Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20160113


Dossier : A‑38‑15

Référence : 2016 CAF 7

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE RYER

LE JUGE WEBB

 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE ET L’AGENCE DU REVENU DU CANADA ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelants

et

LOTHAR SCHEUER, ELIZABETH ANDRUSIAK, MICHAEL ANDRUSIAK,

DONALD BELFOUR, DENISE BANGA, RON BILLINGTON, CAROLINE

BIRD, WAYNE BOYCHUK, SUSAN BUCKLE, WAYNE BUCKLE,

MICHAEL CHERWENUK, MICHAEL CHILLOG, LAURA CROTENKO,

RONALD DAVIDSON, DWAYNE DECK, LINDA DEIS, BARABRA

DICKSON, WILLIAM DICKSON, DEBORAH DOWSWELLL, ROBERT

DOWSWELL, PATRICK DUVAL, GARY FALKENSTEIN, COLIN FONG,

PATRICK GENOWAY, BARRY GERVAIS, CHERYL GIAMBATTISTA,

JORDAN GIAMBATTISTA, NICK GIAMBATTISTA, KEN HANLEY, DALE

HANLEY, DONNA HARVEY, CHERYL HELMECZI, DENNIS HELMECZI,

LAURIE HELMECZI, LINDA HELMECZI, RAND, DUANE

HILLSENDAGER, GARTH HILTS, CAROL HIPFNER, JACQUELINE

HOFFERT, RUSSELL HOLM, FREDERRICK HOWARD, FRED HUBER,

GARTH HUBER, LORI IRELAND, GORDAN JOYCE, GORDON AND

MAXINE JOYCE, TESS KOSSICK, KENNETH KRAWCZYK, FRANCES

KULLMAN, GORDAN KULLMAN, DERRICK LAMB, BRADLEY

LAMONTAGNE, BRAD LANCE, WAYNE LARSEN, LESLIE PADWICK,

NICK LOFFLER, RON LYKE, SHANE LYKE, SHERYL LYKE, JOHN

MACDONALD, BARRY MALESH, MARTIN MARCHUK, ALICE MCKIM,

MARK MELNYK, GLEN MISKOLCZ, HERBERT PADWICK, SUKHDEV

PARMAR, ROCHELLE PATENAUDE, KELLY PERKINS, JOANN PLETT,

JUSTIN PIETT, LORNE PIETT, MARGARET PIORO, BERNICE

PREDENCHUK, BILL PREDENCHUK, JASON PUGH, MICHAEL PUGH,

DENNIS READ, GWENDOLYN READ, CARLA REINHEIMER, JAMIE

REINHEIMER, LANCE REINHEIMER, ALEXANDER ROBERTSON, CLIFF

RUNGE, DELORES RUNGE, KURT SCHEMMER, JAMIE SCHNEIDER,

LARRY SCHNEIDER, MICHAEL SCHNEIDER, RONALD SCHNEIDER,

WARREN SCHULTZ, HEIDI SEVERSON, DAVID SHIPLETT, LISA

SHOTTON, MICHAEL SNIDER, JANET STANZEL, KENT STANZEL,

GREG STEWART, MAGDALINE STIEBEN, DANIEL SZMUTKO,

KATHERINE SZMUTKO, ROB TEMSLAND, ANNA TROWER, DAVID

TROWER, MARGARET TROWER, MERLIN TROWER, NORMA

TROWER, LYLE ULRICH, MARLISE VITTUR, DAVID WEBSTER,

SHEILA WEBSTER, ELEANOR WELSH, GERALD WELSH, LEONARD

WEIBE, LORETTA WEIBE, WALTER WILHELMS, GREGORY WOITAS,

CHRISTINE YOUNGHUSBAND, JAKE ZAPSHALLA ET KAREN

ZATYLNY

intimés

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 17 novembre 2015.

Jugement rend à Ottawa (Ontario), le 13 janvier 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RYER

LE JUGE WEBB

 


Date : 20160113


Dossier : A‑38‑15

Référence : 2016 CAF 7

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE RYER

LE JUGE WEBB

 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE ET L’AGENCE DU REVENU DU CANADA ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelants

