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Date : 20160203


Dossier : A-512-15

Référence : 2016 CAF 35

Coram :          LE JUGE NADON

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RYER

ENTRE :

MAGDALENA FORNER

demanderesse

et

l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada

défendeur

Requête écrite décidée sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 3 février 2016.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE RYER

 


Date : 20160203


Dossier : A-512-15

Référence : 2016 CAF 35

Coram :          LE JUGE NADON

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RYER

ENTRE :

MAGDALENA FORNER

demanderesse

et

L’INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire. Le défendeur a présenté une requête visant à la faire radier au motif qu’elle est prématurée.

[2]               La demanderesse n’a pas répondu à la requête. Toutefois, les requêtes de ce genre ne sont pas accueillies par défaut. Il faut convaincre la Cour, sur le fondement des documents dont elle dispose et du droit applicable, que la demande devrait être radiée.

A.                Le contexte et la demande de contrôle judiciaire

[3]               La demanderesse a déposé une plainte auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique. Elle affirme que son ancien agent négociateur, le défendeur, a manqué à son obligation de la représenter de façon juste.

[4]               La Commission a répondu en demandant à la demanderesse de lui fournir plus de précisions sur sa plainte. Elle lui a demandé de remplir le formulaire « Demande de précisions ». La demanderesse a répondu en apposant la mention [traduction] « voir documents ci‑joints » à divers endroits sur le formulaire. Elle a présenté le formulaire avec une boîte de documents.

La Commission a décidé de rejeter les documents qu’elle lui avait présentés et lui a retourné la boîte de documents. Elle lui a de nouveau demandé de fournir des précisions sur sa plainte à l’aide du formulaire « Demande de précisions ».

[5]               Au lieu de se conformer à la décision de la Commission, la demanderesse a immédiatement présenté la présente demande de contrôle judiciaire visant à la faire annuler.

B.                 Les observations du défendeur sur la requête en radiation

[6]               Le défendeur soutient que nous devrions radier la demande de contrôle judiciaire au motif qu’elle est prématurée. Il se fonde sur la jurisprudence de notre Cour selon laquelle les demandes de contrôle judiciaire présentées à l’encontre des décisions interlocutoires rendues par les décideurs administratifs sont souvent radiées. Le défendeur ajoute que, même si les requêtes en radiation de demandes ne devraient que très rarement être instruites (citant l’arrêt David Bull Laboratories (Can.) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.)), la requête en radiation devrait être accueillie dans les circonstances de l’espèce.

C.                Analyse

[7]               Je souscris aux observations du défendeur et je radierais la demande de contrôle judiciaire.

[8]               À l’heure actuelle, l’arrêt de principe de notre Cour sur les requêtes en radiation de demandes de contrôle judiciaire est l’arrêt Canada (Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557.  Aux paragraphes 47 à 48, notre Cour a énoncé ainsi le critère applicable à la radiation d’une demande de contrôle judiciaire :

[47]      La Cour n’accepte de radier un avis de demande de contrôle judiciaire que s’il est « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucun [sic] chance d’être accueilli » : David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.), à la page 600. Elle doit être en présence d’une demande d’une efficacité assez radicale, un vice fondamental et manifeste qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base sa capacité à instruire la demande : Rahman c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, 2013 CAF 117, au paragraphe 7; Donaldson c. Western Grain Storage By‑Products, 2012 CAF 286, au paragraphe 6; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959.

[48]      Il existe deux justifications d’un critère aussi rigoureux. Premièrement, la compétence de la Cour fédérale pour radier un avis de demande n’est pas tirée des Règles, mais plutôt de la compétence absolue qu’ont les cours de justice pour restreindre le mauvais usage ou l’abus des procédures judiciaires : David Bull, précitée, à la page 600; Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance‑vie RBC, 2013 CAF 50. Deuxièmement, les demandes de contrôle judiciaire doivent être introduites rapidement et être instruites « à bref délai » et « selon une procédure sommaire » : Loi sur les Cours fédérales, précitée, au paragraphe 18.1(2) et à l’article 18.4. Une requête totalement injustifiée – de celles qui soulèvent des questions de fond qui doivent être avancées à l’audience – fait obstacle à cet objectif.

[9]               Dans un arrêt postérieur à l’arrêt JP Morgan, la Cour suprême a insisté sur la nécessité de procéder au règlement des litiges modernes de façon plus rapide et plus simple : Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87. Cela fait ressortir le rôle important que peuvent jouer les requêtes en radiation dans l’élimination, du système judiciaire, des affaires ne méritant manifestement pas d’être instruites. La présente affaire en est un bon exemple.

