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Date : 20160219


Dossier : A-229-15

Référence : 2016 CAF 62

CORAM :

LE JUGE NADON

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE SCOTT

 

 

ENTRE :

GAÉTAN LAQUERRE

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

et

9011-1345 QUÉBEC INC.

mise-en-cause

Audience tenue à Québec (Québec), le 17 décembre 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 février 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE SCOTT

 


Date : 20160219


Dossier : A-229-15

Référence : 2016 CAF 62

CORAM :

LE JUGE NADON

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE SCOTT

 

 

ENTRE :

GAÉTAN LAQUERRE

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

et

9011-1345 QUÉBEC INC.

mise-en-cause

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’un appel d’une Ordonnance (2015 CF 440) rendue par le juge Harrington de la Cour fédérale (le Juge) le 10 avril 2015 rejetant la requête de la mise-en-cause la Société 9011-1345 Québec Inc. (la Société 9011) et de M. Gaétan Laquerre (l’appelant) déposée en vertu de la Règle 462 des Règles des Cours fédérales DORS/98-106 visant à obtenir l’annulation d’une ordonnance constituant une charge définitive sur un immeuble appartenant à la Société 9011.

[2]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que l’appel devrait être rejeté.

II.                Les faits

A.                       Les parties

[3]               M. Mario Laquerre, le frère de l’appelant, a investi dans le domaine immobilier en son propre nom et par le biais de fiducies et de sociétés qu’il contrôle. Mario Laquerre, ses fiducies et sociétés (les débiteurs fiscaux), collectivement, ont accumulé au fil du temps une importante dette fiscale envers le ministre du Revenu National (le Ministre).

[4]               La Société 9011 a été constituée le 4 novembre 1994 et exerce depuis lors des activités dans le domaine du développement immobilier. Cette société est propriétaire d’un immeuble commercial locatif sis au 1095, chemin de la Canardière à Québec (l’immeuble) et n’est redevable d’aucune somme envers le Ministre.

[5]               Dans un affidavit signé le 25 novembre 2014, l’appelant déclare qu’il est le président de la Société 9011, qu’il possède 52% des actions de ladite société et que la balance des actions appartient à son frère Mario Laquerre.

B.                       Constitution d’une charge sur l’immeuble

[6]               Suite à une requête ex-parte de la Couronne fédérale (l’intimée) en date du 3 octobre 2007, en tant que créancière judiciaire, visant à obtenir, inter alia, une ordonnance provisoire de constitution de charge contre cinq immeubles détenus par la Société 9067-6388 Québec Inc. (la Société 9067) et contre l’immeuble détenu par la Société 9011 aux motifs que « plusieurs compagnies liées à [Mario Laquerre] ont été mises sur pied afin de permettre à certaines d’entre elles et à lui-même d’échapper au fisc », Madame la juge Gauthier, alors juge à la Cour fédérale, rendait, le 11 octobre 2007, une ordonnance en vertu de la Règle 458 constituant une charge immobilière provisoire contre lesdits immeubles afin de garantir le paiement de la dette des débiteurs fiscaux. À la page 3 de son ordonnance, Madame la juge Gauthier énonçait ce qui suit :

CONSIDÉRANT que du moins prima facie et sous réserve de preuve contraire, il y a lieu de lever le voile corporatif et de considérer le patrimoine de 9067-6388 Québec Inc. et de 9011-1345 Québec Inc. comme faisant partie du patrimoine des débiteurs judiciaires suivants : Mario Laquerre, 9122-9831 Québec Inc, 9075-3153 Québec Inc., 9015-7769 Québec Inc. et 9029-0065 Québec Inc. Il y a donc lieu de constituer une charge provisoirement, soit jusqu’à ce qu’il soit adjugé s’il y a lieu d’émettre une ordonnance définitive à cet égard, et ce seulement pour les fins de permettre des mesures de recouvrement de la requérante pour les dettes fiscales de ces débiteurs judiciaires [mon soulignement].

[7]               Le 9 avril 2008, suite à une requête déposée par l’intimée visant à obtenir une charge définitive sur des immeubles de la Société 9067 et l’immeuble de la Société 9011, le juge Martineau de la Cour fédérale rendait une ordonnance (2008 CF 460) constituant une charge définitive sur lesdits immeubles en vertu de la Règle 459. Il est à noter que la Société 9011, mise-en-cause à cette procédure, et représentée par ses procureurs, s’est opposée au soulèvement de son voile corporatif et à la constitution d’une charge définitive sur son immeuble.

[8]               Malgré l’opposition de la Société 9011, le juge Martineau a conclu que cette société était l’alter ego de Mario Laquerre et que celui-ci utilisait les personnalités distinctes de ses sociétés, dont la Société 9011, afin de contourner ses obligations fiscales. En raison de la preuve devant lui, notamment en raison d’une contre-lettre datée du 29 décembre 1994 entre l’appelant et son frère Mario Laquerre selon laquelle Mario Laquerre demeurait propriétaire absolu de la Société 9011, le juge Martineau concluait qu’il y avait lieu de soulever le voile corporatif de la Société 9011 tenant compte des critères énoncés par la jurisprudence et la doctrine concernant l’article 317 du Code Civil du Québec, R.L.R.Q. c. C-1991 (C.c.Q.). Le Juge se disait d’avis que le non-paiement d’une créance fiscale pouvait constituer une contravention à l’ordre public. L’ordonnance du juge Martineau n’a pas été portée en appel par la Société 9011.

C.                       Faits à l’origine de la requête en l’espèce

[9]               Un incendie survenu le 23 mars 2014 a mené l’appelant à effectuer des travaux sur l’immeuble, lequel est toujours la propriété de la Société 9011. Selon l’appelant, l’assureur de l’immeuble a refusé de le rembourser pour ses dépenses et de maintenir la couverture d’assurance pour l’immeuble en raison de la charge détenue par l’intimée. Il appert que c’est cet événement qui a poussé l’appelant et la Société 9011 à introduire le présent recours devant la Cour fédérale afin de faire radier la charge grevant l’immeuble.

[10]           Le 6 août 2014, l’appelant a racheté la créance hypothécaire de la Caisse Populaire Gentilly-Lévrard-Rivière du Chêne sur l’immeuble, laquelle avait été publiée en 2005, devenant ainsi un créancier hypothécaire ayant priorité sur l’intimée qui a publié sa charge sur l’immeuble en 2008.

