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Date : 20160223


Dossier : A-57-15

Référence : 2016 CAF 59

CORAM :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

ROBERT BEAULIEU

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue à Montréal (Québec), le 13 janvier 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 23 février 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20160223


Dossier : A-57-15

Référence : 2016 CAF 59

CORAM :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

ROBERT BEAULIEU

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE BOIVIN

I.                   Introduction

[1]               Le caporal Robert Beaulieu (l’appelant) interjette appel d’un jugement rendu le 15 janvier 2015 (2015 CF 57) par un juge de la Cour fédérale (le juge) rejetant sa demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision d’un arbitre au niveau II de la procédure de griefs de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC). L’arbitre a rejeté les trois griefs déposés par l’appelant à l’encontre de la GRC. Les trois griefs en question portaient sur trois nominations pour des postes intérimaires ayant été octroyés à des membres qui comportaient moins d’années d’ancienneté que l’appelant.

[2]               Le présent appel porte principalement sur l’interprétation de l’article 8 du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (1988), DORS/88-361 (le Règlement) (ce règlement a depuis été abrogé et remplacé par le Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (2014), DORS/2014-281). Cette disposition du Règlement prévoit que la règle de l’ancienneté prévaut en cas de nomination intérimaire à moins que le commissaire de la GRC (le commissaire) ne déroge à ce principe général et n’en « ordonne autrement ». Plus particulièrement, il s’agit de savoir si les nominations de membres sur la base du mérite – plutôt que sur la base de l’ancienneté – en vertu de la partie 4.E.9 du « Manuel de gestion des carrières » de la GRC (partie 4.E.9 du Manuel) constituent des « ordres » du commissaire au sens de l’article 8 du Règlement.

[3]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis de rejeter l’appel.

II.                Contexte

[4]               L’appelant est membre de la GRC depuis 1982 et il occupe le poste d’enquêteur au grade de caporal. Le 7 juillet 2008, le 4 août 2008 et le 8 juillet 2010 respectivement, il a déposé trois griefs à l’encontre de décisions nommant des caporaux ayant moins d’ancienneté que lui à trois postes intérimaires de sergent (sergent superviseur du groupe 1; sergent d’état-major; sergent). L’appelant alléguait dans les griefs qu’il était le membre régulier de grade inférieur avec le plus d’ancienneté et, qu’à ce titre, la nomination lui revenait en application de l’article 8 du Règlement :

8. En l’absence de la personne qui a le commandement d’un poste ou de celle qui en a la direction, le commandement ou la direction du poste est assuré, à moins que le Commissaire n’en ordonne autrement, par le membre régulier du grade inférieur suivant, selon l’ordre de préséance des membres réguliers établi au paragraphe 15(1), qui a le plus d’ancienneté et qui est affecté à ce poste.

8. In the absence of the person in command or the person in charge of a post, the command or charge of a post shall, unless the Commissioner directs otherwise, be exercised by the next senior regular member on staff in respect of that post as determined by the order of precedence for regular members in subsection 15(1).

[Je souligne]

[My emphasis]

[5]               L’appelant reconnaît que le commissaire peut déroger au principe de l’ancienneté, mais il soutient que si le commissaire voulait créer une règle générale à cet égard, il devait procéder en adoptant une règle ou une consigne au sens du paragraphe 2(2) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C., (1985), ch. R-10 (la Loi), ce qu’il a omis de faire.

[6]               Pour sa part, l’intimé n’a pas contesté que l’appelant était le membre régulier de grade inférieur avec le plus d’ancienneté. Cependant, l’intimé souligne qu’en écartant la nomination de l’appelant à la faveur de candidats comptant moins d’années d’expérience, le sergent responsable de ces nominations a invoqué la partie 4.E.9 du Manuel, qui prévoit que les nominations intérimaires s’effectuent selon le mérite :

4.E.9.   Le superviseur immédiat du poste libéré nomme, selon le mérite, l’employé chargé d’exercer temporairement les fonctions du poste libéré. Les exigences du poste, notamment les exigences linguistiques, s’il y en a, sont prises en considérations pour faire la détermination. [Je souligne]

[7]               L’intimé souligne également qu’à l’appui de sa décision, le sergent responsable des nominations a invoqué l’article 8 du Règlement, lequel permet une dérogation au principe de l’ancienneté si le commissaire en « ordonne autrement ». De l’avis du sergent responsable des nominations, le commissaire en « ordonne autrement » par le biais de la partie 4.E.9 du Manuel en énonçant le critère du mérite, plutôt que celui d’ancienneté. De plus, le sergent responsable des nominations était d’avis que rien dans la Loi ou le Règlement n’obligeait le commissaire à procéder par voie de règle ou de consigne.

