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Date : 20160229


Dossier : A-168-14

Référence : 2016 CAF 63

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE RYER

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par le ministre des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada

demanderesse

et

LA BANDE INDIENNE DE WILLIAMS LAKE

défenderesse

et

LES TRIBUS COWICHAN

intervenantes

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 11 mai 2015.

Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 29 février 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NEAR

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE RYER


Date : 20160229


Dossier : A-168-14

Référence : 2016 CAF 63

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE RYER

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par le ministre des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada

demanderesse

et

LA BANDE INDIENNE DE WILLIAMS LAKE

défenderesse

et

LES TRIBUS COWICHAN

intervenantes

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NEAR

Introduction

[1]               Notre cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du Tribunal des revendications particulières (le Tribunal) rendue par son président, l’honorable Harry Slade, le 28 février 2014 (2014 TRPC 3). Par sa décision, le Tribunal a conclu que la défenderesse, la Bande indienne de Williams Lake (la bande) avait établi la validité de ses revendications particulières contre la demanderesse, la Couronne du chef du Canada (Canada) conformément aux alinéas 14(1)b) et 14(1)c) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, L.C. 2008, ch. 22 (la Loi).

[2]               Par les motifs exposés ci‑dessous, j’accueillerais la demande.

Contexte

1.                  Revendications particulières en vertu de la Loi

[3]               Le Tribunal constitué par la Loi a pour mission de se prononcer sur la validité des revendications particulières des Premières Nations et sur les indemnités afférentes : Loi, articles 3 et 6.

[4]               Une Première Nation peut saisir le Tribunal d’une revendication particulière fondée sur l’un des motifs énumérés au paragraphe 14(1) de la Loi. En l’espèce, le Tribunal a conclu que la bande avait établi la validité de sa revendication au sens des alinéas 14(1)b) et 14(1)c) de la Loi. L’alinéa 14(1)b) permet à une Première Nation de déposer une revendication particulière fondée sur la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5, ou de tout autre texte législatif « relatif aux Indiens ou aux terres réservées pour les Indiens ». L’alinéa 14(1)c) permet à une Première Nation de déposer une revendication particulière fondée sur la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres d’une réserve, notamment un engagement unilatéral donnant lieu à une obligation fiduciaire légale. Ces alinéas se lisent comme suit :

14. (1) Sous réserve des articles 15 et 16, la première nation peut saisir le Tribunal d’une revendication fondée sur l’un ou l’autre des faits ci-après en vue d’être indemnisée des pertes en résultant :

14. (1) Subject to sections 15 and 16, a First Nation may file with the Tribunal a claim based on any of the following grounds, for compensation for its losses arising from those grounds

[…]

b) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la Loi sur les Indiens ou de tout autre texte législatif — relatif aux Indiens ou aux terres réservées pour les Indiens — du Canada ou d’une colonie de la Grande-Bretagne dont au moins une portion fait maintenant partie du Canada;

(b) a breach of a legal obligation of the Crown under the Indian Act or any other legislation — pertaining to Indians or lands reserved for Indians — of Canada or of a colony of Great Britain of which at least some portion now forms part of Canada;

c) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres d’une réserve — notamment un engagement unilatéral donnant lieu à une obligation fiduciaire légale — ou de l’administration par Sa Majesté de terres d’une réserve, ou de l’administration par elle de l’argent des Indiens ou de tout autre élément d’actif de la première nation;

(c) a breach of a legal obligation arising from the Crown’s provision or non-provision of reserve lands, including unilateral undertakings that give rise to a fiduciary obligation at law, or its administration of reserve lands, Indian moneys or other assets of the First Nation;

[…]

[5]               Le paragraphe 14(2) de la Loi explique que, dans le cas des revendications particulières aux termes des alinéas 14(1)a) à 14(1)c), les mots « Sa Majesté » peuvent également englober le souverain de la Grande-Bretagne et de ses colonies. Cependant, lorsqu’une revendication particulière porte sur une obligation légale qui devait être exécutée sur un territoire situé aujourd’hui à l’intérieur des limites actuelles du Canada mais qui ne l’était pas à l’époque, les mots « Sa Majesté » n’englobent le souverain de la Grande-Bretagne et de ses colonies que dans la mesure où l’obligation légale ou toute obligation découlant de son inexécution ou de sa violation est devenue la responsabilité de la Couronne du Chef du Canada. Le paragraphe 14 (2) dispose (non souligné dans l’original) :

14. (2) Pour l’application des alinéas (1)a) à c) à l’égard d’une obligation légale qui devait être exécutée sur un territoire situé à l’intérieur des limites actuelles du Canada avant l’entrée de ce territoire au sein du Canada, la mention de Sa Majesté vaut également mention du souverain de la Grande-Bretagne et de ses colonies, dans la mesure où cette obligation, ou toute responsabilité en découlant, a été imputée à Sa Majesté, ou aurait été imputée à celle-ci n’eût été les règles ou théories qui ont eu pour effet de limiter un recours ou de prescrire des droits contre elle en raison de l’écoulement du temps ou d’un retard.

14. (2) For the purpose of applying paragraphs (1)(a) to (c) in respect of any legal obligation that was to be performed in an area within Canada’s present boundaries before that area became part of Canada, a reference to the Crown includes the Sovereign of Great Britain and its colonies to the extent that the legal obligation or any liability relating to its breach or non-fulfilment became — or would, apart from any rule or doctrine that had the effect of limiting claims or prescribing rights against the Crown because of passage of time or delay, have become — the responsibility of the Crown in right of Canada.

2.                   Faits de base

[6]               Le Tribunal a rapporté de façon très fouillée les faits de cette affaire, et les faits pertinents quant à la présente demande ne sont, en gros, pas controversés. Je ne rappellerai donc que succinctement les détails importants.

[7]               Les revendications portent sur des événements qui se sont produits à l’époque coloniale, avant que la Colombie-Britannique ne fasse partie du Canada. Les revendications portent sur les agissements de la colonie de la Colombie-Britannique (la colonie) et du gouvernement canadien à l’égard des terres situées près du lac Williams, en Colombie-Britannique.

[8]               La bande est l’une des 17 communautés de la nation Secwepemc (Shuswap). Elle occupait traditionnellement un vaste territoire autour du lac Williams, se déplaçant dans ce territoire à diverses fins selon les saisons. Pour plus de facilité, j’ai retenu les mots [TRADUCTION] « terres du village » utilisé par la bande pour désigner ces terres qui couvrent, selon le paragraphe 4 des motifs du Tribunal : [traduction] « Williams Creek, l’île Scout, l’emplacement actuel du Stampede, le centre-ville de Williams Lake et un plateau au nord du centre-ville ». Il n’existe pas de description des limites des terres du village, puisqu’elles n’ont jamais été bornées ou arpentées.

[9]               Au cœur des revendications de la bande se trouvent deux parcelles de terre totalisant 1 960 acres situées dans les limites des terres du village et désignés comme étant les lots 71 et 72 (les lots, ou les lots 71 et 72). Ces lots ont été arpentés et sont par conséquent clairement définis depuis 1883 environ. La bande a déposé une revendication devant le Tribunal à l’égard de ces lots, alléguant que la colonie n’avait pas rempli son obligation légale d’empêcher les colons de préempter des terres dans ces lots sur lesquels ses établissements étaient situés, et que le gouvernement canadien n’avait pas respecté ses obligations légales envers la bande après l’entrée de la Colombie-Britannique dans la Confédération.

[10]           La revendication de la bande n’est pas une revendication fondée sur la propriété des terres du village. La possession et l’occupation des terres du village ne servent que de toile de fond afin de rechercher si les terres préemptées dans les lots faisaient partie d’un établissement indien soustrait à la préemption aux termes de la Proclamation no 15.

a)                  Événements antérieurs à 1871

[11]           Le Tribunal, à partir du paragraphe 21 de ses motifs, présente de façon détaillée les preuves concernant l’élaboration par la Colombie-Britannique de politiques coloniales sur la création des réserves indiennes. Parmi ces preuves, il y a des communications remontant aussi loin que 1849 dont il ressort que les terres traditionnellement utilisées par les Indiens doivent leur être réservées.

[12]           En 1858, la colonie de la Colombie-Britannique est constituée et James Douglas est nommé gouverneur. En février 1859, Douglas adopte la Proclamation no 13. Cette proclamation affirme que la Couronne détient en fief simple [traduction] « toutes les terres en Colombie-Britannique, avec les mines et minéraux qu’elles renferment ». Cette proclamation dispose également :

[traduction] L’exécutif a aussi le pouvoir de réserver, à tout moment, toute partie des terres inoccupées de la Couronne à toutes fins qu’il juge utiles.

[13]           Une communication de Douglas à E.B. Lytton, secrétaire d’État pour les colonies, le 14 mars 1859, contient une proposition de politique sur les réserves indiennes. Le 1er octobre 1859, Douglas envoie une circulaire aux commissaires de l’Or et magistrats de la Colombie-Britannique pour les aviser de l’adoption imminente d’une loi qui autorisera les colons à enregistrer des préemptions sur les terres non arpentées de la Couronne, en précisant que certaines terres, incluant les villages indiens, seront soustraites à la colonisation.

[14]           Le 4 janvier 1860, Douglas adopte la Proclamation no 15, qui entre en vigueur le 12 janvier 1860. Cette loi vient réglementer la colonisation sur la partie continentale de la Colombie-Britannique et fixer les conditions auxquelles les colons peuvent enregistrer un droit sur les terres non arpentées de la colonie : Motifs du Tribunal, paragraphes 35 et 36. L’article 1 de la proclamation prescrit et limite les terres disponibles à la préemption :

[traduction] À compter de la date ici précisée, les sujets britanniques et les étrangers qui prêteront serment d’allégeance à Sa Majesté et à Ses Successeurs, pourront acquérir le droit de détenir et d’acheter, en fief simple, des terres de la Couronne en Colombie-Britannique, ces terres étant inoccupées, n’étant pas arpentées et n’étant pas réservées, et ne devant pas être à l’emplacement d’une ville existante ou proposée, ou ne devant pas être des terres aurifères destinées à l’exploitation minière, ni être une réserve indienne ou un établissement indien, aux conditions suivantes : …

(Non souligné dans l’original.)

[15]           Entre avril 1860 et mai 1861, 680 acres de terres dans les lots ont été préemptés ou achetés de la Couronne : Mémoire des faits et du droit (MFD) de la demanderesse, Annexe 3 des présentes (avec les modifications apportées à l’audience et accepté par les deux parties). En mai 1861, le magistrat et commissaire de l’Or de Williams Lake, Phillip Nind, écrit à Douglas que [traduction] « la plupart des terres agricoles disponibles ont été préemptées et acquises, et il est probable qu’avant la fin de l’été, toutes les terres auront été prises ». Nind a demandé à recevoir des instructions sur l’établissement d’une réserve pour la bande. Douglas a répondu que Nind devrait délimiter une réserve de 400 à 500 acres [traduction] « […] à l’usage des Indiens à l’endroit où ils souhaitent posséder une section de terrain » : dossier de demande, vol. 1, onglet 1a à la page 126, paragraphe 4. Nind ne l’a pas fait, pour des raisons inconnues.

