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Date : 20141120


Dossier : T-1821-14

Référence : 2014 CF 1102

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 novembre 2014

En présence de monsieur le juge Manson

Affaire intéressant le Lax Kw’alaams Band Election Regulations, DORS/2011-5

ENTRE :

ANDREW TAIT, LAWRENCE SANKEY, BARB HENRY, STAN DENNIS, VICTOR KELLY, ROBBIE HUGHES, CONSEILLERS DE LA BANDE LAX KW’ALAAMS, POUR LEUR PROPRE COMPTE ET POUR LE COMPTE DU CONSEIL DE LA BANDE LAX KW’ALAAMS ET DES MEMBRES DE LA BANDE LAX KW’ALAAMS BAND, ET GARRY REECE, MAIRE DE LA BANDE LAX KW’ALAAMS

demandeurs

et

HELEN JOHNSON, CARL SAMPSON JUNIOR, RUSSEL MATHER, TED WHITE, GERALDINE ALEXCEE, CHRIS SANKEY, CONSEILLERS DE LA BANDE LAX KW’ALAAMS, ET JOHN HELIN, ET RUDY KELLY, ALLAN HELIN père, SHARON HURDELL, SHARON HALDANE ET CHERYL TAIT AGISSANT EN TANT QUE MEMBRES DU COMITÉ D’APPEL ET D’EXAMEN DES PLAINTES

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle Garry Reece, maire élu [chef] de la bande Lax Kw’alaams, a été déclaré, le 6 août 2014 ou vers cette date, inhabile à continuer d’occuper le poste de maire (chef) [la décision] par Rudy Kelly, Allan Helin père, Sharon Hurdell, Sharon Haldane et Cheryl Tait agissant en tant que membres du Comité d’appel et d’examen des plaintes du conseil de la bande indienne des Lax Kw’alaams [le nouveau comité d’appel].

[2]               Les demandeurs sollicitent de la Cour :

a.       Des directives concernant l’interprétation des articles 21 à 24 et 120 du Lax Kw’alaams Band Election Regulations [le règlement électoral];

b.      Un jugement déclarant que la décision du nouveau comité d’appel est déraisonnable, inéquitable, contraire à la justice naturelle, arbitraire, déraisonnable, outrepasse sa compétence ou est invalide;

c.       Une ordonnance de certiorari annulant la décision;

d.      Un jugement déclarant que le renvoi des membres précédents du Comité d’appel et d’examen des plaintes [le précédent comité d’appel] par les six conseillers et défendeurs était contraire au règlement électoral et invalide;

e.       Un jugement déclarant que la nomination du nouveau comité d’appel par les six conseillers et défendeurs et notamment, la résolution du conseil de bande nommant le comité, étaient contraires au règlement électoral et invalide;

f.       Un jugement déclarant que la requête déposée auprès du nouveau comité d’appel par les six conseillers et défendeurs le 28 juillet 2014 ou vers cette date était invalide et non conforme au règlement électoral;

g.      Un jugement déclarant que la nomination de John Helin au poste de chef était invalide;

h.      Un jugement déclarant que Garry Reece demeure le chef de la bande Lax Kw’alaams.

I.                   Les faits

[3]               La bande Lax Kw’alaams [la bande] est une bande au sens de la Loi sur les Indiens, LC 1985, c I‑5.

[4]               L’élection du conseil de la bande a longtemps été régie par la Loi sur les Indiens. Le 19 novembre 2009, la bande a tenu un scrutin référendaire à l’issue duquel les membres de la bande se sont prononcés majoritairement en faveur du projet de soustraire la bande à l’application des règles électorales prévues dans la Loi sur les Indiens et d’adopter un code électoral coutumier, lequel allait devenir le Lax Kw’alaams Band Election Regulations [le Règlement]. Ce texte constitue un code complet de règles obligatoires.

[5]               Le Règlement a été enregistré sous le numéro DORS/2011-5 par suite de la prise de l’Arrêté modifiant l’Arrêté sur l’élection du conseil de bandes indiennes, le 26 janvier 2011.

[6]               Le Règlement régit, entre autres, la nomination des membres du Comité d’appel et d’examen des plaintes et la révocation des membres du conseil de bande (lequel est formé du maire et de douze conseillers).

[7]               Les membres du Comité d’appel et d’examen des plaintes sont désignés avant la tenue d’une élection (au moins 100 jours avant, selon l’article 121) et occupent leurs fonctions jusqu’à la prochaine élection. Le Règlement énonce également les conditions à remplir pour être admissible au poste de membre du Comité d’appel et d’examen des plaintes, à savoir : (1) résider dans le territoire de la réserve indienne no 1 de la bande, (2) avoir au moins dix-huit ans et (3) n’avoir aucun intérêt dans l’issue d’un appel en matière d’élection ou d’une requête en révocation d’un membre du conseil.

[8]               Le Règlement ne traite pas explicitement de la révocation des personnes nommées au Comité d’appel et d’examen des plaintes.

[9]               Le précédent comité d’appel, qui a été nommé avant l’élection de novembre 2011, était constitué de cinq personnes : l’une est décédée en cours de mandat, une deuxième a présenté sa démission pour cause de maladie et une troisième a également démissionné, mais a été remplacée. Le précédent comité d’appel se compose donc de trois membres dont le mandat n’est pas arrivé à échéance.

[10]           Les élections les plus récentes de la bande ont eu lieu le 24 novembre 2011. Gary Reece a été élu au poste de maire; douze conseillers, dont les mandats respectifs arrivent tous à échéance le 23 novembre 2015, ont aussi été élus.

[11]           Le Règlement énonce les motifs de révocation des membres du conseil et la procédure à suivre. Ces motifs figurent au paragraphe 21(1) :

[traduction]

Le maire est destitué de ses fonctions dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) il manque trois assemblées ordinaires du conseil en un an sans y être préalablement autorisé par le conseil;

b) il ne fait pas respecter les lignes directrices prévues au code de déontologie;

c) il ne se retire pas d’une situation de conflit d’intérêts;

d) il accepte ou offre un pot‑de‑vin, contrefait un document du conseil ou agit autrement de façon malhonnête dans l’exercice de ses fonctions.

