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Date : 20141202


Dossier : IMM-2229-13

Référence : 2014 CF 1159

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 2 décembre 2014

En présence de monsieur le juge O’Keefe

ENTRE :

SEBASTIAN MAGHANOY NOTARIO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a rejeté la demande d’asile présentée par le demandeur au motif qu’il était visé par l’exclusion prévue à l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision en application du paragraphe 72(1) de la LIPR. Il sollicite une ordonnance annulant la décision de la Commission et renvoyant l’affaire à un autre tribunal pour nouvelle décision.

I.                   Contexte

[2]Sebastian Maghanoy Notario (le demandeur) est un citoyen des Philippines. Il a vécu aux Émirats arabes unis (ÉA) pendant un certain temps, mais il a quitté la région après avoir perdu son emploi. Le 20 juin 2008, il est arrivé au Canada dans le cadre du Programme concernant les aides familiaux résidants, mais il aurait découvert à son arrivée qu’aucun employeur ne l’attendait.

[3]Il a par la suite manqué à son engagement à l’égard d’un prêt consenti par une banque des Émirats arabes unis, ce qui donnait lieu à une déclaration de culpabilité dans ce pays. Il a fait l’objet d’un rapport d’interdiction de territoire le 21 février 2012, et la Section de l’immigration de la Commission a ordonné son expulsion le 1er mai 2012, déclarant qu’il était interdit de territoire au Canada en application du paragraphe 41a) et de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR. Le 13 septembre 2012, la Cour a rejeté la demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision présentée par le demandeur (voir Notario c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (13 septembre 2012), dossier IMM‑4842‑12 (CF)).

[4]Entre‑temps, il avait présenté l’asile au Canada le 2 mars 2012 au motif qu’il craignait que les fonctionnaires corrompus aux Philippines le renvoient aux Émirats arabes unis où il serait exposé à un risque de torture ou de mort. Le ministre est intervenu, affirmant que le demandeur devrait être exclu de la protection pour avoir commis un crime grave de droit commun, en application de l’article 98 de la LIPR.

II.                Décision contrôlée

[5]La demande du demandeur a été rejetée dans une décision datée du 12 mars 2013. La Commission a convenu avec le ministre que le demandeur était exclu en application de l’article 98 de la LIPR et de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 150 (la Convention).

[6]La Commission a conclu que les faits pertinents étaient les suivants :

Le demandeur d’asile a fait un emprunt à une banque des AE et il a utilisé cette somme pour rembourser un emprunt fait dans une autre banque, puis il a utilisé ce qui restait pour bâtir une maison aux Philippines. Il a effectué sept ou huit paiements, tel qu’il était exigé. Il a ensuite perdu son emploi et, puisque son visa était lié à son emploi, il a dû quitter les AE. À partir de ce moment‑là, il n’a effectué aucun paiement ni communiqué avec la banque. Les représentants de la banque lui ont envoyé de nombreux courriels pour lui demander ce qu’il prévoyait faire concernant les versements non effectués, l’avertissant qu’ils encaisseraient le chèque déposé en garantie. Lorsque le chèque a été refusé, ils l’ont de nouveau averti, lui disant de payer le solde dû, faute de quoi ils intenteraient des poursuites et en informeraient les autorités, en plus de mettre la somme due en recouvrement. Le demandeur d’asile n’a pas répondu, et des mesures ont été prises, notamment des accusations portées devant le tribunal, qui sont à l’origine de sa déclaration de culpabilité in absentia.

[7]Le chèque auquel la Commission faisait référence était un chèque en blanc donné en garantie du prêt. Le demandeur a été déclaré coupable d’avoir [traduction] « émis de mauvaise foi un chèque sans provision ». La Commission a accepté un mandat d’arrestation comme preuve de ce crime, de sorte que la question était de déterminer s’il était assez grave pour satisfaire au critère établi dans Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, [2009] 4 RCF 164 [Jayasekara].

[8]La Commission a conclu qu’il l’était. Selon la Commission, l’infraction était suffisamment semblable à l’infraction de fraude qu’elle était passible de poursuites au Canada en application de l’alinéa 380(1)a) du Code criminel, LRC 1985, c C‑46. La peine maximale pour cette infraction étant de quatorze ans, la Commission a conclu qu’elle constituait un crime grave. La Commission a déclaré que cette conclusion était renforcée par la preuve présentée à la Section de l’immigration pour les besoins de son enquête.

[9]Étant donné que le demandeur n’avait pas contesté les faits à l’origine de la déclaration de culpabilité, la Commission a accordé peu de poids au fait qu’il avait été condamné sans être présent. Par ailleurs, la Commission a déclaré qu’une peine d’emprisonnement de dix‑huit mois se situait dans les normes internationales acceptables. La Commission a également considéré que le fait que le demandeur n’avait pas donné suite aux documents que lui envoyait la Banque constituait un facteur aggravant.