D.                      La requête donnant lieu à l’appel

[11]           Le ou vers le 25 novembre 2014, la Société 9011 et l’appelant déposaient une requête, en vertu de la Règle 462, demandant à la Cour fédérale d’émettre une ordonnance annulant partiellement l’ordonnance du juge Martineau constituant une charge définitive sur l’immeuble. En d’autres mots, la Société 9011 et l’appelant demandaient l’annulation de l’hypothèque légale sur l’immeuble résultant de la décision du juge Martineau. Plus particulièrement, la Société 9011 prétendait que les conditions justifiant la levée de son voile corporatif « n’étaient pas et ne sont toujours pas rencontrées à son égard ». Au soutien de cette requête, la Société 9011 et l’appelant ont déposé l’affidavit de l’appelant dans lequel il déclare, inter alia, ce qui suit :

1.      Qu’il n’était aucunement partie aux procédures instituées par l’intimée contre son frère Mario Laquerre et ses fiducies et sociétés;

2.      Que la Société 9011, contrairement aux sociétés appartenant et/ou contrôlées par son frère, n’était redevable d’aucune somme envers l’intimée;

3.      Que la Société 9011 n’avait pas été utilisée pour masquer une fraude et qu’il n’y avait aucune confusion entre les biens de son frère et ceux de la Société 9011;

4.      Qu’il était actionnaire de la Société 9011 à 52% et qu’il en était le président, ajoutant qu’il avait toujours été impliqué personnellement dans la Société 9011 et qu’il avait toujours agi comme son représentant;

5.      Quant à la contre-lettre du 29 décembre 1994 intervenue entre lui et son frère Mario Laquerre, il affirme que «… sans nier que j’ai signé cette contre-lettre, j’affirme que je n’ai aucun souvenir d’y avoir apposé ma signature » (Dossier d’Appel, Vol. 1, Tab. 2, p. 38, au paragraphe 21);

6.      Qu’il n’était pas partie aux procédures de recouvrement de l’intimée et qu’ : «À tort, manifestement, j’ai cru toujours qu’il s’agissait de procédures qui n’auraient aucun impact sur moi ou sur 9011-1345 Québec Inc., puisque cette dernière n’était que mise en cause » (ibidem au paragraphe 47);

7.      Qu’il ne s’était nullement intéressé au déroulement des procédures devant le juge Martineau.

III.             Ordonnance de la Cour fédérale

[12]           La requête de la Société 9011 et de l’appelant a été entendue par le Juge le 26 mars 2015. Le 10 avril 2015, le Juge rejetait la requête.

[13]           En premier lieu, le Juge notait que la requête devant lui avait été déposée presque sept ans après la décision du juge Martineau et qu’elle était basée sur trois motifs, à savoir : 1) que le juge Martineau avait erré, en concluant comme il l’avait fait, à la levée du voile corporatif de la Société 9011; 2) que le juge Martineau aurait conclu autrement si la Société 9011 et l’appelant avaient déposé une preuve, ce qu’ils n’avaient pas fait; 3) que l’appelant, en tant qu’actionnaire principal de la Société 9011 aurait dû être signifié à personne, ce qui n’avait pas été fait. Par ailleurs, le Juge prenait note du fait que la Société 9011et l’appelant invoquaient des circonstances nouvelles qui justifiaient le dépôt de leur requête, à savoir les faits mentionnés aux paragraphes [9] et [10] ci-haut.

[14]           Le Juge a rejeté la requête pour les motifs suivants. En ce qui a trait à l’appelant, le Juge se disait d’avis qu’une personne morale possédait une personnalité juridique distincte de celle de ses actionnaires. Ces derniers avaient un intérêt dans la société mais pas dans ses biens. Par conséquent, le Juge concluait que l’appelant, en tant qu’actionnaire dans la Société 9011, n’avait pas la qualité pour agir en l’instance puisque c’était la Société 9011 qui était propriétaire de l’immeuble. En ce qui a trait à la qualité d’agir de l’appelant en tant que créancier hypothécaire, le Juge s’exprimait comme suit au paragraphe 15 de ses motifs :

Toutefois, il a la qualité d’agir en tant que créancier hypothécaire; mais absolument rien ne permet à un créancier hypothécaire de soutenir qu’une hypothèque judiciaire inscrite à la suite de la sienne devait être acquittée.

[15]           Pour ce qui est de la Société 9011, le Juge énonçait qu’elle aurait pu utiliser la Règle 462 pour obtenir l’annulation de l’ordonnance du juge Martineau dans certaines circonstances particulières, par exemple si les débiteurs fiscaux avaient contesté avec succès leurs cotisations ou s’il s’avérait que l’intimée détenait plus de garanties qu’il n’en fallait. Parce qu’il n’existait pas de telles circonstances en l’espèce, le Juge concluait qu’il était lié par l’ordonnance du juge Martineau constituant la charge définitive qui avait maintenant force de chose jugée. En outre, le Juge indiquait que la Société 9011 aurait dû en appeler de la décision du juge Martineau ou déposer une requête en réexamen en vertu de la Règle 397.

[16]           Selon le Juge, rien n’empêchait l’appelant, en tant que président ou actionnaire principal de la Société 9011, de déposer un affidavit dans les procédures devant le juge Martineau. L’appelant était bien au fait de ces procédures mais il n’avait tout simplement pas jugé bon de se manifester. En outre, selon le Juge, il n’y avait pas d’obligation de la part de l’intimée de signifier à l’appelant la requête ayant mené à la décision du juge Martineau puisque l’appelant n’était qu’actionnaire de la Société 9011.

[17]           Finalement, le Juge se disait d’avis que la décision du juge Martineau avait l’autorité de la chose jugée. Au paragraphe 20 de ses motifs, citant l’arrêt Rostamian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 129 N.R. 394 (1991), A.C.F. No 525 (QL), le Juge énonçait que « le caractère définitif des jugements sert un intérêt public important ».