[12]           L’article 22 du Règlement précise comment peut être entreprise la procédure visant la révocation d’un membre du conseil.

[13]           Les articles 23 à 26 du Règlement énoncent la procédure que doit suivre le Comité d’appel et d’examen des plaintes lorsqu’il reçoit une requête visant la révocation d’un membre du conseil. Seule une formation du Comité d’appel et d’examen des plaintes dont les membres ont été régulièrement nommés est autorisée à destituer un membre du conseil de ses fonctions en vertu du Règlement, et uniquement pour les motifs énumérés au paragraphe 21(1) du Règlement.

[14]           Le 2 juillet 2014, la mairesse suppléante et conseillère défenderesse, Helen Johnson, a eu vent d’une rumeur selon laquelle le maire Reece avait une liaison avec son adjointe, Lynn Doolan. Plus tard ce même jour, Mme Johnson a envoyé au maire Reece un courriel dans lequel elle faisait mention de la rumeur qui circulait dans la collectivité au sujet de cette liaison. Le 3 juillet 2014, le maire Reece a répondu au courriel en niant l’existence de la liaison.

[15]           Le 9 juillet 2014, Mme Johnson et Chris Sankey (autre conseil défendeur) ont reçu une plainte indiquant que le maire Reece et la femme du plaignant (l’adjointe administrative du maire, Lynn Doolan) s’échangeaient des messages textes sexuellement explicites.

[16]           Les demandeurs soutiennent qu’après avoir reçu la plainte, les conseillers défendeurs ne l’ont pas portée à l’attention du conseil et n’en ont pas non plus informé le maire.

[17]           Le 16 juillet 2014, quelques‑uns des conseillers défendeurs se sont réunis pour discuter de la plainte. Ils ont obtenu auprès de l’administration de Lax Kw’alaams des renseignements relatifs à un voyage d’affaires qui, selon eux, apportaient une preuve supplémentaire de l’existence d’une liaison entre le maire et Mme Doolan et, par ricochet, du fait que le maire Reece avait menti au sujet de cette affaire.

[18]           Les 18 et 21 juillet 2014, les conseillers défendeurs ont obtenu des avis juridiques.

[19]           Vers le 22 juillet 2014, les conseillers défendeurs ont convoqué une assemblée extraordinaire du conseil pour le 23 juillet 2014. Le maire Reece se trouvait à Vancouver dans le cadre de ses fonctions, et les conseillers demandeurs n’ont pas pu assister à la réunion (sauf Barb Henry, qui a fait savoir qu’elle s’y présenterait).

[20]           Le 22 juillet 2014, Mme Johnson a fait parvenir au maire Reece un courriel auquel elle avait joint la plainte formulée par le mari de Mme Doolan, les messages textes échangés entre le maire et Mme Doolan et les documents de voyage que les conseillers défendeurs avaient obtenus le 16 juillet.

[21]           Lors d’une réunion tenue le 23 juillet 2014, le conseil de bande a adopté une résolution [la résolution] pour présenter une requête en révocation du maire Reece. Parallèlement, ils ont désigné les membres du nouveau comité d’appel chargé d’instruire la requête.

[22]           Un peu plus tard ce 23 juillet 2014, le nouveau comité d’appel s’est réuni et a décidé d’accepter la résolution présentée par le conseil et de fixer l’audition de l’affaire au 28 juillet 2014.

[23]           Lors de l’assemblée extraordinaire du 22 juillet, ou tout de suite après, les conseillers défendeurs ont présenté une requête au nouveau comité d’appel. Ils ont également rédigé une nouvelle résolution. Les demandeurs soutiennent que ni l’une ni l’autre ne respecte les exigences du Règlement. Le nouveau comité d’appel a approuvé la résolution le jour même.

[24]           Les demandeurs affirment que le précédent comité d’appel n’était pas inactif et avait instruit quatre appels interjetés à l’encontre des décisions du conseil en 2012 et 2013. Ses membres ont reçu une formation en droit administratif et sur la procédure administrative et ont toujours agi à la lumière des avis juridiques reçus et en respectant les règles d’équité procédurale.

[25]           Le 23 juillet 2014, la conseillère défenderesse Helen Johnson a envoyé au maire Reece un courriel l’informant du fait qu’il avait été démis de ses fonctions et qu’une audition de l’affaire aurait lieu le 28 juillet 2014. Les défendeurs soutiennent que Mme Johnson a fait erreur en envoyant ce courriel, puisque M. Reece n’avait pas encore été démis de ses fonctions.

[26]           En réponse au courriel erroné de Mme Johnson, le maire Reece a envoyé un courriel au conseil dans lequel il alléguait que la réunion du 23 juillet 2014 n’avait pas été dûment convoquée. Le conseil a donc accepté de convoquer une nouvelle assemblée le 28 juillet 2014 afin d’étudier la possibilité de retirer la résolution et de recommencer le processus depuis le début en présence du maire Reece.

[27]           Le 26 juillet 2014, les conseillers défendeurs ont avisé le conseil par courriel qu’une nouvelle assemblée extraordinaire aurait lieu le 28 juillet 2014 en vue de mettre aux voix la résolution précédente et de déposer une nouvelle résolution de révocation du maire Reece.

[28]           Huit conseillers ont assisté à la réunion du 28 juillet 2014. Les six conseillers défendeurs présents ont adopté une résolution, révoqué la résolution précédente et autorisé le dépôt d’une nouvelle résolution (ou résolution subséquente) reposant sur les mêmes allégations et ayant le même objet, à savoir la révocation du maire Reece (cette résolution a été présentée au nouveau comité d’appel le 28 juillet 2014).

[29]           Le 29 juillet 2014, le nouveau comité d’appel a fait savoir aux conseillers défendeurs et au maire Reece que la deuxième résolution était conforme au règlement électoral et que l’audition aurait lieu le 1er août 2014.