[10]           La Commission semble avoir accepté l’observation du demandeur selon laquelle l’affaire aurait pu être considérée comme une affaire civile au Canada, mais a déclaré qu’une garantie différente aurait été exigée pour un emprunt aussi considérable. Il s’agissait d’une infraction criminelle à Abou Dhabi et la Commission a conclu que c’était suffisant.

[11]           Par conséquent, il existait des motifs sérieux de croire que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun, de sorte que la Commission a conclu que le demandeur était exclu de la protection en application de l’article 98 de la LIPR.

III.             Questions en litige

[12]           La présente affaire soulève les questions suivantes :

A.                Quelle est la norme de contrôle applicable?

B.                 Le processus était‑il inéquitable?

C.                 La Commission a‑t‑elle mal compris le critère?

D.                La Commission a‑t‑elle commis une erreur quant à la lettre de l’avocat?

E.                 La décision de la Commission était‑elle déraisonnable?

F.                  La présente affaire soulève‑t‑elle une question grave de portée générale?

IV.             Observations écrites du demandeur

[13]           Le demandeur a d’abord écrit son propre mémoire des faits et du droit. Ses critiques se résumaient aux deux suivantes : 1) la Commission a laissé de côté une lettre d’un avocat qui y écrivait que la conduite du demandeur ne serait pas considérée comme une infraction criminelle au Canada en raison de l’absence de l’élément d’intention; 2) la Commission avait fait une évaluation de la gravité du crime qui était [traduction] « vraiment minimale » et qui ne tenait pas compte de certains éléments, comme l’absence de dangerosité du demandeur et la brièveté de la sentence effectivement infligée. Le demandeur a également laissé entendre que ces erreurs donnaient lieu à une crainte raisonnable de partialité, en s’appuyant sur Janjua c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1521, au paragraphe 8, 51 Imm LR (3d) 239.

[14]           Le mémoire des arguments supplémentaires du demandeur a été rédigé par le conseil. Dans celui‑ci, il étoffe ces arguments et en ajoute quelques‑uns.

[15]           Premièrement, il critique la Commission pour avoir déclaré simplement, sans autre analyse, que la disposition prévue au paragraphe 380(1) du Code criminel était « suffisamment semblable à celle prévue pour le crime dont il est question et qu’elle pourrait être utilisée en vue d’intenter une poursuite pour la même infraction commise au Canada ». Le demandeur affirme que la Commission avait ainsi manqué à son obligation de communiquer les motifs.

[16]           Deuxièmement, le demandeur affirme que la Commission a appliqué le mauvais critère. Un crime est équivalent ou il ne l’est pas; il ne peut pas être « suffisamment équivalent ». La Commission en l’espèce n’a même pas nommé le crime commis aux Émirats arabes unis et encore moins examiné en quoi il serait équivalent à une infraction au Canada. Le chef d’accusation auquel le demandeur a été reconnu coupable est celui d’avoir agi de mauvaise foi en émettant un chèque sans avoir les fonds suffisants, et le paragraphe 380(1) du Code criminel ne fait état de rien d’analogue.

[17]           Troisièmement, il s’agissait d’un emprunt et la banque savait qu’il n’avait pas l’argent. Elle avait demandé un chèque en blanc en guise de garantie, mais il n’a jamais prétendu qu’il avait les fonds. Il n’y a pas de fraude qui justifierait une déclaration de culpabilité aux termes de l’article 380 du Code criminel, et le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur en n’en tenant pas compte. À l’audience, le demandeur a également affirmé qu’un chèque émis dans de telles circonstances ne serait même pas considéré comme une lettre de change aux termes du paragraphe 16(1) de la Loi sur les lettres de change, LRC 1985, c B‑4.

[18]           Quatrièmement, le demandeur critique l’évaluation que la Commission a faite de la gravité. Selon lui, la Commission : 1) n’a jamais analysé le mode de poursuite ou reconnu qu’il avait été jugé in absentia; 2) a déclaré qu’une peine de dix‑huit mois n’allait pas à l’encontre des « normes internationales », sans jamais préciser quelles étaient ces normes; 3) a seulement relaté les faits sans les analyser; 4) a reconnu que le défaut de paiement d’un prêt était une affaire civile au Canada, mais l’a néanmoins traité comme une infraction criminelle. Le demandeur affirme en outre que ce dernier point rend les motifs incompréhensibles et contradictoires.

[19]           Cinquièmement, le demandeur critique également la Commission pour avoir ignoré la lettre de l’avocat dans laquelle celui‑ci affirme que les actes du demandeur ne seraient pas considérés comme criminels au Canada.

V.                Observations écrites du défendeur

[20]           Dans son mémoire initial, le défendeur affirme que l’interprétation que la Commission a faite de l’article 98 de la LIPR et de la section F de l’article premier de la Convention était une question de droit nécessitant l’application de la norme de la décision correcte. Toutefois, la norme de la décision raisonnable était la norme de contrôle applicable pour examiner la manière dont la Commission avait appliqué le droit aux faits. Dans son mémoire des arguments supplémentaires et à l’audience, le défendeur a maintenu que l’affaire en l’espèce ne soulève que le second type de question et que la norme de la décision raisonnable devrait être appliquée.

