée selon la norme de la décision raisonnable; toutefois, dans ce cas, la marge d'appréciation est plus étroite (McLean c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895, aux paragraphes 37 à 41).

IV.             Les observations

[12]           Dans cette instance, la demanderesse a soulevé sept questions relatives aux conclusions de fait de l'arbitre.

[13]           La demanderesse a présenté, par l'entremise de son affidavit et de la pièce A y annexée, de nouveaux éléments de preuve pour contester la conclusion générale de l'arbitre selon laquelle il était raisonnable que l'administrateur général mette fin à son emploi en raison d'un rendement insatisfaisant.

[14]           Le défendeur allègue que la demanderesse se sert de son affidavit pour qualifier les éléments de preuve présentés à la CRTFP, ou pour y ajouter des éléments de preuve.

[15]           La demanderesse avance également que l'arbitre : i) a pris sa décision sans tenir compte des éléments de preuve qu'elle a présentés; ii) a commis une erreur de droit en imposant une norme plus élevée; iii) a violé les principes de la justice naturelle. Le défendeur conteste ces arguments au motif que l'arbitre a tenu compte de tous les éléments de preuve présentés. De plus, le défendeur souligne que la demanderesse a bénéficié d'un examen de la preuve plus rigoureux que nécessaire, parce que l'arbitre a vérifié si le rendement de la demanderesse était insatisfaisant, ce qu'il n'avait pas à faire et n'aurait pas dû faire.

V.                Analyse

[16]           Avant de se pencher sur les arguments de la demanderesse, il est important de souligner que pour prendre sa décision, l'arbitre a interprété de manière déraisonnable le critère établi à l'article 230 de la Loi. L'article 230 dispose :

230. Saisi d'un grief individuel portant sur le licenciement ou la rétrogradation pour rendement insuffisant d'un fonctionnaire de l'administration publique centrale ou d'un organisme distinct désigné au titre du paragraphe 209(3), l'arbitre de grief ou la Commission, selon le cas, doit décider que le licenciement ou la rétrogradation étaient motivés s'il conclut qu'il était raisonnable que l'administrateur général estime le rendement du fonctionnaire insuffisant.

230. In the case of an employee in the core public administration or an employee of a separate agency designated under subsection 209(3), in making a decision in respect of an employee's individual grievance relating to a termination of employment or demotion for unsatisfactory performance, an adjudicator or the Board, as the case may be, must determine the termination or demotion to have been for cause if the opinion of the deputy head that the employee's performance was unsatisfactory is determined by the adjudicator or the Board to have been reasonable.

[17]           L'arbitre a d'abord cherché à déterminer si le rendement de la demanderesse était insatisfaisant; il a ensuite examiné la question du caractère raisonnable de l'évaluation faite par l'administrateur général, en utilisant les trois critères tirés de la décision Raymond qui ont été soulevés par la demanderesse. Comme l'administrateur général avait déterminé que le rendement de la demanderesse était insatisfaisant, l'arbitre aurait dû se limiter à la question de savoir si la décision de l'administrateur général était raisonnable, au lieu de procéder à une analyse en deux étapes comme il l'a fait.

[18]           L'arbitre a donc omis de suivre une jurisprudence bien établie de la CRTFP quant au critère applicable (voir Raymond, Plamondon c. Administrateur général (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2011 CRTFP 90, [2011] C.R.T.F.P.C. no 89 (QL), Mazerolle c. Administrateur général (ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CRTFP 6, [2012] C.R.T.F.P.C. no 6 (QL), et Reddy c. Bureau du surintendant des institutions financières, 2012 CRTFP 94, [2012] C.R.T.F.P.C. no 88 (QL)). Il n'aurait pas dû faire sa propre analyse du rendement de la demanderesse.

[19]           Cela étant dit, la décision de l'arbitre est tout de même raisonnable, puisqu'il y avait, à mon avis, suffisamment d'éléments de preuve pour en arriver à la conclusion que la décision de l'administrateur général était raisonnable (motifs, aux paragraphes 208 à 225).

[20]           C'est le contexte qui dicte la retenue dont il faut faire preuve à l'égard de la décision de l'arbitre. Lorsque la décision est principalement factuelle, les issues pouvant se justifier sont nombreuses. Dans le cas d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la CRTFP, la Cour ne peut aller au‑delà de la preuve présentée à l'arbitre. La Cour n'accepte pas normalement de nouveaux éléments de preuve (Bernard c. Agence du revenu du Canada, 2015 CAF 263, [2015] A.C.F. no 1396 (QL), aux paragraphes 31 et 32, et Connolly c. Procureur général, 2014 CAF 294, [2014] A.C.F. no 1237 (QL), aux paragraphes 6 et 7).