A.                Décision au niveau de l’arbitre

[8]               Les trois griefs de l’appelant ont été rejetés le 30 août 2010 par l’arbitre au niveau I de la procédure de griefs de la GRC. L’arbitre au niveau II – soit le dernier palier – a confirmé cette décision le 20 août 2013. C’est la décision de l’arbitre au niveau II (l’arbitre) qui est en cause.

[9]               Rejetant les prétentions de l’appelant, l’arbitre conclut qu’afin de déroger au principe de l’ancienneté, l’article 8 du Règlement n’exige pas la promulgation d’une « règle » ou d’une « consigne » par le commissaire puisque cette disposition prévoit simplement que le commissaire doit en « ordonner autrement ». L’arbitre note que la notion de « consigne » est définie au paragraphe 2(2) de la Loi comme une règle permanente établie en vertu de la Loi. Il note aussi que la Loi distingue entre les cas de figure où le commissaire doit procéder par « règle » ou « consigne » et ceux où il doit procéder par des « ordres ».

[10]           En abordant la question de la sous-délégation illégale, l’arbitre se réfère à la partie 4.E.9 du Manuel et souligne de façon générale que les politiques dans les manuels de la GRC sont « établies par des officiers désignés sous réserve de l’autorisation du commissaire » (avant-propos au Manuel d’administration, voir dossier d’appel, vol. II, onglet 12 à la p. 53). Il note également que les modifications de ces politiques doivent être approuvées par l’État-major supérieur, un comité dont le commissaire est membre (art. 1.4.1 du Manuel d’administration, ch. III.4, dossier d’appel, vol. II, onglet 13 à la p. 56). L’arbitre conclut ainsi que la partie 4.E.9 du Manuel a été établie selon les « ordres » du commissaire conformément à l’article 8 du Règlement et que, partant, il en avait été « ordonné autrement » que les nominations pour combler les postes intérimaires en question pouvaient être octroyées selon le principe du mérite énoncé à la partie 4.E.9 du Manuel, plutôt que sur la base du critère de l’ancienneté.

B.                 Décision du juge

[11]           Le juge, saisi du contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre, identifie la norme de contrôle applicable à la décision de l’arbitre comme étant celle de la décision raisonnable, puisque les questions en litige ont trait à l’interprétation des lois, règlements et politiques internes applicables à la GRC et relèvent directement du domaine d’expertise de l’arbitre. Il identifie cependant la norme de la décision correcte comme étant applicable à la question relative à la délégation illégale.

[12]           Le juge procède ensuite à l’analyse du sens à donner au terme « ordonne » à l’article 8 du Règlement. Selon le juge, l’arbitre a raisonnablement décidé que la partie 4.E.9 du Manuel a un caractère impératif et suffisant pour constituer un « ordre » du commissaire et ainsi permettre une dérogation au principe d’ancienneté au sens de l’article 8 du Règlement. Le juge souligne par ailleurs que le vaste pouvoir de délégation conféré au commissaire par l’article 5 de la Loi démontre que le législateur est sensible au fardeau administratif supporté par le commissaire et il serait contraire à l’objet de la Loi d’interpréter le Règlement de façon à alourdir les tâches de ce dernier (motifs du juge au para. 51).

[13]           Le juge mentionne aussi au passage que ni la Loi ni le Règlement ne définissent le terme « ordre ». Il s’en remet donc au sens ordinaire des mots employés à l’article 8 du Règlement dans les deux versions officielles (« ordre » et « ordonne » en français, et « directs » et « direction » en anglais) qui confère un caractère impératif à la mesure prise par le commissaire.