[30]           Le 1er août 2014, le nouveau comité d’appel a tenu une audience, mais n’a pas autorisé le maire Reece à prendre connaissance de la deuxième résolution. Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si le maire Reece s’est fait interdire l’accès à la salle d’audience au cours de la première heure et demie de l’audience. Lorsqu’il a enfin été présent dans la salle, il n’a pas été autorisé à prendre connaissance de la preuve présentée contre lui, à l’exception d’un courriel rédigé par Lynn Doolan. Lors de cette réunion, la série de messages textes, les renseignements relatifs au voyage d’affaires, la plainte de Fred Doolan, les courriels échangés entre le maire Reece et Mme Johnson et un courriel de Lynn Doolan ont été produits en preuve devant le nouveau comité d’appel.

[31]           Le 7 août 2014, le nouveau comité d’appel a informé le maire Reece qu’il avait décidé, le 6 août, d’accueillir la requête visant sa révocation. La décision était motivée par écrit en termes concis :

[traduction] ...nous croyons, comme l’a signalé le conseil, que M. Reece a manqué aux règles de déontologie et que, parce qu’il représente la collectivité et lui sert de modèle, les actes qu’il a commis et pour lesquels il n’a guère rendu de comptes et exprimé de remords ont nuit au fonctionnement du conseil et à la réputation de la collectivité.

Par conséquent, nous statuons que la requête [...] est accueillie et nous déclarons le poste de maire du conseil vacant à partir de la date des présentes.

[32]           Quelque temps après la décision du nouveau comité d’appel, Mme Johnson et un autre conseiller ont rencontré M. John Helin, qui était arrivé au deuxième rang lors de l’élection remportée par le maire Reece, afin de lui demander d’accepter le poste de maire. Monsieur Helin a accepté.

[33]           Les conseillers demandeurs sollicitent un jugement déclarant que la décision du nouveau comité d’appel de démettre le maire Reece de ses fonctions était [traduction] « déraisonnable, inéquitable, contraire à la justice naturelle, arbitraire [...] outrepass[ait] sa compétence ou [était] invalide ». Ils sollicitent en outre un jugement déclarant que la décision des conseillers défendeurs de congédier les membres du précédent comité d’appel était contraire au règlement électoral de la bande Lax Kw’alaams et invalide, tout comme leur décision de nommer John Helin au poste de maire.

II.                Les questions en litige

[34]           La présente demande soulève les questions suivantes :

A.    Le nouveau comité d’appel a‑t‑il été régulièrement constitué et avait‑il compétence pour examiner et trancher la requête du conseil de bande?

B.     Le nouveau comité d’appel a-t-il fait preuve de partialité ou a‑t‑il manqué à son obligation d’équité?

C.     La décision du nouveau comité d’appel était‑elle erronée ou déraisonnable?

III.             La norme de contrôle

[35]           L’article 132 du Règlement électoral comporte une clause privative qui prévoit que les décisions du Comité d’appel et d’examen des plaintes sont définitives et sans appel. Par conséquent, l’espèce est régie par l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.

[36]           Les parties s’accordent pour dire que la norme de contrôle des questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 129 [Dunsmuir]; Établissement Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79).

[37]           Les demandeurs soutiennent qu’il convient également de recourir à la norme de la décision correcte pour statuer sur la question de la compétence du Comité d’appel lorsque sa formation est récente et que ses membres connaissent mal la législation applicable, étant donné qu’ils n’ont pas d’expérience. Si la norme applicable n’est pas celle de la décision correcte, la décision du Comité d’appel appelle un degré de retenue moindre (McLean c Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, aux paragraphes 21 et 22).

[38]           À cet égard, les demandeurs contestent la décision du conseil de constituer le nouveau comité d’appel et son omission de lui présenter une requête. Pour répondre à cette question, il faut déterminer quelle est l’interprétation juste du Règlement, ce code électoral coutumier mis au point par la bande et entré en vigueur par décret. Je ne conviens pas que, du fait que les membres du nouveau comité d’appel n’ont pas reçu de formation officielle, la norme de contrôle applicable à l’interprétation d’une loi constitutive devient celle de la décision correcte. Par contre, je reconnais qu’à la lumière des faits en l’espèce, une moins grande retenue s’impose dans l’application de la norme de la décision raisonnable (Orr c Première nation de Fort McKay, 2012 CAF 269, aux paragraphes 10 et 11; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 39).

[39]           Les autres questions en litige concernent des questions mixtes de fait et de droit et l’exercice du pouvoir discrétionnaire, et la norme de la décision raisonnable s’applique (Dunsmuir, précité, aux paragraphes 47 et 51).

IV.             Analyse

A.                Le nouveau comité d’appel a‑t‑il été régulièrement constitué et avait‑il compétence pour examiner et trancher la requête du conseil de bande?

[40]           Les demandeurs soutiennent que la constitution du nouveau comité d’appel était illégale, pour trois raisons :

i.        Le conseil n’avait pas le pouvoir de dissoudre le précédent comité d’appel et de constituer le nouveau comité d’appel;

ii.      L’assemblée du 23 juillet lors de laquelle il a été constitué n’avait pas été régulièrement convoquée;

iii.    Au moins trois des membres désignés ne remplissent pas les conditions de résidence permettant de siéger au nouveau comité d’appel.

[41]           Pour interpréter le Règlement afin de déterminer si le nouveau comité d’appel avait le pouvoir de destituer le maire Reece, les demandeurs me pressent de suivre la conclusion tirée par le juge Campbell au paragraphe 2 de la décision Bugle c Lameman, [1997] ACF no 560 [Bugle] :

2 D’abord, je suis d’avis que la loi électorale est le code général permettant d’élire et de destituer un chef et un membre du conseil de la première nation de Beaver Lake. Le pouvoir de destituer le chef Lameman, le cas échéant, découle donc uniquement de cette loi. À mon avis, les dispositions de la loi électorale doivent être interprétées de façon restrictive; en effet, je ne peux interpréter le sens de ces dispositions de façon libérale, car les conséquences de la destitution sont tellement graves qu’une interprétation stricte s’impose.

[42]           Puis, le juge Campbell a fait observer que comme la destitution s’accompagne d’une période d’inéligibilité si longue (six ans), il est impératif que les règles la régissant soient scrupuleusement suivies. Dans le cas qui nous occupe, la décision du nouveau comité d’appel entraînerait pour le maire Reece une suspension de cinq années et demie.

