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Date : 20160307


Dossier : A-230-14

Référence : 2016 CAF 75

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

EDITH BARAGAR

appelante

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 4 mars 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 mars 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20160307


Dossier : A-230-14

Référence : 2016 CAF 75

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

EDITH BARAGAR

appelante

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STRATAS

[1]               Madame Baragar s'est plainte au Tribunal de la dotation de la fonction publique que le sous-ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration avait abusé de son pouvoir lorsqu'il avait évalué sa demande d'emploi pour le poste d'agent d'examen des risques avant renvoi. Dans sa décision du 11 septembre 2012, le Tribunal a rejeté sa plainte : 2012 TDFP 23.

[2]               Madame Baragar a demandé le contrôle judiciaire de la décision du Tribunal à la Cour fédérale. Dans une décision du 27 mars 2014, la Cour fédérale (la juge McVeigh) a rejeté sa demande : 2014 CF 294. Mme Baragar se pourvoit maintenant devant la Cour d'appel fédérale.

A.        Le contexte

[3]               Citoyenneté et Immigration Canada a invité des candidatures pour le poste d'agent d'examen des risques avant renvoi. L'annonce indiquait que les candidats devaient démontrer dans leur demande qu'ils satisfaisaient à tous les critères essentiels, notamment une « expérience récente » — au moins douze mois consécutifs au cours des trois dernières années — dans l'administration de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ou de la Loi sur la citoyenneté et dans la prise de décisions dans des cas se rapportant à l'immigration ou à la citoyenneté ou dans la présentation d'éléments de preuve lors d'audiences de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Tout candidat qui ne pouvait démontrer qu'il satisfaisait à tous les critères ne serait pas retenu lors du processus de nomination.

[4]               Les responsables du processus de nomination ont conclu que Mme Baragar ne démontrait pas une « expérience récente » dans ces domaines, comme on l'exigeait. Ainsi, conformément aux critères annoncés, sa candidature n'a pas été retenue.

[5]               Lorsqu'elle a appris que sa candidature n'avait pas été retenue, Mme Baragar a demandé une discussion informelle en vertu de l'article 47 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, pour s'informer des raisons. Cette discussion informelle a eu lieu. Sa demande n'a toujours pas été retenue. En fin de compte, une autre personne a été embauchée.

[6]               Madame Baragar a déposé une plainte en vertu de l'alinéa 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. En reprenant le libellé de cette disposition, elle s'est plainte qu'« elle n'a pas été nommée [...] pour l'une ou l'autre des raisons suivantes : a) abus de pouvoir [...] ».

B.        La décision du Tribunal

[7]               Le Tribunal a examiné la plainte par la voie d'une audience de quatre jours et d'observations écrites. Il a rejeté la plainte.

[8]               Le Tribunal a examiné le processus de nomination qui a été suivi. Il a notamment constaté les faits énoncés aux paragraphes 3 à 6 qui précèdent. Le Tribunal a également conclu que la procédure utilisée pour ne pas retenir les demandes lors du processus de nomination était « raisonnable » et « adéquate dans les circonstances », étant donné « le grand nombre de candidatures attendues » (aux paragraphes 32 et 34). Selon les éléments de preuve dont il disposait, le Tribunal a estimé que « le dossier de candidature de la plaignante, et notamment la lettre de présentation et le curriculum vitæ, ne comportait pas tous les détails demandés » (au paragraphe 34). Cela justifiait de ne pas retenir la candidature de Mme Baragar; on avait dit aux candidats que s'ils ne suivaient pas les directives, leur candidature ne serait pas retenue. À l'appui de cette conclusion, le Tribunal a noté sa jurisprudence selon laquelle « c'est aux candidats qu'il incombe de démontrer clairement, dans leur dossier de candidature, qu'ils possèdent toutes les qualifications essentielles » (au paragraphe 33).

[9]               Devant le Tribunal, Mme Baragar a soutenu que l'omission de prendre en compte les renseignements fournis lors de la discussion informelle en vertu de l'article 47 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique constituait un abus de pouvoir. Le Tribunal a rejeté cet argument (au paragraphe 38). En renvoyant encore à sa propre jurisprudence, le Tribunal a déclaré que la discussion informelle avait un but limité : fournir aux candidats non retenus une occasion d'apprendre pourquoi ils avaient été éliminés et non fournir une deuxième occasion de donner des renseignements visant une deuxième évaluation de leur dossier. Le Tribunal a fait remarquer que Mme Baragar avait présenté des renseignements supplémentaires au cours de la discussion informelle, mais qu'elle « ne pouvait pas s'attendre à ce que [les personnes participant au processus de nomination] réévaluent son expérience », car sa candidature avait déjà été rejetée « parce qu'elle n'avait pas fourni l'information requise comme il était indiqué dans les instructions » que tous avaient reçues au début du processus (au paragraphe 41). Dans sa demande d'emploi, elle devait indiquer son « expérience récente », et rien de ce qui s'est passé pendant la discussion informelle en vertu de l'article 47 ne pouvait changer le fait que sa demande ne comportait pas l'information requise. Le Tribunal a fait observer que la discussion informelle en vertu de l'article 47 pouvait mener à la correction d'erreurs, mais dans le cas présent, il n'y avait aucune erreur : sa demande était incomplète.