[14]           Reprenant à son compte l’analyse de l’arbitre, le juge réitère que la partie 4.E.9 du Manuel constitue « l’approbation officielle préalable des mesures que les employés doivent prendre dans certaines circonstances » et que de telles mesures sont établies « sous réserve de l’autorisation du commissaire » (motifs du juge au para. 56). Le juge estime donc qu’un membre de la GRC ne considèrerait pas le critère du mérite à la partie 4.E.9 du Manuel comme étant facultatif. Sur cette base, le juge décide que la partie 4.E.9 du Manuel a un caractère impératif suffisant pour constituer un « ordre » au sens de l’article 8 du Règlement.

[15]           Finalement, au sujet de la délégation illégale, comme le juge est d’avis que c’est le commissaire qui « ordonne autrement » au sens de l’article 8 du Règlement par le biais de la partie 4.E.9 du Manuel, il conclut qu’il ne peut y avoir de délégation illégale puisque le commissaire exerce son pouvoir directement.

III.             Questions en litige

[16]           Les questions en litige sont les suivantes :

1.         L’arbitre a-t-il erré en concluant que l’article 8 du Règlement permet au commissaire de déroger au principe de l’ancienneté par le biais de la partie 4.E.9 du Manuel plutôt que par une règle ou une consigne?

2.         L’interprétation du Règlement adoptée par l’arbitre donne-t-elle lieu à une délégation illégale de la part du commissaire?

IV.             Analyse

A.                Norme de contrôle

[17]           Dans le cadre d’un appel d’un jugement en contrôle judiciaire, cette Cour s’assure que le juge de première instance a correctement identifié la norme de contrôle applicable et qu’il l’a bien appliquée. Dans le cadre de son analyse, cette Cour se met donc à la place du juge de première instance pour réviser la décision administrative en cause (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 aux para. 45 et 46; Wilson c. Énergie atomique du Canada Limitée, 2015 CAF 17, [2015] 4 R.C.F. 467 au para. 42).

[18]           En l’espèce, je suis d’accord avec le juge que ce dossier concerne principalement l’interprétation des lois, règlements et politiques internes applicables à la GRC, et plus particulièrement le sens de la phrase « ordonne autrement » à l’article 8 du Règlement. Une telle question d’interprétation tombe directement dans le champ d’expertise de l’arbitre, et elle est révisable selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 aux para. 45 et 46 [Dunsmuir]). Mais contrairement au juge, je suis d’avis que la question de la délégation illégale est une question mixte de fait et de droit et qu’elle est également assujettie à la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir).

B.                 Remarque liminaire au sujet du Règlement en cause

[19]           En adoptant l’article 8 du Règlement, le gouverneur en conseil a prévu que le principe de l’ancienneté prévaut à moins que le commissaire n’en « ordonne autrement ». Les parties demandent à cette Cour de se prononcer sur l’interprétation et la signification des mots « ordonne autrement » à l’article 8 du Règlement.

[20]           Le titre coiffant l’article 8 du Règlement confirme qu’il s’applique aux postes de commandement intérimaires. Or, aux dires de l’avocate de l’intimé lors de l’audience, les griefs logés par l’appelant ne l’ont pas été en regard d’un tel poste. Il s’ensuit que l’article 8 du Règlement ne pouvait être invoqué par l’appelant pour plaider la nomination du membre ayant le plus d’ancienneté puisque les postes convoités par ce dernier ne correspondent supposément pas à un poste de commandement. Si tel est le cas, l’intimé, pour sa part, n’aurait pas dû invoquer l’article 8 du Règlement pour ensuite se référer à la partie 4.E.9 du Manuel et ainsi justifier une dérogation au principe général de l’ancienneté prévu à l’article 8 du Règlement alors que cet article ne pouvait, a priori, recevoir application dans le cas de l’appelant.

[21]           Sans me prononcer sur le bien-fondé de cet argument, je constate que l’argument de l’intimé n’a été soulevé devant aucune des instances inférieures. Je note également que l’appelant a évité de s’aventurer sur ce sujet lors de l’audience devant notre Cour. Quoiqu’il en soit, il serait inopportun de prendre en compte ce nouvel argument de l’intimé dans le cadre de la disposition de la présente affaire, puisqu’il y a absence de preuve et que les parties n’en ont pas débattu. J’aborderai donc à ce stade-ci les questions en litige soulevées dans le présent appel.

