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Date : 20160307


Dossier : A-197-14

A-198-14

Référence : 2016 CAF 77

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE SCOTT

 

ENTRE :

IZABELA POPOVA

appelante

et

L'EMPIRE, COMPAGNIE D'ASSURANCE‑VIE et MAUREEN WHEELER, GESTIONNAIRE DES RÉCLAMATIONS DES POLICES D'ASSURANCE‑VIE ET D'ASSURANCE‑INVALIDITÉ COLLECTIVES

intimées

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 23 février 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 mars 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE SCOTT

 


Date : 20160307


Dossier : A-197-14

A-198-14

Référence : 2016 CAF 77

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE SCOTT

 

ENTRE :

IZABELA POPOVA

appelante

et

L'EMPIRE, COMPAGNIE D'ASSURANCE‑VIE et MAUREEN WHEELER, GESTIONNAIRE DES RÉCLAMATIONS DES POLICES D'ASSURANCE‑VIE ET D'ASSURANCE‑INVALIDITÉ COLLECTIVES

intimées

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1]               Madame Popova a porté en appel deux ordonnances du juge Hughes de la Cour fédérale, toutes deux rendues le 2 avril 2014 dans le dossier T‑2067‑13. Les appels (A‑197‑14 et A‑198‑14) ont été réunis par une ordonnance du 27 juin 2014, l'appel A‑197‑14 devant être l'appel principal. Les présents motifs seront déposés dans le dossier de l'appel A‑197‑14, et une copie sera déposée dans le dossier de l'appel A‑198‑14.

[2]               La question soulevée dans les deux ordonnances et les présents appels est de savoir si le père de Mme Popova, qui n'est pas avocat, devrait être autorisé à la représenter dans son instance en Cour fédérale. Dans une ordonnance, le juge Hugues a rejeté la requête déposée au nom de Mme Popova visant l'obtention d'une ordonnance qui permettrait à son père d'agir en son nom. Dans l'autre ordonnance, le juge Hugues a rejeté un appel d'une ordonnance de la protonotaire, qui avait également rejeté une requête semblable.

[3]               Madame Popova a déposé une demande en Cour fédérale contre les intimées. Les intimées indiquent dans leur mémoire des faits et du droit qu'un juge responsable de la gestion de l'instance a été nommé le 6 mars 2014.

[4]               Les articles 119 et 121 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, énoncent ce qui suit :

119. Sous réserve de la règle 121, une personne physique peut agir seule ou se faire représenter par un avocat dans toute instance.

119. Subject to rule 121, an individual may act in person or be represented by a solicitor in a proceeding.

[...]

. . .

121. La partie qui n'a pas la capacité d'ester en justice ou qui agit ou demande à agir en qualité de représentant, notamment dans une instance par représentation ou dans un recours collectif, se fait représenter par un avocat à moins que la Cour, en raison de circonstances particulières, n'en ordonne autrement.

121. Unless the Court in special circumstances orders otherwise, a party who is under a legal disability or who acts or seeks to act in a representative capacity, including in a representative proceeding or a class proceeding, shall be represented by a solicitor.

[5]               Bien que Mme Popova ait fait référence à l'article 121, cet article ne s'applique que si une partie n'a pas la capacité d'ester en justice ou demande à agir en qualité de représentant. Les deux occurrences du mot « qui » font toutes deux référence à « la partie ». Par conséquent, cette règle devrait être interprétée comme s'appliquant soit à une partie qui n'a pas la capacité d'ester en justice, soit à une partie qui agit ou demande à agir en qualité de représentant.

[6]               En l'espèce, il n'y a aucune indication que Mme Popova n'a pas la capacité d'ester en justice. Étant donné que son père n'est pas une partie, Mme Popova ne peut pas s'appuyer sur l'article 121 pour que son père la représente.

[7]               Par conséquent, l'article des Règles qui s'applique est l'article 119. Cet article est clair : Mme Popova peut soit agir seule, soit se faire représenter par un avocat. Étant donné que son père n'est pas avocat, il ne peut pas la représenter.

[8]               Avant l'audience de l'appel, le père de Mme Popova a déposé, en son nom, un avis de question constitutionnelle dans lequel Mme Popova tentait de soulever la question de savoir si l'article 119 des Règles violait l'article 12 et le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), et si l'article 121 des Règles violait le paragraphe 15(1) de la Charte. Étant donné que l'article 121 ne s'applique pas de toute façon, la contestation prétendue viserait l'article 119.