[21]           J'ai examiné attentivement le dossier et j'en conclu que la défenderesse n'a pas identifié d'éléments de preuve qui auraient établi que l'arbitre avait commis des erreurs dans ses conclusions de fait qui rendraient sa décision déraisonnable. La demanderesse a également omis de fournir les pièces présentées à l'arbitre ou d'identifier clairement les éléments de preuve au dossier qu'elle invoque pour contester les conclusions de l'arbitre. Elle se fonde plutôt sur son affidavit et sur la chronologie des événements qui y est jointe, dont l'arbitre n'était pas saisi.

[22]           En ce qui concerne la décision de l'arbitre au sujet des autres prétentions de la demanderesse, à savoir que les normes selon lesquelles on évaluait son travail ne lui ont jamais été clairement communiquées et qu'elle n'avait pas reçu l'aide nécessaire ou disposé d'un délai raisonnable pour améliorer son rendement au travail, je dois rejeter ces allégués. D'abord, il est clair d'après la décision de l'arbitre que les éléments de preuve établissaient que la demanderesse avait été informée à de nombreuses occasions de ce qu'on attendait d'elle en matière de rendement (motifs, aux paragraphes 211 à 213). Deuxièmement, l'arbitre a souligné des éléments de preuve montrant qu'à partir du 1er juin, la gestionnaire de la demanderesse la rencontrait presque quotidiennement (motifs, au paragraphe 216). Enfin, la conclusion de l'arbitre selon laquelle la demanderesse avait bénéficié d'un délai raisonnable pour améliorer son rendement est raisonnable, puisqu'elle est fondée sur la preuve (motifs, aux paragraphes 222 à 224).

[23]           L'allégation de la demanderesse selon laquelle l'arbitre a imposé une norme plus élevée doit également être rejetée. Il est clair d'après la décision que l'arbitre n'a pas appliqué une norme de preuve plus élevée. L'utilisation de l'expression « clairement déraisonnable » au paragraphe 184 de ses motifs a été en fait corrigée lorsque l'arbitre a écrit immédiatement après que la question était simplement de déterminer « si l'évaluation selon laquelle le rendement de la fonctionnaire était insuffisant, par Mme Mintz et Mme Best, et accepté [sic] par l'administrateur général, était raisonnable ».

[24]           De plus, dans l'arrêt Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 R.C.S. 458, la juge Abella, s'exprimant au nom de la majorité des juges, a affirmé ce qui suit :

[54]      Il faudrait considérer la sentence arbitrale comme un tout et s'abstenir de faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d'une erreur (Newfoundland Nurses, par. 14). En l'absence d'une constatation que la sentence, au vu du dossier, se retrouve en dehors du champ des issues possibles raisonnables, elle ne doit pas être modifiée. [...]

[25]           À mon avis, si on examine la décision comme un tout, l'arbitre a appliqué la bonne norme de la preuve à la décision de l'administrateur général.

[26]           Je dois également rejeter la prétention de la demanderesse selon laquelle l'arbitre a rendu sa décision sans prendre en considération le fait que certains des éléments de preuve présentés manquaient au dossier. La lettre rédigée par l'avocat principal de la CRTFP en réponse aux questions de la demanderesse montre clairement qu'aucune pièce ne manquait au dossier (pièce C, affidavit de M. Maier, dossier du défendeur, à la page 65).

[27]           Je ne peux accepter la thèse de la demanderesse selon laquelle l'arbitre en est arrivé à sa décision en violation des principes de justice naturelle parce qu'il a omis de signaler les éléments de preuve sur lesquels sa décision était fondée. En fait, dans sa décision, l'arbitre mentionne à maintes reprises les éléments de preuve présentés lors de l'audience (motifs, aux paragraphes 208, 211, 213, 214, 216, 218 et 224).

[28]           Enfin, je dois ajouter que la demanderesse, dans ses allégués, recherche une réparation que la Cour ne peut accorder dans une demande de contrôle judiciaire. La Cour n'a pas le pouvoir d'accorder les mesures correctives que la demanderesse souhaite obtenir de son ancien employeur.

VI.             Conclusion

[29]           Je conclus que la décision de l'arbitre était raisonnable.

[30]           Pour ces motifs, je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire, avec dépens.

« A.F. Scott »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

            Marc Noël j.c. »

« Je suis d'accord.

            Eleanor R. Dawson j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-529-14

 

 

INTITULÉ :

MAGDALENA FORNER c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 12 janvier 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE SCOTT

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 AVRIL 2016

 

COMPARUTIONS :

Barry Benkendorf

 

Pour le défendeur

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

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