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Date : 20141125


Dossier : T-1158-13

Référence : 2014 CF 1129

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2014

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

JEAN BELLEC

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur conteste la légalité d’une décision finale rendue le 22 mai 2013 par le Sous-ministre adjoint délégué de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (Sous-ministre adjoint ou décideur) et rejetant sa demande d’ajustement salarial rétroactif au niveau AS‑04, d’une part, parce que son grief est prescrit, et d’autre part, parce que le demandeur bénéficie de la protection salariale appropriée – au niveau PR-OFE-06.

[2]               Le demandeur attaque aujourd’hui la décision contestée en soumettant que le Sous-ministre adjoint a commis des erreurs révisables en considérant que le grief est prescrit et qu’il n’est pas fondé au mérite. C’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique en l’espèce. Même si le décideur a pu commettre une erreur révisable en rejetant le grief parce qu’il serait hors délai – un point qu’il n’est pas nécessaire de trancher aujourd’hui – il n’y a pas lieu d’intervenir en l’espèce. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la décision de rejeter le grief au mérite est raisonnable.

[3]               Aux fins de la présente de demande de contrôle judiciaire, la Cour ne peut considérer que les éléments de preuve qui étaient effectivement devant le décideur, de sorte que les informations et documents mentionnés aux paragraphes 15, 22, 25, 26, 29, 38, 70, 75 et 79 de l’affidavit du demandeur n’ont pas été considérés par la Cour.

[4]               Le demandeur est un fonctionnaire fédéral qui a été à l’emploi de l’Imprimerie nationale, laquelle est devenue en 1990 le Groupe Communication Canada [GCC]. En 1993, le GCC est devenu un employeur distinct sous la partie II de l’annexe I de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, c 22, art 2. Auparavant, les conditions de travail, incluant les salaires et les niveaux de classification salariale, se retrouvaient dans les conventions collectives conclues entre le Conseil du Trésor et les syndicats représentant les fonctionnaires à l’emploi d’un ministère.

[5]               En septembre 1993, les employés de GCC ont été avisés qu’en vertu du nouveau plan de classification des postes, tous les postes seraient convertis en postes du groupe CG, un groupe existant uniquement au GCC. De fait, le 1er octobre 1993, le poste du demandeur a été converti dans un poste de classification CG-08. Néanmoins, étant donné que le salaire du demandeur dans sa classification antérieure était plus élevé que celui prévu pour le niveau CG-08, le demandeur a pu bénéficier d’une protection salariale correspondant à son ancien niveau de classification, et ce, conformément à la Politique de maintien des salaires du GCC. Immédiatement avant le 1er octobre 1993, aux dires du demandeur, il occupait un poste de niveau GT-04; ayant précédemment occupé un poste de niveau PR-OFE-06 (1981-1991) et un poste de niveau AS-02 (1992). Or, selon le défendeur, le demandeur occupait plutôt au 1er octobre 1993 un poste de niveau PR-OFE-06.

[6]               Les prétentions du défendeur s’appuient sur la preuve au dossier. Effectivement, le demandeur recevait à l’époque de la convention un salaire annuel de 44 102 $, ce qui correspondait au salaire d’un poste de niveau PR-OFE-06. Le 1er octobre 1993, le demandeur se voyait octroyer une augmentation de salaire de 3 % conformément à la convention collective – puisqu’il était un membre de l’ancien groupe PR, ce qui a fait passer son salaire à 45 425 $. Bien que le demandeur ait pu occuper des postes de AS-02 et GT-04 (dont les salaires étaient inférieurs à l’époque à celui d’un niveau de PR-OFE-06), il n’empêche, le 1er octobre 1993, c’est la protection salariale attachée à un poste PR-OFE-06, qui lui a été accordée par l’employeur au moment de la conversion de son poste en CG-8. Aucun grief n’a été porté à l’époque pour contester cette décision de l’employeur.

[7]               En décembre 1996, le GCC a cédé ses opérations à un employeur du secteur privé. Les employés de GCC ont alors eu le choix d’accepter une offre d’emploi auprès de l’employeur privé ou d’être déclarés employés excédentaires dans la fonction publique. En février 1997, le demandeur a choisi la deuxième option. Il est donc devenu admissible à une nomination prioritaire dans la fonction publique. Mais dans quels postes?, faut-il alors se demander.

[8]               La Commission de la fonction publique [CFP] est en principe responsable de la dotation et des nominations. Cette dernière s’est fondée sur le salaire du demandeur et ses qualifications antérieures. La CFP a déterminé que son poste de CG-08 était équivalent aux groupes et niveaux PR-OFE-06, AS-04, PG-03 et GT-04. Les salaires des quatre niveaux de classification étaient comparables même s’il existait certaines variations. Du point de la continuation de la protection salariale du demandeur, l’avis de priorité de dotation du 26 janvier 1997 précise : « This employee is a salary protected PR-OFE-06 ».