[10]           Enfin, Mme Baragar a allégué que le candidat nommé au poste ne possédait pas l'expérience requise et donc qu'il y avait eu un « abus de pouvoir ». Au cours de l'audience tenue devant le Tribunal, Mme Baragar a déclaré qu'elle n'avait aucune preuve, seulement des soupçons. Le Tribunal a entendu un témoignage non contesté qui a démontré que le candidat retenu possédait bien l'expérience requise. Étant donné cette preuve, le Tribunal a rejeté ce motif (aux paragraphes 48 et 49).

C.        La demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale

[11]           La Cour fédérale a conclu que la décision du Tribunal devrait être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable. Elle a conclu que la décision était raisonnable. À son avis (aux paragraphes 30 à 38), les conclusions du Tribunal étaient acceptables et justifiables au regard des faits et du droit. L'avis du Tribunal sur les fins limitées de l'article 47 et sur le comportement de l'employeur était étayé par la jurisprudence du Tribunal, par des décisions telles que Canada (Procureur général) c. Carty, 2004 CAF 300, [2005] 1 R.C.F. 269, et par la preuve présentée au Tribunal.

D.        Analyse

[12]           En appel, nous devons déterminer si la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée et si elle l'a appliquée correctement : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 à 47.

(1)        La norme de contrôle

[13]           La Cour fédérale a choisi la bonne norme de contrôle. Ce qui est en cause, c'est la décision du Tribunal sur la question de savoir s'il y avait eu un « abus de pouvoir » au sens de l'alinéa 77(1)a) selon la preuve dont il disposait. Comme l'a conclu la Cour fédérale, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable.

[14]           En l'espèce, la tâche du Tribunal était principalement fondée sur les faits : le Tribunal est arrivé à ses conclusions de fait en se fondant sur le témoignage présenté pendant quatre jours, et il devait ensuite décider si ces faits démontraient un « abus de pouvoir ». Normalement, des décisions fondées sur des faits comme celle du Tribunal font l'objet de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 53. Dans la mesure où la décision du Tribunal reposait sur l'interprétation du terme « abus de pouvoir », la norme de contrôle reste celle de la décision raisonnable : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers' Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654.

[15]           Je tiens à faire remarquer que dans un cas semblable à celui‑ci, une décision fondée sur les faits où il fallait décider si certains actes d'un employeur constituaient un « abus de pouvoir » au sens de l'alinéa 77(1)a), la Cour suprême du Canada a jugé que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable : Canada (Procureur général) c. Kane, 2012 CSC 64, [2012] 3 R.C.S. 398.

(2)        Application de la norme de contrôle

[16]           La Cour fédérale a conclu que la décision du Tribunal était raisonnable. Je suis d'accord avec la Cour fédérale.

[17]           Comme la Cour fédérale l'a fait observer (au paragraphe 38), notre tâche lors du contrôle selon la norme de la décision raisonnable est de déterminer si la décision du Tribunal appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir, au paragraphe 47.

[18]           Dans certains cas, conformément à certains arrêts de la Cour suprême du Canada, nous avons décrit le contrôle selon la norme de la décision raisonnable comme étant le fait de déterminer si une décision appartient à la marge d'appréciation du décideur, une marge qui peut être étendue ou étroite selon les circonstances : voir, par exemple, Delios c. Procureur général, 2015 CAF 117, au paragraphe 26, et des arrêts de la Cour suprême tels que Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, aux paragraphes 17, 18 et 23; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 59; McLean c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895, aux paragraphes 37 à 41. Les décideurs administratifs, comme le Tribunal dans la présente affaire, jouissent habituellement d'une marge d'appréciation relativement étendue lorsqu'ils rendent une décision fondée sur des faits dans un contexte d'emploi spécialisé : Kane, précité; Procureur général c. Boogaard, 2015 CAF 150.

[19]           En clair, dans l'application de la norme de la décision raisonnable, il ne nous appartient pas de rendre la décision que le Tribunal aurait dû rendre, ou d'évaluer la décision du Tribunal par rapport à celle que nous aurions peut-être rendue. Le législateur a donné au Tribunal, et non à nous, la responsabilité de trancher une affaire comme la présente. Ainsi, notre rôle se limite à un rôle de contrôle. Comme je l'ai déjà expliqué, lorsque la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, ce rôle commande la retenue.