C.                 L’arbitre a-t-il erré en concluant que l’article 8 du Règlement permet au commissaire de déroger au principe de l’ancienneté par le biais de la partie 4.E.9 du Manuel plutôt que par une règle ou une consigne?

[22]           Afin de traiter de la question principale que soulève la présente affaire, il convient d’abord de se pencher brièvement sur l’utilisation des mots « règles » et « consignes » auxquels les parties ont indistinctement fait référence lors de l’audience. Le législateur définit les « consignes du commissaire » au paragraphe 2(2) de la Loi comme des « règles à caractère permanent » :

Consignes du commissaire

2. (2) Les règles à caractère permanent que le commissaire établit en vertu de la présente loi sont appelées consignes du commissaire.

Commissioner’s standing orders

2. (2) The rules made by the Commissioner under any provision of this Act empowering the Commissioner to make rules shall be known as Commissioner’s standing orders.

Une consigne du commissaire est en fait une règle permanente adoptée par ce dernier et les deux termes sont pour ainsi dire synonymes. Pour les fins des présents motifs et afin d’éviter toute confusion, j’utiliserai le mot « règle » comme faisant référence à la fois à une règle à caractère permanent et à une consigne du commissaire.

[23]           Dans la présente affaire, l’appelant ne remet pas en cause la validité de l’article 8 du Règlement. Il soumet plutôt qu’en vertu de l’article 8 du Règlement, le gouverneur en conseil a établi que le principe de nomination à des postes intérimaires repose sur l’ancienneté. L’appelant admet que le gouverneur en conseil autorise le commissaire à déroger à la règle générale de l’ancienneté mais il estime que ce dernier doit exercer ce pouvoir en promulguant une règle et en suivant les formalités qui sont associées à ce mode d’exercice des pouvoirs du commissaire. Pour l’appelant, la partie 4.E.9 du Manuel ne rencontre pas cette exigence. Subsidiairement, l’appelant soumet que si le commissaire peut déroger au principe général de l’ancienneté en décidant par le biais d’un « ordre », il doit le faire au « cas par cas ».

[24]           L’appelant soutient de plus que le paragraphe 5(2) de la Loi permet au commissaire de déléguer l’ensemble de ses pouvoirs, sauf notamment le pouvoir d’adopter des règles. Or, en procédant à une dérogation au principe général de l’ancienneté prévu à l’article 8 du Règlement par le biais de la partie 4.E.9 du Manuel plutôt que par le biais d’une règle, l’appelant soutient que le commissaire a procédé à une sous-délégation illégale. De façon subsidiaire, l’appelant présente un nouvel argument qu’il n’a présenté ni devant l’arbitre ni devant le juge : une interprétation de l’article 8 du Règlement qui permettrait au commissaire de déroger à la règle générale de l’ancienneté autrement que par une règle, constituerait une délégation illégale de pouvoir de la part du gouverneur en conseil lors de l’adoption du règlement puisqu’elle octroierait un pouvoir au commissaire que le gouverneur au conseil ne détient pas en vertu de la loi habilitante.

[25]           Malgré une présentation éloquente du procureur de l’appelant, je ne peux souscrire à ses arguments.

[26]           D’emblée, je rappelle que le commissaire dans l’exercice de ses fonctions possède de vastes pouvoirs relatifs à la gestion de la GRC et qu’il est uniquement assujetti à la direction du ministre, comme en fait foi l’article 5 de la Loi :

Nomination

5. (1) Le gouverneur en conseil peut nommer un officier, appelé commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, qui, sous la direction du ministre, a pleine autorité sur la Gendarmerie et tout ce qui s’y rapporte.

Appointment

5. (1) The Governor in Council may appoint an officer, to be known as the Commissioner of the Royal Canadian Mounted Police, who, under the direction of the Minister, has the control and management of the Force and all matters connected therewith.