[16]           Le 27 août 1861, la Pre-emption Consolidation Act (loi codifiée de préemption) est entrée en vigueur, remplaçant la Proclamation no 15. Les dispositions de la loi sur les établissements indiens étaient similaires à celles de la Proclamation no 15.

[17]           Deux autres parcelles de terre situées dans les lots ont également été préemptées en novembre 1861 et en mars 1862, portant la superficie totale préemptée dans les lots à 1 000 acres. Aucune autre préemption concernant les lots ne ressort des éléments de preuve.

b)                  Événements consécutifs à l’entrée de la Colombie-Britannique dans la Confédération canadienne en 1871

[18]           En 1871, la Colombie-Britannique est devenue une province canadienne en vertu des Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique, LRC 1985, App II, no 10 (Conditions de l’adhésion), un document constitutionnel. L’article 1 des Conditions de l’adhésion dispose en partie : « Le Canada sera responsable des dettes et obligations de la Colombie-Britannique existantes à l’époque de l’Union ».

[19]           L’article 13 des Conditions de l’adhésion dispose :

Le soin des Sauvages, et la garde et l’administration des terres réservées pour leur usage et bénéfice, incomberont au Gouvernement Fédéral, et une ligne de conduite aussi libérale que celle suivie jusqu’ici par le gouvernement de la Colombie-Britannique sera continuée par le Gouvernement Fédéral après l’Union. Pour mettre ce projet à exécution, des étendues de terres ayant la superficie de celles que le gouvernement de la Colombie-Britannique a, jusqu’à présent, affectées à cet objet, seront de temps à autre transférées par le Gouvernement Local au Gouvernement Fédéral au nom et pour le bénéfice des Sauvages, sur demande du Gouvernement Fédéral; et dans le cas où il y aurait désaccord entre les deux gouvernements au sujet de la quantité des étendues de terre qui devront être ainsi concédées, on devra en référer à la décision du Secrétaire d’État pour les Colonies.

[20]           En 1876, une commission mixte du gouvernement canadien et de la Colombie-Britannique, la Commission mixte des réserves indiennes, a été constituée et chargée de l’attribution des réserves indiennes. Cette commission a été abolie en 1878, avant d’avoir pu terminer son travail. Elle n’a rien fait au sujet de l’attribution d’une réserve à la bande : dossier de demande, vol. 14, onglet O à la page 3 762, paragraphe 130.

[21]           En novembre 1879, le chef de la bande a écrit à un journal, le British Daily Colonist, une lettre qui fut publiée avec commentaires, dans laquelle il affirmait que son peuple était menacé par la famine parce que [traduction] « Les Blancs ont pris toutes les terres et tout le poisson. ». Cette lettre demandait que le commissaire (Gilbert Sproat) se rende sans délai à Williams Lake afin d’attribuer des terres à la bande.

[22]           En mars 1881, le gouvernement canadien a complété l’acquisition du domaine de Bates, signalé par le chef dans sa lettre et qui avait été mis en vente en 1880.

[23]           En juin 1881, Peter O’Reilly, commissaire depuis juillet 1880, s’est rendu à Williams Lake afin de faire progresser le dossier de l’attribution de réserves à la bande. La bande se composait alors de 50 hommes, 38 femmes, 59 enfants, 211 chevaux et 39 bovins : dossier de demande, vol. 1, onglet 1a à la page 148.

[24]           En juin 1881, le commissaire O’Reilly a attribué 14 réserves (les terres attribuées) aux Indiens de Williams Lake, pour un total se situant entre 4 100 acres et 4 600 acres : Motifs, paragraphes 14, 15, 311, 313; MFD de la demanderesse, paragraphes 1, 119, 129. Les terres attribuées comprenaient des terres provenant du domaine de Bates et d’autres terres publiques, et contenaient deux ruisseaux et un petit lac, ainsi que sept petits cimetières. La plupart des cimetières étaient situés dans les lots 71 et 72 ou à proximité de ceux-ci. Sauf en ce qui concerne les cimetières, les terres attribuées ne comprenaient aucune partie des terres du village.

3.                   Décision du Tribunal

[25]           Le Tribunal a conclu que la bande avait établi la validité de ses revendications particulières fondées sur des événements survenus avant et après l’adhésion de la Colombie-Britannique au Canada. Le Tribunal a tenu le gouvernement canadien responsable aux termes de l’alinéa 14(1)b) de la violation des obligations légales et de l’obligation fiduciaire légale par la colonie, et responsable en vertu de l’alinéa 14(1)c) de la violation d’une obligation fiduciaire légale par le gouvernement canadien.

[26]           Les procédures devant le Tribunal ont été scindées en deux phases : la responsabilité et l’indemnisation, la phase d’indemnisation étant laissée en suspens dans l’attente de l’issue de la présente instance.

[27]           Je discuterai les motifs du Tribunal de façon plus approfondie dans mon analyse.

Questions en litige

[28]           À mon avis, les questions déférées à la Cour consistent à rechercher :

  • s’il y a eu violation des obligations légales par la colonie;
  • s’il y a eu violation de l’obligation fiduciaire légale par la colonie;
  • si les violations ci-dessus sont survenues, si elles constituent des revendications valides en vertu de l’alinéa 14(1)b) de la Loi;
  • si une revendication valide en vertu de l’alinéa 14(1)c) découlant d’une violation de l’obligation fiduciaire légale par le gouvernement canadien a été établie, et si les mesures subséquentes prises par le gouvernement canadien en créant une réserve pour la bande ont remédié à toute violation antérieure possible par l’ancienne colonie.

[29]           À mon avis, la question déterminante sur laquelle la Cour doit se prononcer est de savoir si les actions du gouvernement canadien après l’entrée de la Colombie-Britannique dans la Confédération selon les Conditions de l’adhésion ont suffi à remédier à toute éventuelle violation antérieure par la colonie et, ce faisant, ont respecté toute obligation fiduciaire légale possible du gouvernement canadien envers la bande.

Observations des intervenantes

[30]           Les intervenantes, les tribus Cowichan, soutiennent que la colonie de la Colombie-Britannique a mis en réserve des terres visées par un règlement sur les revendications territoriales sous forme de terres domaniales de sorte qu’est née une obligation fiduciaire sui generis au sens de la jurisprudence Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245 [Wewaykum]. Elles soutiennent que les mesures prises par la colonie en créant ces réserves satisfont aux quatre conditions légales d’établissement d’une réserve indienne consacrée par une jurisprudence de la Cour suprême du Canada, Conseil de la bande dénée de Ross River c. Canada, 2002 CSC 54, [2002] 2 RCS 816 [Ross River]. Les intervenantes ont affirmé que le défaut par la colonie d’achever l’établissement des réserves indiennes constitue une violation d’une obligation légale au sens des alinéas 14(1)b) et 14(1)c) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières. Le Tribunal n’a pas discuté de façon détaillée les facteurs de la jurisprudence Ross River, et la Cour n’est pas tenue de le faire non plus. À mon avis, cette question doit être remise à plus tard et à une affaire où elle est clairement soulevée. Lors des débats, les intervenantes ont également soutenu que la Cour doit aborder l’observation incidente du Tribunal au paragraphe 149 portant que les mots « réserve indienne » dans la Proclamation no 15 signifient que les terres sont « réservées » au sens de la politique coloniale et non dans le sens envisagé par la jurisprudence Ross River. Les parties ont confirmé à l’audience qu’il n’était pas nécessaire de répondre à cette question aux fins de l’appel en cause. J’abonde dans le même sens.

Norme de contrôle

[31]           En l’espèce, la norme de la décision correcte joue en ce qui concerne les conclusions de la Cour sur les questions de droit. La norme de la décision raisonnable joue quant à toutes les autres conclusions : Canada c. Première nation de Kitselas, 2014 CAF 150, aux paragraphes 22, 35, 460 NR 185 [Kitselas]; Première nation de Lac La Ronge c. Canada, 2015 CAF 154, au paragraphe 20, [2015] ACF no 813 (QL) [Lac La Ronge].

Analyse

1.              Violation d’une obligation légale

[32]           Le premier motif par lequel le Tribunal a conclu que la bande avait établi sa revendication en vertu de l’alinéa 14(1)b) est la violation par la colonie de son obligation légale, en l’occurrence la Proclamation no 15 : Motifs, aux paragraphes 136, 154 et 160.

[33]           Pour tirer cette conclusion, le Tribunal répond à deux questions principales : d’abord, rechercher si la Proclamation no 15, qui établit un système de préemption permettant aux colons ainsi qu’aux Indiens d’acquérir des terres inoccupées, non-arpentées et non-réservées, constitue une « loi relative aux Indiens ou aux terres réservées pour les Indiens » au sens de ces mots dans l’alinéa 14(1)b); deuxièmement, rechercher si une obligation légale tirée de la Proclamation no 15 a effectivement été violée.

[34]           Sur la première question, le Tribunal a conclu que la Proclamation no 15 constituait effectivement une « loi relative aux Indiens ou aux terres réservées pour les Indiens », parce qu’elle avait pour effet juridique d’empêcher que certaines catégories de terres, incluant les établissements indiens, soient acquises par préemption : Motifs, au paragraphe 152.

[35]           Le Tribunal a conclu qu’aux fins de l’appréciation d’une revendication aux termes de l’alinéa 14(1)b), il n’était pas nécessaire que le texte législatif en cause porte entièrement sur les Indiens ou les terres réservées aux Indiens, en autant qu’une partie de ce texte législatif le fasse : Motifs, au paragraphe 145. La question pertinente, de l’avis du Tribunal, est de savoir si la loi « présente une relation ou a un rapport avec » les Indiens ou les terres réservées pour les Indiens : Motifs, au paragraphe 148.

[36]           Le Tribunal a rejeté la thèse du gouvernement canadien portant que lorsqu’il faut rechercher si telle ou telle loi se situe dans le champ de l’alinéa 14(1)b), cela appelle une analyse du caractère véritable de celle loi. Le gouvernement canadien a soutenu qu’une telle analyse était nécessaire parce que le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 et 31 Vict, ch. 3, reproduite dans LRC 1985, app II, no 5 [Loi constitutionnelle de 1867] utilise aussi les mots « aux Indiens ou aux terres réservées aux Indiens ». Le Tribunal a conclu que l’analyse du caractère véritable utilisée dans la jurisprudence portant sur le partage des compétences ne jouait pas quant à sa décision en vertu de l’alinéa 14(1)b) : Motifs, au paragraphe 145.

[37]           En ce qui concerne la deuxième question, le Tribunal conclut que la colonie a violé la Proclamation no 15 : Motifs, aux paragraphes 154 et 160.

