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Date : 20160420


Dossier : A­435­15

Référence : 2016 CAF 120

En présence de MONSIEUR LE JUGE STRATAS

ENTRE :

PREMIÈRE NATION DE PROPHET RIVER ET PREMIÈRES NATIONS DE WEST MOBERLY

appelantes

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT,

MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS,

MINISTRE DES TRANSPORTS ET

BRITISH COLUMBIA HYDRO AND POWER AUTHORITY

intimés

Demande traitée par écrit sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 20 avril 2016.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20160420


Dossier : A­435­15

Référence : 2016 CAF 120

En présence de MONSIEUR LE JUGE STRATAS

ENTRE :

PREMIÈRE NATION DE PROPHET RIVER ET PREMIÈRES NATIONS DE WEST MOBERLY

appelantes

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT,

MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS,

MINISTRE DES TRANSPORTS ET

BRITISH COLUMBIA HYDRO AND POWER AUTHORITY

intimés

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

[1]               Amnistie internationale et l’Association du Traité avec les Te’mexw demandent, par voie de requête, l’autorisation d’intervenir dans le présent appel. Pour les motifs exposés ci-­après, je rejette les requêtes.

A.                Le critère d’intervention

[2]               Les facteurs à prendre en compte pour une requête d’intervention sont énoncés dans la décision Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Canada (Procureur général), [1990] 1 C.F. 74, et ont récemment été réaffirmés dans l’arrêt Sport Maska Inc. c. Bauer Hockey Corp., 2016 CAF 44.

[3]               Avant l’arrêt Sport Maska, les facteurs de la décision Rothmans, Benson & Hedges ont été modifiés et reformulés dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Première Nation Pictou Landing, 2014 CAF 21, [2015] 2 R.C.F. 253. Ces modifications ont été apportées afin de fournir une meilleure orientation quant au facteur concernant l’« intérêt de la justice » dans la décision Rothmans, Benson & Hedges. La nature vaste du facteur concernant l’« intérêt de la justice » risque d’être interprétée comme « tout point de vue du juge chargé de statuer sur la requête ».

[4]               Finalement, dans l’arrêt Sport Maska, la Cour a conclu que les différences entre la décision Rothmans, Benson & Hedges et l’arrêt Pictou Landing n’étaient pas assez importantes pour que l’on s’écarte des facteurs énoncés dans cette décision (paragraphe 41). La formation de la Cour a plutôt conclu que plusieurs facteurs de l’arrêt Pictou Landing sont des types de facteurs dont la Cour peut tenir compte dans le cadre du facteur flexible concernant l’« intérêt de la justice » : Sport Maska, paragraphe 42. Je procéderai de la même manière avec les présentes requêtes.

B.                 Application du critère d’intervention

(1)               Considérations communes aux deux requêtes d’intervention

[5]               Parmi les six facteurs de la décision Rothmans, Benson & Hedges, quatre peuvent être jugés non pertinents dès le début :

                     La personne qui se propose d’intervenir est-elle directement touchée par l’issue du litige? Non. L’issue du litige peut intéresser les deux parties, mais elles ne sont pas directement touchées. Une partie doit être « directement touchée» pour pouvoir participer pleinement à titre d’intervenante dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire – c’est­-à-­dire avoir qualité de demanderesse ou de défenderesse dans le cadre d’une telle demande : Forest Ethics Advocacy Association c. Canada (Office national de l’énergie), 2013 CAF 236. Aucune partie requérante n’affirme qu’elle aurait dû avoir qualité de demanderesse ou de défenderesse dans la présente affaire.

                                 Y a ­t­il une question qui est de la compétence des tribunaux ainsi qu’un véritable intérêt public? La question est effectivement de la compétence des tribunaux. Dans le cas contraire, la demande de contrôle judiciaire aurait été radiée : Canada (Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250. Oui, il semble y avoir un intérêt public dans l’affaire, mais cela ne signifie pas nécessairement qu’il faudrait faire droit à la demande des parties requérantes.

                     S’agit-­il d’un cas où il semble n’y avoir aucun autre moyen raisonnable ou efficace de soumettre la question à la Cour? Ce facteur n’est pas pertinent. La question a été soumise à la Cour et celle-ci décidera si les parties requérantes peuvent participer à titre d’intervenantes ou non.

                     La Cour peut-elle entendre l’affaire et statuer sur le fond sans autoriser l’intervention? Oui. Le fait que les parties requérantes n’obtiennent pas le statut d’intervenantes n’empêchera pas la Cour de statuer sur la présente affaire.

[6]               Par conséquent, seuls deux facteurs dans la décision Rothmans, Benson & Hedges doivent être pris en compte relativement aux requêtes :

                     La position de la personne qui se propose d’intervenir est-elle défendue adéquatement par l’une des parties au litige? Voilà un facteur pertinent et important. Il soulève la question clé selon le paragraphe 109(2) des Règles, à savoir si l’intervenant fournira à la Cour des précisions et des perspectives différentes et utiles qui l’aideront à la prise d’une décision et qui lui feront prendre connaissance, notamment, des répercussions que pourraient avoir les approches qu’elle pourrait adopter dans ses motifs.