Délégation

(2) Le commissaire peut déléguer à tout membre les pouvoirs ou fonctions que lui attribue la présente loi, à l’exception du pouvoir de délégation que lui accorde le présent paragraphe, du pouvoir que lui accorde la présente loi d’établir des règles et des pouvoirs et fonctions visés à l’article 32 (relativement à toute catégorie de griefs visée dans un règlement pris en application du paragraphe 33(4)), aux paragraphes 42(4) et 43(1), à l’article 45.16, au paragraphe 45.19(5), à l’article 45.26 et aux paragraphes 45.46(1) et (2).

Delegation

(2) The Commissioner may delegate to any member any of the Commissioner’s powers, duties or functions under this Act, except the power to delegate under this subsection, the power to make rules under this Act and the powers, duties or functions under section 32 (in relation to any type of grievance prescribed pursuant to subsection 33(4)), subsections 42(4) and 43(1), section 45.16, subsection 45.19(5), section 45.26 and subsections 45.46(1) and (2).

[27]           À l’article 21 de la Loi, le législateur a octroyé au gouverneur en conseil un pouvoir règlementaire que ce dernier doit exercer en conformité avec la loi habilitante :

Règlements

21. (1) Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements :

Regulations

21. (1) The Governor in Council may make regulations

a) concernant le renvoi, par mesure administrative, des membres;

(a) respecting the administrative discharge of members;

b) sur l’organisation, la formation, la conduite, l’exercice des fonctions, la discipline, l’efficacité et la bonne administration de la Gendarmerie;

(b) for the organization, training, conduct, performance of duties, discipline, efficiency, administration or good government of the Force; and

c) de façon générale, sur la mise en œuvre de la présente loi.

(c) generally, for carrying the purposes and provisions of this Act into effect.

[28]           Dans le contexte de décisions reliées notamment à l’organisation, la formation, la conduite, l’exercice des fonctions, la discipline, l’efficacité et la bonne administration de la GRC, le législateur a aussi octroyé une discrétion au commissaire au même article de la Loi, au paragraphe 21(2), l’autorisant, sans l’y obliger, à adopter des règles sur l’un des sujets énumérés :

Règles

21. (2) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, le commissaire peut établir des règles :

Rules

21. (2) Subject to this Act and the regulations, the Commissioner may make rules

a) concernant le renvoi, par mesure administrative, des membres;

(a) respecting the administrative discharge of members; and

b) sur l’organisation, la formation, la conduite, l’exercice des fonctions, la discipline, l’efficacité et la bonne administration de la Gendarmerie.

(b) for the organization, training, conduct, performance of duties, discipline, efficiency, administration or good government of the Force.

[Je souligne]

[My emphasis]

[29]           Le commissaire peut donc établir des règles et le législateur a spécifiquement prévu au paragraphe 21(2) de la Loi que ce pouvoir du commissaire s’exerce “sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements”. La discrétion octroyée au commissaire d’agir ou non par le biais d’une règle est conférée par l’emploi du mot « peut » au paragraphe 21(2) de la Loi. Cette discrétion se voit par ailleurs subordonnée aux autres dispositions de la Loi et aux règlements adoptés par le gouverneur en conseil. Le gouverneur en conseil était habilité en vertu de la Loi à permettre au commissaire d’en « ordonner autrement » par un autre mode d’exercice que l’adoption d’une règle et il a exercé ce pouvoir en adoptant l’article 8 du Règlement conformément aux alinéas 21(1)a) et b) de la Loi. À la lumière de ce qui précède, la prétention de l’appelant selon laquelle il y aurait délégation illégale de pouvoir de la part du gouverneur en conseil ne peut être retenue.

[30]           Ainsi, en adoptant l’article 8 du Règlement conformément au paragraphe 21(1) de la Loi, le gouverneur en conseil a énoncé le principe de l’ancienneté comme règle générale mais il a aussi expressément réservé au commissaire le pouvoir de déroger à ce principe en prévoyant qu’il peut en « ordonner autrement » :

8. En l’absence de la personne qui a le commandement d’un poste ou de celle qui en a la direction, le commandement ou la direction du poste est assuré, à moins que le Commissaire n’en ordonne autrement, par le membre régulier du grade inférieur suivant, selon l’ordre de préséance des membres réguliers établi au paragraphe 15(1), qui a le plus d’ancienneté et qui est affecté à ce poste.