[38]           Le Tribunal a relevé qu’un certain nombre de préemptions ont eu lieu dans la région du lac Williams, incluant de grandes parties des lots, à partir du 28 avril 1860 : Motifs, aux paragraphes 130 à 136. Le Tribunal a cependant conclu que les lots auraient dû être protégés de toute préemption aux termes de la Proclamation no 15, parce que ces terres faisaient partie d’un « établissement indien » au sens des politiques et lois coloniales : Motifs, aux paragraphes 114 et 136.

[39]           Le Tribunal a conclu que « [l]e plan de la colonie qui visait à rendre les terres disponibles pour les préemptions tenait compte de la politique de protection des établissements indiens » : Motifs, au paragraphe 115. Le Tribunal a également conclu que cette politique de protection – reflétée dans la loi, en l’occurrence les Proclamations no 13 et no 15, et dans les orientations données aux responsables de la colonie – n’aurait pas été efficace si elle ne s’était appliquée qu’aux terres qui avaient été désignées par les représentants de la colonie : Motifs, au paragraphe 123. Le Tribunal a relevé que la Proclamation no 15 n’exigeait pas, à première vue, que les terres soustraites à la préemption soient délimitées, arpentées ou officiellement désignées pour bénéficier de la protection : Motifs, au paragraphe 118.

[40]           Le Tribunal a conclu que Nind, « qui était sur le terrain » et chargé de s’assurer que les établissements indiens ne faisaient pas l’objet d’une préemption, connaissait la politique de protection des établissements indiens et la présence de la bande sur au moins une partie des terres du village. De plus, Nind avait reçu instruction de délimiter une réserve de 400 à 500 acres à l’usage de la bande : Motifs, aux paragraphes 124 à 127. Malgré cela, Nind n’a pas demandé à la bande quelles terres elle souhaitait réserver ni remis en question la légalité des préemptions exercées : Motifs, aux paragraphes 128 et 159.

[41]           Le Tribunal a relevé que l’objectif de la Proclamation no 15 ne pouvait être atteint sans qu’on ne prenne les mesures nécessaires pour relever les établissements indiens ou contester les préemptions qui avaient déjà été exercées. Nind, qui avait l’obligation d’appliquer la politique coloniale, n’a fait ni l’un ni l’autre. Par conséquent, la colonie a violé la Proclamation no 15 : Motifs, aux paragraphes 155 à 160.

[42]           Le Tribunal n’a pas retenu la thèse de l’intimée portant que seule la violation d’une obligation légale positive peut établir une revendication aux termes de l’alinéa 14(1)b), et que la Proclamation no 15 n’obligeait pas expressément les responsables de la colonie à veiller à ce que les terres acquises par préemption n’empiètent pas sur les établissements indiens. Le Tribunal a conclu que dans la mesure où la colonie avait violé sa loi, la responsabilité est engagée en vertu de l’alinéa 14(1)b) : Motifs, aux paragraphes 153 et 154.

[43]           Le gouvernement canadien soutient que le Tribunal a erré en concluant que les préemptions exercées dans les terres du village constituaient une violation de la Proclamation no 15 et que cette violation constituait une revendication valide aux termes de l’alinéa 14(1)b) de la Loi.

[44]           Le gouvernement canadien maintient la thèse défendue devant le Tribunal portant que la colonie n’avait pas violé les lois coloniales puisque celles-ci ne lui imposaient aucune obligation légale positive à l’égard de la bande, comme une obligation de relever les établissements indiens ou de refuser les demandes de préemption lorsque celles-ci étaient faites à l’égard d’établissements indiens. Le gouvernement canadien soutient que les violations de la loi sur les préemptions qui pourraient avoir eu lieu étaient des violations par des colons, dont la colonie n’était pas responsable. Le gouvernement canadien ajoute que les lois sur les préemptions prévoyaient des voies de recours pour toute personne alléguant qu’une préemption était illégale.

[45]           La bande soutien que le Tribunal a conclu de façon correcte et raisonnable que la colonie avait l’obligation, aux termes de ses lois et de ses politiques, de protéger et de délimiter les villages et établissements indiens ainsi que les terres environnantes afin de les réserver et d’empêcher la préemption de ces terres. Elle soutient que le Tribunal a correctement conclu que les objectifs des lois en matière de préemption ne pouvaient être atteints sans que la colonie ne prenne de telles mesures.

[46]           La bande soutient que l’approche retenue par le gouvernement canadien quant à cette question est inappropriée car trop littérale, et soutient que le Tribunal a correctement tenu compte du contexte historique dans son interprétation de l’obligation légale consacrée par les lois sur la préemption. La bande soutient que la colonie a violé son obligation légale de protéger les établissements indiens – une obligation ayant pour source les lois sur la préemption et la politique coloniale exprimée dans la correspondance, les instructions données aux responsables et les promesses faites aux Indiens. En bref, la bande soutient que la colonie n’a pas respecté son obligation de mettre en œuvre ses lois et ses politiques sur le terrain.

[47]           À mon avis, retenir la thèse de la bande pousserait trop loin l’interprétation des lois sur la préemption. Il est vrai que l’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique de la loi : Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, au paragraphe 10, [2005] 2 RCS 601. Cependant, même si je retenais la thèse portant que l’un des objectifs de la loi sur la préemption était la protection des établissements indiens, il est douteux que la loi elle-même donne naissance à une obligation positive de la colonie envers la bande de s’assurer que les dispositions de la loi soient respectées. En substance, la bande affirme que le défaut de faire respecter les dispositions de la loi contre tous ceux qui y sont visés constitue une violation de la loi elle-même par la colonie. Je n’ai cependant pas à me prononcer sur cette question, puisque même si je devais retenir la totalité de la thèse de la bande, ma conclusion à l’égard de la question 4, à savoir que les actions ultérieures du gouvernement canadien ont remédié à toute violation possible par la colonie, est la question déterminante en l’espèce.

2.             Violation de l’obligation fiduciaire

[48]           Le second motif par lequel le Tribunal a conclu que la bande avait établi sa revendication aux termes de l’alinéa 14(1)b) est une violation par la colonie d’une obligation fiduciaire.

[49]           Dans un premier temps, le Tribunal a discuté la question de savoir si un manquement à une obligation fiduciaire entrait dans les prévisions de l’alinéa 14(1)b), relevant que le gouvernement canadien avait soutenu que les revendications en vertu de l’alinéa 14(1)b) se limitaient à la violation des obligations légales : Motifs, aux paragraphes 161 à 175. Bien que le Tribunal ne semble pas répondre explicitement à cette question, compte tenu de l’issue de cette affaire, la conclusion du Tribunal – portant que la violation de l’obligation fiduciaire peut effectivement fonder une revendication en vertu de l’alinéa 14(1)b) – est évidente.

[50]           Le Tribunal entreprend ensuite son analyse du droit fiduciaire. Il relève que l’affirmation de la souveraineté de la Couronne fondait un rapport fiduciaire entre les Autochtones et la Couronne, citant la jurisprudence Wewaykum. Il conclut que la souveraineté de la Couronne a été affirmée en l’espèce, en s’appuyant sur la Proclamation no 13 et sur l’arrêt Delgamuukw c. Colombie Britannique, ([1997] 3 RCS 1010, au paragraphe 45, 220 NR 161 : Motifs, aux paragraphes 176 et 183 à 185.

[51]           Le Tribunal reconnaît que ce ne sont pas tous les aspects de la relation fiduciaire qui donnent naissance à une obligation fiduciaire, et précise les deux cas dans lesquels une telle obligation peut exister en matière autochtone, citant Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général), 2013 CSC 14, [2013] 1 RCS 623 [Manitoba Metis] : Motifs, aux paragraphes 177, 181 et 182. À l’occasion de l’affaire Manitoba Metis, la Cour suprême du Canada a défini ces deux cas comme suit :

[49]      Dans le contexte autochtone, une obligation fiduciaire peut naître du fait que la « Couronne assume des pouvoirs discrétionnaires à l’égard d’intérêts autochtones particuliers » Nation haïda c. ColombieBritannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 RCS 511, par. 18. Il est alors nécessaire de s’attacher à l’intérêt particulier qui est l’objet du différend (Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245, au paragraphe 83. Le contenu de l’obligation fiduciaire de la Couronne envers les peuples autochtones varie selon la nature et l’importance des intérêts à protéger Wewaykum, par. 86.

[50]      Une obligation fiduciaire peut également découler d’un engagement si les trois éléments suivants sont réunis :

(1)  un engagement de la part du fiduciaire à agir au mieux des intérêts du bénéficiaire ou des bénéficiaires; (2) l’existence d’une personne ou d’un groupe de personnes définies vulnérables au contrôle du fiduciaire (le bénéficiaire ou les bénéficiaires); et (3) un intérêt juridique ou un intérêt pratique important du bénéficiaire ou des bénéficiaires sur lequel l’exercice, par le fiduciaire, de son pouvoir discrétionnaire ou de son contrôle pourrait avoir une incidence défavorable.

(Alberta c. Elder Advocates of Alberta Society, 2011 CSC 24, [2011] 2 RCS 261, par. 36)

[51]      Comme nous l’avons vu, la première façon dont une obligation fiduciaire peut prendre naissance est le fait que la Couronne administre des terres ou des biens sur lesquels les Autochtones ont un intérêt (Guerin c. La Reine, [1984] 2 RCS 335, p. 384. L’obligation prend naissance (1) s’il existe un intérêt autochtone particulier ou identifiable, et (2) si la Couronne exerce un pouvoir discrétionnaire à l’égard de cet intérêt Wewaykum, par. 79-83; Nation haïda, par. 18.

Le premier cas défini ci-dessus est parfois appelé obligation fiduciaire « sui generis ». Le deuxième est parfois qualifiée d’obligation fiduciaire « générale » ou « ad hoc », et ne se limite pas au domaine autochtone.

[52]           Le Tribunal s’est également livré à une longue analyse concernant l’honneur de la Couronne : Motifs, aux paragraphes 183 à 214. Le Tribunal a recherché : (1) si un manquement au principe de l’honneur de la Couronne avait eu lieu; et (2) si un tel manquement pouvait fonder une revendication aux termes de l’alinéa 14(1)b). Même s’il a conclu que la colonie ne s’était pas acquittée honorablement de ses obligations, le Tribunal a refusé de rechercher si ce manquement constituait une violation d’une obligation légale au sens de l’alinéa 14(1)b), parce que la revendication de la bande était valide pour d’autres motifs, c’est-à-dire une violation de la loi, tel qu’énoncé auparavant : Motifs, aux paragraphes 210 et 213.

[53]           Passant à l’application du droit fiduciaire, le Tribunal a d’abord examiné l’obligation fiduciaire générale : Motifs, aux paragraphes 217 à 223. Le Tribunal a conclu que la colonie « devait, à titre de fiduciaire, privilégier les intérêts des Indiens sur leurs terres plutôt que les intérêts des nouveaux arrivants [sic] qui souhaitaient acheter des droits d’occupation des terres de la Couronne », et qu’elle a failli à cette obligation : Motifs, au paragraphe 224.