et

LOTHAR SCHEUER, ELIZABETH ANDRUSIAK, MICHAEL ANDRUSIAK,

DONALD BELFOUR, DENISE BANGA, RON BILLINGTON, CAROLINE

BIRD, WAYNE BOYCHUK, SUSAN BUCKLE, WAYNE BUCKLE,

MICHAEL CHERWENUK, MICHAEL CHILLOG, LAURA CROTENKO,

RONALD DAVIDSON, DWAYNE DECK, LINDA DEIS, BARABRA

DICKSON, WILLIAM DICKSON, DEBORAH DOWSWELLL, ROBERT

DOWSWELL, PATRICK DUVAL, GARY FALKENSTEIN, COLIN FONG,

PATRICK GENOWAY, BARRY GERVAIS, CHERYL GIAMBATTISTA,

JORDAN GIAMBATTISTA, NICK GIAMBATTISTA, KEN HANLEY, DALE

HANLEY, DONNA HARVEY, CHERYL HELMECZI, DENNIS HELMECZI,

LAURIE HELMECZI, LINDA HELMECZI, RAND, DUANE

HILLSENDAGER, GARTH HILTS, CAROL HIPFNER, JACQUELINE

HOFFERT, RUSSELL HOLM, FREDERRICK HOWARD, FRED HUBER,

GARTH HUBER, LORI IRELAND, GORDAN JOYCE, GORDON AND

MAXINE JOYCE, TESS KOSSICK, KENNETH KRAWCZYK, FRANCES

KULLMAN, GORDAN KULLMAN, DERRICK LAMB, BRADLEY

LAMONTAGNE, BRAD LANCE, WAYNE LARSEN, LESLIE PADWICK,

NICK LOFFLER, RON LYKE, SHANE LYKE, SHERYL LYKE, JOHN

MACDONALD, BARRY MALESH, MARTIN MARCHUK, ALICE MCKIM,

MARK MELNYK, GLEN MISKOLCZ, HERBERT PADWICK, SUKHDEV

PARMAR, ROCHELLE PATENAUDE, KELLY PERKINS, JOANN PLETT,

JUSTIN PIETT, LORNE PIETT, MARGARET PIORO, BERNICE

PREDENCHUK, BILL PREDENCHUK, JASON PUGH, MICHAEL PUGH,

DENNIS READ, GWENDOLYN READ, CARLA REINHEIMER, JAMIE

REINHEIMER, LANCE REINHEIMER, ALEXANDER ROBERTSON, CLIFF

RUNGE, DELORES RUNGE, KURT SCHEMMER, JAMIE SCHNEIDER,

LARRY SCHNEIDER, MICHAEL SCHNEIDER, RONALD SCHNEIDER,

WARREN SCHULTZ, HEIDI SEVERSON, DAVID SHIPLETT, LISA

SHOTTON, MICHAEL SNIDER, JANET STANZEL, KENT STANZEL,

GREG STEWART, MAGDALINE STIEBEN, DANIEL SZMUTKO,

KATHERINE SZMUTKO, ROB TEMSLAND, ANNA TROWER, DAVID

TROWER, MARGARET TROWER, MERLIN TROWER, NORMA

TROWER, LYLE ULRICH, MARLISE VITTUR, DAVID WEBSTER,

SHEILA WEBSTER, ELEANOR WELSH, GERALD WELSH, LEONARD

WEIBE, LORETTA WEIBE, WALTER WILHELMS, GREGORY WOITAS,

CHRISTINE YOUNGHUSBAND, JAKE ZAPSHALLA ET KAREN

ZATYLNY

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]               La question soulevée dans le présent appel est de savoir si, au vu des faits allégués dans la déclaration modifiée des demandeurs, il est possible de soutenir que l’Agence du revenu du Canada, et par son entremise la Couronne fédérale, a une obligation de diligence de droit privé envers les demandeurs pouvant être invoquée à l’appui d’une action en négligence et en dommages‑intérêts. Pour répondre à cette question, il faut appliquer le critère à deux volets consacré pour la première fois par la Chambre des lords par l’arrêt Anns c. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728, [1977] 2 All E.R. 492, aux pages 751‑752 A.C., et appliqué par la Cour suprême du Canada dans d’autres affaires, dont Cooper c. Hobart, 2001 CSC 79, [2001] 3 R.C.S. 537, aux paragraphes 30‑31. Le critère à deux volets est parfois appelé le critère de la jurisprudence Cooper‑Anns.

I.                   Introduction

[2]               Lothar Scheuer et les autres demandeurs (les intimés dans le présent appel) sont des contribuables canadiens qui ont participé à un programme de dons utilisé comme abri fiscal commercialisé par Global Learning Group Inc. (GLGI), qui en faisait également la promotion. Pour les années d’imposition 2004, 2005 et 2006, M. Scheuer a versé respectivement 10 000 $, 60 000 $ et 10 000 $ à GLGI (paragraphe 20 de la déclaration modifiée). GLGI a en conséquence remis à M. Scheuer pour les années en question des reçus officiels de dons de bienfaisance délivrés par un ou plusieurs organismes de bienfaisance canadiens enregistrés, s’élevant à 30 047,24 $, 420 114,91 $ et 60 053,44 $ (paragraphe 20 de la déclaration modifiée). M. Scheuer a produit des déclarations personnelles de revenu pour chacune des années d’imposition visées. Par ces déclarations, il a réclamé des crédits d’impôt pour dons de bienfaisance, sur le fondement des reçus qu’il avait obtenus de GLGI, qui lui permettaient de réduire l’impôt autrement payable pour chacune des années d’imposition.

[3]               L’Agence du revenu du Canada a par la suite recalculé l’impôt dû par M. Scheuer pour les années en question et refusé les crédits pour dons de bienfaisance faits à GLGI. Pour les années d’imposition en cause, l’impôt à payer par M. Scheuer s’élevait à 17 623,27 $, 189 449,81 $ et 12 134,98 $, avec intérêts sur les impôts impayés (paragraphe 22 de la déclaration modifiée).

[4]               M. Scheuer et les autres demandeurs ont donc engagé une poursuite pour obtenir réparation du préjudice subi [traduction] « en conséquence de la négligence dont a fait preuve [l’Agence du revenu du Canada] en permettant que le programme de GLGI soit offert aux contribuables canadiens avec [son] approbation » (paragraphe 23 de la déclaration modifiée).

II.                La procédure devant la Cour fédérale

[5]               Les défendeurs (les appelants dans le présent appel) se sont adressés à la Cour fédérale pour qu’elle rende une ordonnance radiant la déclaration modifiée et rejetant l’action, aux termes des alinéas 221(1)a) et c) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. Ces règles autorisent la radiation d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif que l’acte de procédure ne révèle aucune cause d’action valable, ou au motif qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire.

