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Date : 20160405


Dossier : A­39­16

Référence : 2016 CAF 103

En présence de monsieur le juge Stratas

ENTRE :

GÁBOR LUKÁCS

demandeur

et

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

défendeur

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 5 avril 2016.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20160405


Dossier : A­39­16

Référence : 2016 CAF 103

En présence de monsieur le juge Stratas

ENTRE :

GÁBOR LUKÁCS

demandeur

et

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

[1]               Les parties cherchent à faire en sorte que la présente demande de contrôle judiciaire soit prête pour l'audition. Le demandeur a demandé, en vertu de l'article 317 des Règles des Cours fédérales (les Règles), que le défendeur, l'Office des transports du Canada (l'Office), transmette le dossier sur lequel il s'est fondé pour rendre ses décisions faisant l'objet de la demande. En réponse, l'Office s'est opposé, en vertu du paragraphe 318(2), à la transmission d'une partie du dossier, et a informé le demandeur et la Cour des motifs de son opposition.

[2]               Le demandeur demande maintenant, aux termes du paragraphe 318(3), des directives sur la façon de procéder pour présenter des observations au sujet de l'opposition à la demande de transmission.

[3]               La Cour a lu les motifs d'opposition de l'Office. Même s'il n'était pas tenu de le faire aux termes de l'article 318, le demandeur a répondu aux motifs de l'Office.

[4]               Une lecture des motifs de l'Office et de la réponse du demandeur porte à croire que les parties n'ont peut‑être pas une idée claire du lien entre les articles 317 et 318 et de la souplesse dont dispose la Cour à cet égard. Cela a une incidence sur les observations au sujet de l'opposition dont la Cour aura besoin. Il est nécessaire, avant de fournir aux parties des directives sur la façon de procéder pour présenter des observations au sujet de l'opposition, de mettre les choses au clair.

A.                Les articles 317 et 318 des Règles et la souplesse dont dispose la Cour en matière de réparation

[5]               Les articles 317 et 318 des Règles ne s'interprètent pas isolément. Ils sont tous deux enlacés dans une toile de fond de common law et d'autres articles des Règles qui décrivent comment le dossier d'un décideur administratif peut être déposé devant une cour de révision. Tout cela est expliqué dans l'arrêt Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright) c. Alberta, 2015 CAF 268, aux paragraphes 7 à 18, et je ne le répéterai pas ici. En ce qui concerne l'admissibilité de la preuve devant une cour de révision pour un contrôle judiciaire, l'arrêt le plus récent est Bernard c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263.

[6]               Aux termes de l'article 317, une partie peut demander au décideur administratif la transmission des documents ou des éléments matériels pertinents à une demande de contrôle judiciaire. Aux termes de l'article 318, la partie qui fait la demande est en droit de recevoir tout document ou élément matériel qu'elle n'a pas et dont le décideur disposait au moment de prendre la décision faisant l'objet du contrôle, à moins que le décideur administratif ne s'y oppose en vertu du paragraphe 318(2) : Access Information Agency Inc. c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 224, au paragraphe 7; 1185740 Ontario Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1999] A.C.F. no 1432 (QL) (C.A.F.). La Cour d'appel de la Saskatchewan a énoncé fort bien le principe directeur de ce droit :

[TRADUCTION]

[...] afin de pouvoir véritablement se prévaloir de leur droit de contester une décision administrative selon la norme de la décision raisonnable, les demandeurs dans les demandes de contrôle judiciaire doivent pouvoir demander à la cour de révision d'examiner les éléments de preuve présentés au tribunal en question [en l'absence d'une opposition bien fondée du tribunal].

(Hartwig c. Commission of Inquiry into matters relating to the death of Neil Stonechild, 2007 SKCA 74, 284 D.L.R. (4th) 268, au paragraphe 24.)