[21]           Premièrement, il affirme que le demandeur n’a pas besoin d’obtenir une protection internationale. Il craint de subir des mauvais traitements aux Émirats arabes unis, mais il serait seulement renvoyé aux Philippines. Rien ne montre que quiconque là‑bas le renverrait aux Émirats arabes unis, ce qui amène le défendeur à soutenir que le demandeur n’a pas démontré l’existence d’une crainte fondée dans son pays d’origine.

[22]           Deuxièmement, le défendeur avance que la Commission n’avait pas ignoré la lettre de l’avocat. Le demandeur y a seulement fait allusion dans ses observations, de sorte que la Commission ne peut pas être blâmée d’y avoir accordé le même traitement. Selon le défendeur, la Commission a pleinement tenu compte de l’observation selon laquelle ce serait une affaire civile au Canada, mais elle a conclu que comme l’acte constituait une infraction criminelle à Abou Dhabi, il fallait examiner une infraction semblable au Canada.

[23]           Le défendeur avance aussi que la lettre n’était de toute façon pas pertinente pour trois raisons : 1) elle traitait de la question de savoir si les actes du demandeur auraient justifié des accusations aux termes de l’article 362 du Code criminel, tandis que la Commission devait plutôt déterminer si la disposition prévue à l’article 98 de la LIPR excluait le demandeur; 2) il y était supposé qu’il n’y avait pas eu d’intention criminelle et traité des circonstances de l’infraction, qu’il revenait à la Commission d’évaluer à titre de juge des faits; 3) la règle générale selon laquelle les témoignages d’experts sur le droit canadien sont irrecevables devrait s’étendre à la Commission (voir Eco-Zone Engineering Ltd c Grand Falls – Windsor (Town), 2000 NFCA 21, aux paragraphes 15 et 16, 5 CLR (3d) 55 [Eco-Zone]).

[24]           Troisièmement, le défendeur affirme qu’aucune crainte raisonnable de partialité n’est soulevée. Le demandeur s’appuie sur de simples hypothèses pour soutenir le contraire.

[25]           Quatrièmement, le défendeur fait valoir que la Commission a raisonnablement évalué les facteurs tirés de l’arrêt Jayasekara. La Commission n’était pas tenue d’examiner la dangerosité actuelle du demandeur ou sa [traduction] « personnalité non criminelle » étant donné que seules les circonstances entourant la perpétration de l’infraction sont pertinentes. En outre, le demandeur ne conteste que la façon dont la Commission a apprécié la preuve, une tâche qui incombait cependant à la Commission et dont elle s’est acquittée de manière raisonnable. Qui plus est, le défendeur avance que la suffisance des motifs ne constitue pas en soi un fondement justifiant un contrôle, et que les motifs en l’espèce répondent à la norme établie dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland Nurses].

VI.             Analyse et décision

A.                Première question – Quelle est la norme de contrôle applicable?

[26]           Si la jurisprudence a établi la norme de contrôle de manière satisfaisante, il n’est pas nécessaire de procéder de nouveau à l’analyse (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 62, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

[27]           Les questions d’équité procédurale appellent généralement la norme de la décision correcte (voir Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79, 455 NR 279). Il revient à la Cour de déterminer si le processus était équitable dans les circonstances, bien qu’elle puisse refuser d’intervenir si l’erreur procédurale « est un vice de forme et n’entraîne aucun dommage important ni déni de justice » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, [2009] 1 RCS 339 [Khosa]; Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, à l’alinéa 18.1(5)a)).

[28]           L’article 98 de la LIPR intègre les sections E et F de l’article premier de la Convention. Dans Febles c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CAF 324, aux paragraphes 24 et 25, 357 DLR (4th) 343 [Febles], la Cour d’appel fédérale a déclaré que l’interprétation de ces articles appelle la norme de contrôle de la décision correcte, car les dispositions des conventions internationales doivent être interprétées de façon aussi uniforme que possible.

[29]           Cependant, je conviens avec le défendeur que la question de déterminer si les faits satisfont au critère juridique est une question mixte de fait et de droit. Elle appelle donc la norme de contrôle de la décision raisonnable (voir Feimi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CAF 325, au paragraphe 16, 353 DLR (4th) 536 [Feimi]; arrêt Dunsmuir, au paragraphe 53). Par conséquent, je ne dois pas intervenir sur ces questions si la décision de la Commission est transparente, justifiée et intelligible et si elle appartient aux issues possibles acceptables (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47). Autrement dit, j’annulerai la décision de la Commission seulement si je n’arrive pas à comprendre le fondement de ses conclusions ou comment les faits et le droit applicable étayent l’issue (arrêt Newfoundland Nurses, au paragraphe 16). Comme la Cour suprême l’a affirmé dans l’arrêt Khosa, aux paragraphes 59 et 61, lorsqu’une cour applique la norme de la raisonnabilité, elle ne peut substituer la solution qu’elle juge elle‑même appropriée à celle qui a été retenue et ne peut réévaluer la preuve.

