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Date : 20160211


Dossier : A-252-15

Référence : 2016 CAF 50

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

MURLIDHAR GUPTA

appelant

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 10 février 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 11 février 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

 


Date : 20160211


Dossier : A-252-15

Référence : 2016 CAF 50

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

MURLIDHAR GUPTA

appelant

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LES JUGES STRATAS ET GLEASON

[1]               Monsieur Gupta interjette appel du jugement rendu le 24 avril 2015 par la Cour fédérale (le juge Brown), qui a rejeté sa demande de contrôle judiciaire : 2015 CF 535. La Cour fédérale a refusé d'annuler la décision rendue par le commissaire à l'intégrité du secteur public du Canada le 13 mars 2014.

[2]               Agissant en vertu de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles, L.C. 2005, ch. 46 (la Loi), le commissaire a décidé de ne pas faire enquête sur certaines allégations de M. Gupta selon lesquelles il avait fait l'objet de représailles et de menaces de représailles après sa divulgation d'un acte répréhensible. Le commissaire a décidé que certaines allégations de M. Gupta avaient été déposées après l'expiration du délai prescrit et, vu les faits dont il était saisi, il a exercé son pouvoir discrétionnaire de ne pas accorder une prorogation du délai. Le commissaire a également décidé que certaines allégations ne répondaient pas à la définition du terme « représailles » selon les renseignements dont il était saisi.

[3]               Lors du contrôle judiciaire, la Cour fédérale a conclu, notamment, que la décision du commissaire en l'espèce appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La décision était donc raisonnable. M. Gupta interjette appel de cette décision à notre Cour.

[4]               Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Nous sommes d'accord avec les parties. Ainsi, en l'occurrence, notre tâche consiste à déterminer si nous acceptons la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle la décision du commissaire était raisonnable : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 47.

[5]               Le paragraphe 19.1(2) de la Loi prévoit qu'une plainte « est déposée dans les soixante jours suivant la date où le plaignant a connaissance — ou, selon le commissaire, aurait dû avoir connaissance — des représailles y ayant donné lieu ». M. Gupta allègue que, bien que les représailles en question aient commencé avant cette période, elles étaient continues et, à ce titre, sa plainte à leur égard respectait le délai prescrit. À la lecture des motifs du commissaire de façon globale, en tenant compte du dossier dont il était saisi, comme nous devons le faire (voir Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708), nous convenons avec la Cour fédérale que le commissaire a implicitement examiné cet argument, et l'a fait de façon raisonnable. Le libellé du paragraphe est clair : le seul critère pour déterminer si une plainte est déposée dans le délai prescrit est celui de la connaissance ou de la connaissance imputée d'incidents précis de représailles. L'allégation selon laquelle la plus récente mesure de représailles fait partie d'une chaîne ininterrompue de représailles ne ramène pas les premiers éléments dans la limite du délai prescrit de 60 jours.

[6]               Monsieur Gupta allègue que cette interprétation priverait les fonctionnaires victimes de représailles moins évidentes de tout recours. Par exemple, il allègue qu'une victime pourrait ne pas agir en raison de l'incertitude quant à savoir s'il y a eu des mesures de représailles. Ou encore, il pourrait y avoir des représailles « systémiques », soit une situation où il y a une série de mesures qui semblent bénignes et où il ne devient évident que plus tard qu'il y a eu des mesures de représailles.

[7]               Nous n'acceptons pas que, dans une telle situation, une victime soit sans recours. Le paragraphe 19.1(2) de la Loi prévoit que la période de 60 jours peut aller du moment où une victime « aurait dû avoir connaissance » qu'elle avait fait l'objet de représailles. Une victime qui, de façon raisonnable, était confuse ou n'était pas consciente de la nature de la conduite à son endroit ou qui ne se rendait pas compte de ce qui se passait à ce moment‑là n'aurait pas dû avoir connaissance qu'il s'agissait de représailles. Pour cette personne, la période de 60 jours énoncée au paragraphe 19.1(2) de la Loi n'aurait pas commencé et ne commencerait pas avant qu'il soit raisonnable de conclure qu'elle devait se rendre compte qu'elle avait été victime d'une série de mesures de représailles.

[8]               En outre, même lorsqu'une personne se rend compte qu'elle a été victime d'une série de mesures de représailles, si ces dernières constituaient une série d'événements liés commis par les mêmes personnes et que relativement peu de temps s'était écoulé entre chaque événement, une victime peut être en mesure de présenter des arguments convaincants pour une prorogation du délai relativement aux mesures de représailles survenues plus de 60 jours avant le dépôt de la plainte : voir le paragraphe 19.1(3) de la Loi. Toutefois, ce n'est pas la situation de M. Gupta. Les actes dont il se plaint sont survenus des années avant le dernier événement, et il s'était rendu compte à l'époque que les événements pouvaient constituer des représailles.

[9]               Nous ajouterions (et l'intimé en convient) qu'à condition qu'un plaignant dépose une plainte dans le délai prescrit de 60 jours prévu au paragraphe 19.1(2) de la Loi ou pendant la période prorogée du délai autorisée par le commissaire, le plaignant peut s'appuyer sur les faits pertinents qui ont eu lieu avant la période de soixante jours pour étayer sa plainte. Dans des circonstances appropriées, ces faits peuvent établir un souhait illicite de punir le fonctionnaire pour avoir divulgué un acte répréhensible aux termes de la Loi et, ainsi, être pertinents pour déterminer le motif à l'origine des actes reprochés survenus dans le délai prescrit de 60 jours. Par contre, ce qui n'est pas permis, c'est une plainte fondée sur des mesures de représailles avant la période de soixante jours.