IV.             Prétentions de l’appelant

[18]           L’appelant soulève cinq questions :

A.                 L’audi alteram partem;

B.                 Le refus du Juge de reconsidérer la levée du voile corporatif;

C.                 L’interprétation de la Règle 462;

D.                 L’occurrence d’une saisie abusive, et;

E.                  L’inconstitutionnalité des Règles 458 et 462.

A.                        L’audi alteram partem

[19]           L’appelant prétend que la décision portée en appel viole les principes de justice fondamentale parce que le Juge a considéré que l’ordonnance du juge Martineau avait force de chose jugée à son égard, alors qu’il n’était pas partie à cette instance. Le Juge a refusé à tort de considérer son argument selon lequel le voile corporatif ne pouvait être soulevé sans que l’appelant, qui voit ses droits affectés, n’ait été partie aux procédures. Selon l’appelant, procéder tel que le Juge l’a fait est contraire aux enseignements de la Cour Suprême dans Bowen c. Ville de Montréal, [1979] 1 R.C.S. 511, [1978] CanLII 114, et de la Cour d’appel du Québec dans Cousineau c. Stephenson, [2001] J.Q. no 461, [2001] CanLII 14356.

[20]           Bien qu’il considère que les conditions pour soulever le voile corporatif n’étaient pas remplies, l’appelant plaide subsidiairement que les relations qu’il avait avec son frère Mario Laquerre avaient eu pour effet de créer une société de personnes au sens de l’article 2186 du C.c.Q. Il n’était donc pas possible de constituer une hypothèque sur sa part des biens sans son consentement, selon l’article 2211 du C.c.Q.

[21]           En outre, l’appelant soutient qu’il avait droit, en vertu du paragraphe 2 e) de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, ch. 44, de l’article 7 de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. c. C-12 (la Charte), de l’article 23 de la Charte et de la Règle 4 des Règles des cours fédérales, DORS/98-106 ainsi qu’en vertu de l’article 5 du Code de procédure civile du Québec CQLR, c. C-25, à une audition respectant l’audi alteram partem. En somme, le Juge a erronément décidé que l’appelant aurait dû intervenir dans des procédures auxquelles il n’avait pas été appelé.

B.                        Le refus du Juge de reconsidérer la levée du voile corporatif;

[22]           Par ailleurs, l’appelant affirme que le Juge a erré en refusant de se pencher sur son argument selon lequel les conditions nécessaires au soulèvement du voile corporatif n’étaient pas remplies. Il est premièrement inédit de soulever le voile corporatif lorsqu’une société a plusieurs actionnaires puisque la notion d’alter ego est alors inapplicable. Quand il y a pluralité d’actionnaires, il faut faire la démonstration qu’il y a eu collusion entre eux, preuve qui n’a jamais été faite en l’espèce.

C.                       L’interprétation de la Règle 462;

[23]           L’appelant affirme, entre outre, que le Juge a erré en concluant qu’il n’avait pas la qualité pour agir en vertu de la Règle 462. L’appelant maintient : « qu’il est clairement une personne détenant un intérêt et un droit sur l’immeuble grevé par la charge, puisqu’il a racheté la créance de la Caisse populaire et que la loi ne prévoit aucun critère temporel quant à la détention d’un droit » (mémoire de l’appelant au paragraphe 62). Selon la décision Minister of National Revenue v. McDonald, 2010 CF 340, [2010] A.C.F. no 1047, il faut interpréter largement la notion de « droit immobilier » (mémoire de l’appelant au paragraphe 63).

[24]           De plus, le Juge a omis de considérer l’intérêt juridique véritable de l’appelant en tant qu’actionnaire majoritaire de la Société 9011. L’ordonnance du juge Martineau a levé le voile corporatif à l’égard de tous les actionnaires, non seulement à l’égard de Mario Laquerre. Ainsi, le Juge a eu tort de considérer que la personnalité juridique distincte de la Société 9011 faisait en sorte que l’appelant n’avait pas la capacité pour agir.

[25]           D’autre part, le Juge a, selon l’appelant, abusivement limité la portée de la Règle 462. Cette règle est suffisamment souple pour permettre à l’appelant d’agir, et ce, en tout temps. En effet, l’appelant ne pouvait pas en appeler de l’ordonnance du juge Martineau puisqu’il n’était alors pas partie à l’instance.

D.                       L’occurrence d’une saisie abusive

[26]           Advenant une réponse négative de notre Cour aux questions A, B, et C, l’appelant estime que l’ordonnance dont appel constitue, dans les faits, une saisie abusive contraire à l’article 8 de la Charte.

[27]           L’appelant plaide que le test de l’article 8, « […] lequel consiste à apprécier, dans chaque cas, si le droit d’un individu de ne pas être importuné par l’État doit s’incliner devant celui de l’État à s’immiscer dans la vie privée des citoyens pour le bien public », est satisfait (mémoire de l’appelant au paragraphe 90).

[28]           À partir du moment où le juge Martineau a levé le voile corporatif, l’immeuble a été considéré comme faisant partie du patrimoine des frères Laquerre. L’appelant aurait donc dû être considéré comme personnellement propriétaire de 52% de l’immeuble. À ce titre, il avait une expectative de vie privée par rapport à l’immeuble. La saisie était illégale puisque la loi n’autorise pas la constitution d’une charge sur un immeuble qui appartient à une tierce personne.

E.                        L’inconstitutionnalité des Règles 458 et 462

[29]           Advenant une réponse négative aux questions A, B, et C, l’appelant est alors d’avis que les Règles 458 et 462 sont inconstitutionnelles puisqu’elles ont pour effet de violer la protection contre les saisies abusives consacrée à l’article 8 de la Charte.

V.                Questions en litige

[30]           À mon avis, l’appel soulève les deux questions suivantes :

1)                  L’appelant avait-il la qualité nécessaire pour agir en vertu de la Règle 462? et

2)                  La constitution de la charge sur l’immeuble était-elle inconstitutionnelle?

VI.             Norme de contrôle

[31]           L’appelant ne fait pas de représentations dans son mémoire relativement à la norme de contrôle applicable. Pour sa part, l’intimée considère que la norme de la décision correcte s’applique à la question touchant la Règle 462 et les délais d’appel puisqu’il s’agit de questions de droit. La question de qualité pour agir devrait, en tant que question mixte de fait et de droit, être assujettie à la norme de l’erreur manifeste et dominante. Toujours selon l’intimée, aucune norme de contrôle n’est applicable aux questions constitutionnelles qui sont soulevées pour la première fois dans cet appel.

[32]           À mon avis, la norme de contrôle applicable est celle établie par la Cour Suprême dans Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. Par conséquent, les conclusions du Juge sur les questions de droit sont susceptibles de contrôle suivant la norme de la décision correcte. Les conclusions de faits doivent être révisées suivant la norme de l’erreur manifeste et dominante. Les questions mixtes de fait et de droit sont également soumises à l’erreur manifeste et dominante, à moins qu’il ne s’agisse d’une erreur de droit isolée, auquel cas c’est la norme de la décision correcte qui trouve application.