[9]               Six mois après avoir été déclaré excédentaire, le demandeur n’avait toujours pas trouvé un poste d’attache permanent. Le 6 juillet 1997, le demandeur a donc été déclaré fonctionnaire excédentaire non rémunéré. Le 14 avril 1998, le ministère de la Défense nationale a offert au demandeur une nomination à durée indéterminée à un poste de niveau AS‑03 et le demandeur a accepté cette nomination. Comme il s’agissait d’un poste de niveau inférieur, sa protection salariale pour un poste du groupe PR‑OFE-06 continuait de s’appliquer.

[10]           La lettre de nomination contient les modalités suivantes :

Your appointment will be at the AS 03 group and level which has a salary range of $38,079 to $42,486 per year.  Your actual salary on appointment will be $45,425 […]

In accordance with the Workforce Adjustment Directive provisions for surplus employees who accept a lower level position, you will continue to be paid at the PR-OFE-06 group and level until you are appointed to a position or refuse an offer of a position at your substantive group and level.

Or, aucun grief n’a été présenté par le demandeur à cette époque pour contester la décision de l’employeur de continuer à lui verser un salaire correspondant à celui d’un poste de niveau PR‑OFE-06.

[11]           À partir de novembre 1999, le demandeur a accepté un détachement auprès d’Industrie Canada. Le protocole d’entente intervenu entre l’organisme d’attache (Défense nationale) et l’organisme d’accueil (Industrie Canada) indique que pendant la période de détachement, le demandeur « conservera son groupe et niveau actuel », et que « [l]’organisme d’accueil remboursera l’organisme de départ le salaire du groupe et niveau AS-04, niveau actuel de l’employé commençant le 8 novembre 1999 ». Mais dans les faits, le demandeur continuera de recevoir un salaire correspondant à celui d’un poste de niveau PR-OFE-06. Dans le grief qu’il déposera quelques années plus tard, le demandeur invoquera ce protocole et les assurances qu’il aurait eu du gestionnaire qui l’avait évalué pendant son détachement, pour réclamer un réajustement salarial rétroactif à sa mise en disponibilité correspondant à un poste de niveau AS‑04 plutôt que de niveau PR-OFE-06.

[12]           En novembre 2000, puisque le demandeur bénéficiait toujours d’une priorité de réintégration, la CFP l’a référé à un poste AS-04 au sein de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (Travaux publics), mais le demandeur a plutôt préféré accepter un autre poste de niveau inférieur qui lui était également offert. En janvier 2001, le demandeur a reçu la lettre de nomination au poste de PG-02 qui indiquait que son salaire serait protégé au taux de rémunération de son poste d’attache lorsqu’il a été déclaré excédentaire en 1997. De fait, le demandeur a effectivement continué de recevoir un salaire correspondant à celui d’un niveau PR-OFE-06. Aucun grief n’a été présenté à cette époque pour contester le montant du salaire qui lui était versé à titre de protection salariale.

[13]           En juillet 2002, le demandeur a fait une demande de transfert et dit s’être alors aperçu que le montant de salaire protégé qu’il recevait depuis 1998 ne correspondait pas à celui d’un niveau AS-04. Il a donc entrepris des démarches auprès de Travaux publics, en communiquant avec une agente des ressources humaines. Le dossier du demandeur auprès des ressources humaines a été en examen jusqu’au 28 septembre 2004; moment où le demandeur a été informé par la gestionnaire responsable que son niveau de protection salariale ne serait pas modifié rétroactivement au niveau GT-04 ou AS-04.

[14]           Le 8 octobre 2004, le demandeur a déposé un grief formel. Cependant, un autre huit ans s’écoulera avant que le grief du demandeur ne soit étudié et refusé au deuxième palier, soit le 10 octobre 2012, sur la base qu’il était hors délai et que le demandeur n’avait pas démontré que son salaire avait déjà été protégé au niveau AS-04. Le grief du demandeur a été rejeté de façon finale (troisième palier) le 22 mai 2013, d’où la présente demande de contrôle judiciaire.

[15]           Le décideur ne s’est pas arrêté à la prescription et a examiné le grief à son mérite. La décision contestée m’apparaît raisonnable en l’espèce. Le refus d’accorder une protection salariale rétroactive de niveau AS-04 est bien motivé et s’appuie sur la preuve. Les motifs du décideur sont clairs et intelligibles, et la conclusion du décideur n’apparaît pas gratuite ou arbitraire. Voici d’ailleurs comment s’exprime le décideur :

Nonobstant ce qui précède, j’ai examiné le mérite de votre grief et j’ai passé en revue toute la documentation que votre représentante et vous avez soumise. Aucun des documents présentés à l’audition ou par la suite par courriel le 26 avril 2013 n’indique que vous avez été nommé au groupe et niveau AS-04, ni que votre salaire a été protégé à ce groupe et niveau. Vous avez indiqué que vous n’avez jamais été nommé dans un poste AS-04. Je comprends que la Commission de la fonction publique (CFP) vous a déjà référé à des postes de niveaux équivalents à votre salaire à l'époque (sans que cela ne constitue une promotion) et que ce salaire correspondait à des postes comme : AS-04, PG-03 et GT-04. Par contre, le fait d’être « référé à un poste » ne veut pas dire que vous êtes nommé à ce groupe et niveau.