[6]               Par ordonnance datée du 17 avril 2014, rendue dans le dossier T‑1352‑11, un protonotaire a rejeté la requête en radiation, sauf dans la mesure où l’acte de procédure contenait des renvois à la Charte des droits du contribuable. Les renvois en question ont été radiés sur consentement au motif que la Charte des droits du contribuable était entrée en vigueur après les faits à l’origine de l’action. Le protonotaire a aussi accordé aux demandeurs les dépens de la requête, payables immédiatement une fois ceux‑ci fixés.

[7]               La décision du protonotaire était fondée sur [traduction] « les éléments de preuve présentés à la Cour établissant que les mesures prises par [l’Agence du revenu du Canada] supposaient que les contribuables qui avaient investi dans le programme de GLGI formaient une catégorie à part et devaient être traités différemment des autres contribuables, et qu’une politique permettant de les traiter différemment soit établie ». Le protonotaire s’est aussi appuyé sur les conclusions de fait tirées à l’occasion de l’affaire Ficek c. Canada (Procureur général), 2013 CF 502, 432 F.T.R. 245, qui concernait une autre contribuable ayant investi dans le programme de GLGI.

[8]               Les défendeurs ont interjeté appel de la décision du protonotaire. Par les motifs exposés dans la décision publiée sous la référence 2015 CF 74, un juge de la Cour fédérale a rejeté l’appel, avec dépens. Le juge de la Cour fédérale a en substance réexaminé l’affaire au fond parce que le protonotaire s’est appuyé sur la jurisprudence Ficek et les conclusions de fait tirées dans celle‑ci. En tout état de cause, il a conclu que, s’il avait réexaminé intégralement au fond l’ordonnance du protonotaire, il aurait retenu la même solution.

[9]               La décision du juge de la Cour fédérale fait l’objet du présent appel.

III.             Question en litige

[10]           La question soulevée dans le présent appel est de savoir si le juge a commis une erreur en rejetant la demande en radiation de la déclaration modifiée au motif qu’elle ne révélait aucune cause d’action valable.

IV.             Le critère applicable à une requête fondée sur l’alinéa 221(1)a)

[11]           Le critère applicable à une requête en radiation d’un acte de procédure au motif qu’il ne révèle aucune cause d’action est un critère strict. La partie requérante doit établir qu’il est « évident et manifeste » que l’acte de procédure ne révèle aucune cause d’action. Autrement dit, elle doit établir que la demande ne présente aucune possibilité raisonnable d’être accueillie (R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45, au paragraphe 17).

[12]           S’agissant d’une telle requête :

  1. les faits allégués dans la déclaration doivent être tenus pour avérés, à moins qu’ils ne soient manifestement ridicules ou impossibles à prouver (Imperial Tobacco, au paragraphe 24; Eliopoulos Estate c. Ontario (Minister of Health and Long‑Term Care) (2006), 82 O.R. (3d) 321, 276 D.L.R. (4th) 411 (C.A. Ont.), au paragraphe 8);
  2. la déclaration ne doit pas être radiée du seul fait qu’elle est inédite (Imperial Tobacco, au paragraphe 21);
  3. la déclaration doit être interprétée d’une manière large, propre à favoriser le demandeur, en faisant preuve de tolérance à l’égard des carences rédactionnelles (Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, à la page 451.

V.                Le critère de la jurisprudence Cooper‑Anns

[13]           Il n’est pas controversé entre les parties que le critère servant à rechercher si une obligation de diligence joue dans un cas donné est le critère de la jurisprudence Cooper‑Anns. Toutefois, avant d’appliquer ce critère, la Cour doit rechercher si l’obligation de diligence invoquée par les demandeurs est déjà reconnue en droit (Childs c. Desormeaux, 2006 CSC 18, [2006] 1 R.C.S. 643, au paragraphe 15). Si une obligation de diligence, ou une obligation de même nature, n’est pas déjà reconnue, alors le critère de la jurisprudence Cooper‑Anns doit être appliqué.

[14]           Dans le cadre du premier volet du critère de la jurisprudence Cooper‑Anns il faut examiner la prévisibilité, le niveau de proximité et les considérations de politique générale. Deux questions se posent : d’abord, le préjudice qui a été subi était‑il la conséquence raisonnablement prévisible de l’acte du défendeur? Ensuite, existe‑t‑il des motifs pour lesquels la responsabilité délictuelle ne doit pas être engagée dans la situation considérée? L’accent est alors mis sur les facteurs découlant du lien entre le demandeur et le défendeur.

[15]           Dans le cadre du premier volet, la prévisibilité ne suffit pas. Il doit aussi exister un lien suffisamment étroit entre les parties. Cela signifie qu’il est juste et équitable, vu le lien entre les parties, d’imposer une obligation de diligence au défendeur. Pour rechercher si le lien satisfait à l’exigence de proximité, il peut être nécessaire de procéder à l’examen des attentes, des déclarations, de la confiance et des intérêts en jeu. Plus précisément, il faut examiner les facteurs qui témoignent du caractère étroit du lien entre le demandeur et le défendeur (Cooper, aux paragraphes 30 à 34). Lorsque ce qui est en cause est le défaut d’agir du défendeur, la prévisibilité à elle seule ne permet pas nécessairement d’établir l’existence d’une obligation de diligence. Là encore, en l’absence d’un acte manifeste, il faut examiner la nature de la relation pour savoir s’il existe entre les parties un lien suffisant appelant l’imposition d’une obligation de diligence (Childs, au paragraphe 31).