B.                 Deuxième question – Le processus était‑il inéquitable?

[30]           Le demandeur allègue qu’il y a eu trois manquements à l’équité procédurale. Il a tout d’abord laissé entendre que la Commission avait semblé faire preuve de partialité parce qu’elle avait omis de tenir compte d’éléments de preuve. Dans son mémoire des arguments supplémentaires, il affirme que la Commission a omis d’exposer ses motifs parce que ceux‑ci étaient obscurs et difficiles à comprendre. Il avance en outre que la Commission [traduction] « a privé le demandeur de son droit d’être représenté par un avocat, en omettant de tenir compte d’éléments de preuve, jumelés à l’argument selon lequel il n’y avait pas eu de crime puisqu’il s’agissait d’une affaire civile au Canada » (mémoire des arguments supplémentaires, au paragraphe 46).

[31]           Aucun de ces arguments n’est fondé.

[32]           Premièrement, les décisions administratives peuvent être annulées s’il existe une crainte raisonnable de partialité (voir Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux paragraphes 46 et 47, 174 DLR (4th) 193), mais il faut davantage qu’un simple soupçon (voir R c RDS, [1997] 3 RCS 484, au paragraphe 112, 151 DLR (4th) 193). Même si les plaintes formulées par le demandeur au sujet du contenu de la décision sont justifiées, cela ne prouve guère que la Commission a été partiale.

[33]           Deuxièmement, l’obligation d’exposer les motifs est acquittée dès qu’un ou des motifs sont donnés. La qualité de ces motifs ne relève pas de l’équité procédurale (arrêt Newfoundland Nurses, aux paragraphes 20 et 21). Dans la mesure où il est affirmé le contraire dans Guerrero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 384, au paragraphe 33, 88 Imm LR (3d) 258, ce n’est plus valide en droit.

[34]           Troisièmement, la Commission n’a pas privé le demandeur du droit d’être représenté par un avocat en rejetant les observations de son avocat. Si la Commission a écarté des éléments de preuve ou commis une erreur de droit, ce sont des motifs de contrôle distincts aux termes du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales.

C.                 Troisième question – La Commission a‑t‑elle mal compris le critère?

[35]           À l’audience, le demandeur a avancé que la conclusion selon laquelle une conduite est considérée comme criminelle au Canada est une condition préalable à l’exclusion en vertu de l’article 98, de telle sorte que la Commission a commis une erreur en affirmant que le mandat et la déclaration de culpabilité constituaient « une preuve plus que suffisante montrant qu’il [avait] commis un crime de droit commun ».

[36]           Je ne suis pas d’accord. Selon l’article 98 de la LIPR, « [l]a personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger ». L’alinéa Fb) de l’article premier, qui est pertinent en l’espèce, se lit comme suit :

Article premier

Article 1

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

(b) He has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

[37]           Dans Zrig c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immgration), 2003 CAF 178, au paragraphe 118, [2003] 3 CF 761, le juge Robert Décary a énoncé les objectifs de cette disposition :

[…] cette Section vise à réconcilier différents objectifs que je me permets de résumer comme suit : s’assurer que les auteurs de crimes internationaux ou d’agissements contraires à certaines normes internationales ne puissent se réclamer du droit d’asile; s’assurer que les auteurs de crimes ordinaires commis pour des motifs foncièrement politiques puissent trouver refuge dans un pays étranger; s’assurer que le droit d’asile ne soit pas utilisé par les auteurs de crimes ordinaires graves afin d’échapper au cours normal de la justice locale; et s’assurer que le pays d’accueil puisse protéger sa propre population en fermant ses frontières à des criminels qu’il juge indésirables en raison de la gravité des crimes ordinaires qu’il les soupçonne d’avoir commis.

[Non souligné dans l’original.]

[38]           Au sujet de ce troisième objectif, le juge Décary a affirmé au paragraphe 119 que « les signataires n’acceptent pas que le droit d’asile soit transformé en garantie d’impunité au profit de criminels de droit commun dont la crainte réelle n’est pas d’être persécutés, mais d’être jugés par le pays qu’ils cherchent à fuir ».

[39]           Cet objectif ne découle pas d’une exigence stricte selon laquelle le pays d’accueil doit avoir criminalisé l’acte pour lequel le demandeur a été déclaré coupable. Comme l’a reconnu la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Jayasekara, au paragraphe 37, la gravité d’un crime doit plutôt être mesurée à l’aune des normes internationales. Bien que certaines lois étrangères puissent être inéquitables au point d’en être intolérables, il demeure que certains problèmes sociaux peuvent être traités différemment selon les pays, et ce, de façon légitime. En vertu du principe de courtoisie internationale, la section F de l’article premier de la Convention prévoit qu’un pays d’accueil potentiel puisse parfois refuser l’asile à des criminels de droit commun ayant volontairement enfreint les lois d’un autre pays, même si le pays d’accueil ne traduit pas en justice ses propres citoyens pour les mêmes actes.

