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Date : 20141027


Dossier : IMM-7791-13

Référence : 2014 CF 1017

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2014

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

JOSETHA PETULA HENRY

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du 12 novembre 2013 dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés [la Commission] a conclu que la demanderesse n’était ni une « réfugiée au sens de la Convention » ni « une personne à protéger » en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

[2]               La demanderesse est une citoyenne de Saint-Vincent-et-les Grenadines qui est arrivée au Canada le 24 octobre 2011. Elle a présenté une demande d’asile en invoquant la violence familiale, la traite de personnes et les menaces qu’elle a subies aux mains de son ancien conjoint de fait, M. Alston Lorraine [Lorraine]. La Commission a jugé la demanderesse crédible et a admis qu’elle avait subi de mauvais traitements dans sa relation avec Lorraine lorsqu’ils vivaient ensemble. En juillet 2009, la demanderesse est allée vivre avec sa sœur dans le même petit village et y est restée en sécurité pendant plus de deux ans jusqu’à son départ pour le Canada. Les appels de Lorraine ont cessé rapidement lorsque la demanderesse a changé son numéro de téléphone. En effet, il n’est jamais venu menacer la demanderesse à son lieu de résidence, même s’il savait où elle se trouvait et qu’il vivait à quelques minutes d’elle. Toutefois, le 6 octobre 2011, elle l’a vu dans la rue; il lui a couru après, mais elle a réussi à s’enfuir en se cachant dans un magasin; le commerçant n’a pas appelé la police. Quoi qu’il en soit, la Commission a conclu que la crainte de persécution de la demanderesse n’était pas fondée. La Commission a ensuite examiné la question de la protection de l’État. Dans son analyse, la Commission s’est penchée principalement sur les efforts de protection de l’État quant à ses citoyens, notamment le fait que certains agents de police sont spécialement formés en matière de crimes sexuels, que les agents de police suivent un programme de formation sur la violence familiale et qu’il y a un nombre croissant de femmes qui signalent ces actes répréhensibles à la police. En effet, la Commission a conclu que ces efforts produisaient des résultats favorables aux victimes de violence familiale. La Commission a également indiqué que la demanderesse pourrait présenter une demande judiciaire aux fins d’une ordonnance de protection. Compte tenu de la preuve documentaire et du manque d’efforts de la part de la demanderesse pour obtenir une protection de la police, la Commission a conclu que celle-ci n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

[3]               La demanderesse invoque trois motifs de contrôle :

1.   La Commission a commis une erreur en omettant de déterminer si la demanderesse avait des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures pour refuser de se réclamer de la protection de son pays comme le prévoit le paragraphe 108(4) de la Loi;

2.   la Commission a commis une erreur en concluant que la crainte de persécution de la demanderesse n’était pas fondée;

3.   la Commission a commis une erreur en concluant à la protection de l’État.

[4]               En premier lieu, la demanderesse soutient que la Commission l’a jugée crédible et, par conséquent, qu’elle a admis implicitement qu’elle avait été « persécutée » par Lorraine. Ainsi, elle avait dû analyser l’exception liée aux raisons impérieuses, que la demanderesse ait ou non soulevé cet argument (Yamba c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 15191, [2000] ACF no 457, par. 6 (CAF)). Le défendeur réplique qu’une simple lecture du paragraphe 108(4) de la Loi démontre qu’il ne s’agit pas d’un cas où l’exception s’applique.

[5]               En deuxième lieu, la demanderesse soutient que la conclusion de la Commission quant à l’absence d’une crainte objective est déraisonnable du fait que son témoignage complet n’a pas été pris en considération. La Commission a également commis une erreur en indiquant que Lorraine ne l’avait pas menacé lors de l’incident du 6 octobre 2011. Le défendeur réplique que la demanderesse n’a pas subi de préjudice physique dans les deux ans et plus après avoir quitté Lorraine; même lorsqu’ils se sont croisés, elle n’a subi aucun préjudice. En outre, si Lorraine avait souhaité lui faire du mal, il connaissait son lieu de résidence, mais la preuve démontre qu’il n’a pas cherché à communiquer avec elle. Le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas démontré une crainte possible, et que la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse n’avait pas bien établi le bien-fondé de sa crainte de persécution était raisonnable.

[6]               En troisième lieu, la demanderesse soutient que la conclusion de la Commission selon laquelle la protection de l’État est adéquate est déraisonnable. La demanderesse souligne que la Commission a conclu à son sujet qu’elle avait tenté d’obtenir la protection de l’État seulement une fois, mais que la Commission aurait dû également examiner l’incident au cours duquel sa fille a appelé la police, et celui au cours duquel Lorraine a menacé de mettre le feu à la maison de son frère si elle ne rentrait pas à la maison avec lui. La demanderesse s’interroge également sur l’efficacité de la présentation d’une demande visant une ordonnance de protection auprès des tribunaux de son pays sachant que les services de police pourraient ne pas répondre en cas d’appel à l’aide (voir Alexander c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1305, par. 12 et 13; Trimmingham c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1059). Le défendeur soutient que la demanderesse n’a jamais vraiment donné l’occasion aux services de police de la protéger puisqu’elle n’a jamais signalé l’incident de viol et que, lorsqu’elle a appelé la police du fait que Lorraine s’était présenté à la maison de son frère, les agents n’ont pas pu venir, non pas parce qu’ils ne voulaient pas intervenir, mais parce qu’ils n’avaient pas de moyens de transport. De plus, la demanderesse ne s’est pas rendue au poste de police le lendemain pour signaler les menaces. En outre, le défendeur soutient qu’au contraire la preuve documentaire démontre que la formation des agents de police s’est nettement améliorée, et que ceux-ci sont mieux préparés à intervenir dans les cas de violence familiale. Le défendeur soutient également que, lorsque la fille de la demanderesse a appelé la police, les agents de police se sont rendus sur les lieux, mais qu’aucune autre mesure n’a été prise en raison de l’inaction de la demanderesse à cet égard.