[7]               Cet extrait établit l'existence d'un lien entre le dossier soumis à la cour de révision et la capacité de cette dernière d'examiner ce que le décideur administratif a fait. Si la cour de révision n'a pas devant elle la preuve de ce que le décideur administratif a fait ou de ce sur quoi il s'est appuyé, elle peut ne pas être en mesure de détecter une erreur justifiant son intervention. Autrement dit, si le dossier de la preuve soumis à la cour de révision est insuffisant, cela peut avoir pour effet d'empêcher le contrôle pour certains motifs. Notre jurisprudence en matière de droit administratif évolue de façon à rendre les décideurs publics plus responsables quant au processus décisionnel et à éviter de les mettre à l'abri, en l'absence des motifs les plus impérieux : Slansky c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 199, [2015] 1 R.C.F. 81, aux paragraphes 314 et 315 (motifs dissidents, mais non à cet égard).

[8]               Examinons maintenant les oppositions en vertu du paragraphe 318(2). Lorsque le décideur administratif (ici l'Office) s'oppose, aux termes du paragraphe 318(2), à la transmission d'une partie ou de l'intégralité des documents demandés en vertu de l'article 317 et que le demandeur ne conteste pas cette opposition, ceux‑ci ne sont pas transmis. Cependant, dans les cas où, comme en l'espèce, le demandeur conteste une telle opposition, le demandeur ou le décideur administratif peut demander à la Cour de fournir des directives sur la façon de procéder pour présenter des observations : voir le paragraphe 318(3).

[9]               En réponse à une demande de directives, la Cour peut, à la lecture des motifs d'opposition du décideur administratif, juger que l'opposition ne peut être retenue. Dans ce cas, elle peut rejeter l'opposition de façon sommaire et exiger du décideur administratif qu'il transmette les documents en vertu du paragraphe 318(1) dans le délai qu'elle fixe.

[10]           Lorsque l'opposition aux termes du paragraphe 318(2) a une certaine légitimité, la Cour peut demander aux parties de présenter des observations selon un échéancier précis. Il peut cependant arriver que la Cour n'ait pas besoin que d'observations; il peut y avoir un doute réel ou une certaine complexité, ou il se peut que les parties doivent présenter des éléments de preuve pour étayer ou contester l'opposition. Dans de tels cas, la Cour peut obliger le décideur administratif à procéder par voie de requête écrite aux termes de l'article 369. Cet article prévoit un dossier de requête, un dossier de réponse et des prétentions en réponse au dossier de réponse, ainsi que les délais pour déposer ces documents. Les dossiers de requête doivent comprendre des affidavits et des prétentions écrites.

[11]           Peu importe la manière dont procède la Cour, lorsqu'elle statue sur la validité d'une opposition aux termes du paragraphe 318(2), quel est le point de vue que la Cour devrait adopter? La Cour contrôle‑t‑elle la décision du décideur administratif de s'opposer?

[12]           Non. Au moment de statuer sur la validité d'une opposition, la Cour doit décider du contenu du dossier de preuve dans l'instance — la demande de contrôle judiciaire — dont elle est saisie. La Cour doit, comme dans toute autre procédure, décider de l'admissibilité de la preuve qui lui est présentée. En tant que maître de sa propre procédure, la Cour est tenue de suivre ses propres normes et de ne pas s'en remettre à l'avis du décideur administratif : voir l'arrêt Slansky, précité, au paragraphe 274 (une bonne partie de l'analyse qui suit est basée sur cet arrêt).

[13]           Que peut faire la Cour au moment de statuer sur la validité d'une opposition? Elle peut faire bien des choses. Elle dispose d'une grande souplesse en matière de redressement. La Cour n'est pas limitée à la confirmation ou au rejet de l'opposition du décideur administratif concernant la transmission des documents. Il ne s'agit pas d'une situation où on doit tout accepter ou tout refuser.

[14]           À cet égard, il ne faut pas prendre en considération l'article 318 isolément. D'autres règles et pouvoirs éclairent la Cour et l'aident à statuer sur l'opposition. Par exemple :

                     Les articles 151 et 152 autorisent la mise sous scellés de documents présentés à la cour de révision dans les cas où des intérêts avérés à l'égard de la confidentialité l'emportent sur l'important intérêt public à l'égard de la publicité : Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), [2002] 2 R.C.S. 522, 2002 CSC 41.