[40]           Par conséquent, il n’existe pas de règle absolue selon laquelle la conduite doit être considérée comme criminelle dans le pays d’accueil potentiel. Cependant, « on ne doit pas ignorer le point de vue de l’État ou du pays d’accueil lorsqu’il s’agit de déterminer la gravité du crime » (arrêt Jayasekara, au paragraphe 43 [non souligné dans l’original]). C’est à cet égard que la Commission a mené son analyse de l’équivalence et il ne s’agissait pas d’une erreur.

[41]           Le demandeur récuse également la comparaison que la Commission a effectuée entre les lois en vigueur aux Émirats arabes unis et au Canada. Il est d’avis que la conclusion de la Commission selon laquelle les dispositions pertinentes étaient [traduction] « suffisamment équivalentes » était dénuée de sens, car elle présente une contradiction.

[42]           En fait, la Commission n’a jamais déclaré qu’il y eut quoi que ce soit de « suffisamment équivalent ». Elle a plutôt affirmé que la disposition de l’alinéa 380(1)a) du Code criminel était suffisamment semblable à celle prévue pour l’infraction pour laquelle le demandeur avait été déclaré coupable et qu’elle pourrait être utilisée en vue d’intenter une poursuite pour la même infraction commise au Canada. Même si j’évaluerai le caractère raisonnable de cette affirmation plus loin, il n’y a pas lieu d’en déduire qu’une erreur a été commise relativement au critère.

[43]           Toutefois, un autre passage m’amène à me demander si la Commission a correctement compris le critère établi à l’article 98 de la LIPR.

[44]           Essentiellement, en vertu de ce critère, il incombe au ministre de démontrer qu’il existe des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis un crime grave de droit commun (voir Lai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 125, aux paragraphes 23 et 34, 253 DLR (4th) 606). Pour ce faire, le ministre peut présumer qu’un crime donné est grave s’il s’agit d’une infraction qui, commise au Canada, serait punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans (arrêt Feimi, au paragraphe 31; arrêt Jayasekara, aux paragraphes 40 et 44). Cependant, il est possible de réfuter cette présomption après avoir examiné les circonstances relatives à l’infraction, à savoir les quatre facteurs suivants : 1) les éléments constitutifs du crime, 2) le mode de poursuite, 3) la peine prévue, 4) les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous‑jacentes à la déclaration de culpabilité (arrêt Jayasekara, au paragraphe 44).

[45]           Or, lorsqu’elle a appliqué ce critère à l’affaire en l’espèce, la Commission s’est exprimée comme si elle n’avait pas tenu compte du fait que la présomption découlant d’une infraction équivalente au Canada puisse être réfutée. Avant d’examiner les facteurs sur lesquels repose réellement le critère, la Commission a déclaré ce qui suit :

J’estime que la disposition [alinéa 380(1)a)] du Code criminel est suffisamment semblable à celle prévue pour le crime dont il est question et qu’elle pourrait être utilisée en vue d’intenter une poursuite pour la même infraction commise au Canada et, par conséquent, j’estime que le crime commis constitue un crime grave au sens de l’alinéa Fb) de l’article premier.

[Non souligné dans l’original.]

[46]           Cela dit, au paragraphe 9 de sa décision, la Commission a accordé avec raison une importance primordiale aux facteurs énoncés et elle les a ensuite examinés. Si elle a réellement commis l’erreur qui semble se dégager de l’affirmation appuyée qui précède, il n’y aurait pas eu lieu d’en faire de cas. Par conséquent, j’admets qu’il s’agissait simplement d’une déclaration inexacte et non d’un malentendu. De plus, elle n’a pas conclu que l’un ou l’autre des facteurs jouait en faveur du demandeur, de sorte que son analyse n’aurait pas altéré la présomption de toute façon. Il est donc nécessaire d’examiner le caractère raisonnable de la décision.

D.                Quatrième question – La Commission a‑t‑elle commis une erreur quant à la lettre de l’avocat?

[47]           Avant de traiter du fond de la décision, il convient d’examiner quelques points soulevés par la lettre de M. Rovan dans laquelle il est affirmé que la conduite du demandeur n’aurait pas entraîné de sanctions pénales au Canada.

[48]           Le défendeur fait valoir que cette lettre n’aurait pas dû être admise par la Commission, car elle constituait apparemment un témoignage d’expert sur le droit interne. Pour cette raison, le défendeur soutient que le fait que la Commission avait omis de la mentionner ne posait pas problème.

[49]           Je ne suis pas d’accord. Les témoignages d’experts sur le droit interne sont irrecevables devant la Cour, car la Cour possède l’expertise pour répondre à ces questions de droit et c’est elle qui en a la responsabilité (Eco-Zone, au paragraphe 15; Ville de Brandon c Canada, 2010 CAF 244, au paragraphe 27, 411 NR 189). En revanche, ce n’est généralement pas à la Section de la protection des réfugiés qu’il revient de déterminer quels sont les éléments constitutifs d’un crime donné et quels témoignages d’experts pourraient être utiles. De plus, les paragraphes 170(g) et 170(h) de la LIPR assouplissent les règles de la preuve applicables pour la Section de la protection des réfugiés, le paragraphe 170(g) énonçant qu’elle « n’est pas liée par les règles fédérales ou techniques de présentation de la preuve ». Elle ne devrait pas avoir à se plier à une obligation d’exclure les éléments de preuve qu’elle pourrait désirer voir.