[43]           Les défendeurs affirment que la décision Bugle, précitée, ne correspond pas à l’état actuel du droit et qu’elle a été remplacée par des décisions plus récentes.

[44]           Pour déterminer l’approche qui doit régir ma décision, je prends note des décisions qui suivent.

[45]           Les commentaires formulés par le juge Rothstein (maintenant juge à la Cour suprême du Canada) aux paragraphes 46 à 48, 56 et 57 de la décision Sparvier c Bande indienne Cowessess, [1993] 3 CF 142 [Sparvier], laquelle a été citée par les avocats des deux parties, sont utiles pour déterminer l’approche à appliquer :

46 L’avocat des intimés n’a cité aucune jurisprudence ou doctrine selon laquelle les principes de justice naturelle ou d’équité procédurale ne doivent pas être appliqués dans les cas où la coutume de la bande prescrit les procédures que doivent suivre les tribunaux de bande.

47 Bien que j’accepte l’importance d’un processus autonome pour l’élection des gouvernements de bandes, j’estime que des normes minimales de justice naturelle ou d’équité procédurale doivent être respectées. Je reconnais pleinement que les tribunaux doivent éviter de s’immiscer dans le mouvement politique des peuples autochtones en vue d’acquérir plus d’autonomie. Cependant, les membres des bandes sont des individus qui, à mon sens, ont le droit à ce que les tribunaux suivent une procédure équitable dans les instances qui les concernent. Dans la mesure où cette Cour a compétence, les principes de la justice naturelle et de l’équité procédurale doivent être appliqués.

48 Pour décider quels « principes » doivent s’appliquer en l’espèce, j’ai tenu compte de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Lakeside Colony of Hutterian Brethren c. Hofer, [1992] 3 R.C.S. 165, où, à la page 195 de l’arrêt, le juge Gonthier a affirmé ce qui suit pour la majorité :

Le contenu des principes de justice naturelle est souple et dépend des circonstances dans lesquelles la question se pose. Toutefois, les exigences les plus fondamentales sont la nécessité d’un avis, la possibilité de répondre et l’impartialité du tribunal. [C’est moi qui souligne.]

56 À mon avis, le tribunal exerce des fonctions juridictionnelles. Il est chargé de trancher des appels fondés sur des infractions à la Cowessess Indian Reserve Elections Act ou sur des pratiques illégales, corrompues ou criminelles des candidats. Même si les membres du tribunal d’appel n’ont pas nécessairement de formation juridique, ils sont apparemment appelés à décider, en se fondant sur les faits et leur application de la Loi ou d’autres coutumes ou traditions de la bande ou peut-être d’autres lois, de maintenir ou non une élection ou d’ordonner une nouvelle élection. Les membres ne sont pas élus par le public. Bien que la Loi emploie l’expression « élu », les membres sont choisis par le conseil de la bande.

57 Ceci m’amène à conclure qu’en l’absence de motifs irrésistibles, il serait souhaitable, dans le cas du tribunal d’appel, d’appliquer de façon plus rigoureuse le critère de la crainte raisonnable de partialité. Je ferai d’autres commentaires plus loin sur la question des motifs contraires irrésistibles. Cependant, j’ajouterais qu’à la lumière des faits en l’espèce, une application moins stricte du critère m’amène à la même conclusion que celle à laquelle je serais arrivé si j’avais appliqué le critère de façon plus rigoureuse.

[46]           La façon dont le conseil a interprété et appliqué le Règlement doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable, c’est‑à‑dire que les décisions prises doivent être justifiées, transparentes, intelligibles et appartenir aux issues possibles acceptables.

[47]           La Cour d’appel fédérale a statué que les lois sur les élections au sein des bandes doivent être interprétées en appliquant les principes généraux d’interprétation législative et en adoptant la méthode moderne d’interprétation (Boucher c Fitzpatrick, 2012 CAF 212, au paragraphe 25). La Cour doit chercher le sens ordinaire des mots en cause; ce sens joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation lorsque le texte est précis et non équivoque (Hypothèques Trustco Canada c Canada, 2005 CSC 54, au paragraphe 10).

[48]           Par ailleurs, la décision rendue plus récemment par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Orr c Première nation de Fort McKay, 2012 CAF 269, trouve application en l’espèce. Dans cette affaire, M. Orr soutenait, premièrement, que le code électoral ne permettait pas au conseil de bande de le suspendre de son poste par simple résolution et, deuxièmement, qu’aucun motif ne justifiait de le suspendre en vertu de l’article 101.3 du code électoral en raison de l’accusation d’agression sexuelle portée contre lui. Après avoir passé en revue le code électoral de la bande, la Cour d’appel a fait les observations suivantes, aux paragraphes 19, 28, 30 et 31 :

19 L’esprit démocratique qui imprègne les dispositions du code électoral affaiblit également la portée de l’argument selon lequel le conseil pourrait tout simplement agir de son propre chef en s’appuyant sur un pouvoir inhérent. Comme nous le verrons, les dispositions pertinentes du code électoral exigent un vote démocratique des électeurs de la Première Nation avant que la suspension ou destitution ne prenne effet. Ces dispositions doivent être interprétées en tenant compte du fait qu’un conseiller occupe ses fonctions en raison du vote majoritaire des électeurs de la Première Nation. Un paragraphe du préambule du code électoral souligne que [traduction] « la culture, les valeurs et l’épanouissement de la Première Nation de Fort McKay [ainsi que] la sélection et la destitution des administrateurs reposent sur des principes démocratiques ». Les dispositions pertinentes du code électoral et ce paragraphe du préambule ont été adoptés démocratiquement : ils ne sont entrés en vigueur qu’après que la majorité des électeurs de la Première Nation a ratifié le code électoral.