[20]           À mon avis, le Tribunal a rendu une décision acceptable et justifiable qui appartient à sa marge d'appréciation. Sa décision s'appuie sur les faits qui ont découlé des témoignages qu'il a entendus et examinés (voir les paragraphes 3 à 5, 8 et 9 qui précèdent). Le Tribunal s'est laissé guider par sa propre jurisprudence, dont aucune n'a été contestée. À cet égard, nous souscrivons, pour l'essentiel, à l'analyse de la Cour fédérale aux paragraphes 30 à 38 de ses motifs.

[21]           Certaines des observations que Mme Baragar nous a présentées visaient à examiner les pratiques de dotation de Citoyenneté et Immigration Canada et à faire trancher à nouveau sa plainte. Comme je l'ai expliqué, notre devoir est de réviser la décision en question, et non de trancher la plainte à nouveau.

[22]           Dans son mémoire, Mme Baragar a soulevé la question de savoir si la discussion informelle en vertu de l'article 47 avait eu lieu de façon appropriée. Elle a mentionné l'absence de toute preuve de délégation de pouvoir de la part de la Commission, la partie autorisée à tenir la discussion informelle en vertu de l'article 47, aux personnes qui ont participé à la discussion avec elle. Le dossier dont nous disposons ne démontre aucune preuve d'une délégation de pouvoir.

[23]           Au début de l'audience, Mme Baragar a tenté de présenter un nouveau document relatif à la question de la délégation. Nous avons décidé que le document était inadmissible, car il n'avait pas été présenté au Tribunal.

[24]           Cependant, en fin de compte, le document n'est pas pertinent. En supposant qu'une délégation appropriée était absente, l'issue du contrôle fondé sur la norme de la décision raisonnable ne change pas. Le Tribunal a conclu, conformément à sa jurisprudence, que l'article 47 existe comme mécanisme par lequel un candidat peut obtenir des renseignements sur l'évaluation faite, et non comme mécanisme permettant une deuxième évaluation. Mme Baragar a obtenu ces renseignements. Pendant la discussion informelle en vertu de l'article 47, elle a aussi eu l'occasion de fournir des renseignements visant à corriger toute erreur dans l'évaluation de l'employeur, selon laquelle sa demande d'emploi n'indiquait pas son « expérience récente ». À cet égard, elle a reçu un traitement équitable lors de la discussion informelle en vertu de l'article 47. L'employeur a manifestement trouvé qu'aucune erreur n'avait été commise à la suite de la discussion informelle en vertu de l'article 47 : Mme Baragar avait été éliminée du processus de nomination parce qu'elle n'avait pas fourni l'information indiquée dans les instructions données à tous les candidats au début du processus de nomination. Le Tribunal a conclu qu'il n'y avait eu aucun « abus de pouvoir » au sens de l'alinéa 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Comme l'a conclu la Cour fédérale, le Tribunal a rendu une décision acceptable et justifiable qui appartient à sa marge d'appréciation.

[25]           Madame Baragar a plaidé devant nous qu'à un moment donné durant le processus, on lui avait dit qu'on tiendrait compte des qualifications décrites dans l'ensemble de son dossier de candidature, et non seulement dans sa lettre de présentation. Selon elle, son curriculum vitæ n'a pas été pris en considération. Les éléments de preuve n'appuient pas cette allégation. Le Tribunal a bien examiné son curriculum vitæ et a déterminé qu'il ne décrivait pas adéquatement son « expérience récente ».

[26]           Madame Baragar a également soutenu qu'à un moment donné pendant le processus, le délégué du sous‑ministre, l'autorité déléguée, aurait changé les critères originaux, en acceptant de considérer toute la documentation qu'elle aurait fournie, y compris des courriels. Je ne vois pas les éléments de preuve du même œil que Mme Baragar, et il en a été de même pour le Tribunal. De toute façon, cela est sans importance. Par souci d'équité envers tous les candidats, les décideurs en dotation étaient tenus de respecter les critères annoncés — l'« expérience récente » devait être présentée dans le dossier de candidature.

E.        Dispositif proposé

[27]           Pour les motifs qui précèdent, je suis d'avis de rejeter le pourvoi, avec dépens. L'intimé sollicite 2 500 $. Compte tenu des circonstances de la présente affaire, j'accorderais plutôt la somme globale de 1 000 $.

« David Stratas »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

Mary J.L. Gleason, j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-230-14

APPEL D'UN JUGEMENT DE LA JUGE MCVEIGH DU 27 MARS 2014, DOSSIER NO T-1907-12

INTITULÉ :

EDITH BARAGAR c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 4 mars 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 MARS 2016

 

COMPARUTIONS :

Edith Baragar

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Zorica Guzina

 

Pour l'intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

Pour l'intimé

 

 

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