[50]           Par conséquent, comme la Commission n’a pas fait état de sa décision de rejeter ce témoignage, je ne vois aucune raison de déduire qu’il a été écarté pour les motifs avancés par le défendeur.

[51]           Le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur différente en ce qui concerne la lettre de M. Rovan. Il estime qu’elle constituait le seul élément de preuve permettant de déterminer si ses actes seraient considérés comme criminels au Canada, de sorte que la Commission avait commis une erreur en ne la mentionnant pas.

[52]           Même si la Commission est présumée avoir examiné tous les éléments de preuve dont elle disposait, une cour de justice peut parfois conclure que des éléments de preuve importants ont été écartés si ceux‑ci contredisent carrément les conclusions de fait de la Commission et s’ils n’ont pas été mentionnés dans les motifs (voir Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 177, au paragraphe 38, [2012] 1 RCF 257, citant Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (QL), au paragraphe 17, 157 FTR 35; Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, à l’alinéa 18.1(4)d)).

[53]           Je ne puis tirer cette conclusion en l’espèce. La lettre de M. Rovan examinait seulement si la conduite du demandeur constituait une infraction en vertu de l’article 362 du Code criminel. La disposition réellement pertinente était celle prévue à l’alinéa 380(1)a). Pour cette raison, la lettre n’était pas assez importante pour qu’il puisse être conclu qu’elle avait été écartée.

E.                 Cinquième question – La décision de la Commission était‑elle déraisonnable?

[54]           La Commission a conclu que la disposition suivant laquelle le demandeur avait été déclaré coupable était suffisamment semblable à celle prévue à l’alinéa 380(1)a) du Code criminel pour qu’il puisse être présumé qu’il s’agissait d’un crime grave.

[55]           Comme il a été mentionné, cette présomption a été décrite par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Jayasekara au moyen d’une analogie avec l’irrecevabilité pour grande criminalité (arrêt Jayasekara, au paragraphe 40). Elle requiert habituellement de déterminer si la conduite pour laquelle le demandeur a été déclaré coupable aurait pu entraîner des poursuites au Canada et possiblement une peine de plus de dix ans (voir Brannson c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1980), [1981] 2 CF 141, au paragraphe 4, 34 NR 411 (CAF); Vlad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 172, au paragraphe 22).

[56]           Dans Hill c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1987), 73 NR 315, 1 Imm LR (2d) 1 (CAF), la Cour d’appel a expliqué comment l’équivalence pouvait être établie :

[L]’équivalence peut être établie de trois manières : tout d’abord, en comparant le libellé précis des dispositions de chacune des lois par un examen documentaire et, s’il s’en trouve de disponible, par le témoignage d’un expert ou d’experts du droit étranger pour dégager, à partir de cette preuve, les éléments essentiels des infractions respectives; en second lieu, par l’examen de la preuve présentée devant l’arbitre, aussi bien orale que documentaire, afin d’établir si elle démontrait de façon suffisante que les éléments essentiels de l’infraction au Canada avaient été établis dans le cadre des procédures étrangères, que les mêmes termes soient ou non utilisés pour énoncer ces éléments dans les actes introductifs d’instance ou dans les dispositions légales; en troisième lieu, au moyen d’une combinaison de cette première et de cette seconde démarches.

[57]           Même s’il n’est pas toujours nécessaire d’effectuer une telle analyse de l’équivalence pour exclure une personne en application de l’article 98, la présomption n’est pas valide sauf si le critère est appliqué correctement (voir Sanchez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1130, aux paragraphes 39, 40 et 49, [2012] ACF no 1215 [Sanchez]; Raina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 19, au paragraphe 7, 382 FTR 135).

[58]           En l’espèce, la Commission s’est bel et bien fondée sur la présomption, mais n’a pas expliqué très clairement pourquoi elle l’avait fait. En fait, la Commission a seulement cité la disposition du Code criminel et désigné de façon incorrecte la disposition pertinente aux Émirats arabes unis comme étant celle prévue à l’article 104/1. Elle a ensuite affirmé que les dispositions étaient « suffisamment semblables » et que le crime commis constituait donc un crime grave.

[59]           Cela pose problème. La Commission n’a analysé aucune des dispositions ni expliqué quelles composantes essentielles elles ont en commun. L’article 401 du Code pénal des Émirats arabes unis prévoit ce qui suit :

[traduction]

Est passible d’emprisonnement ou d’amende quiconque émet, de mauvaise foi, un chèque sans provision ou qui, après avoir émis un chèque, retire en tout ou en partie le solde, rendant le chèque sans provision, ou qui ordonne au payeur de ne pas encaisser un chèque ou qui fait ou signe un chèque de façon à ce que celui‑ci ne puisse être encaissé.