                     L'article 53 prévoit que toute ordonnance peut être assortie de conditions, et l'article 55 permet à la Cour de modifier une règle ou exempter une partie ou une personne de son application. L'exercice de ce pouvoir discrétionnaire doit tenir compte de l'objectif énoncé à l'article 3 (sur lequel la Cour suprême a récemment insisté dans l'arrêt Hryniak c. Mauldin, [2014] 1 R.C.S. 87, 2014 CSC 7 : « apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible ». Il doit également tenir compte de l'article 18.4 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 : « la Cour fédérale statue à bref délai et selon une procédure sommaire sur les demandes et les renvois qui lui sont présentés [...] ».

                     La Cour peut faire appel à sa plénitude de compétence lors de la surveillance des tribunaux pour établir les procédures visant à atteindre certains objectifs légitimes dans des cas précis : Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626, aux paragraphes 35 à 38; Canada (Revenu national) c. Derakhshani, 2009 CAF 190, aux paragraphes 10 et 11; Canada (Revenu national) c. Compagnie d'assurance vie RBC, 2013 CAF 50, aux paragraphes 35 et 36.

[15]           Compte tenu de ces articles des Règles et de cette compétence, lorsqu'elle doit décider d'une opposition aux termes de l'article 318, la Cour n'est pas limitée à la simple confirmation ou au simple rejet de l'opposition du décideur administratif concernant la transmission des documents. La Cour peut trouver une solution qui atteint et concilie, dans la mesure du possible, les trois objectifs suivants : (1) un examen valable des décisions administratives conformément à l'article 3 des Règles et à l'article 18.4 de la Loi sur les Cours fédérales ainsi qu'aux principes énoncés aux paragraphes 6 et 7 qui précèdent; (2) l'équité procédurale; (3) la protection de tout intérêt légitime à l'égard de la confidentialité tout en garantissant la plus grande publicité possible conformément aux principes de la Cour suprême énoncés dans l'arrêt Sierra Club du Canada, précité.

[16]           Lorsqu'il y a un intérêt légitime à l'égard de la confidentialité qui pourrait étayer une opposition à l'inclusion d'un document dans le dossier, la Cour doit se demander à l'égard de qui le document doit demeurer confidentiel. Il s'agit peut‑être de renseignements confidentiels qui ne doivent pas être rendus publics, mais auxquels le demandeur et la Cour pourraient avoir accès sous certaines conditions. Il se peut que la seule partie qui puisse avoir accès aux renseignements confidentiels soit la Cour, mais qu'un résumé bénin des renseignements puisse être déposé aux fins d'un examen valable, garantissant autant que possible l'équité procédurale et la publicité. Dans d'autres cas, l'opposition peut être telle que la confidentialité inconditionnelle doit être maintenue, y compris à l'égard de la Cour. Le secret professionnel de l'avocat en est un exemple.

[17]           En outre, un document qui contient des renseignements confidentiels ne sera pas nécessairement considéré comme confidentiel dans son ensemble. La Cour doit décider s'il suffit de supprimer ou de masquer les renseignements confidentiels dans un document ou s'il est nécessaire d'exclure tout le document du dossier.

[18]           En bref, une décision de la Cour relative à une opposition aux termes du paragraphe 318(2) — une décision visant à atteindre et à concilier, dans la mesure du possible, les trois objectifs énoncés au paragraphe 15 qui précède — peut donner lieu à une ordonnance de n'importe quelle nature, selon ce qui semble approprié aux avocats et à la cour. Un exemple de la souplesse possible est l'ordonnance de mise sous scellés dans la décision Health Services and Support‑Facilities Subsector Bargaining Association c. Colombie‑Britannnique, 2002 BCSC 1509, 8 B.C.L.R. (4th) 281.