[10]           Ce critère applicable aux requêtes en radiation est rempli en l’espèce. La demanderesse conteste une décision que la Commission a prise au tout début de sa procédure administrative. Sa procédure administrative était loin d’être terminée. L’objection du défendeur selon laquelle la demande de contrôle judiciaire est prématurée est, dans les circonstances de l’espèce, « d’une efficacité assez radicale ». Dans ces circonstances, la Cour ne peut manifestement pas instruire la demande de contrôle judiciaire.

[11]           Les demandes de contrôle judiciaire présentées à l’encontre des décisions prises au début des procédures administratives ou au cours de celles‑ci ne sont généralement pas recevables.

[12]           En règle générale, les demandes de contrôle judiciaire ne peuvent être présentées qu’une fois que le décideur administratif a rendu sa décision définitive. Les décisions administratives prises au début de la procédure administrative ou au cours de celle‑ci peuvent alors faire l’objet d’une contestation en même temps que la décision définitive.

[13]           Le droit applicable en la matière et la raison d’être de celui‑ci sont les suivants :

[30]      En principe, une personne ne peut s’adresser aux tribunaux qu’après avoir épuisé toutes les voies de recours utiles qui lui sont ouvertes en vertu du processus administratif. L’importance de ce principe en droit administratif canadien est bien illustré [sic] par le grand nombre d’arrêts rendus par la Cour suprême du Canada sur ce point : [citations omises].

[31]      La doctrine et la jurisprudence en droit administratif utilisent diverses appellations pour désigner ce principe : la doctrine de l’épuisement des recours, la doctrine des autres voies de recours adéquates, la doctrine interdisant le fractionnement ou la division des procédures administratives, le principe interdisant le contrôle judiciaire interlocutoire et l’objection contre le contrôle judiciaire prématuré. Toutes ces formules expriment la même idée : à défaut de circonstances exceptionnelles, les parties ne peuvent s’adresser aux tribunaux tant que le processus administratif suit son cours. Il s’ensuit qu’à défaut de circonstances exceptionnelles, ceux qui sont insatisfaits de quelque aspect du déroulement de la procédure administrative doivent exercer tous les recours efficaces qui leur sont ouverts dans le cadre de cette procédure. Ce n’est que lorsque le processus administratif a atteint son terme ou que le processus administratif n’ouvre aucun recours efficace qu’il est possible de soumettre l’affaire aux tribunaux. En d’autres termes, à défaut de circonstances exceptionnelles, les tribunaux ne peuvent intervenir dans un processus administratif tant que celui‑ci n’a pas été mené à terme ou tant que les recours efficaces qui sont ouverts ne sont pas épuisés.

[32]      On évite ainsi le fractionnement du processus administratif et le morcellement du processus judiciaire, on élimine les coûts élevés et les délais importants entraînés par une intervention prématurée des tribunaux et on évite le gaspillage que cause un contrôle judiciaire interlocutoire alors que l’auteur de la demande de contrôle judiciaire est de toute façon susceptible d’obtenir gain de cause au terme du processus administratif […].

(Canada (Agence des services frontaliers) c. C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332, aux paragraphes 30 à 32; voir également l’arrêt Wilson c. Énergie atomique du Canada limitée, 2015 CAF 17, 467 N.R. 201, aux paragraphes 30 à 32.)

[14]           Comme l’indique l’arrêt C.B. Powell (au paragraphe 33), il existe des circonstances exceptionnelles où la Cour peut décider d’instruire une demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre d’une décision administrative prise au début d’une procédure administrative ou au cours de celle‑ci : pour une explication plus complète de ce qui constitue une circonstance exceptionnelle, voir l’arrêt Wilson, précité, au paragraphe 33.  Plusieurs de ces circonstances exceptionnelles correspondent à celles donnant ouverture à un bref de prohibition.

[15]           Selon le dossier dont nous disposons en l’espèce, l’objection fondée sur le caractère prématuré est établie et il n’existe aucune circonstance exceptionnelle justifiant l’instruction de la présente demande de contrôle judiciaire à ce moment‑ci.

[16]           Une fois que la Commission se sera définitivement prononcée sur la plainte de la demanderesse, celle‑ci pourra présenter une demande de contrôle judiciaire mettant en avant les motifs qu’elle soulève dans la présente demande, ainsi que tout autre motif pertinent et admissible.

D.                Dispositif proposé

[17]           Par conséquent, j’accueillerais la requête et je radierais la demande de contrôle judiciaire. La demanderesse n’a pas demandé de dépens et aucuns ne seront donc adjugés.

« David Stratas »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

M. Nadon, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

C. Michael Ryer, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-512-15

 

INTITULÉ :

MAGDALENA FORNER c. L’INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

REQUÊTE écrite décidée sans comparution des parties

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE RYER

DATE DES MOTIFS :

LE 3 FÉVRIER 2016

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Steven Welchner

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Welchner Law Office

Professional Corporation

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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