[7]               Les deuxième et troisième motifs de contestation soulèvent des questions de fait ainsi que des questions mixtes de fait et de droit, et la norme de la décision raisonnable s’applique (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9). Même si l’on peut se demander si le premier motif devrait être évalué selon la norme de la décision correcte (Kumarasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 290, par. 6 et 11)  ou selon celle de la décision raisonnable (Jairo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 622, par. 18 [Jairo]), le choix de la norme de contrôle n’est pas déterminant, étant donné qu’à mon avis aucune erreur susceptible de contrôle n’a été commise par la Commission, peu importe la norme qui s’applique aux raisons impérieuses, question qui n’a jamais été soulevée auprès de la Commission.

[8]               La présente demande doit être rejetée.

[9]               Il n’y avait pas lieu pour la Commission de procéder à une analyse des raisons impérieuses. L’alinéa 108(1)e) et le paragraphe 108(4) de la Loi sont ainsi libellés :

108. (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

 

108. (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

 

[…]

[…]

 

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

 

(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.

 

[…]

[…]

 

(4) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré.

(4) Paragraph (1)(e) does not apply to a person who establishes that there are compelling reasons arising out of previous persecution, torture, treatment or punishment for refusing to avail themselves of the protection of the country which they left, or outside of which they remained, due to such previous persecution, torture, treatment or punishment.

[10]           Premièrement, il fallait satisfaire à deux conditions : 1) la demanderesse devait établir qu’à un moment donné elle a satisfait à la définition de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger, et 2) que les motifs de la demande ont cessé d’exister en raison d’un changement de situation dans le pays (Jairo, précité au par. 26). La demanderesse a peut-être été persécutée avant de quitter la maison de Lorraine en 2009, mais pour être qualifiée de « réfugié au sens de la Convention » ou « de personne à protéger », il aurait fallu qu’elle quitte son pays et cherche à obtenir une protection internationale de substitution. Elle aurait pu cesser d’être une « réfugiée au sens de la Convention » ou une « personne à protéger » après son départ de Saint-Vincent, soit après octobre 2011 (Musialek c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 403, par. 24 et 27; John c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 1088, par. 41). Comme l’a indiqué le juge de Montigny dans l’arrêt Jairo précité, au paragraphe 30 : « [Le paragraphe 108(4) de la Loi] est censé s’appliquer aux cas où le demandeur a fui un pays au moment où l’agent de persécution était au pouvoir, et, lorsque le demandeur a demandé l’asile, cet agent n’était plus au pouvoir. » En l’espèce, les conditions n’ont pas changé entre le moment où la demanderesse a fui et celui où la demande d’asile a été présentée. Par conséquent, la Commission n’a pas commis une erreur en ne prenant pas en considération l’application du paragraphe 108(4) de la Loi.

[11]           Deuxièmement, même s’il est bien établi qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait harcèlement ou préjudice physique pour que la crainte de persécution de la demanderesse soit fondée, en particulier lorsque des menaces contre la vie d’une personne sont proférées (Amayo c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1981] ACF no 136, [1982] 1 CF 520 (CAF); Ngwenya c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 156, par. 25), il était raisonnable que la Commission conclue en l’espèce que la demanderesse n’avait pas une crainte objective de persécution pour les divers motifs indiqués dans la décision contestée. Ces motifs sont transparents et intelligibles. Le raisonnement de la Commission est rationnel et est fondé en droit, et précise que la crainte doit être évaluée de manière prospective. En l’espèce, la conclusion d’une absence de crainte objective de violence familiale ou de maltraitance dans le futur n’est pas hypothétique et repose sur les éléments de preuve versés au dossier. Après tout, il n’y a eu aucune menace ou aucun incident de persécution pendant plus de deux ans après que la demanderesse eut quitté la maison de son conjoint violent qui la maltraitait. En ce qui concerne l’incident d’octobre 2011, la demanderesse n’a pu confirmer si Lorraine avait proféré des menaces et, dans tous les cas, il était raisonnable que la Commission juge que la demanderesse n’avait pas déployé suffisamment d’efforts pour chercher à obtenir la protection des autorités policières. Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’aborder les autres arguments avancés par les parties.

[12]           Les avocats conviennent que cette affaire ne soulève pas de question de droit de portée générale.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B, B.A. trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7791-13

 

INTITULÉ :

JOSETHA PETULA HENRY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 OCTOBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 OCTOBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Nilufar Sadeghi

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Zoé Richard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Allen & Associates

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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