[9]               L'article 12 et le paragraphe 15(1) de la Charte se lisent comme suit :

12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

12. Everyone has the right not to be subjected to any cruel and unusual treatment or punishment.

[...]

. . .

15.(1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

15.(1) Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

[10]           On n'avait pas soulevé devant la protonotaire ou le juge de la Cour fédérale la question de savoir si ces dispositions de la Charte s'appliquaient.

[11]           Dans l'arrêt Somodi c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2009 CAF 268, [2009] A.C.F. no 1152 (QL), notre Cour a déclaré ce qui suit :

2     Dans Coca‑Cola Ltd. c. Parnham (c.o.b. Universal Exporters), 2003 CAF 11, autorisation de pourvoi refusée, [1999] A.C.S.C. no 338, la Cour a statué qu'elle n'examinerait pas les arguments fondés sur la Charte qui n'avaient pas été soulevés devant la Cour fédérale parce que, si elle le faisait, la Cour serait privée de l'avantage de disposer du raisonnement et de l'analyse effectués par le juge des requêtes à cet égard.

3     En outre, en soulevant les questions pour la première fois en appel, l'appelant aura privé l'intimé de toute possibilité de présenter des éléments de preuve relatifs aux violations alléguées.

[12]           Étant donné que Mme Popova n'avait pas soulevé ses arguments fondés sur la Charte devant la protonotaire ou le juge de la Cour fédérale et que des éléments de preuve seraient nécessaires pour présenter ces arguments, ces derniers ne peuvent être soulevés pour la première fois devant notre Cour en appel des ordonnances du juge de la Cour fédérale. Les affirmations formulées dans l'avis de question constitutionnelle concernant les conséquences possibles si le père de Mme Popova n'est pas autorisé à la représenter ne constituent pas des éléments de preuve. Les éléments de preuve doivent être présentés par un témoin, ce qui est généralement fait soit par le témoignage du témoin pendant une audience, soit par le dépôt d'un affidavit. La partie adverse aurait le droit de contre‑interroger le témoin. Les allégations présentées seulement lors des plaidoiries ne constituent pas des éléments de preuve.

[13]           Quoi qu'il en soit, dans le but d'éviter tout autre retard dans la présente affaire et au bénéfice de Mme Popova, je renverrais aux commentaires suivants formulés par la Cour suprême du Canada concernant les articles 12 et 15 de la Charte.

[14]           En ce qui concerne l'article 12 de la Charte, le juge Lamer (tel était alors son titre) a déclaré, dans R. c. Smith (Edward Dewey), [1987] 1 R.C.S. 1045 :

54   La limite en cause en l'espèce est celle apportée par l'art. 12 de la Charte. À mon avis, la protection accordée par l'art. 12 régit la qualité de la peine et vise l'effet que la peine peut avoir sur la personne à qui elle est infligée. Je suis d'accord avec ce que dit le juge en chef Laskin dans l'arrêt Miller et Cockriell, précité, lorsqu'il définit les termes « cruels et inusités » comme la « formulation concise d'une norme ». Le critère qui doit être appliqué pour déterminer si une peine est cruelle et inusitée au sens de l'art. 12 de la Charte consiste, pour reprendre les termes utilisés par le juge en chef Laskin à la p. 688 de l'arrêt Miller et Cockriell, précité, à se demander « si la peine infligée est excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine ». En d'autres termes, bien que l'état puisse infliger une peine, l'effet de cette peine ne doit pas être exagérément disproportionné à ce qui aurait été approprié.

[15]           Les répercussions présumées qui découleraient du refus d'autoriser le père de Mme Popova à la représenter dans sa demande devant la Cour fédérale, même si elles avaient été établies par des éléments de preuve, seraient loin de correspondre à ce qui serait requis pour établir une peine cruelle et inusitée au sens de l'article 12 de la Charte.