VII.          Analyse

a)      L’appelant avait-il la qualité nécessaire pour agir en vertu de la Règle 462?

[33]           À mon avis, l’appelant n’avait pas la qualité nécessaire pour agir selon la Règle 462 qui se lit comme suit :

Règles des Cours fédérales DORS/98-106

Federal Courts Rules SOR/98-106

Annulation ou modification de l’ordonnance

Discharge or variance of charging order

462 La Cour peut, sur requête du débiteur judiciaire ou de toute autre personne ayant un droit sur les biens grevés par une charge provisoire ou définitive, annuler ou modifier l’ordonnance constituant la charge, aux conditions qu’elle estime équitables quant aux dépens.

462 The Court may, on the motion of a judgment debtor or any other person with an interest in property subject to an interim or absolute charge under rule 458 or 459, at any time, discharge or vary the charging order on such terms as to costs as it considers just.

[mon soulignement]

[my emphasis]

[34]           L’appelant prétend avoir un droit sur l’immeuble et, de ce fait, avoir la qualité pour agir en vertu de la Règle 462 de deux façons différentes : premièrement, en tant que créancier hypothécaire et, deuxièmement en tant que propriétaire de 52% de l’immeuble.

[35]           La décision du Juge à propos de l’intérêt pour agir de l’appelant en tant que créancier hypothécaire tient au paragraphe 15 de ses motifs où il énonce :

[15] Toutefois, il a la qualité d’agir en tant que créancier hypothécaire; mais absolument rien ne permet à un créancier hypothécaire de soutenir qu’une hypothèque judiciaire inscrite à la suite de la sienne devrait être acquittée.

[36]           En effet, les droits d’un créancier hypothécaire ne sont pas affectés par les hypothèques publiées après leurs propres sûretés en raison des articles 2644, 2646, 2647 et 2945 du C.c.Q. reproduits ci-après.

Code civil du Québec, R.L.R.Q. c. C-1991

Civil code of Quebec, C.Q.L.R. c. C-1991

2644. Les biens du débiteur sont affectés à l'exécution de ses obligations et constituent le gage commun de ses créanciers.

2644. The property of a debtor is charged with the performance of his obligations and is the common pledge of his creditors.

[…]

(…)

2646. Les créanciers peuvent agir en justice pour faire saisir et vendre les biens de leur débiteur. En cas de concours entre les créanciers, la distribution du prix se fait en proportion de leur créance, à moins qu'il n'y ait entre eux des causes légitimes de préférence.

2646. Creditors may institute judicial proceedings to cause the property of their debtor to be seized and sold. If the creditors rank equally, the price is distributed proportionately to their claims, unless some of them have a legal cause of preference.

2647. Les causes légitimes de préférence sont les priorités et les hypothèques.

2647. The legal causes of preference are prior claims and hypothecs.

[…]

(…)

2945. À moins que la loi n'en dispose autrement, les droits prennent rang suivant la date, l'heure et la minute inscrites sur le bordereau de présentation ou, si la réquisition qui les concerne est présentée au registre foncier, dans le livre de présentation, pourvu que les inscriptions soient faites sur les registres appropriés. Lorsque la loi autorise ce mode de publicité, les droits prennent rang suivant le moment de la remise du bien ou du titre au créancier.

2945. Unless otherwise provided by law, rights rank according to the date, hour and minute entered on the memorial of presentation or, if the application concerning them is presented for registration in the land register, entered in the book of presentation, provided that the entries have been made in the appropriate registers. Where publication by delivery is authorized by law, rights rank according to the time at which the property or title is delivered to the creditor.

[mon soulignement]

[my emphasis]

[37]           Bien qu’il soit incontestable que l’appelant ait un droit sur l’immeuble en tant que créancier hypothécaire, ce droit à lui seul n’est pas suffisant, à mon avis, pour lui conférer l’intérêt requis pour présenter une requête en vertu de la Règle 462 afin de faire annuler une charge qui n’affecte en rien ladite créance hypothécaire.

[38]           Tel que le mentionne le Juge au paragraphe 16 de ses motifs, outre l’ordonnance du juge Martineau, il n’y a que deux décisions ayant été rendues en vertu de la Règle 462 : Canada v. Malachowski, 2011 FC 413, [2011] F.C.J. No. 529 et Loi de l’impôt sur le revenu (Re), 2010 CF 340, [2010] F.C.J. No. 1047. Cette jurisprudence très limitée n’est d’aucune aide en l’espèce pour préciser la qualité du droit sur le bien qui est requise afin d’avoir intérêt pour agir selon la Règle 462.

[39]           Il m’apparaît que la raison d’être de la Règle 462 est de créer un mécanisme procédural permettant aux personnes affectées par une charge de demander à la Cour de l’annuler ou de la modifier dans les circonstances appropriées. En l’espèce, la sûreté détenue par l’appelant sur l’immeuble n’est nullement affectée par la charge. De fait, l’appelant désire bénéficier de son double chapeau de créancier hypothécaire et d’actionnaire de la Société 9011, propriétaire de l’immeuble, afin de contourner l’impossibilité pour la Société 9011 d’attaquer la charge.

[40]           Pour cette raison, je suis d’avis que l’appelant n’a pas la qualité pour agir en tant que créancier hypothécaire.

[41]           L’appelant soutient également avoir un intérêt pour agir en tant qu’actionnaire de la Société 9011, propriétaire de l’immeuble, dont le voile corporatif a été soulevé faisant ainsi retomber ses actifs directement dans le patrimoine de ses actionnaires. Le Juge a rejeté cet argument en invoquant la personnalité juridique distincte d’une société.

[42]           À mon avis, la conclusion du Juge est inattaquable en ce que l’appelant, en sa qualité d’actionnaire de la Société 9011, ne détient aucun droit de propriété sur l’immeuble. Ce droit de propriété appartient clairement à la Société 9011. L’appelant n’est pas une « personne ayant un droit sur les biens grevés » au sens de la Règle 462. Par conséquent, je ne puis conclure que le Juge a commis une erreur.