                     L’intérêt de la justice sera-t-il mieux servi si l’intervention demandée est autorisée? À mon avis, ce facteur comprend tous les facteurs discutés dans l’arrêt Première Nation Pictou Landing, en plus de tout autre facteur pouvant découler des faits de cas particuliers, à savoir si :

-                l’intervention est conforme aux objectifs établis à l’article 3 des Règles et aux exigences de l’article 109 des Règles (dispositions qui nous lient);

-                la partie requérante a un véritable intérêt dans l’affaire de façon à ce que la Cour puisse être certaine que la partie qui se propose d’intervenir détient les connaissances, les compétences et les ressources nécessaires et qu’il les appliquera à la question devant la Cour;

-                la question a pris une dimension tellement publique, importante et complexe que la Cour doit être exposée à des perspectives autres que celles offertes par les parties particulières devant la Cour;

-                la partie requérante a participé à des procédures antérieures de l’affaire;

-                l’intervention devrait être assujettie à certaines conditions de façon à atteindre les objectifs établis à l’article 3 des Règles et à fournir aux parties initiales à l’instance un degré de justice procédurale.

[7]               J’ai soigneusement examiné ces facteurs. Par souci de concision, je n’offrirai que de brefs motifs pour les facteurs les plus pertinents à ma décision.

(2)               Requête d’Amnistie internationale

[8]               Amnistie internationale nous fournit des observations sur une variété de questions juridiques à l’échelle internationale. Toutefois, je ne suis pas convaincu que ces questions sont assez pertinentes et importantes pour les questions soulevées dans le présent appel.

[9]               Plus particulièrement, je ne suis pas convaincu qu’Amnistie internationale aidera la Cour à statuer sur la question centrale du présent appel, à savoir la compétence ou le mandat du gouverneur en conseil au titre du paragraphe 52(4) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), L.C. 2012, ch. 19.

[10]           L’affaire devant nous est un appel du rejet d’une demande de contrôle judiciaire. Amnistie internationale n’a pas expliqué la façon particulière dont le droit international aura une influence sur les questions précises du droit administratif qui sont soulevées dans la présente affaire. On nous dit que [traduction] « le droit international exige des normes élevées de protection substantive et procédurale des droits des peuples autochtones » et que « les normes juridiques à l’échelle nationale doivent être éclairées par les obligations internationales du Canada et en conformité avec celles-­ci », mais on n’explique pas précisément pourquoi et comment il en est ainsi dans les faits précis, les circonstances et les dispositions juridiques de la présente affaire.

[11]           La Cour suprême du Canada a déployé beaucoup d’efforts pour définir le droit que nous devons respecter. Nous n’avons aucune autorisation de modifier ce droit. La portée d’observations plus générales fondée sur les concepts du droit international est plus étroite pour la Cour que pour la Cour suprême.

[12]           Dans l’arrêt Nation Gitxaala c. Canada, 2015 CAF 73, où Amnistie internationale était l’une des parties requérantes, la Cour a décrit les façons plutôt limitées (mais parfois importantes) dont le droit international peut avoir une incidence sur des procédures comme celle en l’espèce. Dans la présente affaire, il était loisible à Amnistie internationale de contester les observations faites par la Cour dans l’arrêt susmentionné, mais elle ne l’a pas fait. Amnistie internationale n’a pas démontré, de façon suffisamment précise et en renvoyant à l’arrêt Gitxaala, en quoi les questions du droit international qu’elle souhaite soulever seront pertinentes à notre détermination des questions précises dans le présent appel. Par exemple, elle n’a souligné aucune ambiguïté particulière dans les dispositions législatives pertinentes et n’a décrit d’aucune manière précise en quoi les normes du droit international pourraient avoir une incidence sur l’interprétation par la Cour de toute disposition pertinente.

[13]           Les observations d’Amnistie internationale ne m’ont pas convaincu que la Cour ne recevrait rien de plus qu’une présentation générale des dispositions et des concepts du droit international relativement au droit des peuples autochtones, indiquant, en gros, que ce droit est primordial – ce fait se situant déjà au premier plan dans l’esprit de la Cour.

[14]           La Cour accueillerait des observations précises sur certaines questions du droit international qui pourraient avoir une incidence sur notre décision à l’égard des questions précises de la présente affaire. On ne m’a toutefois pas persuadé que de telles observations seraient offertes.

[15]           Finalement, je note un retard de plusieurs mois pour la présentation de cette demande. Selon les circonstances en l’espèce, il s’agit d’un facteur important : Canada (Procureur général) c. Canadian Doctors for Refugee Care, 2015 CAF 34, 470 N.R. 167, aux paragraphes 28 et 39; et ViiV Soins de santé ULC c. Teva Canada limitée, 2015 CAF 33, 474 N.R. 199, au paragraphe 11. Amnistie internationale s’est vu accorder l’autorisation d’intervenir de façon limitée devant la Cour fédérale. Elle était donc bien consciente du présent appel, mais, inexplicablement, elle a tardé à présenter sa requête.