[54]           Le Tribunal a conclu que tous les facteurs donnant naissance à une obligation fiduciaire générale étaient réunis :

  • Les politiques et les lois de la colonie exprimaient un engagement à agir dans les meilleurs intérêts des Indiens en faisant respecter l’interdiction de préemption des terres situées à l’intérieur des limites de leurs établissements, comme en fait foi la promesse faite par le gouverneur Douglas à un grand nombre d’Indiens à Cayoosh et à Lytton, que des réserves seraient créées.
  • Les bénéficiaires de cet engagement étaient les tribus indiennes de la région dont les établissements n’avaient pas été jalonnés, ce qui inclut la bande;
  • La bande avait un intérêt pratique important dans ses établissements, susceptible d’être affecté de façon défavorable par l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la colonie.

[55]           En ce qui a trait à la question de la violation, le Tribunal a conclu que la Couronne n’avait pas pris « les mesures les plus élémentaires » pour protéger les terres du village de la préemption ou pour annuler les préemptions contraires à la loi : Motifs, au paragraphe 222. Le Tribunal a relevé que pour que la Proclamation no 15 ne soit pas lettre morte, « il fallait donc préalablement délimiter les établissements indiens » : Motifs, au paragraphe 218.

[56]           Le Tribunal conclut ensuite que la colonie était aussi liée à la bande à titre de fiduciaire sui generis, et que la colonie a manqué à son obligation en vertu de cette obligation : Motifs, aux paragraphes 224 à 235.

[57]           Pour faire ce constat, le Tribunal s’est appuyé sur une jurisprudence de la Cour suprême, Wewaykum, qui enseigne qu’une obligation de fiduciaire – quoique limitée –peut exister à l’égard des terres indiennes avant même que n’aient été prises les mesures nécessaires à la création d’une « réserve » au sens de ce mot dans la Loi sur les Indiens, LRC 1985, ch. I-5. Par l’arrêt Wewaykum, la Cour suprême a conclu que cette obligation, qui porte sur les terres qui ont été « provisoirement » réservées, impose à la Couronne des obligations « de loyauté, de bonne foi dans l’exécution de son mandat, de communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et d’exercice de la prudence ordinaire dans l’intérêt des bénéficiaires autochtones de l’obligation » : paragraphe 86.

[58]           Le Tribunal a conclu que ces obligations étaient imputées à la Couronne à l’égard des terres du village, parce que ces terres avaient été « provisoirement » réservées de la manière prévue par la jurisprudence Wewaykum, et que les deux critères du test consacré par la jurisprudence Manitoba Metis étaient réunis :

  • la bande avait un intérêt identifiable spécifique dans les terres du village;
  • les lois de la colonie en matière de préemption constituaient l’exercice de son pouvoir discrétionnaire sur ces terres.

[59]           Le Tribunal a conclu que la « prudence ordinaire » qu’appelle cette obligation imposait de s’assurer de l’étendue de l’établissement afin que les lois sur la préemption de la colonie puissent effectivement protéger l’établissement de la préemption. Parce que cette assurance n’a pas été obtenue, la colonie a manqué à ses obligations fiduciaires : Motifs, aux paragraphes 234 à 235.

[60]           Le Tribunal a rejeté la thèse du gouvernement canadien portant que la revendication de l’intérêt sur les terres du village de la bande est fondée sur le titre ancestral, une question ne relevant pas de la compétence du Tribunal : Motifs, aux paragraphes 236 à 239. Le Tribunal a conclu que la bande se fondait sur l’occupation des terres non pas pour établir une revendication fondée sur un titre ancestral, mais plutôt parce que cette occupation est nécessaire pour établir sa revendication particulière, dans le même but que celui poursuivi dans l’affaire Kitselas.

[61]           Le Tribunal a reconnu que la revendication de la bande en vertu de l’alinéa 14(1)b), de la façon dont la bande l’a formulée, s’appuie dans une certaine mesure sur l’article 1 des Conditions de l’adhésion, et que le gouvernement canadien a plaidé qu’il n’était pas approprié de s’appuyer sur cette disposition pour tenter d’établir une revendication coloniale. Le Tribunal a cependant conclu qu’il n’était pas nécessaire de se prononcer sur cette question : Motifs, aux paragraphes 240 à 243.

[62]           Le gouvernement canadien soutient que la colonie n’avait pas d’obligation fiduciaire sui generis ou générale envers la bande.

[63]           Sur la question de l’obligation fiduciaire sui generis, le gouvernement canadien soutient que la conclusion du Tribunal quant à la superficie constituant les terres du village n’est pas suffisamment spécifique pour donner naissance à une telle obligation. Il soutient également que les preuves ne vont pas dans le sens de la conclusion du Tribunal quant à la portée des terres du village, à l’effet que ces terres correspondent aux lots 71 et 72 ainsi qu’aux « terres attenantes dont la superficie est indéterminée » : Motifs du Tribunal, aux paragraphes 112 et 114. Il allègue également que le Tribunal n’a ni apprécié ni pondéré l’élément d’histoire orale, et omis de définir quel élément d’histoire orale sur lequel il s’est appuyé.

[64]           Le gouvernement canadien soutient de plus que la colonie ne disposait de nul pouvoir de contrôle discrétionnaire sur l’intérêt de la bande dans les terres du village. Il plaide que l’élément de pouvoir discrétionnaire n’est conféré que lorsque la Couronne administre des terres au nom des Indiens. Le gouvernement canadien soutient que le Tribunal a erré en concluant qu’il existait une obligation fiduciaire sui generis dans une situation « bien avant » les cas dans lesquels une telle obligation a été consacrée par la jurisprudence; par exemple, dans l’administration des terres de réserve cédées (Guerin c. La Reine, [1984] 2 RCS 335, 55 NR 161); dans la gestion des « réserves provisoirement approuvées » (Wewaykum); ou dans l’attribution des réserves (Kitselas).

[65]           Le gouvernement canadien soutient que le pouvoir de contrôle discrétionnaire est absent en l’espèce puisque la colonie n’était pas l’intermédiaire exclusif en matière de contestations relevant de la loi sur la préemption. La colonie, affirme le gouvernement canadien, ne s’est pas interposée entre la bande et les colons et n’a pas entrepris d’intervenir dans les meilleurs intérêts des Indiens durant les déclarations de Douglas à Cayoosh et Lytton. La loi sur la préemption prévoit plutôt un mécanisme de grief par lequel les parties peuvent faire état des préoccupations sur les préemptions devant un magistrat local. Le gouvernement canadien relève que Douglas a évoqué de ce mécanisme de grief durant ses discours, et allègue que le Tribunal n’a pas discuté les effets de ce mécanisme de grief dans son analyse.

[66]           Sur la question de l’obligation fiduciaire générale, le gouvernement canadien soutient que la colonie ne s’est pas engagée à agir dans le meilleur intérêt de la bande à l’exclusion de tous les autres intérêts. Le gouvernement canadien soutient que la bande n’a pas discuté cet élément du test permettant d’établir une obligation fiduciaire dans ses observations devant le Tribunal, et de plus que le Tribunal ne disposait d’aucun élément de preuve sur lequel se fonder pour conclure que la colonie avait pris un tel engagement. Le gouvernement canadien s’appuie sur ses observations antérieures pour soutenir ce point, et soutient par ailleurs que le Tribunal dispose de preuves dont il ressort que la colonie était tenue de considérer les intérêts concurrents des Indiens et des colons.

[67]           La bande soutient que le Tribunal n’a pas erré en concluant que la colonie avait manqué à son obligation fiduciaire. La bande soutient que le Tribunal a correctement cerné les principes juridiques et appliqué les faits au droit de manière raisonnable. La bande fait valoir que le Tribunal n’a pas erré dans la pondération ou la description des preuves.

[68]           La bande soutient que le Tribunal a effectivement énoncé les obligations découlant de l’obligation fiduciaire de la colonie. Citant les paragraphes 201, 204, 208 et 234 des motifs du Tribunal, la bande soutient que ces obligations étaient les suivantes : rechercher où se trouvaient les terres occupées par la bande; faire preuve de diligence en délimitant rapidement les terres du village en tant que réserve; et reprendre ou mettre de côté les terres ayant fait l’objet d’une préemption illégale.

[69]           En réplique aux arguments du gouvernement canadien à propos du mécanisme de grief, la bande soutient que la possibilité de déférer un différend à la justice n’élimine pas la nécessité de veiller à ce que la loi soit respectée. De plus, selon la bande, déférer le différend à la justice n’était pas une possibilité réaliste. La bande soutient qu’il n’y avait pas de magistrat local à Williams Lake, sauf durant le séjour de Nind; que le mécanisme de grief était conçu pour régler les différends entre les colons; et que la bande n’avait pas les capacités légales, financières et matérielles de présenter un tel grief.

[70]           Il est bien possible qu’une relation fiduciaire ait existé entre la colonie et la bande. Cependant, les obligations entre les parties à une relation fiduciaire ne sont pas toutes d’ordre fiduciaire : Wewaykum, au paragraphe 92. Notre Cour doit rechercher si les circonstances en l’espèce ont donné naissance à des obligations fiduciaires, et si tel est le cas, s’il y a eu manquement à ces obligations. En l’espèce, il se peut que l’effet conjugué résultant de la Proclamation no 13 (l’affirmation de souveraineté), des déclarations de politique faites par Douglas lors des rencontres de Cayoosh et de Lytton et de la loi sur la préemption (Proclamation no 15) signale un intérêt autochtone identifiable spécifique et un pouvoir de contrôle discrétionnaire de la part de la colonie qui suffisent à donner naissance à une obligation fiduciaire sui generis. Cependant, tout comme pour la question 1, je n’ai pas à me prononcer sur cette question, puisque même je retenais intégralement la thèse de la bande, ma conclusion à l’égard de la question 4, à savoir que les actions ultérieures du gouvernement canadien ont remédié à toute violation possible par la colonie, est la question déterminante en l’espèce.

3.            Responsabilité du gouvernement canadien pour les violations ayant pu être commises par l’ancienne colonie

[71]           La discussion par le Tribunal du paragraphe 14(2), dans son analyse visant à rechercher si la colonie a manqué à une obligation fiduciaire envers la bande, se limite aux paragraphes suivants :

[161] Le Canada reconnaît qu’il ressort clairement de l’al 14(1)b), lu à la lumière du par 14(2), qu’il est possible de saisir le Tribunal de revendications relatives à la période préconfédérative, mais il prétend que les causes d’action se limitent au non-respect des obligations législatives

[162] Le paragraphe 14(2) régit l’application de l’al 14(1)b) « [...] à l’égard d’une obligation légale qui devait être exécutée sur un territoire situé à l’intérieur des limites actuelles du Canada avant l’entrée de ce territoire au sein du Canada ». Il dispose que :

[...] la mention de Sa Majesté vaut également mention du souverain de la Grande-Bretagne et de ses colonies, dans la mesure où cette obligation, ou toute responsabilité en découlant, a été imputée à Sa Majesté, ou aurait été imputée à celle-ci […]

[163] Sa Majesté (LTRP, art 2 : « Sa Majesté » Sa Majesté du chef du Canada) est donc dans la même position juridique que le « souverain de la Grande-Bretagne et de ses colonies », mais pas en ce qui concerne toutes les obligations potentielles de la Couronne impériale pendant la période préconfédérative.