28 Le code électoral pose comme intrinsèques au rôle de conseiller les notions d’honneur, d’intégrité et de comportement modèle. Plus particulièrement, certaines dispositions du code électoral établissent un lien certain entre la conduite d’un conseiller et la confiance du public envers le gouvernement. L’article 91.1.6 prévoit que le conseil doit agir conformément à sa [traduction] « responsabilité en tant que modèle de comportement et représentant de la première nation ». L’article 97.1.1 prévoit que le conseil doit [traduction] « représenter les intérêts de la première nation avec honneur et intégrité ».

30 Cela ne règle pas la question. Il faut examiner le premier argument de M. Orr, à savoir que le conseil n’avait pas le pouvoir de le suspendre de son poste en adoptant une simple résolution.

31 À mon avis, cet argument doit être retenu. Diverses parties des articles 100 à 103 du code électoral ne permettent pas au conseil de suspendre M. Orr de son poste en adoptant une simple résolution. Plusieurs dispositions du code électoral appuient cette affirmation :

* Aux termes de l’article 101.1, le [traduction] « conseiller peut être destitué ou suspendu de son poste par un vote des électeurs suivant la procédure prévue au présent code ». Les électeurs n’ont pas voté.

* L’article 103.1 décrit les exigences rattachées au vote des électeurs. Il prévoit que, sur résolution du conseil en faveur de la suspension d’un conseiller, le chef doit convoquer une assemblée extraordinaire des électeurs [traduction] « afin de procéder à un vote sur [...] la suspension d’un conseiller ».

* Les articles 101.2 et 101.2.1 prévoient que le [traduction] « processus de destitution » d’un conseiller n’est [traduction] « enclenché » que par résolution. Ce processus se termine par le vote des électeurs prévu à l’article 103.1.

* L’exigence relative au vote des électeurs ressort du préambule du code électoral, à savoir que [traduction] « la culture, les valeurs et l’épanouissement de la Première Nation de Fort McKay [ainsi que] la sélection et la destitution des administrateurs reposent sur des principes démocratiques ».

* Aux termes de l’article 100.1 du code électoral, le conseiller perd automatiquement son poste dans deux cas : s’il décède ou s’il est déclaré coupable d’une infraction criminelle, et non s’il fait l’objet d’accusations au criminel.

[49]           Comme on pourra le constater à la lecture des motifs qui suivent, les décisions rendues dans les affaires susmentionnées s’appliquent et me serviront de guide pour la rédaction des présents motifs.

[50]           Les demandeurs font valoir que le Règlement ne prévoit pas la possibilité de révoquer les membres du précédent comité d’appel et affirment que la dissolution [traduction] « à mi‑mandat » du précédent comité d’appel est contraire à l’objet du règlement électoral.

[51]           Je ne suis pas de cet avis. Le Règlement doit être interprété de manière à conférer au conseil une marge de manœuvre lui permettant de nommer un nouveau membre au sein du Comité à n’importe quel moment au cours du mandat de quatre ans, selon les circonstances. Il doit y avoir une certaine latitude dans l’interprétation du Règlement pour permettre le remplacement du membre qui ne peut siéger au Comité ou dont la révocation est justifiée par des motifs valables. En décider autrement entraverait indûment le bon fonctionnement du Comité et du conseil et serait déraisonnable.

[52]           Les demandeurs font ensuite valoir qu’en l’espèce :

i.        Rien ne justifiait de dissoudre le précédent comité d’appel; ses membres étaient disposés à siéger et en mesure de le faire.

[53]           Parmi les membres du comité, l’un était décédé et l’autre avait présenté sa démission, étant trop malade pour rester en poste. Un troisième membre, Gloria Russell, est la mère de Lynn Doolan; les deux autres membres n’ont pu être joints au moment des assemblées de juillet et n’ont pas témoigné.

[54]           De toute évidence, si on interprète les faits raisonnablement, le précédent comité d’appel éprouvait des problèmes au niveau de son fonctionnement. Malgré cela, compte tenu de la gravité de l’affaire et de ses conséquences, il incombait aux conseillers défendeurs de faire tout en leur pouvoir pour joindre au moins les deux membres restants du Comité, Norman Brooks et Terry Green, afin de les convier aux assemblées avant de prendre des mesures pour les destituer ou les remplacer. Les conseillers défendeurs n’ont rien fait de tel et ont agi déraisonnablement en destituant et en remplaçant MM. Brooks et Green. De même, il était inéquitable et déraisonnable de ne pas accorder à Gloria Russell la possibilité de réfuter l’allégation de conflit d’intérêts la visant. Même si on peut dire que les nouveaux membres ont été bien choisis puisqu’ils sont [traduction] « honnêtes, bien informés, sans lien avec le conseil et non intéressés dans l’issue de l’affaire », il n’en demeure pas moins que les conseillers défendeurs ont suivi une procédure irrégulière et injustifiée.

ii.      Les conseillers défendeurs ont sélectionné à l’avance et secrètement les membres du nouveau comité d’appel et ceux‑ci ont été nommés en vitesse lors d’une assemblée « extraordinaire » dans le seul but de révoquer le maire Reece, et ce, pour des motifs cachés;

iii.    L’assemblée du conseil tenue le 23 juillet et au cours de laquelle le nouveau comité d’appel a été constitué n’a pas été régulièrement convoquée – rien ne justifiait la tenue d’une assemblée extraordinaire et la conseillère Johnson l’a convoquée avec l’intention de tenir les conseillers demandeurs et le maire Reece à l’écart; aucun préavis de la dissolution du précédent comité d’appel n’a été donné.

[55]           J’admets que les membres du nouveau comité d’appel n’ont pas été subjectivement sélectionnés à l’avance. En revanche, il est tout aussi évident au vu de la preuve que Helen Johnson était bien décidée à ne pas laisser les conseillers demandeurs et le maire Reece prendre part aux assemblées qu’elle avait organisées les 16 et 23 juillet. Voici ce qui ressort de son contre‑interrogatoire, reproduit aux pages 372 et 373 du dossier des demandeurs :

[traduction]

Q   Je vois. Donc, la réunion que vous avez tenue le 16?

R   Oui.

Q   Vous n’en avez pas avisé les autres conseillers?

R   Non.

Q   La conférence téléphonique que vous avez eue avec l’avocat le 17, vous n’en avez pas avisé les autres conseillers?