8. In the absence of the person in command or the person in charge of a post, the command or charge of a post shall, unless the Commissioner directs otherwise, be exercised by the next senior regular member on staff in respect of that post as determined by the order of precedence for regular members in subsection 15(1).

[Je souligne]

[My emphasis]

[31]           Donnant suite au pouvoir de dérogation prévu à l’article 8 du Règlement, le commissaire a adopté la partie 4.E.9 du Manuel pour combler les postes intérimaires :

4.E.9.   Le superviseur immédiat du poste libéré nomme, selon le mérite, l’employé chargé d’exercer temporairement les fonctions du poste libéré. Les exigences du poste, notamment les exigences linguistiques, s’il y en a, sont prises en considérations pour faire la détermination.

[Je souligne]

[32]           L’appelant admet que le commissaire pouvait exercer son pouvoir de dérogation, mais il soutient qu’il devait le faire en adoptant une « règle » plutôt qu’en adoptant la partie 4.E.9 du Manuel.

[33]           Je ne suis pas d’accord.

[34]           Une lecture attentive du Règlement confirme que le commissaire doit exercer ses pouvoirs par « règle » ou par « ordre », selon le cas. À titre d'exemple, le gouverneur en conseil privilégie le mot « ordonne » dans les articles suivants du Règlement : 3, 4(1), 4(3), 5, 7, 8, 9(2), 15(1), 25(5), 62(2) et 81. En revanche, les articles 11, 15(2) et 18 du Règlement prévoient clairement que le commissaire exercera ses pouvoirs par « règles ». Dans le même ordre d’idées, plusieurs dispositions de la Loi prévoient expressément que le commissaire doit ou peut établir des règles (paragraphes 2(3), 21(2) et les articles 9.1 et 36 de la Loi).

[35]           Il s’ensuit que si l’intention du gouverneur en conseil avait été d’obliger le commissaire à déroger à la règle de l’ancienneté uniquement par l’adoption d’une « règle », il l’aurait clairement indiqué à l’article 8 du Règlement. Je fais mienne la conclusion du juge au paragraphe 46 de ses motifs :

L’article 8 du Règlement, adopté par le gouverneur en conseil en vertu du paragraphe 21(1) de la Loi, prévoit de façon claire que la règle de l’ancienneté prévaut en principe en cas de nomination intérimaire, à moins que le commissaire n’en « ordonne » autrement. Si l’objectif du gouverneur en conseil était de forcer le commissaire à agir par le biais de consigne [règle] afin de déroger à la règle de l’ancienneté en matière de nomination intérimaire, celui-ci n’aurait pas utilisé le terme « ordre ».

[36]           L’appelant avance que le mot « ordonne » à l’article 8 du Règlement est d’application générale alors que les autres articles du Règlement utilisent le mot « ordonne » de façon spécifique. Sur la base de cette distinction, l’appelant soumet que le mot « ordonne » doit recevoir une interprétation différente à l’article 8 du Règlement. Selon l’appelant, en « ordonnant autrement » à l’article 8 du Règlement, le commissaire doit adopter une « règle » alors que s’il « ordonne » en vertu d’un autre article du Règlement, il n’est pas tenu à cette exigence. Ce faisant, l’appelant demande à cette Cour de se prêter à un exercice d’interprétation législative à géométrie variable en attribuant un sens différent au mot « ordonne » selon qu’il soit employé à l’article 8 du Règlement ou aux autres articles du Règlement. Or, avec égards, rien ne me permet de conclure ou encore justifier que l’on puisse donner un sens différent au terme « ordonne » dans le Règlement et l’argument de l’appelant doit en conséquence échouer.

[37]           Les dispositions en cause dans cette affaire sont claires. Dans un premier temps, comme l’a conclu l’arbitre, en vertu du paragraphe 21(2) de la Loi, le commissaire peut établir des règles relatives aux nominations. Dans un deuxième temps, le gouverneur en conseil en adoptant l’article 8 du Règlement a expressément autorisé le commissaire, en matière d’ancienneté, à en « ordonner autrement ». En adoptant la partie 4.E.9 du Manuel, le commissaire en a effectivement « ordonné autrement » et s’est conformé à l’article 8 du Règlement.