[164] L’obligation légale qui a été « imputée à Sa Majesté, ou aurait été imputée à celle-ci » est devenue l’obligation du Canada lors de la Confédération et celle que le Canada, s’il avait été à la place de la colonie, aurait violée.

[72]           Le Tribunal poursuit en examinant la question de savoir si la colonie avait une obligation fiduciaire envers la bande. Le Tribunal revient à la question du paragraphe 14(2) plusieurs paragraphes plus loin dans ses motifs, mais affirme simplement que le gouvernement canadien est responsable des violations d’une obligation fiduciaire dans la mesure où une telle obligation existe :

[174] L’affirmation d’un titre de la Couronne plaçait la colonie dans une relation fiduciaire avec les Autochtones. L’adoption d’un texte législatif portant sur des droits fonciers reconnus, — en l’espèce, un droit fondé sur l’occupation, reconnu et protégé par la loi — donne effet à la règle de droit applicable lorsque, comme en l’espèce, il existe une relation fiduciaire. Il s’agit d’une obligation légale au sens du par 14(2) si les facteurs permettant de conclure à l’existence d’une obligation fiduciaire sont réunis.

(Non souligné dans l’original.)

[73]           Le gouvernement Canadien soutient que si le Tribunal a conclu que le paragraphe 14(2) doit être interprété comme signifiant que le gouvernement canadien est devenu responsable de toute violation d’une obligation légale par la colonie, il s’agit d’une interprétation erronée vu le libellé de la disposition. Le gouvernement canadien soutient que l’article 1er des Conditions de l’adhésion, que le Tribunal a refusé d’examiner, ne peut pas être utilisé pour imposer une obligation au gouvernement canadien pour ces types d’obligations légales au moment de la Confédération, puisque l’article 1er se limitait à l’imposition de la dette et des obligations monétaires.

[74]           La bande soutient que le gouvernement canadien est responsable des violations par la colonie et que la décision du Tribunal est correcte à cet égard. Elle soutient que l’alinéa 14(1)b) porte spécifiquement sur les violations préconfédératives des obligations légales, et le Tribunal a tenu compte de ce fait. La bande soutient que si la violation par la colonie d’une obligation légale porte sur une loi sur les Indiens ou les terres réservées aux Indiens, il est constitutionnellement approprié d’imposer une obligation au gouvernement canadien pour de telles violations, aux termes du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 et de l’article 13 des Conditions de l’adhésion. La bande soutient que l’interprétation du Tribunal ne signifie pas que le gouvernement canadien est responsable de toutes les violations commises par la colonie.

[75]           Le Tribunal a effectué une analyse limitée du paragraphe 14(2) et a en grande partie simplement affirmé que cette disposition parle d’elle-même lorsqu’elle a conclu que toute violation constatée de la part de la colonie est transmise au gouvernement canadien. Le Tribunal a conclu qu’il n’était pas nécessaire de se prononcer sur l’article 1er des Conditions de l’adhésion : Motifs du Tribunal, au paragraphe 243, lequel, à première vue ne semble pas viser le type d’obligations en question dans cette affaire. En outre, les thèses de la bande portant qu’une obligation est imposée au gouvernement canadien aux termes du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 et de l’article 13 des Conditions de l’adhésion sont difficiles à retenir puisque dans ce cas les terres en question n’ont pas été transférées par la colonie de la Colombie-Britannique aux termes des Conditions de l’adhésion. De toute manière, je n’ai pas à me prononcer sur cette question, qu’il est à mon avis préférable de remettre à plus tard. Tel que discuté plus haut, même si je retenais la thèse de la bande dans sa totalité, je suis d’avis que l’acceptation par la bande des terres attribuées doit être vue comme ayant remédié à toute violation possible par la colonie.

4.                  Revendication contre le gouvernement canadien en vertu de l’alinéa 14(1)c), et si les actions subséquentes du gouvernement canadien ont remédié à toute violation antérieure possible par l’ancienne colonie

[76]           Le Tribunal a conclu qu’il n’était pas strictement nécessaire d’examiner cette revendication, puisque d’autres revendications valides ont été établies contre le gouvernement canadien et que l'alinéa 14(1)c) constitue une source distincte de responsabilité : Motifs, au paragraphe 245. Le Tribunal a quand même examiné la question, concluant au final que le gouvernement canadien avait à la fois des obligations fiduciaires générale et sui generis envers la bande, découlant de la non-fourniture de terres de réserve, et qu’il a violé ces obligations.

[77]           Le Tribunal a conclu qu’après la Confédération, le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 et de l’article 13 des Conditions de l’adhésion ont établi que le gouvernement canadien était le principal intervenant dans la relation fiduciaire entre la Couronne et les Autochtones : Motifs, au paragraphe 271. Il a conclu que cette relation fiduciaire est née dès le début du processus de création des réserves, engageant l’honneur de la Couronne : Motifs, au paragraphe 314. Le Tribunal a conclu que l’obligation dont était tenu le gouvernement canadien au titre de l’honneur de la Couronne dans cette relation était de nature fiduciaire.

[78]           Après avoir examiné les preuves pertinentes, le Tribunal a conclu que la politique coloniale relative à la protection des établissements indiens adoptée pendant le mandat de Douglas avait continué de s’appliquer dans la colonie jusqu’à la Confédération : Motifs, au paragraphe 292. Le Tribunal a conclu que la mention à l’article 13 d’une « ligne de conduite aussi libérale que celle suivie jusqu’ici par le gouvernement de la Colombie-Britannique » englobait les politiques coloniales établies par Douglas : Motifs, au paragraphe 294. Par conséquent, les politiques coloniales adoptées sur une base prospective par le gouvernement canadien en vertu de l’article 13 des Conditions de l’adhésion comprenaient la protection des établissements indiens et le pouvoir d’annuler les préemptions contraires à la loi provinciale : Motifs, aux paragraphes 289 et 293.

[79]           En ce qui a trait à l’obligation fiduciaire sui generis, le Tribunal a conclu qu’il y avait à la fois un intérêt identifiable et un pouvoir discrétionnaire. Dans le premier cas, le Tribunal a conclu que l’intérêt de la bande dans les terres du village était reconnu par la politique coloniale et qu’il est resté reconnu après la Confédération, même si la bande avait été dépossédée de ces terres, en vertu de l’article 13 des Conditions de l’adhésion : Motifs, au paragraphe 317. Dans le deuxième cas, le Tribunal a conclu que la compétence fédérale, consacrée par l’article 13 des Conditions de l’adhésion et le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, faisait du gouvernement canadien l’« intermédiaire exclusif entre les peuples indiens et la province dans le processus de création des réserves », et que le gouvernement canadien exerçait de ce fait un pouvoir discrétionnaire : Motifs, aux paragraphes 264 et 318.

[80]           Le Tribunal a encore une fois conclu que le gouvernement canadien avait une obligation fiduciaire sui generis au moins de même portée que celle établie par la jurisprudence Wewaykum : Motifs, aux paragraphes 267 et 319. C’est-à-dire que les obligations qui lui étaient imposées étaient, au minimum, les « obligations de base » de loyauté, de bonne foi dans l’exécution de son mandat, de communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et d’exercice de la prudence dans l’intérêt de la bande.

[81]           En ce qui a trait à l’obligation fiduciaire de base, le Tribunal a conclu que le gouvernement canadien s’était engagé, par l’article 13 des Conditions de l’adhésion, à adopter une politique relative aux réserves aussi libérale que celle de l’ancienne colonie. Ce faisant, il a assumé l’engagement unilatéral pris antérieurement par la colonie : Motifs, au paragraphe 320.

[82]           Le Tribunal a conclu que le gouvernement canadien avait manqué à ces obligations fiduciaires. En énonçant les obligations faites au gouvernement canadien, le Tribunal a conclu que le meilleur intérêt de la bande était dans l’attribution des terres du village à titre de réserve : Motifs, au paragraphe 322. Le Tribunal a reconnu que le gouvernement canadien, contrairement à la colonie, n’avait pas le pouvoir d’attribuer unilatéralement des réserves : Motifs, aux paragraphes 320 et 326. Il a toutefois signalé que la norme que le gouvernement canadien devait appliquer à titre de fiduciaire était celle de l’article 13 des Conditions de l’adhésion et qu’il disposait de certains moyens de protéger les établissements indiens : Motifs, aux paragraphes 324 et 326.

[83]           Le Tribunal a conclu que l’exercice de la prudence ordinaire exigé par l’obligation fiduciaire sui generis aurait appelé la prise de mesures visant à faire disparaître les obstacles à l’attribution d’une réserve sur les terres du village. Si la prudence ordinaire n’appelait pas la prise de ces mesures, l’obligation supérieure découlant de l’obligation fiduciaire générale l’exigeait : Motifs, au paragraphe 328. De telles mesures, selon la conclusion du Tribunal, comprenaient l’obligation de « contester toute préemption illégale qui faisait obstacle à l’attribution des réserves » : Motifs, au paragraphe 328. Le Tribunal a conclu qu’il existait plusieurs exemples où la Commission mixte des réserves indiennes avait pris les mesures nécessaires pour faire annuler une préemption après avoir découvert qu’elle touchait un établissement indien : Motifs, aux paragraphes 334 et 336.

[84]           Le Tribunal a conclu que le gouvernement canadien n’avait pas satisfait aux normes exigées par le principe de l’honneur de la Couronne et les obligations fiduciaires qui lui étaient imposées. Même s’ils connaissaient très bien la situation, les représentants fédéraux n’ont pas pris les mesures nécessaires : Motifs, au paragraphe 340.

[85]           Enfin, le Tribunal a conclu que l’attribution des terres attribuées à la bande par le commissaire O’Reilly n’avait pas en 1881 remédié à la violation de l’alinéa 14(1)c) : Motifs, aux paragraphes 341 à 343. Le Tribunal a conclu que l’obligation fiduciaire du gouvernement canadien envers la bande portait sur les terres du village, avec lesquelles la bande avait un lien tangible, concret et culturel. Le Tribunal a par conséquent conclu que les conséquences de l’attribution en 1881 des terres attribuées à la bande ne sont pertinentes qu’au stade de la revendication portant sur l’indemnité.

[86]           Le gouvernement canadien soutient que le Tribunal a omis de définir la portée et le contenu de l’obligation fiduciaire faite au gouvernement canadien après la Confédération, et a tiré à une conclusion déraisonnable en concluant que le gouvernement canadien avait manqué à cette obligation : MFD de la demanderesse, au paragraphe 88.