R   Non.

Q   La réunion que vous avez tenue le 18, vous n’en avez pas avisé les autres conseillers?

R   Non.

Q   Les discussions qui ont eu lieu entre le 18 et le 22 afin de décider qui allait faire partie du comité d’appel, vous n’y avez pas fait participer les autres conseillers?

R   Non.

Q   Vous avez complètement exclu les six autres?

R   Oui.

Q   Car vous étiez déterminée à accomplir seule cette démarche, n’est-ce pas?

R   Non. Simplement, ils ne nous ont jamais donné de réponse.

Q   De réponse à quoi? Avez-vous envoyé un courriel dans lequel vous demandiez une réponse?

R   Non, je ne l’ai pas fait.

Q   Très bien. Pour ce qui est de la suspension de Wayne Drury décidée le 23, vous n’en avez pas parlé avec ces six autres conseillers?

R   Non.

Q   Bref, ils vous ont tenus à l’écart et vous étiez donc vous‑mêmes déterminée à les tenir à l’écart de cette réunion?

R   Oui.

[56]           Selon les défendeurs, puisque [traduction] « la machine à rumeurs de la réserve tournait à plein régime » et que les rapports du maire Reece avec Mme Doolan étaient source de préoccupations, l’affaire n’était plus de nature privée, mais bien d’intérêt public; néanmoins, les principes de justice naturelle commandaient d’adopter un processus transparent et de donner aux parties concernées un avis suffisant. Or, les conseillers défendeurs n’ont rien fait de tel.

iv.     La partie 6 du Règlement exige une requête en révocation et une résolution du conseil de bande; or, aucune requête n’a été présentée.

[57]           Je ne souscris pas à la thèse des demandeurs. Si une interprétation étroite et formaliste du Règlement permet de penser que la procédure de révocation doit comporter à la fois une requête et une résolution du conseil de bande, l’article 22 du Règlement précise les trois attributs nécessaires de la requête : elle doit exposer le motif pour lequel la révocation du maire est demandée, présenter la preuve au soutien de la résolution et comporter la signature de tous les membres du conseil. Il ne fait aucun doute, d’après la preuve dont je dispose, que le maire Reece était parfaitement au courant de la plainte portée contre lui, à tout le moins à partir du 28 juillet, et j’estime, à l’instar des défendeurs, que la résolution énonçait les motifs de la demande de révocation, était signée par les conseillers et constituait un avis valable et qu’elle correspondait à la requête exigée par le Règlement.

v.       La démarche n’a pas obtenu l’appui de la majorité des membres du conseil de bande, puisque seulement six des treize membres étaient présents à l’assemblée du 28 juillet.

[58]           Les demandeurs soutiennent que la bonne interprétation de l’alinéa 22b) du Règlement commande davantage que l’atteinte du quorum.

[59]           La question qui se pose est la suivante : quelle est l’interprétation qu’il convient de donner à l’expression « majorité des membres du conseil »? Le contexte dans lequel l’expression doit être examinée est celui qui a déclenché le processus appelant une décision du Comité d’appel. Je souscris aux observations formulées par les défendeurs aux paragraphes 67 à 69 et 71 à 72 de leur mémoire :

[traduction]

67.  L’expression « majorité des membres du conseil » ne figure dans aucun autre article du Règlement et n’est pas non plus définie dans la partie consacrée aux définitions. Cela dit, le Règlement est assujetti à la Loi d’interprétation, LRC 1985, c I‑21. L’article 22 de la Loi d’interprétation prévoit que si le quorum est atteint, l’acte accompli par la majorité des membres présents à une réunion vaut acte de l’organisme (le conseil, en l’occurrence) :

Majorité et quorum

22. (1) La majorité d’un groupe de plus de deux personnes peut accomplir les actes ressortissant aux pouvoirs ou obligations du groupe.

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent à tout organisme — tribunal, office, conseil, commission, bureau ou autre — d’au moins trois membres constitué par un texte :

b) tout acte accompli par la majorité des membres de l’organisme présents à une réunion, pourvu que le quorum soit atteint, vaut acte de l’organisme;

68. Les articles 9 et 12 du Règlement précisent quel est le quorum aux assemblées du conseil de bande :

Conduite des délibérations

9. Le quorum est constitué de 5 membres du conseil.

12. Une fois le quorum constaté, le président doit assumer ses fonctions et déclarer la séance ouverte.

69. Puisque le quorum est fixé à cinq membres, la majorité du quorum des membres du conseil correspond à la majorité des membres du conseil et est donc conforme à ce qu’exige le Règlement, de sorte qu’il est permis à la majorité du quorum d’adopter une résolution du conseil de bande et de présenter une requête au Comité d’appel et d’examen des plaintes en vertu de l’alinéa 22b) du Règlement.

71. Par ailleurs, dans la décision Alberta Federation of Labour c Alberta (Minister of Finance), 2009 ABQB 567, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a rappelé l’état du droit concernant le sens du mot « majorité » en ces termes :

[traduction] [40] [...] [l’ouvrage] Robert’s Rules of Order, 9e éd. (Reading, Mass.: Addison-Wesley, 1997) prévoit que lorsque le terme « majorité » est employé seul, il s’agit de la majorité absolue (p. 395) :

Le terme « majorité » signifie « plus de la moitié »; et lorsque le terme « majorité des voix » est employé seul – comme dans le cas de l’exigence de base –, il désigne la moitié plus une des voix exprimées par les personnes ayant droit de vote, à l’exclusion des bulletins vierges et des abstentions, lors d’une assemblée ordinaire ou régulièrement convoquée à laquelle le quorum est atteint.

72. Le Règlement prévoit (à l’article 13) que l’[traduction] « ordre du jour de toute réunion régulière du conseil doit être conforme à ce qui est prévu aux Robert’s Rules of Order », règles qui sont citées dans la décision Alberta Federation of Labour, précitée.

[60]           Ainsi, je suis d’avis qu’il suffisait que le quorum des membres du conseil soit atteint.

[61]           Les demandeurs ont également soulevé la question de savoir si le nouveau comité d’appel avait été régulièrement constitué étant donné que trois de ses nouveaux membres ne vivaient pas dans la réserve.