[38]           L’appelant soumet finalement qu’une autre interprétation possible à donner à l’article 8 du Règlement serait de lire « ordonne autrement » à l’article 8 comme référant spécifiquement à un « ordre » individualisé et donné à un membre identifié de la GRC. Par exemple, selon l’interprétation de l’appelant, le commissaire devrait communiquer directement et individuellement au « cas par cas » avec le membre de la GRC et lui faire part de sa décision d’en « ordonner autrement ». En fait, si l’article 8 du Règlement n’écarte pas cette démarche par le commissaire, elle ne lui en impose pas non plus l’obligation. Il en est de même pour la possibilité qu’il en « ordonne autrement » par règle. Le commissaire n’y est toutefois pas astreint (décision de l’arbitre au para. 27). Tel que mentionné précédemment, la Loi confère de vastes pouvoirs au commissaire à l’égard de la gestion du personnel de la GRC. Si l’intention du gouverneur en conseil avait été de limiter le pouvoir du commissaire de dérogation au principe de l’ancienneté à certains cas bien précis, il l’aurait clairement indiqué. En l’espèce, les termes « ordonne autrement » indiquent plutôt que le pouvoir d’en « ordonner autrement » du commissaire peut s’exercer sous plusieurs formes, que ce soit par une règle, par un manuel interne ou un ordre individuel au « cas par cas ». À mon avis, ce sont là des façons d’en « ordonner autrement » qui reflètent le pouvoir de dérogation octroyé au commissaire par le gouverneur en conseil à l’article 8 du Règlement.

[39]           Compte tenu de ce qui précède, je suis donc satisfait que le juge a bien appliqué la norme de contrôle en l’espèce et qu’il était raisonnable de conclure que le gouverneur en conseil a valablement autorisé le commissaire à exercer ses pouvoirs à l’article 8 du Règlement par un mode d’exercice autre que par le biais d’une règle, en l’occurrence par le biais de la partie 4.E.9 du Manuel.

D.                L’interprétation du Règlement adoptée par l’arbitre donne-t-elle lieu à une délégation illégale de la part du commissaire?

[40]           Finalement, en ce qui a trait à l’argument de la délégation illégale entre le commissaire et l’officier désigné ayant établi la partie 4.E.9 du Manuel, je suis d’avis que la décision de l’arbitre sur cet aspect est raisonnable et fait partie des issues possibles en regard du droit et des faits de la présente affaire (Dunsmuir). En effet, si le commissaire approuve un manuel qui est rédigé en termes impératifs à l’intention des membres de la GRC et que les modalités sont établies sous réserve de son autorisation, comme c’est le cas en l’espèce, ce dernier ne délègue pas son pouvoir (décision de l’arbitre aux para. 28-32). Le juge n’a donc pas erré en entérinant la décision de l’arbitre et en concluant que « [l]a partie 4.E.9 du [Manuel] jouit d’un caractère impératif suffisant pour constituer un « ordre » au sens de l’article 8 du Règlement » (motifs du juge au para. 57).

V.                Conclusion

[41]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

« Richard Boivin »

j.c.a.

« Je suis d’accord

Johanne Trudel j.c.a. »

« Je suis d’accord

Yves de Montigny j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-57-15

(APPEL D’UN JUGEMENT DE L’HONORABLE JUGE LOCKE DE LA COUR FÉDÉRALE DU CANADA EN DATE DU 15 JANVIER 2015, NO. DU DOSSIER T‑1561‑13.)

INTITULÉ :

ROBERT BEAULIEU c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 janvier 2016

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

 

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 février 2016

 

 

COMPARUTIONS :

Julius H. Grey

Simon Gruda-Dolbec

 

Pour l'appelant

 

Marie-Josée Bertrand

 

Pour l'intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GREY CASGRAIN s.e.n.c.

Montréal (Québec)

 

Pour l'appelant

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour l'intimé

 

 

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