[43]           En rejetant la requête devant lui, le Juge s’est aussi dit d’avis que la Règle 462 ne trouvait pas application en l’instance. Au paragraphe 17 de ses motifs, le Juge s’exprimait comme suit :

Sans vouloir être exhaustif, la règle 462 aurait pu s’appliquer si les défendeurs avaient contesté avec succès leurs évaluations fiscales, ou bien s’ils avaient payé le montant dû. Dans un tel cas, on ferait vraisemblablement une requête sur consentement pour faire annuler la charge de l’hypothèque judiciaire. La règle 462 pourrait également s’appliquer s’il s’avérait que Sa Majesté détenait plus de garanties qu’il n’en fallait. Selon une procédure pareille au « marshalling » de la common law, il aurait pu convenir de casser la charge sur les biens de 9011 qui, elle, n’est pas débitrice judiciaire.

[44]           Au même sens, l’on retrouve les propos du juge Martineau dans sa décision du 9 avril 2008 où il énonce au paragraphe 18 de ses motifs:

Il serait peut-être aussi utile de réitérer que selon la Règle 462 les intimés peuvent (par voie d’une requête), demander à la Cour d’annuler ou modifier l’ordonnance définitive de constitution de charge si la Cour canadienne de l’impôt accueille leur appel et refuse de confirmer la validité des nouvelles cotisations émises par le ministre le 31 août 2006 et le 25 avril 2007.

[45]           Je souscris entièrement à la prétention de l’intimée selon laquelle la Règle 462 n’a pas pour objet de conférer un droit d’appel ou de réexamen mais plutôt de permettre l’annulation ou la modification de la charge, par exemple pour cause d’extinction totale ou partielle de la dette fiscale. En d’autres mots, je suis d’avis que la Règle 462 n’a pas le même sens et la même portée que la Règle 399 qui permet à toute personne intéressée de demander l’annulation ou la modification d’une ordonnance si certaines circonstances sont présentes. La Règle 399 se lit comme suit : 

Annulation sur preuve prima facie

Setting aside or variance.

399(1) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier l’une des ordonnances suivantes, si la partie contre laquelle elle a été rendue présente une preuve prima facie démontrant pourquoi elle n’aurait pas dû être rendue :

399(1) On motion, the Court may set aside or vary an order that was made

a) toute ordonnance rendue sur requête ex parte;

(a) ex parte; or

b) toute ordonnance rendue en l’absence d’une partie qui n’a pas comparu par suite d’un événement fortuit ou d’une erreur ou à cause d’un avis insuffisant de l’instance.

(b) in the absence of a party who failed to appear by accident or mistake or by reason of insufficient notice of the proceeding,

[Blank]

if the party against whom the order is made discloses a prima facie case why the order should not have been made

(2) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier une ordonnance dans l’un ou l’autre des cas suivants :

(2) On motion, the Court may set aside or vary an order

a) des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue;

(a) by reason of a matter that arose or was discovered subsequent to the making of the order; or

b) l’ordonnance a été obtenue par fraude.

(b) where the order was obtained by fraud.

(3) Sauf ordonnance contraire de la Cour, l’annulation ou la modification d’une ordonnance en vertu des paragraphes (1) ou (2) ne porte pas atteinte à la validité ou à la nature des actes ou omissions antérieurs à cette annulation ou modification.

(3) Unless the Court orders otherwise, the setting aside or variance of an order under subsection (1) or (2) does not affect the validity or character of anything done or not done before the order was set aside or varied.

[46]           Il m’apparaît indéniable, en l’instance, que ce que l’appelant recherche est précisément ce que la Règle 399 permet de faire, évidement si les circonstances énoncées à la Règle sont rencontrées. Aux fins de l’appel uniquement, je vais considérer la requête de l’appelant comme si elle avait été déposée sous la Règle 399. Je conclus, par ailleurs, que les circonstances de la Règle 399 ne sont pas rencontrées et, par conséquent, que l’appelant ne peut réussir.

[47]           À mon avis, la pierre angulaire des prétentions de l’appelant est qu’il détient 52% des actions de la Société 9011, dont il est le président. Par conséquent, il affirme qu’il avait droit à signification personnelle de la requête ayant mené à la décision du juge Martineau. De là découle toute la problématique du dossier selon l’appelant. Puisqu’il n’était pas partie aux procédures visées par l’ordonnance du juge Martineau, il n’a pas déposé de preuve ni de représentations, écrites ou orales, concernant la levée du voile corporatif de la Société 9011. Selon l’appelant, le voile corporatif de la Société 9011 ne pouvait être soulevé sans sa participation aux débats. Donc, n’étant pas partie au dossier, il ne pouvait en appeler de l’ordonnance du juge Martineau.

[48]           L’argument de l’appelant s’insère précisément sous la Règle 399(1)b) qui permet à la Cour d’annuler ou de modifier toute ordonnance « rendue en l’absence d’une partie qui n’a pas comparu par suite d’un événement fortuit ou d’une erreur ou à cause d’un avis insuffisant de l’instance ». Quant à la Règle 399(2), celle-ci me semble inapplicable en l’instance puisque l’appelant ne prétend nullement que l’ordonnance du juge Martineau a été obtenue par fraude ou que des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts suite à ladite ordonnance. Je m’empresse d’ajouter que les faits relatés au paragraphe [9] de me motifs ne constituent pas des faits nouveaux au sens de la Règle 399(2).

[49]           Examinons maintenant les prétentions de l’appelant à la lumière de son affidavit et du dossier devant nous. Avec respect pour l’appelant, le scénario qu’il met de l’avant pour soutenir ses prétentions est, à mon avis, non-crédible. Je m’explique.