Est passible de la même sanction quiconque endosse un chèque ou une traite bancaire en faveur d’une autre personne, sachant que le solde n’est pas suffisant pour que le chèque puisse être encaissé.

[60]           L’alinéa 380(1)a) du Code criminel prévoit ce qui suit :

380. (1) Quiconque, par supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif, constituant ou non un faux semblant au sens de la présente loi, frustre le public ou toute personne, déterminée ou non, de quelque bien, service, argent ou valeur :

380. (1) Every one who, by deceit, falsehood or other fraudulent means, whether or not it is a false pretence within the meaning of this Act, defrauds the public or any person, whether ascertained or not, of any property, money or valuable security or any service,

a) est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, si l’objet de l’infraction est un titre testamentaire ou si la valeur de l’objet de l’infraction dépasse cinq mille dollars;

 (a) is guilty of an indictable offence and liable to a term of imprisonment not exceeding fourteen years, where the subject-matter of the offence is a testamentary instrument or the value of the subject-matter of the offence exceeds five thousand dollars; or

[61]           Il m’est difficile de comprendre ce que pourrait signifier « mauvaise foi » aux Émirats arabes unis ou d’évaluer si « mauvaise foi » équivaut à « supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif », un élément qui ne constitue qu’un exemple parmi les nombreuses différentes évidentes.

[62]           De plus, la preuve du droit étranger doit normalement être établie au moyen d’un témoignage d’expert (voir Allen c Hay (1922), 64 RCS 76, aux pages 80 et 81, 69 DLR 193, motifs du juge Duff). Même si cette règle ne s’applique pas toujours en matière administrative (voir Qi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 195, aux paragraphes 24 à 26, [2009] 4 RCF 510), la Cour fédérale a recommandé qu’un tel témoignage soit obtenu pour une analyse d’équivalence par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hill. Aucun n’a été fourni en l’espèce, de sorte que rien au dossier ne pourrait étayer la conclusion de la Commission selon laquelle ces deux dispositions font état du même acte.

[63]           Ainsi, la Commission pouvait seulement se fonder sur la conduite du demandeur pour déterminer s’il aurait pu faire l’objet d’une déclaration de culpabilité en application de l’alinéa 380(1)a), mais aucune analyse de cette nature ne semble avoir été effectuée.

[64]           Cela dit, le défendeur a avancé à l’audience que le demandeur ne pouvait pas vraiment contester l’analyse de l’équivalence effectuée par la Commission étant donné qu’elle avait déjà été l’objet de l’audience du demandeur devant la Section de l’immigration. À cette occasion, la Section de l’immigration a effectué une analyse de l’équivalence approfondie aux paragraphes 30 à 56, et le demandeur s’est vu refuser l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire. Le défendeur affirme que la décision devrait être traitée comme une décision définitive et déterminante quant à la question de l’équivalence.

[65]           Cependant, la Commission n’a jamais expressément fait siens les motifs énoncés par la Section de l’immigration. La Commission a plutôt dit que sa conclusion sur la similarité était « renforcée par la preuve présentée par le ministre dans la décision de la SI du 1er mai 2012 » (non souligné dans l’original). La Commission n’a pas tenu compte de la question tranchée à l’étape de l’enquête, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’examiner si la Commission aurait pu appliquer la préclusion découlant d’une question déjà tranchée si elle l’avait voulu.

[66]           De plus, même lorsque l’existence des conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée a été établie, les cours peuvent choisir de l’appliquer ou non (voir Danyluk c Ainsworth Technologies Inc, 2001 CSC 44, au paragraphe 33, [2001] 2 RCS 460). La Commission posséderait le même pouvoir discrétionnaire et sa décision d’effectuer une analyse indépendante devrait donc être respectée.

[67]           Même si j’admettais que la Commission avait implicitement appuyé les motifs exposés par la Section de l’immigration, il reste que sa décision était déraisonnable.

[68]           La Commission a tiré la conclusion de fait que l’emprunt était à l’origine de la déclaration de culpabilité. Le demandeur avait d’abord effectué les paiements comme convenu, puis il avait perdu son emploi et avait dû quitter les Émirats arabes unis. Il ne s’était trouvé aucun autre emploi par la suite et il avait donc manqué à son obligation de rembourser le prêt.

[69]           La Commission a admis que ce ne serait pas considéré comme une infraction criminelle au Canada. Au paragraphe 20 de sa décision, elle s’est exprimée en ces termes :

Le conseil a fait valoir que ce manquement devrait être considéré comme étant une affaire civile et non criminelle, et que c’est ainsi qu’elle serait traitée au Canada; selon le conseil, il s’agit donc d’un facteur atténuant. Bien que cela puisse être le cas au Canada, j’estime qu’une garantie différente aurait été exigée pour un emprunt aussi considérable.

[Non souligné dans l’original.]