[16]           Dans le cadre du deuxième volet du critère de la jurisprudence Cooper‑Anns, il reste à savoir s’il existe des considérations de politique résiduelles étrangères au lien entre les parties justifiant d’écarter l’obligation de diligence (Cooper, au paragraphe 30).

[17]           Ayant défini le critère applicable en matière de requêtes en radiation, ainsi que le critère de la jurisprudence Cooper‑Anns, je passerai maintenant à l’examen des faits précis allégués à l’encontre des défendeurs.

VI.             Les faits allégués à l’encontre des défendeurs dans la déclaration modifiée

[18]           Je ferai d’abord une mise en garde évidente : ce qui nous intéresse, ce sont les allégations figurant dans la déclaration modifiée. Il est important de le noter parce que, dans leurs observations orales et écrites, les demandeurs ont fait valoir des moyens qui ne trouvaient pas appui dans l’acte de procédure tel qu’il se présentait. Les paragraphes 6 et 7 de leur mémoire des faits et du droit en sont un exemple :

[traduction]

6.         Bien que les [actes décrits dans la décision Ficek de la Cour fédérale se soient produits après les événements en cause], ils montrent ce que la communication de documents ajoutera : mauvaise foi et lenteur délibérée en dépit d’avoir acquis la certitude que le programme de GLGI était un stratagème frauduleux. La radiation avant la communication de documents est d’autant plus inadéquate quand des notes de l’ARC peuvent encore révéler des raisons condamnables de mettre les demandeurs « au pied du mur », de dissimuler les buts poursuivis par les politiques de l’ARC, de faire fi des directives applicables de l’administration centrale et, à tort et intentionnellement, de tarder à agir longtemps après avoir pris position quant au programme de GLGI, créant ainsi faussement une « excuse pour la lenteur à agir ».

7.         Si l’appel était accueilli, les faits et la mauvaise foi constatés dans la décision Ficek pourraient être allégués par modification. L’objection des appelants ne vise pas la possibilité que les faits en question puissent être allégués, mais plutôt le fait qu’ils ne l’ont pas encore été. La demande telle qu’elle est formulée a son existence propre, mais les cours de justice considèrent également la manière dont les demandes pourraient être modifiées. [Non souligné dans l’original.]

[19]           Les faits invoqués dans la déclaration modifiée, et qui, à moins d’être manifestement ridicules ou impossibles à prouver, doivent être tenus pour avérés aux fins de la requête en radiation, peuvent être résumés comme suit :

  1. les demandeurs sont des contribuables canadiens qui ont participé à un programme de dons utilisé comme abri fiscal, approuvé par l’Agence du revenu du Canada et commercialisé par GLGI (paragraphe 2);
  2. GLGI commercialisait un abri fiscal appelé arrangement de dons en fiducie, par lequel les demandeurs devenaient bénéficiaires du capital dans Global Learning Trust Services Inc. (2004) (la fiducie) (paragraphes 7 et 8);
  3. les demandeurs recevaient de la fiducie un logiciel éducatif, qu’ils pouvaient alors donner, à sa juste valeur marchande, à un organisme de bienfaisance participant, ou qu’ils pouvaient conserver pour leur usage personnel (paragraphe 8);
  4. chacun des demandeurs se voyait remettre des reçus de dons de bienfaisance par l’organisme de bienfaisance bénéficiaire de tels dons (paragraphe 8);
  5. le demandeur Lothar Scheuer a versé plusieurs sommes à GLGI au cours des années d’imposition 2004, 2005 et 2006, et il a obtenu des reçus de dons de bienfaisance (paragraphes 20 et 21);
  6. M. Scheuer a produit des déclarations personnelles de revenu pour les années 2004, 2005, 2006 et 2007, dans lesquelles il réclamait un crédit d’impôt pour dons de bienfaisance pour chaque année d’imposition, sur le fondement des reçus de dons de bienfaisance que GLGI lui avait remis (paragraphes 20 et 21);
  7. l’Agence du revenu du Canada a plus tard recalculé l’impôt de M. Scheuer après avoir refusé les crédits d’impôt déduits. Il doit maintenant s’acquitter d’une dette fiscale envers l’Agence du revenu du Canada, avec intérêts sur les arriérés d’impôt (paragraphe 22);
  8. les autres demandeurs ont également eu recours à l’abri fiscal de GLGI en versant des sommes à GLGI, et ils se sont vu refuser les crédits d’impôt pour dons de bienfaisance se rapportant à ces versements (paragraphes 25 et suivants);
  9. GLGI a obtenu de l’Agence du revenu du Canada un numéro d’inscription d’abri fiscal conformément au paragraphe 237.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (paragraphe 9);
  10. l’Agence du revenu du Canada n’a pas appliqué correctement le cadre opérationnel établi par la Loi de l’impôt sur le revenu pour protéger les contribuables des promoteurs tels que GLGI (paragraphe 146);
  11. l’Agence du revenu du Canada n’a pas évalué correctement le système que lui avait présenté GLGI en vue d’obtenir un numéro d’inscription d’abri fiscal (paragraphe 147);
  12. les déclarations de revenu des demandeurs [traduction] « contenaient des renseignements précis sur les dons effectués, associés aux numéros d’abri fiscal » attribués par l’Agence du revenu du Canada (paragraphe 150);
  13. GLGI a elle aussi produit chaque année des documents auprès de l’Agence du revenu du Canada renfermant tous les renseignements requis par la Loi de l’impôt sur le revenu à propos des personnes qui avaient investi dans l’abri fiscal (paragraphes 6 et 151);
  14. l’Agence du revenu du Canada « était au courant des problèmes que pouvaient poser les dons de bienfaisance versés à GLGI dès l’année 2000 » (paragraphe 149);
  15. l’Agence du revenu du Canada n’a pris aucune mesure pour avertir ou informer les contribuables canadiens, et en particulier les demandeurs, de ses préoccupations concernant GLGI (paragraphe 149);
  16. une cotisation a plutôt été établie pour la déclaration de revenu de chacun des contribuables ayant investi dans l’abri fiscal, de manière indépendante et distincte des déclarations des autres contribuables (paragraphe 152);
  17. l’Agence du revenu du Canada a continué de laisser GLGI offrir son programme aux contribuables canadiens, en sachant qu’aucun des crédits d’impôt ne serait honoré par elle (paragraphe 155);
  18. M. Scheuer a été informé que GLGI était enregistré comme abri fiscal aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu et que GLGI avait un numéro d’inscription d’abri fiscal (paragraphe 13);
  19. M. Scheuer a tenu compte du fait que l’Agence du revenu du Canada avait attribué un numéro d’inscription d’abri fiscal à GLGI, et c’est là l’unique raison pour laquelle il a participé au programme de GLGI (paragraphe 16);
  20. M. Scheuer a connu de graves ennuis de santé en raison du stress causé par sa situation fiscale (paragraphes 23 et 24); et
  21. les demandeurs réclament des dommages‑intérêts des défendeurs parce que l’Agence du revenu du Canada ne les a pas protégés adéquatement (paragraphes 148 à 159).