Je comprends également que le poste de PR-OFE-06 que vous occupiez dans la fonction publique a été transposé en un CG-8, un groupe et niveau qui existait uniquement chez l’employeur distinct qu’était devenu le Groupe Communication Canada (CCG) en 1993. Par contre, même à cette époque, lors de la transposition des postes, on avait tenu compte de votre classification antérieure (le groupe et niveau PR-OFE-06) pour vous octroyer une protection salariale au niveau PR-OFE-06 selon la Politique de maintien des salaires de CCG, car votre salaire de PR-OFE-06 était plus élevé que celui de CG-08, mais moins élevé quo celui de CG-09.

À votre retour dans la fonction publique en 1998, la CFP a utilisé votre salaire protégé ainsi que votre classification antérieure à la transposition au CG-08 pour établir les postes équivalents afin de vous trouver un nouveau poste dans la fonction publique. Leur conclusion était que vous étiez de groupe et niveau PR-OFE-06 et votre salaire était aussi équivalent à un AS-04, un PG-03, un GT-04 et, évidemment, un PR-OFE-06. Je suis d’avis que cette conclusion est correcte. Vous n’étiez donc pas de groupe et niveau AS-04, mais votre salaire était équivalent. C’est ainsi que, lorsque le MDN vous a offert un poste de AS-03, la lettre d’offre précise que votre salaire continuerait d’être au niveau PR-OFE-06.

Entre 1998 et 2001, date de votre nomination a TPSGC, vous n’avez pas été nommé dans un poste AS-04. Vous n’avez pas obtenu de lettre d’offre à cet effet.

Lorsque vous avez été nommé au poste de PG-02 dans la direction de Michel Rancourt en 2001, puisque votre salaire était supérieur à celui d’un PG-02, vous avez continué d’être payé au salaire protégé de PR-OFE-06. Michel Rancourt ne connaissait pas les détails de votre dossier de rémunération au moment de votre entrevue. Il savait seulement que la CFP lui référait un employé dont le salaire était équivalent à un AS-04. Michel Rancourt ne vous a pas nommé dans un poste AS-04. Il ne pouvait pas non plus changer votre protection salariale; celle-ci ayant été déterminée adéquatement par la CFP depuis votre réintégration dans la fonction publique en 1998.

Je suis d'avis que votre protection salariale est actuellement au groupe et niveau auxquels elle devrait être, soit au groupe et niveau PR-OFE-06. [souligné dans l’original]

[16]           Il ne s’agit pas d’un appel, mais d’un contrôle judiciaire. À mon humble avis, le rejet du grief au mérite constitue une issue acceptable compte tenu de la preuve au dossier et du raisonnement général adopté par le décideur. S’il a effectivement occupé des postes de AS-02 (1992) et de AS-03 (1998-2000), le demandeur n’a jamais occupé ou été nommé à un poste AS‑04, d’autant plus que lorsqu’il était à l’emploi de GCC et qu’au moment où il a choisi de devenir excédentaire, le salaire protégé du demandeur était celui d’un poste de PR-OFE-06 et non d’un poste de niveau AS-04. Il faut comprendre que le niveau de protection salariale est une question différente de la dotation prioritaire à la suite d’une décision déclarant un employé excédentaire. Même si aux fins de la dotation, le poste CG-08 était équivalent aux postes PR‑OFE-06, GT-04, AS-04 et PG-03, cela ne signifie pas pour autant que le demandeur bénéficiait d’une protection salariale à tous ces niveaux. D’ailleurs, la lettre de nomination d’avril 1998 au poste AS-03 au Ministère de la Défense indique clairement que le demandeur est protégé au niveau PR-OFE-06. Je suis également d’accord avec le défendeur que le protocole d’entente et les assurances soit disant données par le gestionnaire ayant postérieurement évalué le demandeur alors qu’il était en détachement à Industrie Canada, ne peuvent modifier la décision antérieure de l’employeur de protéger le salaire du demandeur à celui d’un poste de niveau PR-OFE-06. Sur la base de la preuve documentaire devant lui, il était donc raisonnable pour le décideur de conclure que le demandeur bénéficiait d’une protection salariale au niveau PR-OFE-06.

[17]           La présente demande de contrôle judiciaire doit donc échouer. Compte tenu du résultat, le défendeur a droit aux dépens.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1158-13

 

INTITULÉ :

JEAN BELLEC c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 novembre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 novembre 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Sean McGee

 

Pour le demandeur

 

Zorica Guzina

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan O'Brien Payne s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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