[50]           En premier lieu, il faut se rappeler que la preuve devant le juge Martineau était différente de celle qui est maintenant devant nous. La preuve déposée par les parties intimées devant le juge Martineau (soit Mario Laquerre, ses fiducies et ses compagnies, y incluant les mises-en-cause, les sociétés 9067 et 9011) était que seul Mario Laquerre avait des actions dans la Société 9011. La contre-lettre du 29 décembre 1994 corroborait cette preuve. Le seul affidavit déposé par les parties intimées fut celui de Mario Laquerre en date du 11 janvier 2008. Aux paragraphes 55 à 60 de son affidavit, Mario Laquerre déclarait ce qui suit :

55.       La société 9011-1345 Québec inc. a été constituée le 4 novembre 1994, tel qu’il appert d’une copie de l’état de l’information sur une personne morale produite comme pièce R-16 au soutien de mon affidavit;

56.       Le siège de la société 9011-1345 Québec inc. est situé au 1392, 4e Avenue, dans la ville de Québec, province de Québec, tel qu’il appert d’une copie de l’état de l’information sur une personne morale déjà produite comme pièce 16 au soutien de mon affidavit;

57.       La société 9011-1345 Québec inc. exerce ses activités dans le domaine de l’investissement immobilier;

58.       Le seul actif immobilier de la société 9011-1345 Québec Inc. est :

a. Un immeuble situé au 1095, chemin de la Canardière, à Québec, province de Québec;

59.       Je suis l’unique administrateur de la société 9011-1345 Québec inc.;

60.       Je suis l’unique administrateur de la société 9011-1345 Québec inc.;

(Dossier d’Appel Supplémentaire, Tab. 1, à la page 10)

[51]           Par ailleurs, le 11 janvier 2008, les procureurs représentant Mario Laquerre, ses fiducies et ses compagnies, ainsi que les mises-en-cause les sociétés 9067 et 9011, déposaient leurs représentations écrites. Aux paragraphes 55 à 60 de ces représentations, les procureurs traitent de la Société 9011 dans les termes suivants :

55.       La société 9011-1345 Québec inc. a été constituée le 4 novembre 1994, tel qu’il appert d’une copie de l’état de l’information sur une personne morale produite comme pièce 16 au soutien de l’affidavit de Mario Laquerre;

56.       Le siège de la société 9011-1345 Québec inc. est situé au 1392, 4e Avenue dans la ville de Québec, province de Québec, tel qu’il appert d’une copie de l’état de l’information sur une personne morale déjà produite comme pièce 16 au soutien de l’affidavit de Mario Laquerre;

57.       La société 9011-1345 Québec inc. exerce ses activités dans le domaine de l’investissement immobilier;

58.       Le seul actif immobilier de la société 9011-1345 Québec inc. est :

a) Un immeuble situé au 1095, chemin de la Canardière, à Québec, province de Québec;

59.       L’intimé Mario Laquerre est l’unique administrateur de la société 9011-1345 Québec inc.;

60.       L’intimé Mario Laquerre est l’unique actionnaire de la société 9011-1345 Québec inc.;

(Dossier d’Appel Supplémentaire, Tab. 2, pages 33 et 34) [mon soulignement]

[52]           Puisqu’il est évident que les paragraphes 55 à 60 des représentations écrites des procureurs ne sont que le reflet des paragraphes 55 à 60 de l’affidavit de Mario Laquerre, il m’appert probable que le paragraphe 60 de l’affidavit de Mario Laquerre est erroné. À mon avis, il devrait plutôt se lire : « Je suis l’unique actionnaire de la société 9011-1345 Québec inc. ».

[53]           Il est important de noter que les représentations écrites des procureurs ne font aucune référence à l’appelant, soit à titre d’actionnaire de la Société 9011 ou à titre de président de celle-ci. Au contraire, toute l’argumentation est axée sur le rôle de Mario Laquerre à l’égard de toutes les compagnies nommées aux procédures, incluant la Société 9011.

[54]           Comme je l’indique aux paragraphes [8] de mes motifs, malgré l’opposition de la Société 9011, le juge Martineau a conclu qu’il était approprié, dans les circonstances, de lever le voile corporatif de cette société et d’ordonner la constitution d’une charge définitive sur l’immeuble.

[55]           Par ailleurs, devant le Juge et devant nous, l’appelant prétend qu’il était le président de la Société 9011 et détenteur de 52% de ses actions lorsque la requête de l’intimée a été signifiée à la Société 9011 à l’automne 2007 et lorsque le juge Martineau a rendu son ordonnance le 9 avril 2008.

[56]           En outre, aux paragraphes 21 à 28 de son affidavit, l’appelant traite de la contre-lettre du 29 décembre 1994 qui était devant le juge Martineau lorsqu’il a rendu son ordonnance. Voici ce que l’appelant dit à ce sujet :

21. Le ou vers le 9 octobre 2014, par le biais du dossier de réponse de l’Agence du Revenu du Canada à la requête pour révision et annulation de l’ordonnance constituant une charge, j’ai pris connaissance de la contre-lettre intervenue entre Mario Laquerre et moi-même le 29 décembre 1994, produite au soutien des présentes comme pièce « R-18 », et, sans nier que j’ai signé cette contre-lettre, j’affirme que je n’ai aucun souvenir d’y avoir apposé ma signature;

22. Cette contre-lettre du 29 décembre 1994 a été préparée par Mario Laquerre dans le cadre de son divorce;

23. La contre-lettre stipule qu’il y a eu vente d’actions intervenue le 4 novembre 1994, alors qu’aucune action n’avait encore été émise par la société 9011-1345 Québec inc., tel qu’il appert des comptes de capital-actions émis et payés produits au soutien des présentes comme pièce « R-19 », lesquels démontrent que l’émission des 50 actions du trésor à mon nom porte la date du 1er janvier 1995;

24. Par ailleurs, le 1er janvier 1995, une convention entre actionnaires est intervenue entre Mario Laquerre et moi-même, laquelle prévoit que Mario Laquerre est détenteur de 50% des actions ordinaires en circulation de la compagnie 9011-1345 Québec inc., soit 50 actions ordinaires Catégorie A et que je suis également détenteur de 50% des actions ordinaires en circulation de la compagnie 9011-1345 Québec inc., soit 50 actions ordinaires Catégorie A, tel qu’il appert de ladite convention produite au soutien des présentes comme pièce «R-20 »;

25. Le 30 février 1996, Mario Laquerre a transféré 50 actions de Catégorie A à Fiducie ML dont il est l’unique actionnaire, tel qu’il appert des comptes de capital-actions émis et payés R-19;

26. Le 31 décembre 2005, Fiducie ML a transféré 2 actions de Catégorie A à mon compte de capital-actions, faisant en sorte que je suis devenu actionnaire majoritaire de la société à 52% et Fiducie ML à 48%, tel qu’il appert des comptes de capital-actions émis et payés R-19;

27. Ainsi, si telle contre-lettre (R-18) a réellement été signée par moi, elle a été révoquée par les actes ultérieurs énoncés ci-haut et j’ai toujours cru être actionnaire et propriétaire à part entière des actions que je détenais;

(Dossier d’Appel, Vol 1, Tab 2, pages 38 et 39)

[57]           En premier lieu, l’appelant ne semble pas nier qu’il a signé la contre-lettre. Il se contente plutôt de dire, au paragraphe 21 de son affidavit, qu’il ne se souvient pas de l’avoir signée. Puis, après avoir noté que la contre-lettre avait été préparée par son frère Mario Laquerre dans le cadre de son divorce, il tente de démontrer, tel qu’il l’affirme au paragraphe 27 de son affidavit, que s’il a signé la contre-lettre, celle-ci a été révoquée par les événements qu’il mentionne aux paragraphes 23 à 26 de son affidavit. Avec respect, les explications de l’appelant ne sont nullement crédibles.