[20]           J’ai passé en revue les faits essentiels allégués et j’examinerai maintenant la question de savoir si l’obligation ou les obligations de diligence invoquées par les demandeurs sont déjà reconnues en droit.

VII.          La présente action repose‑t‑elle sur une ou plusieurs obligations de diligence déjà reconnues?

[21]           Il convient d’abord d’examiner la nature de l’obligation ou des obligations de diligence invoquées.

[22]           De manière générale, les demandeurs soutiennent qu’il existe deux obligations de diligence n’ayant pas été respectées : d’abord, l’Agence du revenu du Canada a manqué à une obligation de diligence qui aurait pris naissance quand elle a attribué à GLGI un numéro d’inscription d’abri fiscal; deuxièmement, l’Agence du revenu du Canada a manqué à une obligation de diligence que les demandeurs estiment qu’elle avait envers eux en ce qu’elle avait l’obligation de les prévenir de l’existence de problèmes potentiels et notamment des doutes qu’elle avait à propos de la validité des crédits d’impôt pour dons de bienfaisance qui résultaient des sommes versées à GLGI, et de la décision de l’Agence du revenu du Canada de ne pas reconnaître la légitimité de tels crédits.

[23]           Ce qui n’est pas expressément allégué dans la déclaration modifiée est le fait que l’Agence du revenu du Canada a manqué à l’obligation d’agir de bonne foi ou à l’obligation d’établir en temps utile l’impôt dû par les demandeurs. Il est question d’obligations de cette nature aux paragraphes 6 et 7, cités plus haut, du mémoire des faits et du droit déposé par eux. Dans le meilleur des cas, c’est d’une manière générale, et non d’une manière détaillée, que la déclaration modifiée laisse entrevoir la mauvaise foi ou la lenteur à agir de l’Agence du revenu du Canada, au sens où elle [traduction] « était au courant des problèmes que pouvaient poser les dons de bienfaisance versés à GLGI dès l’an 2000 », mais « n’a pris aucune mesure pour avertir ou informer les contribuables canadiens, et en particulier les demandeurs, de ses préoccupations au sujet du programme », tout en sachant qu’elle n’honorerait aucun des crédits d’impôt, sans oublier que l’ARC avait établi les cotisations à l’égard des déclarations des demandeurs « de façon indépendante et distincte de tous les autres Canadiens ».

[24]           Il faut maintenant rechercher si l’une quelconque des obligations de diligence alléguées, ou des obligations de même nature, sont reconnues en droit.

[25]           Le juge de la Cour fédérale a répondu sommairement à cette question au paragraphe 15 de ses motifs : « Le protonotaire a établi le cadre approprié à l’intérieur duquel il convient d’examiner l’obligation de diligence lorsque celle‑ci n’a pas encore été reconnue par la jurisprudence ». Je ne vois aucune erreur dans sa conclusion.

[26]           Dans l’arrêt Cooper, au paragraphe 36, la Cour suprême observait que, lorsqu’une affaire correspond à l’un des cas donnés en exemple, ou un cas analogue, et que la prévisibilité est raisonnablement établie, on peut conclure à l’existence d’une obligation de diligence de prime abord. Les exemples que donne la Cour suprême et qui intéressent la présente espèce sont les suivants : l’acte du défendeur cause des lésions au demandeur ou des dommages à ses biens et ces lésions ou dommages étaient prévisibles; des déclarations inexactes faites avec négligence; la faute dans l’exercice d’une charge publique; l’existence d’une obligation d’avertir d’un danger; le cas d’une municipalité ayant envers les acheteurs potentiels de maisons l’obligation d’inspecter avec diligence les ensembles résidentiels; enfin le cas où une autorité gouvernementale a l’obligation de procéder avec diligence à l’entretien de la voirie.