B.                 Les directives à donner en l'espèce

[19]           Dans certains cas, la Cour peut statuer sur une opposition d'un décideur administratif aux termes du paragraphe 318(2) sur le seul fondement des motifs invoqués par le décideur. Il en est autrement en l'espèce; il s'agit d'un cas complexe qui requiert que des éléments de preuve justifient l'opposition. Par conséquent, dans les circonstances de l'espèce, l'Office doit déposer un dossier de requête en vertu de l'article 369 sollicitant une ordonnance faisant droit à son opposition.

[20]           Sans limiter tout autre redressement que l'Office pourrait demander, l'Office doit aborder, dans sa preuve et ses observations écrites, les exigences en matière de confidentialité et l'analyse énoncée dans l'arrêt Sierra Club du Canada.

[21]           L'Office doit préciser dans son dossier de requête le type d'ordonnance souhaité. Ce faisant, il doit prendre en compte l'analyse qui précède, notamment la souplesse dont dispose la Cour et la volonté de celle‑ci de trouver une solution qui atteint et concilie, dans la mesure du possible, les trois objectifs énoncés précédemment au paragraphe 15.

[22]           L'Office doit déposer sa requête en vertu de l'article 369 dans les 10 prochains jours, puis les délais prévus à cet article s'appliqueront au dossier de réponse et à la réponse de l'Office. Le greffe me remettra la requête dès que la réponse aura été déposée ou immédiatement après l'expiration du délai de réponse, selon la première éventualité. Je rendrai une ordonnance en ce sens.

[23]           Si l'Office souhaite qu'une partie de son dossier de requête soit mise sous scellés en vertu des articles 151 et 152 des Règles, il doit en faire la demande dans son avis de requête et étayer sa demande par des éléments de preuve. Tout document confidentiel peut ensuite être intégré dans un volume confidentiel dans une enveloppe scellée, qui n'est déposée qu'à la Cour. Au moment de statuer sur la requête, la Cour examinera les documents et évaluera si le demandeur doit faire d'autres observations à ce sujet ou si l'allégation de confidentialité est établie.

[24]           Les parties ont convenu d'accélérer la présente affaire. La Cour est d'accord que l'accélération est justifiée et, après la requête, elle fixera les délais des prochaines étapes de la demande. Les parties devraient immédiatement discuter d'un échéancier accéléré en supposant que l'on statuera sur la requête au plus tard à la fin du mois d'avril. Les parties devraient également examiner si la demande doit être entendue dès que possible par vidéoconférence, au lieu d'attendre les prochaines séances de la Cour à Halifax après le mois d'avril. Les parties doivent déposer leurs observations à l'égard de ces questions par écrit dans leurs dossiers de requête.

[25]           En outre, j'encourage les parties à entretenir des discussions pour tenter de s'entendre sur le dossier qui devrait être présenté à la Cour dans la présente demande. Par leur entente d'accélérer la présente affaire, les parties reconnaissent maintenant que l'accélération relève de l'intérêt public. Une entente rapide relativement à cette question permettra d'accélérer considérablement la présente affaire. L'une des possibilités est de convenir de traiter l'affaire sur le fondement d'un dossier public et d'un dossier sous scellés. Les observations quant à la recevabilité du dossier sous scellés peuvent être présentées à la Cour saisie de la demande; au besoin, les parties peuvent déposer des affidavits dans leurs dossiers respectifs afin de permettre


de régler le litige. Si les parties reconnaissent réellement que l'accélération relève de l'intérêt public, il s'agit probablement de la meilleure façon de procéder.

« David Stratas »

j.c.a.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A­39­16

INTITULÉ :

GáBOR LUKáCS c. OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

 

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 

DATE DE L'ORDONNANCE :

Le 5 avril 2016

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Gábor Lukács

POUR SON PROPRE COMPTE

 

John Dodsworth

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Office des transports du Canada

Gatineau (Québec)

Pour le défendeur

 

 

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