[62]           Les demandeurs soutiennent que [traduction] « le règlement électoral imposait une condition selon laquelle une majorité de membres du conseil et du Comité d’appel et d’examen des plaintes devait avoir sa résidence dans la réserve indienne no 1 ».

[63]           L’obligation selon laquelle un candidat ou une autre personne doit vivre ou non dans la réserve figure à l’alinéa 4b), lequel prévoit que les conseillers doivent être des membres de la bande Lax Kw’alaams, [traduction] « dont un maximum de trois vivant hors réserve parmi les conseillers ayant recueilli le plus de voix, les autres conseillers devant être des résidents de la réserve ».

[64]           Le Règlement énonce d’autres situations où l’obligation de résidence s’applique, par exemple :

a.       Les articles 30 et 31, de même que d’autres articles, renvoient au [traduction] « conseiller vivant dans la réserve », au « conseiller vivant hors réserve » et au « candidat vivant dans la réserve »;

b.      L’article 38 renvoie aux électeurs [traduction] « qui ne vivent pas à Lax Kw’alaams »;

c.       L’article 69 renvoie à l’électeur [traduction] « qui vit hors réserve »;

d.      L’article 76 renvoie à l’électeur qui est [traduction] « résident habituel de Lax Kw’alaams ». Le terme « résident » est défini à l’article 3.

[65]           Vu le soin qui est mis à établir une distinction entre les résidents de la réserve et les personnes vivant hors réserve dans les articles susmentionnés du Règlement, je ne puis conclure qu’il est interdit aux membres de la bande Lax Kw’alaams vivant hors réserve de siéger au Comité d’appel en l’absence de termes précis à cet égard.

B.                 Le nouveau comité d’appel a-t-il fait preuve de partialité ou a‑t‑il manqué à son obligation d’équité?

C.                 La décision du nouveau comité d’appel était‑elle erronée ou déraisonnable?

[66]           Les demandeurs soutiennent que l’avis donné par le nouveau comité d’appel au maire Reece le 7 août 2014 afin de l’informer qu’il serait destitué de ses fonctions de maire ne fait pas état des trois motifs invoqués pour justifier sa destitution, à savoir le conflit d’intérêts dans lequel il se trouvait, ses manquements aux règles de déontologie et sa malhonnêteté. Dans sa décision, le nouveau comité d’appel a déclaré ce qui suit :

[traduction] ...nous croyons, comme l’a signalé le conseil, que M. Reece a manqué aux règles de déontologie et que, parce qu’il représente la collectivité et lui sert de modèle, les actes qu’il a commis et pour lesquels il n’a guère rendu de comptes et exprimé de remords ont nuit au fonctionnement du conseil et à la réputation de la communauté.

Par conséquent, nous statuons que la requête [...] est accueillie et nous déclarons le poste de maire du conseil vacant à partir de la date des présentes.

[67]           Les demandeurs soutiennent également que le maire Reece n’a jamais reçu ces précisions et n’a pas eu la possibilité de présenter des observations à ce sujet; il lui était donc impossible de discerner le fondement de la décision au moyen de l’avis envoyé le 7 août 2014. Les demandeurs ajoutent que la destitution a durement affecté le maire Reece, un dirigeant élu au vote populaire qui en était à son septième mandat à titre de maire de la bande Lax Kw’alaams, en plus d’avoir des répercussions négatives importantes sur la conduite des affaires électorales et démocratiques de la bande Lax Kw’alaams. De plus, le maire Reece ne pourrait terminer son mandat actuel de maire (auquel il reste un an) et il lui serait interdit de se porter candidat à la prochaine élection, ce qui correspond à une période d’inéligibilité de cinq ans et demi. Ces conséquences découlent de la décision partiale, injuste, erronée et déraisonnable du nouveau comité d’appel :

i.        Le nouveau comité d’appel était dépourvu de l’indépendance institutionnelle requise, comme en témoignent l’enquête menée secrètement au sujet de la plainte visant le maire Reece, la dissolution sommaire du précédent comité d’appel et la constitution du nouveau comité d’appel, dont les membres ont été expressément sélectionnés par les conseillers défendeurs;

ii.      Les conseillers défendeurs ont sélectionné et désigné les membres du nouveau comité d’appel, puis ils les ont rencontrés afin de discuter de la requête et de la preuve qu’il leur faudrait pour obtenir gain de cause en l’absence et à l’insu du maire Reece;

iii.    Lorsqu’il a rencontré les conseillers défendeurs, le nouveau comité d’appel a consulté l’avocat auquel les conseillers défendeurs avaient fait appel pour qu’il les conseille au sujet de la procédure suivie pour destituer le maire Reece;

iv.    Les conseillers défendeurs ont entrepris toutes leurs démarches pour des motifs cachés, en vue d’enlever le pouvoir au maire Reece et à ses partisans, usant de moyens dénués de transparence, d’impartialité et d’équité procédurale.

[68]           Outre leurs allégations de partialité, les demandeurs soutiennent également qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale en raison du défaut (i) d’aviser le maire Reece, (ii) de lui accorder la possibilité d’être entendu, (iii) de communiquer les motifs de la décision rendue par le nouveau comité d’appel.

[69]           Enfin, les demandeurs affirment que la décision du nouveau comité d’appel était à la fois erronée et déraisonnable, car il n’y avait aucun motif valable de conclure à un manquement aux dispositions du code de déontologie, aucun conflit d’intérêts eu égard à une affaire dont le conseil était saisi et aucun acte malhonnête au sens de l’alinéa 21(1)d) du Règlement, lequel permet la révocation du membre du conseil qui [traduction] « accepte un pot-de-vin, contrefait un document du conseil ou agit autrement de façon malhonnête dans le cadre de ses fonctions ».