[16]           Devant la Cour, les appelantes présentent une requête visant à avancer la date de l’audience pour le présent appel. Si Amnistie internationale était autorisée à intervenir, des observations en réponse seraient exigées, ce qui retarderait davantage la procédure et pourrait exposer les appelantes encore plus au type de préjudice qu’elles prétendent subir dans leur requête.

[17]           Par conséquent, la requête en intervention d’Amnistie internationale sera rejetée. Ce faisant, je ne dénigre ni cette dernière ni le travail exemplaire qu’elle a réalisé dans certains domaines juridiques et d’autres domaines plus vastes.

(3)               Requête de l’Association du Traité des Te’mexw

[18]           On ne m’a pas convaincu que l’Association offrira une perspective différente sur les questions soulevées dans le présent appel. Elle semble plutôt proposer des observations qui répéteront essentiellement celles des appelantes.

[19]           L’Association fait valoir que sa perspective unique découle de sa participation au processus des traités moderne, mais les arguments juridiques qu’elle souhaite présenter ne sont pas liés à sa participation à ce processus.

[20]           Je suis d’avis que la décision de la Cour quant au présent appel pourrait avoir une incidence sur les intérêts de l’Association. Cependant, on a conclu à maintes reprises que ce genre d’intérêt, soit un intérêt jurisprudentiel, n’était pas suffisant : Lignes aériennes Canadien International Ltée c. Canada (Commission des droits de la personne), 2000 CAF 233, [2010] 1 R.C.F. 226; Anderson c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2003 CAF 352, 311 N.R. 184; La Reine c. Bolton, [1976] 1 C.F. 252 (C.A.); et Tioxide Canada Inc. c. Canada (1994) 174 N.R. 212, 94 D.T.C. 6366 (C.A.F.).

[21]           Entre autres, l’Association a l’intention, dans le cadre du présent appel, de faire valoir que la décision en première instance dissuadera les Premières Nations de conclure des traités modernes. Un intimé répondrait probablement qu’un traité moderne devrait contenir des dispositions précises et détaillées qui rendraient inutile le genre de litige en l’espèce. La question de savoir si l’Association ou l’intimé a raison repose sur une question de fait pour laquelle aucune preuve n’a été présentée. Habituellement, des éléments de preuve ne peuvent pas être produits en appel : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Ishaq, 2015 CAF 151, 474 N.R. 268, aux paragraphes 14 à 27.

[22]           Au coeur du présent appel se trouvent le texte législatif, le pouvoir du décideur administratif et la décision en cause. Tandis qu’elle offre des observations générales, l’Association ne m’a pas convaincu que ces observations auront une incidence sur l’examen par la Cour de ces questions centrales.

[23]           Tout comme Amnistie internationale, l’Association a tardé à présenter sa requête en intervention. Selon les circonstances en l’espèce, il s’agit d’un autre facteur important de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour de ne pas accueillir la requête de l’Association.

C.                Décision

[24]           Par conséquent, je rejette les requêtes en intervention. Parallèlement à la publication de ces motifs et de l’ordonnance, les parties recevront une directive de la Cour en ce qui concerne la requête des appelantes visant à avancer la date de l’audience.

« David Stratas »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A­435­15

 

INTITULÉ :

PREMIÈRE NATION DE PROPHET RIVER ET PREMIÈRES NATIONS DE WEST MOBERLY c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT, MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS, MINISTRE DES TRANSPORTS ET BRITISH COLUMBIA HYDRO AND POWER AUTHORITY

 

REQUÊTE TRAITÉE PAR ÉCRIT SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 20 avril 2016

 

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

Allisun Rana

Emily Grier

 

Pour les appelantes

 

Mark Andrews, conseiller de la reine

Charles Willms

Bridget Gilbride

 

Pour l’intimée (British Columbia Hydro and Power Authority)

 

Jessica Orkin

Cassandra Porter

POUR L’ORGANISME QUI SE PROPOSE D’INTERVENIR (Amnistie internationale)

Robert J.M. Janes, conseiller de la reine

Elin R.S. Sigurdson

Pour l’organisme qui se propose d’intervenir (Association du Traité des Te’mexw)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rana Law

Calgary (Alberta)

 

Pour les appelantes

 

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Pour les intimés (Procureur général du Canada, ministre de l’Environnement, ministre des Pêches et des Océans et ministre des Transports)

Fasken Martineau DuMoulin s.r.l.

Vancouver (Colombie­Britannique)

 

Pour l’intimée (British Columbia Hydro and Power Authority)

 

Goldblatt Partners LLP

Toronto (Ontario)

POUR L’ORGANISME QUI SE PROPOSE D’INTERVENIR (Amnistie internationale)

JFK Law Corporation

Vancouver (Colombie­Britannique)

Pour l’organisme qui se propose d’intervenir (Association du Traité des Te’mexw)

 

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