[58]           Je réitère à nouveau que la Société 9011, suite à la signification de la requête de l’intimée, a retenu les services de procureurs pour s’opposer à la requête de l’intimée et que ces procureurs ont comparu à l’audience devant le juge Martineau. Malgré ces faits qui ne sont pas contestés, l’appelant déclare dans son affidavit :

        i.            Qu’il n’était pas partie à ces procédures;

      ii.            Qu’il croyait que les procédures de recouvrement de l’intimée « n’auraient aucun impact sur moi ou sur 9011-1345 Québec inc. puisque cette dernière n’était que mise-en-cause » (Dossier d’Appel, Vol. 1, Tab. 2 au paragraphe 47).

[59]           Il est difficile, sinon impossible, de réconcilier cette déclaration de l’appelant avec les événements qui se sont déroulés en 2007 et 2008. La Société 9011 a reçu copie de l’ordonnance rendue par madame la juge Gauthier le 11 octobre 2007, laquelle constituait une charge provisoire sur l’immeuble. La Société 9011 a aussi reçu signification de la requête de l’intimée visant à obtenir une ordonnance constituant une charge définitive sur l’immeuble et, en outre, la Société 9011 a comparu à ces procédures par procureurs et elle s’est défendue. Comment l’appelant peut-il déclarer qu’il était d’avis que ces procédures ne le concernaient pas et, qu’en outre, elles ne concernaient pas la Société 9011?

[60]           J’irais plus loin en disant que s’il est vrai que l’appelant était président de la Société 9011 et qu’il détenait 52% de ses actions, sa déclaration assermentée n’a aucun sens. Comment est-il possible que le président d’une société, propriétaire de 52% de ses actions, ne réagisse aucunement sur réception d’une requête de la Couronne visant à lever le voile corporatif de sa société, société qui n’était redevable d’aucune dette fiscale envers la Couronne, afin de constituer une charge définitive sur son seul bien, à savoir l’immeuble?

[61]           En outre, l’appelant n’offre aucune explication dans son affidavit à l’égard des procureurs dont les services ont été retenus pour défendre les intérêts de la Société 9011 dans le cadre des procédures devant le Juge Martineau. Le fait que des procureurs ont représenté la Société 9011 et ont participé au débat devant le Juge Martineau n’est pas nié. L’on pourrait s’attendre à ce que l’appelant, qui se décrit comme président de la Société 9011 et son actionnaire majoritaire, fournisse une explication concernant le rôle qu’ont joué les procureurs en 2007 et 2008. Chose surprenante, l’appelant ignore cet état de faits complètement. Il semble s’en remettre à l’explication qu’il a donnée dans son affidavit, à savoir qu’il était sous l’impression que les procédures de l’intimée, qui recherchaient la constitution d’une charge définitive sur l’immeuble, n’étaient d’aucun intérêt pour lui ni pour la Société 9011.

[62]           D’après la preuve au dossier, il semble, sans qu’on en ait la certitude, que c’est Mario Laquerre qui a mené les opérations en ce qui concerne la défense de la Société 9011 devant le juge Martineau. Par ailleurs, l’appelant ne fait aucune allégation de fraude ou de négligence à l’égard de son frère Mario Laquerre en ce qui concerne la défense de la Société 9011. En fait, il ne dit rien à ce sujet.

[63]           Je suis d’avis que la preuve tend à soutenir la version des événements de l’intimée, à savoir qu’en réalité Mario Laquerre était le seul détenteur d’actions dans la Société 9011. C’est ce qui explique pourquoi l’appelant ne s’est aucunement préoccupé de la requête de l’intimée qui a mené à l’ordonnance du juge Martineau. Comme je l’indique aux paragraphes [59] et [60] de mes motifs, la conduite de l’appelant ne peut être réconciliée avec sa prétention d’être l’actionnaire majoritaire et président de la Société 9011. Cette prétention est, eu égard à la preuve, dénuée de tout sens.

[64]           Par conséquent, l’appelant n’étant pas actionnaire de la Société 9011, tous ses arguments s’écroulent. En d’autres mots, il ne peut invoquer ni la Règle 462 ni la Règle 399(1)b).

[65]           Même si l’appelant détenait véritablement 52% des actions de la Société 9011, j’en viens aussi à la conclusion qu’il ne peut réussir. Dans TMR Energy Ltd. c. Fonds des biens de l’État Ukrainien, 2005 CAF 28, [2005] 3 F.C.R. 111 aux paragraphes 31 et 32, notre Cour énonçait qu’une requête en vertu de la Règle 399 devait être déposée dans un délai raisonnable de la connaissance des circonstances sur lesquelles la requête est fondée (voir au même sens la décision du juge Lemieux dans Entreprise A.B. Rimouski Inc. c. Canada, 2005 CF 115, [2005] A.C.F. no 197 aux paragraphes 16 à 18).

[66]           À mon avis, pour les motifs que je viens d’exposer, il ne peut faire de doute qu’à l’automne 2007, la Société 9011 et l’appelant avaient pleine connaissance de la requête de l’intimée visant à obtenir la constitution d’une charge définitive sur l’immeuble. En présumant que la signification de cette requête n’était pas suffisante pour faire réaliser à l’appelant que ses intérêts et ceux de la Société 9011 pouvaient être affectés si l’ordonnance souhaitée par l’intimée était rendue, il est indéniable que l’envoi par l’administration de la Cour fédérale d’une copie de l’ordonnance rendue par le juge Martineau à la Société 9011 ne pouvait laisser la Société 9011 et son président et actionnaire majoritaire indifférents quant à l’effet de l’ordonnance.