[70]           Selon les demandeurs, la liaison du maire Reece avec Mme Doolan et son manque de franchise lorsqu’il a répondu au courriel reçu de la conseillère Johnson le 2 juillet, puis lorsqu’il a été interrogé au sujet de la durée de cette liaison lors de l’assemblée du conseil du 28 juillet, ne justifient pas sa révocation pour l’un ou l’autre des motifs invoqués par le nouveau comité d’appel. L’affaire était de nature privée et ne permettait pas aux conseillers défendeurs ni au nouveau comité d’appel d’agir comme ils l’ont fait.

[71]           En réponse, les défendeurs déclarent ce qui suit :

i.        Le maire Reece a été informé par écrit du fait qu’il n’avait pas respecté les lignes directrices du code de déontologie en ne se retirant pas d’une situation de conflit d’intérêts; qu’il avait agi de façon malhonnête dans le cadre de ses fonctions de maire en ayant une relation inacceptable avec l’une des fonctionnaires les plus importantes de l’administration de la bande, en niant l’existence de cette relation et en refusant de corriger la situation lorsque celle‑ci a éclaté au grand jour et est devenue source de préoccupations pour le conseil;

ii.      Le maire Reece n’a pas été exclu de la première partie de la réunion du 1er août, mais a plutôt choisi de ne pas y assister;

iii.    Le maire Reece connaissait l’existence du courriel que lui avait envoyé Mme Johnson le 2 juillet 2014;

iv.    Non seulement le maire Reece a fait preuve d’une malhonnêteté qui relevait des dispositions du code de déontologie et constituait un motif de révocation, mais il a manifestement manqué à l’obligation qu’il avait, en vertu du code, de s’acquitter de ses fonctions [traduction] « avec intégrité, honnêteté et professionnalisme et dans le respect des droits de la personne et de la dignité humaine »;

v.      Les actes du maire Reece tombent également sous le coup de l’article 6 du code de déontologie, qui prévoit que les membres du conseil doivent [traduction] « se conduire de manière à ne pas compromettre la capacité du conseil à accomplir son mandat ». Ses actions ont entaché la réputation d’un conseil dévoué au service d’une petite collectivité.

[72]           Le nouveau comité d’appel n’a pas traité du dernier motif dans sa décision et je conviens avec les demandeurs qu’il m’est impossible d’en tenir compte puisque je n’en ai pas été régulièrement saisi.

[73]           Les parties conviennent, d’entrée de jeu, que les normes minimales de justice naturelle et d’équité procédurale doivent être respectées et que les membres des bandes ont droit à ce que les tribunaux suivent une procédure équitable dans les instances qui les concernent (Sparvier, précitée, aux paragraphes 47 et 48). Le droit à un avis, la possibilité de répondre et l’impartialité du tribunal sont des exigences essentielles de l’équité procédurale. À l’issue d’un examen attentif de la preuve dont je dispose, j’arrive aux conclusions suivantes :

i.        Le maire Reece a été convenablement informé des motifs pour lesquels on lui reprochait d’avoir agi de façon malhonnête, de se trouver en conflit d’intérêts et d’avoir contrevenu au code de déontologie. Dès le départ, il savait pertinemment que c’était en raison de sa liaison avec Mme Doolan et de la malhonnêteté dont il avait fait preuve en niant cette liaison, qui n’était plus du domaine privé puisque toute la bande était au courant, que les conseillers défendeurs avaient pris des mesures et que le nouveau comité d’appel constitué par ces derniers avait accueilli leur requête;

ii.      Il n’y avait aucune raison de contester l’intégrité ou l’impartialité des membres du nouveau comité d’appel;

iii.    En revanche, à l’inverse de ce qu’affirment les défendeurs, la façon dont ils s’y sont pris pour dissoudre le précédent comité d’appel et constituer le nouveau comité d’appel, loin d’être simplement entachée d’irrégularités procédurales, était au contraire déraisonnable et inéquitable sur le plan procédural compte tenu de la rapidité avec laquelle ils ont agi.

[74]           Il était vraisemblablement urgent de réagir à ce qui était perçu comme une relation inacceptable entre le maire Reece et Mme Doolan, d’autant plus que la bande Lax Kw’alaams compte une population relativement peu nombreuse, mais cette urgence ne pouvait servir d’excuse pour procéder à la dissolution sommaire du précédent comité d’appel ni pour convoquer une réunion du nouveau comité d’appel afin de discuter de la requête des conseillers défendeurs et de la preuve à réunir pour que cette requête soit accueillie, d’autant plus que ces mesures ont été prises en l’absence et à l’insu du maire Reece. La procédure suivie n’était pas totalement indépendante et exempte de partialité (Desnomie c Première nation de Peepeekisis, 2007 CF 436, au paragraphe 27; Kane c Université de la Colombie‑Britannique, [1980] 1 RCS 1105, aux pages 1113 et 1114).

[75]           Compte tenu des conclusions qui précèdent, je n’ai pas à me demander si la décision du nouveau comité d’appel reposait sur des motifs valables ou si elle était déraisonnable. Les motifs avancés étaient peut‑être suffisants pour justifier la révocation du maire Reece, mais la procédure qui a mené à sa révocation était fondamentalement viciée.


LA COUR STATUE que :

1.                  La dissolution du précédent comité d’appel était déraisonnable, contraire au règlement électoral et invalide;

2.                  La procédure suivie pour la constitution du nouveau comité d’appel était inéquitable et déraisonnable. Il s’ensuit que le nouveau comité d’appel n’a pas été régulièrement constitué et n’avait pas compétence pour examiner et trancher la requête du conseil de bande;

3.                  Comme la constitution du nouveau comité d’appel était invalide, la décision de révoquer Garry Reece du poste de maire est annulée et la nomination de John Helin est invalide. Garry Reece demeure maire.

4.                  La demande est par ailleurs rejetée.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-1821-14

INTITULÉ :

ANDREW TAIT ET AL C HELEN JOHNSON ET AL

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 NOVEMBRE 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

DATE DES MOTIFS :

LE 20 NOVEMBRE 2014

COMPARUTIONS :

F. MATTHEW KIRCHNER

LISA C. GLOWACKI

POUR LES DEMANDEURS

STEPHEN R. SCHACHTER

KEVIN D. LOO

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ratcliff & Company LLP

North Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LES DEMANDEURS

Nathanson, Schachter & Thompson LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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