[10]           L'interprétation du paragraphe est dictée par son libellé précis, qui peut l'emporter lors du processus d'interprétation : Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601. De plus, le libellé est aussi conforme au contexte en tenant compte de l'économie de la Loi et de l'objectif global de la Loi, deux autres facteurs pertinents lors de l'interprétation : Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, 154 D.L.R. (4th) 193. La Loi favorise la célérité dans le processus de plainte et de règlement en vue d'un objectif général de dénoncer et de punir rapidement les actes répréhensibles afin de maintenir la confiance de la population à l'égard de l'intégrité de la fonction publique : voir Agnaou c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 29, au paragraphe 60, et, par exemple, le paragraphe 19.4(1), l'article 20.3 et les paragraphes 21(1) et 21.5(3) de la Loi. Cela avantage la population, les victimes de représailles et leurs gestionnaires, qui bénéficient tous d'un processus efficace et opportun pour traiter les plaintes de représailles. La Loi ne vise pas à favoriser des enquêtes qui abordent des allégations historiques, en l'occurrence des allégations de représailles survenues des années avant que M. Gupta se rende compte qu'elles pouvaient avoir constitué à l'époque des mesures de représailles. Les plaintes doivent plutôt être signalées et réglées dans un bref délai.

[11]           Nous convenons avec la Cour fédérale que les analogies que fait M. Gupta relativement aux dispositions sur la prescription du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L‑2, et de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6, sont peu convaincantes. Ces lois présentent des libellés différents dans des régimes légaux différents destinés à des fins différentes.

[12]           Le Code canadien du travail est conçu pour concilier les divers intérêts en jeu dans les questions de relations de travail et pour faciliter le règlement constructif de différends (Telus Communications Inc. c. Syndicat des travailleurs en télécommunications, 2005 CAF 262, 257 D.L.R. (4th) 19, au paragraphe 58). Cet objectif peut fort bien militer en faveur d'une prorogation du délai pour déposer une plainte. De plus, avant que le Conseil canadien des relations industrielles ne soit autorisé à proroger les délais pour déposer une plainte (pouvoir qu'il détient actuellement aux termes de l'alinéa 16(m.1) du Code), le Conseil (ou son prédécesseur, le Conseil canadien des relations de travail) autorisait habituellement les plaintes à l'égard d'actes survenus avant le délai pertinent dans les cas où l'obligation légale que la plainte cherchait à faire respecter était continue, comme c'était le cas dans les affaires sur la négociation de mauvaise foi et le devoir de représentation juste sur lesquelles se fonde M. Gupta.

[13]           En ce qui concerne la Loi canadienne sur les droits de la personne, le libellé de l'alinéa 41(1)e) permet expressément le dépôt d'une plainte qui met en cause des pratiques discriminatoires datant de nombreuses années à condition que la dernière mesure discriminatoire soit survenue au plus un an avant le dépôt. La disposition pertinente en l'espèce — le paragraphe 19.1(2) de la Loi, précité — a un libellé très différent.

[14]           Quant à la question de la prorogation du délai, le commissaire s'est principalement fondé sur le très long retard, dans les circonstances particulières de l'espèce, pour refuser la prorogation. Cette décision est raisonnable étant donné que l'objet de la Loi est que les représailles soient signalées et traitées rapidement. Au fil du temps, en vertu de cette loi relativement récente, le commissaire élaborera sans aucun doute des critères détaillés pour accorder une prorogation du délai conformes aux objectifs de la Loi. En l'occurrence, étant donné le très long retard et les objectifs de la Loi, ce n'était pas nécessaire.

[15]           Monsieur Gupta allègue également qu'on aurait dû lui donner l'occasion d'aborder la question du retard avant que le commissaire ne rende sa décision quant à savoir si une prorogation devait être accordée. À notre avis, étant donné le passage du temps, d'autres arguments n'auraient pas aidé le commissaire : Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada‑Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202. Quoi qu'il en soit, compte tenu des faits en l'espèce, le formulaire de plainte rempli par M. Gupta l'informait du délai de prescription ainsi que de la possibilité d'une prorogation du délai et l'invitait à fournir des renseignements à cet égard. Par conséquent, le commissaire s'est acquitté de son obligation d'équité procédurale.

[16]           De plus, nous ne constatons aucun motif justifiant la modification de la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle le commissaire a rendu une décision raisonnable en concluant que certaines allégations ne répondaient pas à la définition du terme « représailles » dans la Loi, et nous souscrivons, pour l'essentiel, aux motifs de la Cour fédérale sur ce point. Nous constatons que le commissaire a déterminé de façon raisonnable que les renseignements initiaux fournis par M. Gupta n'étaient pas suffisants et que M. Gupta a eu l'occasion, à deux reprises, de fournir de plus amples renseignements, ce qu'il n'a pas fait.

[17]           Pour les motifs qui précèdent, nous sommes d'avis de rejeter l'appel. Les parties ont convenu que les dépens devraient suivre l'issue de la cause et devraient être fixés au montant de 2 500 $, tout compris. Par conséquent, nous adjugerions à l'intimé les dépens pour ce montant.

« David Stratas »

j.c.a.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

D. G. Near j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-252-15

APPEL D'UN JUGEMENT PRONONCÉ PAR LE JUGE BROWN LE 24 AVRIL 2015, DOSSIER NO.T-1023-14

INTITULÉ :

MURLIDHAR GUPTA c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 10 FÉVRIER 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

 

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 FÉVRIER 2016

 

COMPARUTIONS :

David Yazbeck

 

Pour l'appelant

 

Catherine A. Lawrence

 

Pour l'intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

Pour l'appelant

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

Pour l'intimé

 

 

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