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Date : 20160210


Dossier : A-201-14

Référence : 2016 CAF 49

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE RYER

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

 

ENTRE :

JAAMIAH AL ULOOM AL ISLAMIYYAH ONTARIO

appelant

et

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

(AGENCE DU REVENU DU CANADA)

intimé

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 10 février 2016.

Jugement rendu à l'audience à Toronto (Ontario), le 10 février 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE RYER

 


Date : 20160210


Dossier : A-201-14

Référence : 2016 CAF 49

CORAM :

LE JUGE RYER

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

 

ENTRE :

JAAMIAH AL ULOOM AL ISLAMIYYAH ONTARIO

appelant

et

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

(AGENCE DU REVENU DU CANADA)

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l'audience à Toronto (Ontario), le 10 février 2016.)

LE JUGE RYER

[1]               Jaamiah Al Uloom Al Islamiyyah Ontario (l'« organisme de bienfaisance ») interjette appel, en vertu du paragraphe 172(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la « Loi »), de la décision du 11 mars 2014 (la « confirmation ») du ministre du Revenu national (le « ministre »), agissant par l'intermédiaire de la direction générale des appels de l'Agence du revenu du Canada (la « direction des appels »), par laquelle il confirmait la décision du 2 août 2012 (l'« avis d'intention ») du ministre, agissant par l'intermédiaire de la direction des organismes de bienfaisance de l'Agence du revenu du Canada (la « direction des organismes de bienfaisance »), d'informer l'organisme de bienfaisance que le ministre avait l'intention de révoquer son enregistrement à titre d'organisme de bienfaisance en vertu de la Loi. Sauf indication contraire, tous les renvois à des dispositions légales dans les présents motifs renvoient à la Loi.

[2]               L'avis d'intention découle d'une vérification de l'organisme de bienfaisance pour ses années d'imposition 2007 et 2008. Après avoir examiné un certain nombre d'observations présentées par l'organisme de bienfaisance, le ministre a délivré l'avis d'intention au motif que l'organisme avait fait défaut de se conformer aux exigences à respecter pour conserver son enregistrement en vertu de la Loi, notamment l'exigence de tenir des registres et des livres de comptes adéquats, qu'il avait délivré des reçus pour des dons sans se conformer à la Loi et au Règlement de l'impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945 (le « Règlement »), et qu'il avait fait défaut de produire des déclarations de renseignements selon les modalités et dans les délais prévus par la Loi et le Règlement. L'avis d'intention contenait des explications détaillées des préoccupations du ministre dans ces domaines.

[3]               L'organisme de bienfaisance a contesté l'avis d'intention et a fourni d'autres observations à la direction des appels à l'appui de son opposition. La direction des appels n'était pas convaincue et a confirmé l'avis d'intention. Dans sa confirmation, la direction des appels a conclu que l'organisme de bienfaisance :

                     avait fait défaut de produire une déclaration de renseignements selon les modalités et dans les délais prévus par la Loi et le Règlement en omettant de préparer les états de rémunération (relevés T4 et T4A) et de les délivrer aux personnes qui ont reçu des paiements à titre de salaires, de dépenses de sous-traitants ou de commissions (alinéa 168(1)c));

                     avait délivré des reçus pour dons non conformes à la Loi et à l'article 3501 du Règlement ou contenant de faux renseignements en prêtant ses privilèges de délivrer des reçus à une entité qui n'était pas une oeuvre de bienfaisance et en n'incluant pas tous les éléments requis dans les reçus pour dons (alinéa 168(1)d));

                     avait fait défaut de se conformer au paragraphe 230(2) de la Loi en raison de son omission de conserver des renseignements sous une forme qui permet au ministre de déterminer s'il existe des motifs de révocation de l'enregistrement. L'organisme de bienfaisance n'a pas été en mesure de fournir des registres et des livres de comptes adéquats faisant état de ses recettes, de ses dépenses et de son passif et il n'a pas fourni de pièces justificatives adéquates à l'appui de ses recettes, de ses dépenses, de son passif, de ses reçus pour dons, du montant des dons versés pour couvrir des frais de scolarité et des demandes de remboursement (alinéa 168(1)e)).