[87]           Le gouvernement canadien soutient que si ce Tribunal a conclu à l’occasion de l’affaire Kitselas que l’article 13 des Conditions de l’adhésion pouvait constituer un engagement unilatéral, le contenu de cet engagement n’est pas clair en l’espèce – il n’y a pas de consensus sur la nature des lignes de conduite de Douglas : MFD de la demanderesse, aux paragraphes 90 et 91. Le gouvernement canadien soutient qu’il y a de nombreuses incohérences dans les preuves à propos de ce qu’était exactement la ligne de conduite concernant les terres qui devaient être attribuées à la bande, et que le Tribunal a erré en concluant que la politique coloniale en vertu de l’article 13 exigeait que la Couronne fournisse comme réserve la totalité des terres souhaitées par une Première Nation : MFD de la demanderesse, aux paragraphes 91 à 107.

[88]           Le gouvernement canadien soutient que l’analyse faite par le Tribunal de l’intérêt de la bande a été faite avec le recul et sans tenir compte des faits particuliers de cette affaire : MFD de la demanderesse, aux paragraphes 113 et 114. Il soutient que l’analyse du contenu de l’obligation fiduciaire du gouvernement canadien ne tient pas compte du contexte de l’époque qui a suivi la Confédération, alors que la Couronne devait composer avec des demandes conflictuelles. Le gouvernement canadien soutient que [traduction] « selon toutes les mesures raisonnables », il a satisfait à la norme de conduite attendue de lui à titre de fiduciaire : MFD de la demanderesse, aux paragraphes 115 et 116. Il soutient également qu’il a remplacé sa perception de l’intérêt de la bande par celle du chef William : MFD de la demanderesse, au paragraphe 131.

[89]           Enfin, le gouvernement canadien soutient que le Tribunal a erré en concluant que l’attribution d’autres terres n’était pertinente qu’en ce qui concerne la question de l’indemnisation. Il soutient que cette considération est pertinente pour rechercher si le gouvernement canadien a manqué à son obligation fiduciaire : MFD de la demanderesse, au paragraphe 132. À l’opposé, il soutient que si le gouvernement canadien a manqué à ses obligations fiduciaires, il ne peut être conclu qu’il l’a fait qu’à l’égard des terres des lots 71 et 72 préemptées en 1881 : MFD de la demanderesse, au paragraphe 133.

[90]           Le gouvernement canadien soutient aussi que le Tribunal a mal interprété une partie des preuves dans ses conclusions sur cette question : MFD de la demanderesse, aux paragraphes 117 à 123. Enfin, il souligne le fait que O’Reilly a circulé à cheval sur les terres avec le chef William, qui s’est dit satisfait et heureux que la question de leurs terres ait maintenant été réglée : MFD de la demanderesse, au paragraphe 123.

[91]           Le gouvernement canadien insiste sur le fait que ni lui, ni aucun de ses organismes n’a le pouvoir légal ou pratique d’invalider unilatéralement les préemptions : MFD de la demanderesse, aux paragraphes 124 à 126. Dans cet esprit, soutient le gouvernement canadien, la Couronne a agi dans l’intérêt de la bande en lui accordant le domaine de Bates en 1881, ainsi que d’autres réserves substantielles. Le gouvernement canadien soutient que les terres qu’il a accordées à la bande dépassent largement la formule des dix acres par famille, qui était, selon la colonie, l’exigence prévue par l’article 13 des Conditions de l’adhésion : MFD de la demanderesse, aux paragraphes 129 et 130. Elles dépassent aussi largement les 400 à 500 hectares que Nind aurait omis de mettre de côté pour la bande selon les instructions de Douglas (dossier de demande, vol. 1, onglet 1a, page 126, paragraphe 4). Douglas, qui la personne ayant demandé à Nind de réserver cette superficie de terres, connaissant très bien les pratiques d’attribution des terres de la colonie.

[92]           La bande soutient que la décision du Tribunal sur cette question n’est entachée d’aucune erreur. Elle soutient que le Tribunal a clairement défini la portée et le contenu de l’obligation fiduciaire du gouvernement canadien selon les principes juridiques appropriés, et indiqué de quelles façons ces obligations avaient été violées : MFD de la défenderesse, aux paragraphes 89 et 95.

[93]           La bande soutient que la décision du Tribunal en l’espèce est cohérente avec la décision qu’il a rendue antérieurement à l’occasion de l’affaire Kitselas, à savoir que l’intérêt des Indiens dans les terres qu’ils utilisaient et occupaient était reconnu par les autorités coloniales, et que la politique de reconnaissance de cet intérêt était devenu la charge du gouvernement canadien après la Confédération : MFD de la défenderesse, au paragraphe 92. La bande soutient que l’argument du gouvernement canadien à propos de la superficie spécifique devant être attribuée par famille indienne n’est pas pertinent, puisque le Tribunal n’a pas tiré aucune conclusion sur cette question : MFD de la défenderesse, au paragraphe 93. La bande a souligné le fait que la décision du Tribunal à l’égard de la politique ne portait pas sur la superficie, mais simplement sur le fait que les établissements indiens devaient être protégés contre la préemption : MFD de la défenderesse, aux paragraphes 93 et 94. La bande soutient qu’il serait inapproprié pour la Cour de rendre une décision sur la question de la superficie, puisqu’il n’a pas été nécessaire au Tribunal de le faire aux fins de la revendication de la bande : MFD de la défenderesse, au paragraphe 94. La bande soutient cette thèse même si l’article 13 des Conditions de l’adhésion mentionne spécifiquement qu’il doit être réservé « […] des étendues de terres ayant la superficie de celles que le gouvernement de la Colombie-Britannique a, jusqu’à présent, affectées à cet objet ».

[94]           La bande soutient que le Tribunal a raisonnablement et correctement conclu qu’après la Confédération, la bande avait toujours un intérêt identifiable dans les terres du village et que le gouvernement canadien, à titre d’intermédiaire exclusif avec la province à l’égard de cet intérêt, exerçait un pouvoir  de contrôle discrétionnaire : MFD de la défenderesse, au paragraphe 96. La bande soutient que les éléments de preuve vont dans le sens de ces conclusions : MFD de la défenderesse, au paragraphe 97.

[95]           La bande soutient que le Tribunal n’a pas erré en faisant fi du fait que le gouvernement canadien n’avait pas le pouvoir d’annuler les préemptions, mais a plutôt reconnu ce fait et établi les moyens par lesquels la Couronne aurait quand même pu [traduction] « redonner vie » à l’engagement contenu dans l’article 13 et son engagement à poursuivre la politique libérale de la colonie : MFD de la défenderesse, aux paragraphes 98 à 100. Elle soutient également que la conclusion du Tribunal portant que l’attribution des terres du village à titre de réserve était dans l’intérêt de la bande est soutenue par les preuves : MFD de la défenderesse, au paragraphe 101.

[96]           La bande soutient que le Tribunal a raisonnablement conclu que le gouvernement canadien avait manqué à son obligation fiduciaire envers la bande. La réponse de la bande aux arguments du gouvernement canadien à propos de l’octroi de réserves en 1881 par O’Reilly est que le gouvernement canadien interprète mal la revendication de la bande en supposant qu’elle porte sur les terres en général, alors qu’elle porte plutôt sur les terres du village, avec lesquelles la bande a un lien très profond : MFD de la défenderesse, aux paragraphes 103 à 109. La bande soutient qu’après 1881, puisqu’on lui avait dit qu’elle ne pouvait pas empiéter sur « les droits des Blancs », elle a cessé de plaider pour le retour des terres du village, mais qu’elle a déposé sa revendication à l’égard de ces terres auprès du ministre peu de temps après que le gouvernement canadien eut accepté d’instruire les revendications relatives à la période préconfédérative : MFD de la défenderesse, aux paragraphes 110 et 111. La bande soutient que si les terres attribuées en 1881 ont une pertinence quelconque en ce qui concerne cette revendication, ce n’est qu’à la phase de l’indemnisation, comme l’a conclu le Tribunal : MFD de la défenderesse, au paragraphe 112.

[97]           À mon avis, la conclusion du Tribunal portant que le gouvernement canadien a manqué à son obligation fiduciaire et à l’honneur de la Couronne repose sur deux prémisses. Dans un premier temps supérieur, l’intérêt supérieur de la bande, à titre de bénéficiaire, était dans l’attribution des terres du village comme réserve. Deuxièmement, même si le gouvernement canadien n’avait aucun pouvoir pour annuler les ventes qui avaient eu lieu à l’égard des 1 000 acres qui avaient été préemptées ou vendues avant 1881, la Couronne devait prendre des mesures pour contester ces ventes ou préemptions afin de supprimer les obstacles à l’attribution des réserves.

[98]           En supposant, comme je l’ai dit, que le Tribunal avait la possibilité de conclure que le gouvernement canadien était l’intermédiaire exclusif entre la bande et la province, et que le gouvernement canadien avait une obligation fiduciaire à la phase préalable à l’attribution des réserves, la conclusion du Tribunal portant que le gouvernement canadien a manqué à son obligation en omettant de contester les droits des colons est viciée sous plusieurs aspects.

[99]           Le Tribunal a affirmé catégoriquement que l’intérêt supérieur de la bande, en tant que bénéficiaire, était dans l’attribution des terres du village à titre de réserve : Motifs, au paragraphe 322. Il n’explique pas comment cela pourrait être, et pourtant, au contraire, il est évident que la contestation de la validité des préemptions et des ventes de 1 000 acres des terres du village aurait donné lieu à des délais additionnels dans l’établissement de la réserve de la bande, à un moment où la bande semblait avoir un besoin désespéré d’une attribution définie et rapide des terres : Motifs, au paragraphe 82; dossier de demande, vol. 6, onglet E 1a à la page 1721; dossier de demande, vol. 1, onglet 1a aux pages 140 et 141; dossier de demande, vol. 14, onglet N1 aux pages 3657, 3659 et 3661.

[100]       Il ressort des preuves qu’O’Reilly était disposé à fournir à la bande toutes les terres prises dans n’importe quelle partie des terres publiques (c’est-à-dire des terres qui n’avaient pas été vendues à des colons) afin de répondre à ses besoins : dossier de demande, vol. 1, onglet 1a à la page 149. Les membres de la bande, le chef William et O’Reilly ont passé plusieurs jours à arpenter la région. La bande a finalement choisi treize parcelles qu’elle souhaitait obtenir, en plus du domaine de Bates (dont il est question plus loin). En plus de répondre aux besoins de la bande en matière d’agriculture, de pêche, de culture du foin et de pâturages, ces parcelles comprenaient également un sommet montagneux qui avait probablement une importance pour la bande (puisqu’O’Reilly ne pouvait en voir l’utilité pratique), ainsi que plusieurs lieux de sépulture : dossier de demande, vol. 1, onglet 1a aux pages 151 et 152. Le Tribunal n’a pas expliqué pourquoi la décision de la bande de ne sélectionner aucune des portions des lots 71 et 72 encore publiques (c’est-à-dire environ la moitié), en dehors des lieux de sépulture, ne devrait pas être prise en compte dans la définition de l’intérêt supérieur de la bande. En fait, si on ne fait pas d’examen a posteriori, cela devrait être déterminant quant à la perception qu’avait la bande de son intérêt supérieur à l’égard des terres publiques qui restaient disponible dans les lots.

