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Date : 20160218


Dossiers : A-379-15

A-380-15

Référence : 2016 CAF 56

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RYER

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

ASSOCIATION DES JURISTES DE JUSTICE

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 17 février 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 18 février 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RYER

LE JUGE DE MONTIGNY


Date : 20160218


Dossiers : A-379-15

A-380-15

Référence : 2016 CAF 56

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RYER

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

ASSOCIATION DES JURISTES DE JUSTICE

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STRATAS

[1]               La demanderesse, l’Association des juristes de justice, a présenté deux demandes de contrôle judiciaire à l’encontre d’une ordonnance et d’une décision d’un arbitre de grief agissant en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22. Il s’agit des demandes suivantes :

                     Dossier A-379-15. Dans cette demande, l’Association prétend qu’une ordonnance rendue par l’arbitre de grief le 4 février 2015 au sujet d’un grief de principe ne concorde pas avec les motifs de l’ordonnance qu’il a rendue. L’Association demande que l’ordonnance soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à l’arbitre de grief afin qu’il rende une nouvelle ordonnance qui concorde avec les motifs qu’il a rendus.

                     Dossier A-380-15. Après que l’arbitre de grief eut rendu son ordonnance et ses motifs de l’ordonnance du 4 février 2015, l’Association lui a demandé de corriger l’ordonnance. Le 3 mars 2015, l’arbitre de grief a décidé qu’il ne pouvait pas le faire. Il a écrit qu’il était [traduction] « functus officio… et [n’avait] pas la capacité de modifier [l’ordonnance] ». Dans la présente demande, l’Association demande que cette décision soit annulée. Elle allègue que l’arbitre de grief avait la capacité de modifier l’ordonnance et aurait dû la modifier.

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’accueillerais les deux demandes avec dépens. Une copie de ces motifs sera versée dans chaque dossier.

A.        Contexte

[3]               L’Association représente les intérêts de certains avocats du gouvernement fédéral. L’unité de négociation de l’Association, pour le compte du groupe du Droit (GD), est partie à une convention collective avec le Conseil du Trésor du Canada (l’« employeur »).

[4]               L’Association a déposé un grief de principe contre l’employeur, alléguant une violation de la convention collective alors en vigueur.

[5]               La convention collective prévoyait une échelle salariale pour chaque niveau du groupe de classification GD. Une partie du salaire global peut être versée sous forme de paye en fonction de l’évaluation du rendement de l’avocat. La violation alléguée de la convention collective concerne la façon dont ces augmentations de salaire sont calculées dans le cas des avocats qui obtiennent une promotion au cours d’une année donnée.

[6]               Plus précisément, le grief de principe visait, entre autres, deux questions distinctes, une liée au choix du moment du versement de la rémunération et une liée au taux de rémunération :

                     La question liée au choix du moment du versement de la rémunération. L’Association a allégué qu’en vertu de la convention collective, la rémunération au rendement doit être payée pour tous les mois où un avocat a occupé un poste admissible à la rémunération au rendement. Donc, par exemple, si un avocat est promu d’un poste admissible à un autre en milieu d’année, l’avocat doit recevoir une rémunération au rendement pour l’année entière et non seulement pour le deuxième semestre de l’année où l’avocat a été promu à l’échelon supérieur.

                     La question liée au taux de rémunération. L’Association a allégué qu’en vertu de la convention collective, si un avocat est promu en milieu d’année, la rémunération au rendement de l’avocat doit être calculée selon le taux de rémunération le plus élevé au 31 mars de cette même année.

[7]               Devant la Cour, l’Association soutient que l’employeur a admis la question liée au choix du moment au cours de l’audition du grief. Elle s’appuie sur les paragraphes 93 et 94 des motifs d’ordonnance de l’arbitre de grief. Toutefois, devant nous, le défendeur, au nom de l’employeur, fait valoir que la question liée au choix du moment n’a pas été admise dans la mesure où l’Association l’affirme. Le défendeur s’appuie sur d’autres parties des motifs d’ordonnance de l’arbitre de grief (p. ex., les paragraphes 24 et 25) et sur un diagramme déposé en preuve devant l’arbitre de grief.

[8]               À partir de ce dossier, je ne peux pas déterminer avec certitude ce que l’employeur a admis quant à la question liée au choix du moment. Toutefois, je peux déterminer deux choses avec certitude, soit que quelque chose sur la question liée au choix du moment a été admis devant l’arbitre de grief en faveur des employés représentés par l’Association, et que cette question faisait partie du grief.

[9]               L’ordonnance de l’arbitre de grief concernant le grief se lit comme suit : « Le grief est rejeté. » Toutefois, une partie du grief a été résolue en faveur des employés. Il y a une divergence.

[10]           L’Association a remarqué cette divergence et a demandé à l’arbitre de grief de corriger son ordonnance. Comme il a été susmentionné, l’arbitre de grief a refusé, dans sa décision du 3 mars 2015, de corriger son ordonnance parce qu’il se considérait comme  functus officio , ou qu’il était dessaisi de l’affaire en tant que question de droit.