[16]           En ce qui concerne le paragraphe 15(1) de la Charte, je renverrais à l'extrait suivant de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat, 2015 CSC 30, [2015] 2 R.C.S. 548 :

18   L'article 15 vise donc les lois qui établissent des distinctions discriminatoires, c'est‑à‑dire des distinctions qui ont pour effet de perpétuer un désavantage arbitraire à l'égard d'une personne du fait de son appartenance à un groupe énuméré ou analogue (Andrews, p. 174‑175; Québec c. A, par. 331). L'analyse à laquelle on procède pour l'application du par. 15(1) s'intéresse donc au contexte social et économique dans lequel s'inscrit la plainte d'inégalité et aux effets de la loi ou de l'acte contesté sur le groupe demandeur (Québec c. A, par. 331).

19   Le premier volet de l'analyse fondée sur l'art. 15 consiste donc à se demander si, à première vue ou de par son effet, une loi crée une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue. Limiter les demandes à celles fondées sur des motifs énumérés ou analogues — qui « constituent des indicateurs permanents de l'existence d'un processus décisionnel suspect ou de discrimination potentielle » —, permet d'écarter « les demandes [TRADUCTION] qui n'ont rien à voir avec l'égalité réelle et de mettre l'accent sur l'égalité dans le cas de groupes qui sont défavorisés dans un contexte social et économique plus large » (Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, par. 8; Lynn Smith et William Black, « The Equality Rights » (2013), 62 S.C.L.R. (2d) 301, p. 336). Le demandeur peut fonder son allégation sur un ou sur plusieurs motifs, selon l'acte de l'État en cause et son interaction avec le désavantage infligé aux membres du groupe dont il fait partie (Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, par. 37).

20   Le second volet de l'analyse est axé sur les désavantages arbitraires — ou discriminatoires —, c'est-à-dire sur la question de savoir si la loi contestée ne répond pas aux capacités et aux besoins concrets des membres du groupe et leur impose plutôt un fardeau ou leur nie un avantage d'une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d'accentuer le désavantage dont ils sont victimes :

À la base, l'art. 15 résulte d'une prise de conscience que certains groupes ont depuis longtemps été victimes de discrimination, et qu'il faut mettre fin à la perpétuation de cette discrimination. Les actes de l'État qui ont pour effet d'élargir, au lieu de rétrécir, l'écart entre le groupe historiquement défavorisé et le reste de la société sont discriminatoires. [Québec c. A, par. 332]

21   Pour établir qu'il y a eu à première vue violation du par. 15(1), le demandeur doit par conséquent démontrer que la loi en cause a un effet disproportionné à son égard du fait de son appartenance à un groupe énuméré ou analogue. À la seconde étape de l'analyse, la preuve précise requise variera selon le contexte de la demande, mais « les éléments tendant à prouver qu'un demandeur a été historiquement désavantagé » seront pertinents (Withler, par. 38; Québec c. A, par. 327).

[17]           Il semblerait qu'en ce qui concerne sa contestation de l'article 119 des Règles, Mme Popova affirme que l'article 119 crée une distinction selon que la personne est ou n'est pas un avocat. Il ne s'agit pas d'un motif énuméré au paragraphe 15(1) de la Charte et il est difficile de voir selon quel fondement on pourrait le considérer comme un motif analogue.

[18]           Bien que l'intimée souhaite des dépens majorés, à mon avis, les dépens devraient être accordés conformément au tarif. De plus, puisque la question en cause est la même dans les deux appels, je n'accorderais qu'un seul mémoire de dépens.

[19]           Pour ces motifs, je rejetterais les appels avec un seul mémoire de dépens. Étant donné que l'appel A‑197‑14 est l'appel principal, j'accorderais les dépens dans cet appel.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

David Stratas, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

A.F. Scott, j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossiers :

A-197-14

A-198-14

(APPEL DE DEUX ORDONNANCES DU JUGE HUGHES DU 2 AVRIL 2014, DOSSIER NUMÉRO T-2067-13)

INTITULÉ :

IZABELA POPOVA c. L'EMPIRE, COMPAGNIE D'ASSURANCE‑VIE et MAUREEN WHEELER, GESTIONNAIRE DES RÉCLAMATIONS DES POLICES D'ASSURANCE‑VIE ET D'ASSURANCE‑INVALIDITÉ COLLECTIVES

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 23 février 2016

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE SCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 7 mars 2016

COMPARUTIONS :

Dimitri Popov

Pour LE COMPTE DE l'appelante

Cory Young

Pour les intimées

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hughes Amys LLP

Toronto (Ontario)

Pour les intimées

 

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