[27]           Les demandeurs soutiennent que la présente espèce met en cause l’une ou l’autre des situations suivantes ou s’y apparente : faute commise dans l’exercice d’une charge publique; l’obligation d’une municipalité d’inspecter avec diligence les ensembles résidentiels et de procéder avec diligence à l’entretien de la voirie; des déclarations inexactes faites par négligence; la prestation négligente d’un service; l’obligation d’avertir d’un danger; et le fait de donner [traduction] « l’impression que GLGI exerçait ses activités sous la surveillance de l’ARC ».

[28]           Selon moi, la déclaration modifiée n’invoque aucune des causes d’action ci‑dessus. Il faut donc rechercher si elle invoque une cause d’action suffisamment analogue.

[29]           J’examinerai d’abord l’allégation de manquement à une obligation de diligence lorsqu’un numéro d’inscription d’abri fiscal a été attribué, et l’allégation de manquement à une autre obligation de diligence, celle d’avertir les contribuables canadiens, y compris les demandeurs, des préoccupations que l’abri fiscal soulevait.

[30]           À mon avis, il n’existe aucune catégorie de cas reconnus sur laquelle les demandeurs peuvent s’appuyer pour dire que l’Agence du revenu du Canada et le gouvernement canadien ont une obligation de diligence envers les contribuables canadiens lorsque sont attribués des numéros d’inscription d’abri fiscal, ou l’obligation d’informer les contribuables canadiens que le recours à un abri fiscal donné peut aboutir au rejet des déductions fiscales (en l’occurrence les crédits d’impôt pour dons de bienfaisance) qui allègue‑t‑on sont accessibles grâce à cet abri fiscal. L’exécution des obligations d’origine législative ne donne généralement pas lieu, à elle seule, à des obligations de diligence de droit privé (Renvoi relatif à Broome c. Île‑du‑Prince‑Édouard, 2010 CSC 11, [2010] 1 R.C.S. 360, au paragraphe 13). Il faut alléguer davantage pour que la demande concerne l’une des catégories ci‑dessus énumérées ou une catégorie analogue : par exemple, le fait qu’une faute a été commise dans l’exercice d’une charge publique ou le fait pour l’Agence du revenu du Canada d’intervenir d’une manière incompatible avec l’exercice efficace et valide des pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi de l’impôt sur le revenu.

[31]           Les allégations de mauvaise foi ou de lenteur à agir mentionnées plus haut sont trop schématiques, et formulées de façon si générale qu’elles ne sauraient faire jouer, telles qu’elles sont formulées, une obligation reconnue de diligence, ou une obligation analogue. Il est donc nécessaire de considérer l’acte de procédure à l’aune du critère à deux volets de la jurisprudence Cooper‑Anns.

VIII.       Les faits allégués répondent‑ils au critère de la jurisprudence Cooper‑Anns?

[32]           À ce stade de l’analyse, j’ai laissé de côté les allégations de mauvaise foi ou de lenteur à intervenir. Comme signalé plus haut, l’acte de procédure sur ce point est avare de détails et trop général. Ces déficiences pourront être corrigées par modification. J’examinerai donc les deux allégations plus détaillées portant sur :

  1. le manquement à une obligation de diligence lors de l’attribution d’un numéro d’inscription d’abri fiscal; et
  2. le manquement à l’obligation de diligence consistant à informer les demandeurs des problèmes suscités par l’abri fiscal du GLGI et des problèmes y afférents.

[33]           Il importe de relever d’emblée que les demandeurs ne se fondent pas [traduction]  « exclusivement sur l’interprétation de la [Loi de l’impôt sur le revenu] pour établir l’existence d’une obligation de diligence de prime abord ». Ils se fondent plutôt sur [traduction] « une relation distincte découlant du contexte des dispositions législatives » (mémoire des faits et du droit des intimés, aux paragraphes 3 et 26). Au cours des débats, l’avocat des demandeurs a signalé que les allégations se rapportant à ce prétendu lien étroit et direct figurent aux paragraphes 148, 150, 151 et 152 de la déclaration modifiée.

[34]           Lesdits paragraphes sont brefs. Une fois dépouillés de la référence irrecevable à la Déclaration des droits du contribuable, ils se lisent ainsi :

[traduction]

148.     La nécessité pour les contribuables d’être informés aussi rapidement que possible de tout système pouvant avoir des conséquences économiques défavorables est l’une des pierres angulaires de la [Loi de l’impôt sur le revenu].

[…]

150.     L’obligation de diligence qu’a [l’Agence du revenu du Canada] envers les demandeurs a donné lieu à un lien de proximité encore plus étroit lorsque les demandeurs ont produit leurs déclarations de revenu, lesquelles contenaient des renseignements précis sur les dons effectués, associés aux numéros d’abri fiscal attribués par [l’Agence du revenu du Canada].