[4]               L'organisme de bienfaisance interjette appel de cette décision.

[5]               La norme de contrôle applicable à un appel interjeté à l'encontre d'une confirmation d'un avis d'intention conformément au paragraphe 172(3) a été énoncée par la Cour dans la décision Prescient Foundation c. Ministre du Revenu national, 2013 CAF 120, au paragraphe 12. Les questions de droit doivent être examinées selon la norme de la décision correcte, alors que les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit pour lesquelles il n'existe aucune question de droit isolable à trancher, et l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre, lorsqu'il se fonde sur les faits et sur une interprétation correcte du droit, doivent être examinés selon la norme de la décision raisonnable.

[6]               En substance, l'organisme de bienfaisance ne nie pas les manquements de sa part qui sont précisés dans la confirmation. En outre, ces manquements ont été portés à l'attention de l'organisme de bienfaisance par une lettre du 6 janvier 2011. Néanmoins, l'organisme de bienfaisance affirme maintenant ce qui suit :

a)    Il n'a jamais omis de produire la déclaration annuelle de renseignements exigée par la Loi et le Règlement, même s'il a tardé à présenter les documents requis, et il a l'intention de produire à l'avenir les déclarations dans les délais prescrits.

b)   Il lui est arrivé parfois de faire défaut de préparer et de remettre des relevés T4 et T4A à l'égard de paiements faits à certains de ses employés et sous‑traitants, mais il affirme que de tels manquements ne se reproduiront plus.

c)    Si son entente avec Fiysabiylillah pouvait être interprétée comme étant un prêt inapproprié de sa fonction de délivrance de reçus pour dons de bienfaisance, il s'agit là d'un événement isolé qui ne se reproduira pas.

d)   Les lacunes dans la préparation des reçus pour dons de bienfaisance sont maintenant bien comprises et elles ne se reproduiront plus.

e)    Les lacunes dans la tenue de ses livres de comptes et registres, notamment en ce qui concerne l'inscription de ses recettes, de ses dépenses et de son passif, ainsi que la nécessité de produire des pièces justificatives à l'appui de ces éléments, de ses reçus pour dons, du montant des dons versés pour couvrir des frais de scolarité et des demandes de remboursement, sont maintenant comprises et ne se reproduiront plus.

[7]               En conséquence, l'organisme de bienfaisance soutient que la sanction que constitue la révocation de son enregistrement est excessive et qu'elle ne tient pas compte des mesures correctives qu'il a entreprises, notamment l'embauche de comptables expérimentés et qualifiés.

[8]               Le paragraphe 180(3) oblige la Cour à entendre et à juger le présent appel selon une procédure sommaire. Conformément à cette directive, le résultat du présent appel dépendra du caractère raisonnable non seulement des conclusions du ministre quant à la non-conformité de la part de l'organisme de bienfaisance, mais aussi du fait que le ministre ait choisi la révocation à titre de sanction en raison de cette non‑conformité.

[9]               En l'espèce, l'organisme de bienfaisance accepte généralement les conclusions du ministre quant à la non‑conformité, mais il affirme que le ministre a omis d'établir le caractère raisonnable de la révocation. Il ne prétend pas que le ministre ne peut pas recourir à la révocation quand des sanctions moindres sont possibles. Il prétend plutôt que le ministre doit offrir une explication raisonnable pour sa décision de choisir cette sanction extrême.