[101]       De la même façon, il ne ressort d’aucun élément de preuve qu’O’Reilly savait ou aurait dû savoir, dans les circonstances, qu’il était dans l’intérêt supérieur de la bande d’attribuer comme réserve les terres publiques incluses dans la description des terres du village faite par le Tribunal – une description faite plus d’un siècle après l’attribution. Le Tribunal n’a pas discuté cette question.

[102]       La bande, ainsi que ceux qui ont écrit en son nom, ont affirmé que toutes ses terres dans la région avaient été préemptées par les colons. Il n’existe cependant aucune preuve de ventes ou de préemptions autres que celles résumées à l’annexe 3, tel que modifiée. La bande affirme maintenant devant nous qu’une description exacte des terres du village n’était pas nécessaire, puisque sa revendication ne porte que sur les portions des terres du village qui ont été préemptées ou vendues de manière illégale. Il est possible que tel soit le cas, mais ceci n’explique pas les incohérences de l’approche retenue par le Tribunal sur l’importante question de l’intérêt supérieur de la bande à cette époque.

[103]       Le Tribunal a conclu que O’Reilly avait failli à l’honneur de la Couronne en refusant d’accorder à la bande des terres qui empiéteraient sur les « droits des Blancs » : Motifs, aux paragraphes 331, 332, 338 et 339. À mon avis, on ne peut pas dire qu’il y a eu manquement à une obligation fiduciaire de la part du gouvernement canadien simplement parce que le commissaire O’Reilly a tenté de concilier la réalité sur le terrain en 1881 alors qu’il tentait d’établir une réserve pour la bande; c’est-à-dire que certaines parcelles de terre avaient été préemptées par des « Blancs », et que malgré des efforts répétés pour convaincre les autorités provinciales de la nécessité urgente de se pencher sur la question, celle-ci ne l’avait pas fait.

[104]       À mon avis, ce fut une erreur de la part du Tribunal de conclure qu’il n’a pas été permis au commissaire O’Reilly de tenir compte de ces circonstances. Toute obligation fiduciaire possible qui aurait pu exister aurait plutôt requis qu’il agisse de manière honorable et équitable en examinant les besoins et les souhaits de la bande dans sa résolution de la question des terres, incluant la question des préemptions survenues dans les lots 71 et 72. Comme le conclut l’arrêt Wewaykum,

Avant de créer une réserve, [...]. Des rapports fiduciaires peuvent également naître à cette étape, mais l’obligation de la Couronne à cet égard se limite aux devoirs élémentaires de loyauté, de bonne foi dans l’exécution de son mandat, de communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et d’exercice de la prudence ordinaire dans l’intérêt des bénéficiaires autochtones de l’obligation.

(Par. 86.)

[105]       Il ressort des preuves que la Couronne s’est acquittée de cette obligation. À mon avis, la jurisprudence Wewaykum enseigne qu’il faut concilier les intérêts. Une telle conciliation équilibre n’est certainement pas interdite, même dans les cas où – comme l’a conclu le Tribunal – les droits des colons sont contestables. L’énoncé suivant, tiré de l’arrêt Wewaykum, est pertinent :

Dans l’exercice de ses pouvoirs ordinaires de gouvernement dans le cadre de différends opposant des Indiens et des non‑Indiens, la Couronne avait (et a encore) l’obligation de prendre en considération les intérêts de toutes les parties concernées, non pas seulement les intérêts des Indiens. La Couronne ne saurait être un fiduciaire ordinaire; elle agit en plusieurs qualités et représente de nombreux intérêts, dont certains sont immanquablement opposés[...] À cette étape, avant la création des réserves, la Cour ne peut faire abstraction du fait que le gouvernement était aux prises avec des demandes conflictuelles, émanant et des bandes rivales elles‑mêmes et de non‑Indiens.

(Par. 96; citations omises.)

[106]       L’erreur de droit commise par le Tribunal en concluant que le commissaire O’Reilly n’avait pas été autorisé à tenir compte de l’ensemble des circonstances devant lui a entaché sa prise en compte des faits entourant la création de la réserve. En effet, le Tribunal a vu dans une déclaration faite par O’Reilly dans des notes manifestement incomplètes portant qu’il n’empiéterait pas sur les « droits des Blancs » un élément de preuve dont il ressort qu’il n’avait pas agi honorablement envers la bande avant la création de la réserve : dossier de demande, vol. 1, onglet 1a à la page 149. Dans une grande mesure, il s’agit de la seule raison que donne le Tribunal pour conclure que les mesures prises par le gouvernement canadien dans la création d’une réserve pour la bande ont violé son obligation fiduciaire envers la bande et n’ont pas corrigé l’obligation qui aurait pu en résulter pour le gouvernement canadien. Il m’apparaît qu’il aurait été irresponsable de la part du commissaire O’Reilly de ne pas tenir compte de la réalité sur le terrain dans l’exploration des approches possibles de résolution d’une situation difficile appelant une solution rapide. Il est évident que le commissaire O’Reilly et le gouvernement canadien ont conclu que la province n’aurait pas accepté d’annuler les ventes déjà conclues. Cela explique pourquoi O’Reilly a indiqué que la question des terres devait être réglée sans empiéter sur les « droits des Blancs ». Voir également des commentaires similaires sur les limites de ses pouvoirs dans le dossier de demande, vol. 4, onglet 16a, note 83 à la page 881 et note 102 à la page 885.

[107]       Il ne ressort d’aucun élément de la preuve que le commissaire O’Reilly intervenait simplement à titre de serviteur de l’intérêt des « Blancs », comme l’implique la décision du Tribunal. Il ressort des preuves plutôt que :

  • le problème concernant l’établissement d’une réserve pour la bande et le sort de ses membres en général étaient bien connus de la colonie (et plus tard de la province); les agents du gouvernement fédéral et d’autres personnes avaient porté à l’attention de la colonie le fait qu’elle devait s’occuper des ventes et des préemptions survenues avant 1871 : dossier de demande, vol. 1, onglet 1a aux pages 143 et 144.
  • La colonie et plus tard la province étaient réticentes à résoudre les revendications de la bande. Le gouvernement canadien a activement cherché à obtenir la collaboration de la province après l’entrée de celle-ci dans la Confédération, dans une tentative de résoudre la situation de la bande, mais ces efforts sont restés largement sans résultats : dossier de demande, vol. 1, onglet 1a à la page 143.
  • Il est important de signaler que le gouvernement canadien s’est impatienté face à l’apparente intransigeance de la province. Il a en effet pris l’initiative hautement inhabituelle d’acheter une grande parcelle de terrain connue sous le nom de domaine de Bates, après le décès de M. Bates, afin d’établir les terres attribuées pour la bande. Cette quantité de terres surpassait largement la superficie qui aurait été obtenue si l’ancienne colonie avait appliqué la « ligne de conduite libérale » prévue à l’article 13 des Conditions de l’union. La qualité des terres, constituée de terres arables propres à la culture, semble correspondre précisément à ce qui avait été demandé par la bande : dossier de demande, vol. 1, onglet 1a à la page 140; dossier de demande, vol. 14, onglet N1, aux pages 3667 à 3669. Contrairement à ce que soutient maintenant la bande, le domaine de Bates n’était pas constitué de « n’importe quelles terres ». Elles sont plutôt adjacentes à d’autres parcelles choisies par la bande et auxquelles elle avait un attachement évident.
  • D’ailleurs, dans sa lettre au British Colonist Daily, le chef William fait expressément mention de la ferme de M. Bates, indiquant que des membres de la bande y ont travaillé et que M. Bates était un bon ami. dossier de demande, vol. 1, onglet 1a à la page 140.
  • Un autre élément important est la preuve que le commissaire O’Reilly a spécifiquement tenu compte des demandes de la bande concernant les lots 71 et 72 et mis de côté les lieux de sépulture que la bande avait demandés : dossier de demande, vol. 1, onglet 1a à la page 152.
  • De plus, il existe des éléments de preuve dont il ressort que le chef William était satisfait des terres achetées et des terres attribuées à titre de réserve par le commissaire O’Reilly, et qu’il a fait part de cette approbation au commissaire O’Reilly : dossier de demande, vol. 1, onglet 1a à la page 151, aux paragraphes 239 à 242.

[108]       Compte tenu de ces circonstances, à mon avis, le Tribunal a appliqué un principe de droit erroné : plus précisément, que le commissaire O’Reilly n’aurait pas dû tenir compte de la réalité sur le terrain à l’égard des terres en question dans l’examen de la façon de résoudre les défis auxquels la bande était confrontée. Une mise en équilibre des intérêts concurrents était permise à cette étape précédant la création de la réserve. D’ailleurs, les avocats de la bande ont reconnu à l’audience que le commissaire O’Reilly pouvait tenir compte des intérêts de plus grande envergure dans la recherche d’une solution. Ils ont également reconnu que le gouvernement canadien n’avait pas d’obligation d’exécution en nature au moment de la création d’une réserve pour la bande à l’égard des terres situées dans les lots 71 et 72 et qui avaient été préemptées.

[109]       De plus, le Tribunal a erré en concluant que les actions ultérieures du gouvernement canadien, et en particulier l’achat du domaine de Bates, n’ont pas permis de corriger tout manquement possible à une obligation fiduciaire que le gouvernement canadien aurait pu avoir envers la bande avant 1871. Le Tribunal a résumé sa conclusion à cet égard en affirmant simplement que cette question était liée à l’indemnisation et non à l’obligation. À mon avis, c’est une erreur de qualifier cette question de simple question d’indemnisation. Il semble plutôt que si les mesures prises ultérieurement par le gouvernement canadien ont permis de corriger les manquements antérieurs possibles de l’ancienne colonie, il n’existe aucun manquement appelant une indemnisation.

[110]       L’obligation fiduciaire du gouvernement canadien ne l’obligeait pas à acheter des terres afin de créer une réserve. Il l’a fait dans le seul but de corriger et de régler définitivement une situation qu’il n’avait pas créée et qui à son avis était peu susceptible d’être corrigée rapidement par la province.

[111]       Le commissaire O’Reilly a indiqué clairement que le gouvernement canadien avait l’intention de corriger les erreurs de la colonie. Il a effectivement demandé à la bande de se montrer « raisonnable », soulignant [traduction] qu’« ils [le gouvernement canadien et la bande] doivent s’aider mutuellement à corriger l’erreur commise » : dossier de demande, vol. 1, onglet 1a à la page 149. Les dispositions de la Proclamation no 15 étaient connues de tous, y compris du chef William. Toutes les personnes concernées savaient que les préemptions originales posaient problème. Le chef William et la bande ont accepté ce qui était proposé par le commissaire O’Reilly (c’est-à-dire les terres attribuées). Il semble que le chef William se soit dit [traduction] « satisfait et reconnaissant que la question des terres soit maintenant réglée »: dossier de demande, vol. 1, onglet 1a à la page 151, aux paragraphes 239 à 242.