151.     Cette obligation s’est renforcée davantage lorsque [l’Agence du revenu du Canada] a reçu la déclaration de renseignements des promoteurs du programme de GLGI comme le requiert le paragraphe 237.1(4) de la Loi. Cette disposition oblige les promoteurs à déclarer à [l’Agence du revenu du Canada] toutes les ventes se rapportant à leur arrangement.

152.     Les demandeurs affirment que le lien de proximité entre [l’Agence du revenu du Canada] et eux‑mêmes, après que [l’Agence du revenu du Canada] a eu connaissance de leur demande initiale, était étroit et direct et qu’il était de nature individuelle. Une cotisation a été établie pour chacune des déclarations de revenu des demandeurs, séparément de celles de tous les autres contribuables. La cotisation établissait une relation directe entre [l’Agence du revenu du Canada] et chacun des demandeurs, de sorte qu’il ne serait que juste et raisonnable de conclure à l’existence d’une obligation de diligence [prima facie]. Compte tenu de tous les renseignements dont disposait [l’Agence du revenu du Canada], il est raisonnable de penser que [l’Agence du revenu du Canada] devait informer immédiatement les demandeurs que les dons qu’ils avaient faits dans le cadre du programme de GLGI suscitaient des questions.

[35]           Le juge de la Cour fédérale a procédé au réexamen au fond de l’analyse du lien de proximité, et il a conclu au paragraphe 22 de ses motifs que le régime législatif n’était pas déterminant en l’espèce et que les points énumérés au paragraphe 26 de ses motifs pouvaient suffire « à établir l’existence d’un lien de proximité découlant des rapports entre les parties ».

[36]           Il ne m’est pas nécessaire de rechercher si le juge de la Cour fédérale a fait erreur en concluant que les allégations contenues dans la déclaration modifiée étaient suffisantes en droit, dans le contexte d’une requête en radiation, pour faire naître une obligation de diligence de prime abord en raison de l’existence d’un « lien de proximité découlant des rapports entre les parties ». La raison en est que, à mon humble avis, le juge de la Cour fédérale a commis une erreur de droit en ne prêtant pas une attention suffisante aux dispositions pertinentes de la Loi de l’impôt sur le revenu. Je tire cette conclusion pour les raisons suivantes.

[37]           S’agissant de l’obligation de diligence qu’aurait l’Agence du revenu du Canada lorsqu’elle attribue un numéro d’inscription d’abri fiscal, la disposition pertinente est l’article 237.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Brièvement, cette disposition interdit à quiconque de vendre ou émettre un abri fiscal, ou d’accepter une contrepartie au titre d’un abri fiscal, à moins que le ministre du Revenu national n’ait attribué un numéro d’inscription pour l’abri fiscal (paragraphe 237.1(4)). Elle interdit aussi au contribuable de demander ou déduire un montant ou crédit au titre d’un abri fiscal à moins de présenter au ministre le formulaire prescrit contenant les renseignements demandés, y compris le numéro d’inscription attribué à l’abri fiscal (paragraphe 237.1(6)).

[38]           Tout promoteur doit demander au ministre, sur le formulaire prescrit, un numéro d’inscription d’abri fiscal (paragraphe 237.1(2)). L’attribution d’un numéro d’inscription n’est pas discrétionnaire. Sur demande faite en application du paragraphe 237.1(2), « à laquelle doit être joint un engagement, que le ministre juge acceptable, selon lequel les livres et registres concernant un abri fiscal seront gardés et tenus en un lieu, au Canada, que le ministre juge aussi acceptable, celui‑ci doit attribuer un numéro d’inscription à l’abri fiscal » [non souligné dans l’original] (paragraphe 237.1(3), selon son libellé à la date pertinente).

[39]           Conformément à l’alinéa 237.1(5)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu, tout promoteur d’un abri fiscal doit, si tout ou partie de la déclaration de renseignements est en français, indiquer clairement, « dans toute déclaration écrite, établie après 1995, où il fait mention, directement ou indirectement, expressément ou non, de l’attribution par l’Agence du revenu du Canada d’un numéro d’inscription à l’abri fiscal », ainsi que sur les copies de la partie de la déclaration de renseignements à remettre à chaque investisseur conformément au paragraphe 237.1(7.3) la mise en garde suivante :

Le numéro d’inscription attribué à cet abri fiscal doit figurer dans toute déclaration d’impôt sur le revenu produite par l’investisseur. L’attribution de ce numéro n’est qu’une formalité administrative et ne confirme aucunement le droit de l’investisseur aux avantages fiscaux découlant de cet abri fiscal. [Non souligné dans l’original.]

[40]           Pour revenir à l’application du critère de la jurisprudence Cooper‑Anns, plus précisément à la deuxième étape du premier volet du critère, la Cour doit rechercher si, malgré le lien de proximité entre les parties, il existe des raisons telles qu’une responsabilité délictuelle ne devrait pas être reconnue. Si le juge de la Cour fédérale avait pris en compte le régime législatif à ce stade de l’analyse, il aurait conclu que la responsabilité délictuelle du ministre ne peut, ou ne doit pas être engagée simplement parce qu’un numéro d’inscription d’abri fiscal a été attribué, étant donné que, en intervenant de la sorte, le ministre n’exerce aucun pouvoir discrétionnaire. Dès lors qu’il a conclu que les renseignements prescrits ont été fournis, que l’engagement de tenir les livres et registres est satisfaisant et que les livres et registres seront gardés et tenus en un lieu jugé acceptable, le ministre doit attribuer le numéro d’inscription. Aucune obligation de diligence ne peut découler de l’attribution d’un numéro d’inscription dans un tel cas.