[10]           La Couronne renvoie à la décision de la Cour dans International Pentecostal Ministry Fellowship of Toronto c. M.R.N., 2010 CAF 51, dans laquelle la Cour a conclu que le ministre pouvait choisir la révocation lorsque le dossier établit des contraventions « graves » de la part de l'organisme de bienfaisance en question. Ainsi, il s'agit de savoir si le dossier dont nous sommes saisis établit que les actes de non‑conformité que l'organisme de bienfaisance n'a en fait pas contestés peuvent être considérés comme « graves » ou « aggravés », comme l'a affirmé la Cour dans la décision The World Job and Food Bank Inc. c. La Reine, 2013 CAF 65.

[11]           Ces décisions m'amènent à conclure que la gravité de la non‑conformité doit être manifeste à la lecture du dossier sur lequel se fonde le ministre lorsqu'il décide de révoquer l'enregistrement. À cet égard, nous sommes d'accord avec la prétention de la Couronne selon laquelle la Cour ne doit pas intervenir pour infirmer la confirmation lorsque des inobservations graves ou aggravées ressortent clairement du dossier. Toutefois, il est également clair qu'une simple affirmation ministérielle d'inobservations graves ou aggravées ne sera pas suffisante.

[12]           Avant d'aborder la question de savoir si l'inobservation de la part de l'organisme de bienfaisance est grave, il convient de noter que la décision de révocation du ministre sera maintenue s'il est établi que ce seuil est atteint à l'égard de l'un ou l'autre des motifs énoncés dans la confirmation.

[13]           Les organismes de bienfaisance ont le privilège de délivrer des reçus pour dons de bienfaisance qui permettent aux contribuables de réduire leur impôt payable en vertu de la Loi sur le fondement de ces reçus. Ce privilège comporte d'importantes responsabilités.

[14]           L'une des principales responsabilités de l'organisme de bienfaisance est de tenir des livres de comptes et des registres qui permettront au ministre de vérifier l'exactitude et le caractère adéquat des déductions fiscales et des crédits d'impôt que l'organisme de bienfaisance met à la disposition de ceux qui reçoivent de lui des reçus pour dons de bienfaisance. Dans les circonstances du présent appel, l'organisme de bienfaisance a omis de fournir au ministre des livres de comptes et des registres qui auraient permis au ministre de déterminer si l'organisme de bienfaisance avait fourni l'allégement fiscal approprié à ses donateurs aux frais du fisc.

[15]           À notre avis, cette exigence de base est essentielle, puisque l'absence de livres de comptes et de registres appropriés empêche le ministre de respecter son obligation fondamentale de vérifier l'exactitude et la validité des reçus pour dons de bienfaisance que l'organisme de bienfaisance a délivrés. Ainsi, il est évident que ce non-respect de la part de l'organisme de bienfaisance est grave et qu'il justifie la conclusion du ministre selon laquelle la sanction extrême, à savoir la révocation, est justifiée.

[16]           Compte tenu de cette conclusion, et compte tenu de l'obligation prévue au paragraphe 180(3) d'entendre et de juger le présent appel selon une procédure sommaire, il n'est pas nécessaire d'examiner si l'un des autres motifs de la confirmation est lui aussi suffisamment grave pour justifier la révocation de l'enregistrement de l'organisme de bienfaisance.

[17]           Pour ces motifs, l'appel sera rejeté avec dépens.

« C. Michael Ryer »

j.c.a.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-201-14

APPEL D'UNE DÉCISION DE L'AGENCE DU REVENU DU CANADA DU 11 MARS 2014

INTITULÉ :

JAAMIAH AL ULOOM AL ISLAMIYYAH ONTARIO c. MINISTRE DU REVENU NATIONAL (AGENCE DU REVENU DU CANADA)

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 10 février 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE RYER

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

PRONONCÉS À L'AUDIENCE PAR :

LE JUGE RYER

COMPARUTIONS :

Rameshbhai S. Patel

 

Pour l'appelant

 

Joanna Hill

 

Pour l'intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rameshbhai S. Patel

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour l'appelant

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour l'intimé

 

 

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