[112]        Si, comme je le crois, les mesures prises ultérieurement par le gouvernement canadien ont permis de corriger les manquements possibles de la colonie, il ne subsiste aucun manquement appelant une indemnisation de la part du gouvernement canadien.

[113]       Il est important aussi de reconnaître que le paragraphe 14(2) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières ne prévoit pas de motifs distincts permettant de demander une indemnisation à l’égard de la colonie. Le paragraphe 14(2) prévoit plutôt que, aux fins des alinéas 14(1)a) à c), la mention de la Couronne inclut l’ancienne colonie et que toute obligation relative à la violation ou au non-respect des alinéas 14(1)a) à c), n’existe que « dans la mesure où » cette obligation est devenue l’obligation de la Couronne du chef du Canada. En l’espèce, les mesures prises ultérieurement par le gouvernement canadien dans le cadre de l’attribution des terres attribuées en 1881, qui ont été acceptées par la bande, ont corrigé tout manquement antérieur possible de l’ancienne colonie, de sorte qu’aucune responsabilité susceptible de devenir la responsabilité de la Couronne du chef du Canada n’a été établie.

[114]       Pour dire les choses plus simplement, aucune responsabilité n’a été créée. Le Tribunal a à la fois appliqué un principe erroné et atteint une conclusion déraisonnable vu les faits en l’espèce. Le gouvernement canadien était tenu d’agir de manière honorable dans la résolution des problèmes de longue date de la bande et il ressort des preuves que le gouvernement canadien et le commissaire O’Reilly l’ont fait. Pour cette raison, il n’y a pas eu de manquement à l’obligation fiduciaire par le gouvernement canadien. De plus, les mesures prises ultérieurement par le gouvernement canadien en créant la réserve pour la bande par l’attribution des terres attribuées en 1881 ont permis de remédier à tout manquement antérieur éventuel de l’ancienne colonie.

Résumé et décision

[115]       Le juge judiciaire peut, dans certains cas limités, substituer sa décision à celle d’un décideur administratif. Elle ne peut pas le faire à la légère ou de manière arbitraire, sans justification sérieuse (Giguère c. Chambre des notaires du Québec, 2004 CSC 1, au paragraphe 66, [2004] 1 RCS 3 [Giguère]). À l’occasion de l’affaire Giguère, la Cour suprême a conclu que « un tribunal judiciaire peut statuer sur le fond […] lorsque, suivant les circonstances et la preuve au dossier, une seule interprétation ou solution est envisageable, c’est-à-dire que toute autre interprétation ou solution serait déraisonnable ». Par les motifs énoncés ci-haut, je suis d’avis que la conclusion à laquelle je suis arrivé est la seule possible.

[116]       À l’occasion de l’affaire Banque nationale du Canada c. Lavoie, 2014 CAF 268, au paragraphe 33, 469 NR 206, la Cour a refusé de substituer sa propre décision, notant qu’elle n’avait pas le bénéfice de la transcription des témoignages et que les seules preuves dont était saisie la Cour ne consistaient qu’en affidavits ayant pour but de « reconstituer » les preuves qui auraient été produites devant l’arbitre. En l’espèce, au contraire, les preuves relatives aux problèmes principaux de l’existence d’un manquement par le gouvernement canadien et de savoir si le manquement a été corrigé sont uniquement de nature documentaire. De plus, la documentation historique au cœur de la présente affaire a été étudiée de manière approfondie par les parties devant la Cour.

[117]       Pour ces raisons, à mon avis, il s’agit ici de l’un des cas limités dans lesquels il est approprié pour notre Cour de substituer sa propre décision à celle du Tribunal.

[118]       Par les motifs qui précèdent, j’accueillerais la demande et j’annulerais la décision du Tribunal.

[119]        Puisque je conclus que :

a.       Sa Majesté la Reine du chef du Canada n’a pas violé une obligation légale envers la Bande indienne de Williams Lake;

b.      Sa Majesté la Reine du chef du Canada n’est pas responsable des violations possibles d’une obligation légale de la colonie de la Colombie-Britannique;

je suis d’avis de rejeter la revendication particulière présentée en application des alinéas 14(1)b) et 14(1)c) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières. Chacune des parties assumera ses propres dépens pour la cause devant le Tribunal et devant notre Cour.

« David G. Near »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Johanne Gauthier, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

C. Michael Ryer, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur
ANNEXE

Loi sur le Tribunal des revendications particulières (L.C. 2008, ch. 22)

Specific Claims Tribunal Act (S.C. 2008, c. 22)

Revendications particulières

Specific Claims

Revendications admissibles

Grounds of a specific claim

14 (1) Sous réserve des articles 15 et 16, la première nation peut saisir le Tribunal d’une revendication fondée sur l’un ou l’autre des faits ci-après en vue d’être indemnisée des pertes en résultant :

14 (1) Subject to sections 15 and 16, a First Nation may file with the Tribunal a claim based on any of the following grounds, for compensation for its losses arising from those grounds:

a) l’inexécution d’une obligation légale de Sa Majesté liée à la fourniture d’une terre ou de tout autre élément d’actif en vertu d’un traité ou de tout autre accord conclu entre la première nation et Sa Majesté;

(a) a failure to fulfil a legal obligation of the Crown to provide lands or other assets under a treaty or another agreement between the First Nation and the Crown;

b) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la Loi sur les Indiens ou de tout autre texte législatif — relatif aux Indiens ou aux terres réservées pour les Indiens — du Canada ou d’une colonie de la Grande-Bretagne dont au moins une portion fait maintenant partie du Canada;

(b) a breach of a legal obligation of the Crown under the Indian Act or any other legislation — pertaining to Indians or lands reserved for Indians — of Canada or of a colony of Great Britain of which at least some portion now forms part of Canada;

c) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres d’une réserve — notamment un engagement unilatéral donnant lieu à une obligation fiduciaire légale — ou de l’administration par Sa Majesté de terres d’une réserve, ou de l’administration par elle de l’argent des Indiens ou de tout autre élément d’actif de la première nation;

(c) a breach of a legal obligation arising from the Crown’s provision or non-provision of reserve lands, including unilateral undertakings that give rise to a fiduciary obligation at law, or its administration of reserve lands, Indian moneys or other assets of the First Nation;

d) la location ou la disposition, sans droit, par Sa Majesté, de terres d’une réserve;

(d) an illegal lease or disposition by the Crown of reserve lands;

e) l’absence de compensation adéquate pour la prise ou l’endommagement, en vertu d’un pouvoir légal, de terres d’une réserve par Sa Majesté ou un organisme fédéral;

(e) a failure to provide adequate compensation for reserve lands taken or damaged by the Crown or any of its agencies under legal authority; or

f) la fraude, de la part d’un employé ou mandataire de Sa Majesté, relativement à l’acquisition, à la location ou à la disposition de terres d’une réserve.

(f) fraud by employees or agents of the Crown in connection with the acquisition, leasing or disposition of reserve lands.

Période préconfédérative — obligation

Extended meaning of Crown — obligations

(2) Pour l’application des alinéas (1)a) à c) à l’égard d’une obligation légale qui devait être exécutée sur un territoire situé à l’intérieur des limites actuelles du Canada avant l’entrée de ce territoire au sein du Canada, la mention de Sa Majesté vaut également mention du souverain de la Grande-Bretagne et de ses colonies, dans la mesure où cette obligation, ou toute responsabilité en découlant, a été imputée à Sa Majesté, ou aurait été imputée à celle-ci n’eût été les règles ou théories qui ont eu pour effet de limiter un recours ou de prescrire des droits contre elle en raison de l’écoulement du temps ou d’un retard.

(2) For the purpose of applying paragraphs (1)(a) to (c) in respect of any legal obligation that was to be performed in an area within Canada’s present boundaries before that area became part of Canada, a reference to the Crown includes the Sovereign of Great Britain and its colonies to the extent that the legal obligation or any liability relating to its breach or non-fulfilment became — or would, apart from any rule or doctrine that had the effect of limiting claims or prescribing rights against the Crown because of passage of time or delay, have become — the responsibility of the Crown in right of Canada.

Période préconfédérative — location ou disposition

Extended meaning of Crown — illegal lease or disposition

(3) Pour l’application de l’alinéa (1)d) à l’égard de la location ou de la disposition, sans droit, de terres d’une réserve se trouvant sur un territoire situé à l’intérieur des limites actuelles du Canada avant l’entrée de ce territoire au sein du Canada, la mention de Sa Majesté vaut également mention du souverain de la Grande-Bretagne et de ses colonies, dans la mesure où toute responsabilité découlant de la location ou de la disposition a été imputée à Sa Majesté ou aurait été imputée à celle-ci n’eût été les règles ou théories qui ont eu pour effet de limiter un recours ou de prescrire des droits contre elle en raison de l’écoulement du temps ou d’un retard.

(3) For the purpose of applying paragraph (1)(d) in respect of an illegal lease or disposition of reserve land located in an area within Canada’s present boundaries before that area became part of Canada, a reference to the Crown includes the Sovereign of Great Britain and its colonies to the extent that liability for the illegal lease or disposition became — or would, apart from any rule or doctrine that had the effect of limiting claims or prescribing rights against the Crown because of passage of time or delay, have become — the responsibility of the Crown in right of Canada.

Période préconfédérative — autres cas

Extended meaning of Crown — other

(4) Pour l’application des alinéas (1)e) et f) à l’égard de terres d’une réserve se trouvant sur un territoire situé à l’intérieur des limites actuelles du Canada, la mention de Sa Majesté vaut également mention du souverain de la Grande-Bretagne et de ses colonies pour la période antérieure à l’entrée de ce territoire au sein du Canada.

(4) For the purpose of applying paragraphs (1)(e) and (f) in respect of reserve lands located in an area within Canada’s present boundaries, a reference to the Crown includes the Sovereign of Great Britain and its colonies for the period before that area became part of Canada.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE D’UNE DÉCISION DU TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES DATÉE DU 28 FÉVRIER 2014 (2014 TRPC 3)

DOSSIER :

A-168-14

 

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES AUTOCHTONES ET DÉVELOPPEMENT DU NORD CANADA c.

LA BANDE INDIENNE DE WILLIAMS LAKE ET LES TRIBUS COWICHAN (INTERVENANTES)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver

(Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 mai 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NEAR

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE RYER

 

DATE :

Le 29 février 2016

 

COMPARUTIONS :

Shelan Miller

Craig Cameron

Mary French

 

Pour la demanderesse

 

Clarine Ostrove

Leah Pence

 

Pour la défenderesse

 

David M. Rosenberg

David M. Robbins

 

Pour les intervenantes

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

Pour la demanderesse

 

Mandel Pinder LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour la défenderesse

 

Rosenberg Law

Vancouver (Colombie-Britannique)

Woodward & Co. Lawyers LLP

Victoria (Colombie-Britannique)

 

Pour les intervenantes

 

 

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