[41]           Il reste à considérer l’obligation de diligence alléguée consistant à mettre en garde les demandeurs. Le juge de la Cour fédérale a conclu qu’il existait entre les parties un lien suffisamment étroit. À supposer, sans vouloir trancher la question, que cette conclusion soit correcte, je passe à l’analyse du deuxième volet du critère de la jurisprudence Cooper‑Anns et à la question de savoir s’il existe des considérations de politique résiduelles étrangères au lien entre les parties justifiant d’écarter l’obligation de diligence.

[42]           La jurisprudence Cooper donne des indications sur la nature des considérations de politique résiduelles pouvant justifier d’écarter une obligation de diligence. Dans cette affaire, un investisseur affirmait que le registrateur des courtiers en hypothèques de la Colombie‑Britannique devait répondre de sa négligence pour ne pas avoir surveillé la conduite d’un organisme de placement collectif qu’il avait autorisé. Dans le cadre du premier volet du critère de la jurisprudence Cooper‑Anns, la Cour suprême a conclu qu’il n’y avait pas une situation de proximité suffisante pour fonder une obligation de diligence. Elle a toutefois ensuite précisé que même si une obligation de diligence de prime abord avait été établie dans le cadre du premier volet, cette obligation aurait été écartée dans le cadre du deuxième volet pour trois « raisons de politique générale supérieures ».

[43]           L’une de ces raisons, examinée au paragraphe 55 des motifs de la Cour suprême, était l’incidence d’une telle obligation de diligence sur les contribuables. Le juge en chef et le juge Major s’étaient de concert exprimés ainsi :

Enfin, nous devons tenir compte des répercussions qu’une obligation de diligence aurait sur les contribuables, qui n’ont pas accepté d’assumer le risque de perte privée des personnes se trouvant dans la situation des investisseurs. Imposer une obligation de diligence dans ces circonstances reviendrait en fait à créer au bénéfice des investisseurs un régime d’assurance fort coûteux pour les contribuables. Rien n’indique que c’est ce que le législateur ait voulu. [Non souligné dans l’original.]

[44]           À mon avis, cette considération de politique générale vaut pour l’obligation de diligence consistant à mettre les investisseurs en garde contre un investissement dans un abri fiscal imprudent ou suspect. Selon l’avertissement écrit, les promoteurs d’abris fiscaux doivent, aux termes de l’alinéa 237.1(3)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu, indiquer clairement s’ils utilisent un numéro d’inscription d’abri fiscal, cela s’accorde avec l’intention du législateur de faire en sorte que les contribuables qui participent à un abri fiscal le fassent à leurs propres risques, et non aux risques des contribuables canadiens en général. Par ailleurs, au paragraphe 8 de la déclaration modifiée, les demandeurs reconnaissent avoir reçu des avis juridiques impartiaux, des avis d’experts‑comptables et des estimations de valeur concernant l’abri fiscal. Ceux qui ont émis de tels avis, et qui ont donc bénéficié financièrement des consultations qu’ils ont données, sont plus susceptibles d’avoir à indemniser les demandeurs s’ils se sont acquittés de leurs responsabilités professionnelles de façon négligente.

[45]           Il découle de cette analyse que je suis d’avis qu’il y a lieu de radier la déclaration modifiée au motif qu’elle ne fait pas état d’une cause d’action recevable.

[46]           Les conclusions ci‑dessus concernant l’obligation de mise en garde tiennent compte du principe selon lequel les obligations prévues par un texte législatif ne donnent pas lieu, en général, à une obligation de diligence de droit privé. Toutefois, les fonctionnaires pourraient devoir répondre de leurs actes s’ils interviennent d’une manière incompatible avec l’exercice efficace et valide de leurs obligations d’origine législative, ou encore de mauvaise foi, ou de quelque autre manière répréhensible. Comme signalé plus haut, la déclaration modifiée contient, formulées d’une manière schématique et trop générale, des allégations de mauvaise foi et de lenteur à agir. Comme une telle inconduite peut aboutir à un constat de responsabilité, les demandeurs devraient se voir accorder l’autorisation de modifier à nouveau leur acte de procédure d’une façon compatible avec les présents motifs.

IX.             Dispositif

[47]           Par ces motifs, j’accueillerais l’appel, avec dépens, et j’annulerais le jugement de la Cour fédérale. Rendant le jugement que la Cour fédérale aurait dû rendre, je radierais la déclaration modifiée, avec autorisation de la modifier à nouveau de manière compatible avec les présents motifs, et j’ordonnerais aux intimés de payer aux appelants les dépens afférents aux requêtes déposées devant la Cour fédérale, le protonotaire et le juge de la Cour fédérale.

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

C. Michael Ryer, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A‑38‑15

 

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE ET L’AGENCE DU REVENU DU CANADA ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. LOTHAR SCHEUER, ET AUTRES

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 NovembRe 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RYER

LE JUGE WEBB

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 JANVIER 2016

 

COMPARUTIONS :

Nancy Arnold

Sonia Singh

 

pour les Appelants

 

E.F. Anthony Merchant

Casey Churko

 

pour les INTIMÉS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LES Appelants

 

Merchant Law Group

Avocats

Regina (Saskatchewan)

POUR LES INTIMÉS

 

 

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