B.        Analyse

[11]           Il n’est pas nécessaire d’examiner la norme de contrôle dans ces demandes. Pour les motifs qui suivent, même si nous devions les examiner selon la norme déférente de la raisonnabilité, l’ordonnance du 4 février 2015 et la décision du 3 mars 2015 sont indéfendables et inacceptables.

[12]           L’arbitre de grief, dans son ordonnance, a prétendument rejeté « le grief ». À cette fin, « le grief » en l’espèce est ce qui était prévu dans l’acte introductif d’instance, soit le formulaire de présentation d’un grief de principe déposé par l’Association.

[13]           En rejetant le grief, l’arbitre de grief, par son ordonnance, déclare expressément que tous les aspects du grief énoncés dans le formulaire de présentation d’un grief de principe n’avaient aucun fondement. Ce n’est toutefois pas le cas. Comme il a été mentionné précédemment, quelque chose quant à la question liée au choix du moment a été admis devant l’arbitre de grief en faveur des employés représentés par l’Association. L’Association a obtenu gain de cause sur une partie du grief.

[14]           Le défendeur soutient qu’il ne s’agit là que d’une question mineure dont on peut ne pas tenir compte. Il ajoute que l’arbitre, dans son ordonnance, n’a pas besoin de rendre une décision sur chacun des aspects du grief. Quoi qu’il en soit, les motifs sont clairs.

[15]           Je ne suis pas d’accord. Le libellé de l’ordonnance est une question importante et l’Association a agi avec prudence en prenant rapidement des mesures pour y remédier.

[16]           L’article 234 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique prévoit l’exécution des ordonnances des arbitres de grief. En vertu de cet article, ce sont les modalités de l’ordonnance qui sont exécutées, et non les motifs qu’un arbitre de grief fournit à l’appui. Lorsqu’une partie veut faire exécuter une ordonnance, elle peut demander qu’une copie certifiée conforme de l’ordonnance soit déposée à la Cour fédérale. Une fois que l’ordonnance est déposée, elle est assimilée à une ordonnance de la Cour fédérale. À titre d’ordonnance de la Cour fédérale, elle peut être exécutée au moyen d’un certain nombre de mécanismes, y compris les mécanismes graves que sont l’outrage au tribunal et l’incarcération.

[17]           À mon avis, l’arbitre de grief aurait pu accueillir la demande faite par l’Association de corriger l’ordonnance : Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848. Sa décision de ne pas apporter la correction au motif que, sur le plan juridique, il n’avait pas le droit de le faire ne peut être maintenue, même selon la norme déférente de la raisonnabilité.

[18]           Dans l’arrêt Chandler, la Cour suprême a statué (aux pages 860-863) qu’un décideur administratif (y compris l’arbitre de grief en l’espèce) peut rouvrir une ordonnance si celle-ci n’exprime pas l’intention manifeste du décideur. Comme il a été mentionné précédemment, les motifs de l’arbitre de grief montrent que l’employeur a admis une partie du grief. Ayant accepté cette admission, l’arbitre de grief devait alors avoir comme intention manifeste de confirmer une partie du grief en faveur de l’Association. Mais l’ordonnance de l’arbitre de grief n’exprime pas cette intention. Elle rejette plutôt le grief dans son intégralité.

C.        Dispositif proposé

[19]           Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis d’accueillir la demande dans le dossier A‑379-15, d’annuler l’ordonnance de l’arbitre de grief du 4 février 2015, et de renvoyer l’affaire à l’arbitre dans le seul but qu’il rende une nouvelle ordonnance qui reflète avec exactitude les motifs de sa décision. Pour des raisons d’équité procédurale, j’ordonnerais à l’arbitre de recevoir les observations des parties en ce qui concerne le libellé de la nouvelle ordonnance.

[20]           Je suis d’avis d’accueillir la demande dans le dossier A-380-15 et d’annuler la décision de l’arbitre de grief du 3 mars 2015 de ne pas corriger l’ordonnance du 4 février 2015.

[21]           J’accorderais à l’Association ses dépens dans les deux demandes.

« David Stratas »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

C. Michael Ryer j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossiers :

A-379-15 ET A-380-15

DEMANDES DE CONTRÔLE JUDICIAIRE DES DÉCISIONS DATÉES DU 4 FÉVRIER 2015 ET DU 3 MARS 2015 RENDUES PAR UN ARBITRE DE GRIEF NOMMÉ EN VERTU DE LA LOI SUR LES RELATIONS DE TRAVAIL DANS LA FONCTION PUBLIQUE

INTITULÉ :

ASSOCIATION DES JURISTES DE JUSTICE c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 FÉVRIER 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RYER

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DU JUGEMENT :

LE 18 FÉVRIER 2016

 

COMPARUTIONS :

Christopher Rootham

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Christine Langill

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan O’Brien Payne, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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