[67]           À mon avis, sur réception de la copie de l’ordonnance du juge Martineau, l’appelant se devait d’agir s’il voulait invoquer la Règle 399. Puisque l’appelant a laissé s’écouler sept années avant d’entreprendre des procédures, je ne peux que conclure qu’il n’a pas agi dans un délai raisonnable. Les explications offertes par l’appelant, selon lesquelles il croyait que les procédures de l’intimée ne pouvaient avoir d’impact ni sur lui ni sur la Société 9011, ne peuvent tenir la route. Elles sont non crédibles. À mon avis, il s’agit clairement, à tout le mois, d’une situation d’aveuglement volontaire.

[68]           Il y a un autre élément qui me fait conclure que l’appelant ne peut réussir. Puisque « la procédure doit être la servante du droit et non sa maîtresse » (Reekie c. Messervey, [1990] 1 R.C.S. 219 à la page 222), je conclus que l’appelant ne peut invoquer l’absence de signification personnelle dans l’instance devant le juge Martineau pour prétendre ne pas être lié par les conclusions de cette ordonnance ayant aujourd’hui force de chose jugée. Dans l’affaire  Fiducie Dauphin (Re) 2010 CF 1144, [2010] D.T.C. 5194 [Fiducie Dauphin], le juge de Montigny, alors juge à la Cour fédérale, validait de façon rétroactive, une signification irrégulière aux motifs que la personne impliquée n’avait pas subi de préjudice, avait connaissance des procédures et que ces dernières ne devaient pas l’emporter sur la substance. Au paragraphe 40 de ses motifs, le juge de Montigny s’exprimait comme suit :

Il ne faut pas perdre de vue le but qui sous-tend les règles de signification. Ces règles, faut-il le rappeler, vise à éviter qu’une partie ne soit pas en mesure de défendre ses intérêts parce qu’elle n’aurait pas été mise au courant, ou qu’elle ne l’aurait pas été en temps utile, des procédures dirigées contre elle. La Règle 147 des Règles des Cours fédérales reflète d’ailleurs ce principe, dans la mesure où elle autorise la Cour à considérer valide une signification irrégulière lorsqu’elle est convaincue que le destinataire a pris connaissance du document qui lui était destiné [mon soulignement].

[69]           Le juge de Montigny ajoutait au paragraphe 41 de ses motifs que « [c]ette règle s’inscrit dans le cadre d’un principe plus large, à l’effet que la procédure ne doit pas l’emporter sur la substance. Ce principe trouve notamment son expression dans les Règles 53, 55 et 56 ».

[70]           Au même sens que les propos du juge de Montigny, l’on retrouve ceux du juge O’Keefe de la Cour fédérale qui, dans le contexte de procédures signifiées à l’âme dirigeante d’une société, concluait que cette signification constituait signification à la société elle-même. Aux paragraphes 51 et 52 de ses motifs dans l’affaire Rolls Royce plc c. Fitzwilliam, 2002 CFPI 598 (CanLII), il énonçait ce qui suit :

[51] La règle 147 permet à la Cour de considérer la signification d'un document comme valide si elle est convaincue que le destinataire en a pris connaissance. M. Fitzwilliam a admis avoir reçu une copie des documents, être l'âme dirigeante des sociétés et vouloir représenter les sociétés défenderesses dans la présente instance.

[52] Je suis convaincu que M. Fitzwilliam est l'âme dirigeante des sociétés défenderesses et que la signification faite à M. Fitzwilliam dans ces circonstances est suffisante pour constituer une signification aux sociétés défenderesses.

[71]           En l’instance, les procédures ayant mené à la décision du juge Martineau ont bel et bien été signifiées à la Société 9011 dont l’appelant prétend être le président et l’actionnaire majoritaire. Je note aussi que des procureurs ont été retenus par la Société 9011 et que ces procureurs se sont opposés aux mesures de recouvrement mises de l’avant par l’intimée, dont la levée du voile corporatif de la Société 9011. Dans ces circonstances, il est difficile, comme je l’indique plus haut, de réconcilier les affirmations de l’appelant contenues dans son affidavit avec les événements qui se sont déroulés en 2007 et 2008. Comme le rappelle le juge de Montigny au paragraphe 40 de ses motifs dans Fiducie Dauphin, le but de la signification est de permettre à une personne intéressée de prendre connaissance en temps opportun de procédures qui peuvent l’affecter. À mon avis, l’appelant savait ou devait savoir à l’automne 2007 ce qui était l’objet des procédures de la Couronne. Par conséquent, je conclus qu’il ne peut invoquer l’absence de signification personnelle pour soutenir sa prétention qu’il a droit de demander l’annulation ou la modification de l’ordonnance du juge Martineau.

b)      La constitution de la charge sur l’immeuble était-elle inconstitutionnelle?

[72]           En bref, l’appelant soutient que la charge sur l’immeuble, suite à l’ordonnance du juge Martineau, constitue une saisie abusive parce qu’elle permet à la Couronne de saisir un bien qui lui appartient en partie, sans qu’il n’ait eu l’opportunité d’être entendu ni même appelé. À mon avis, vu les conclusions auxquelles j’en arrive, il n’est pas nécessaire de traiter des arguments constitutionnels de l’appelant. Par ailleurs, il est important de mentionner que l’appelant n’a pas soulevé ses arguments constitutionnels devant le Juge mais qu’il les met de l’avant, devant nous, pour la première fois. L’appelant n’explique aucunement pourquoi, dans ces circonstances, nous devrions exercer notre pouvoir discrétionnaire en sa faveur et entendre ses arguments constitutionnels (Guindon c. Canada, 2015 CSC 41).

VIII.       Conclusion

[73]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

 « M Nadon »

j.c.a.

«Je suis d’accord.

Johanne Trudel, j.c.a.»

«Je suis d’accord.

A.F. Scott, j.c.a.»


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-229-15

INTITULÉ :

GAÉTAN LAQUERRE c. SA MAJESTÉ LA REINE ET 9011-1345 QUÉBEC INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 décembre 2015

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NADON

 

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 février 2016

 

 

COMPARUTIONS :

Bernard Roy

Marie Cossette

 

Pour l'appelant

GAÉTAN LAQUERRE

 

Martin Lamoureux

 

Pour l'intimée

SA MAJESTÉ LA REINE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LAVERY, DE BILLY S.E.N.C.R.L.

Québec (Québec)

 

Pour l'appelant

GAÉTAN LAQUERRE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

Pour l'intimée

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

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