[70]           Toutefois, l’emprunt n’aurait pas pu être garanti d’une façon telle que le défaut involontaire de rembourser aurait été considéré comme frauduleux en application de l’alinéa 380(1)a) du Code criminel. Cela contredisait donc la conclusion antérieure de la Commission portant que le demandeur aurait pu faire l’objet de poursuites au Canada en raison des actes qui lui étaient reprochés.

[71]           La décision de la Commission est donc inintelligible. Ayant conclu que le demandeur n’aurait pas pu être déclaré coupable au Canada en raison de ses actes, la Commission ne pouvait pas en même temps présumer que l’infraction était grave parce qu’il aurait pu être déclaré coupable. Et pourtant, elle l’a fait.

[72]           Toute la décision est donc viciée, car la Commission avait déjà appliqué la présomption de la gravité lorsqu’elle a examiné les autres facteurs. Ce faisant, elle avait imposé au demandeur le fardeau de prouver que « l’infraction » n’était pas grave. Dans cette optique, bon nombre de ses autres conclusions deviennent également déraisonnables.

[73]           Par exemple, la Commission a déclaré que la peine d’emprisonnement de dix‑huit mois « [n’allait] pas à l’encontre des normes internationales ». Toutefois, rien ne montrait que le défaut de remboursement d’un emprunt constituait un crime dans aucun autre pays, et encore moins quelles peines auraient sanctionné un tel crime. Étant donné que le fardeau de la preuve aurait encore incombé au ministre si l’infraction visée à l’alinéa 380(1)a) du Code criminel n’était pas une infraction équivalente, cette conclusion a été tirée sans aucune preuve à l’appui. De plus, même si la durée de la peine effectivement infligée n’est pas toujours pertinente (arrêt Jayasekara, au paragraphe 41), il est étrange que la Commission ait seulement examiné si la peine était sévère par rapport aux normes internationales et non si une peine de dix‑huit mois était assez longue pour démontrer que les actes commis par le demandeur étaient graves.

[74]           Pour tous ces motifs, la décision de la Commission était déraisonnable.

[75]           Bien sûr, le défendeur affirme en outre que la Commission aurait pu raisonnablement conclure que le demandeur ne craignait pas d’être persécuté dans son pays d’origine. Cependant, la Commission n’a jamais effectivement évalué le bien‑fondé de la demande du demandeur puisque sa conclusion sur l’exclusion était déterminante. En dernier ressort, le législateur a accordé à la Commission le pouvoir de statuer sur la demande du demandeur, et je ne puis lui usurper ce pouvoir pour la seule raison que la Commission a commis une erreur à l’égard d’une autre question. Ainsi, la décision ne peut pas être confirmée au seul motif que l’issue aurait pu être raisonnable si le cheminement suivi pour y parvenir avait été différent (voir Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 54, [2011] 3 RCS 654; JMSL c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 114, au paragraphe 37, [2014] ACF no 439).

F.                  Sixième question – La présente affaire soulève‑t‑elle une question grave de portée générale?

[76]           Dans Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, au paragraphe 9, 446 NR 382, la Cour d’appel fédérale explique que, pour être certifiée, une question doit « i) être déterminante quant à l’issue de l’appel, ii) transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale ».

[77]           Après l’audience tenue dans la présente affaire, le demandeur a proposé la question suivante à certifier :

[traduction]

Si la Section de l’immigration a rendu une décision antérieure au sujet du demandeur et si la CISR doit traiter de la même question, la CISR est‑elle liée par les conclusions et par la décision de la Section de l’immigration, particulièrement si la Cour fédérale a refusé l’autorisation de demander un contrôle judiciaire de la décision de la Section de l’immigration?

[78]           Le défendeur s’est opposé à la certification, au motif que cette question n’était ni déterminante ni de portée générale.

[79]           Je reconnais que la question n’est pas déterminante en l’espèce. La Section de la protection des réfugiés a effectué sa propre analyse de l’équivalence. Elle a tout au plus approuvé les motifs de la Section de l’immigration, mais rien ne permet de penser qu’elle s’est estimée liée par eux. Par conséquent, les faits de l’espèce ne soulèvent pas cette question, et je ne certifierai pas la question proposée.

[80]           J’accueillerais donc la demande de contrôle judiciaire et renverrais l’affaire à un autre tribunal de la Commission pour nouvel examen.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre tribunal de la Commission pour nouvel examen.

2.         La question proposée pour certification ne sera pas certifiée.

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise

 


ANNEXE

Dispositions législatives pertinentes

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, C 27

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

41. S’agissant de l’étranger, emportent interdiction de territoire pour manquement à la présente loi tout fait — acte ou omission — commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi et, s’agissant du résident permanent, le manquement à l’obligation de résidence et aux conditions imposées.

41. A person is inadmissible for failing to comply with this Act

 

(a) in the case of a foreign national, through an act or omission which contravenes, directly or indirectly, a provision of this Act; and

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

74. Les règles suivantes s’appliquent à la demande de contrôle judiciaire :

74. Judicial review is subject to the following provisions:

d) le jugement consécutif au contrôle judiciaire n’est susceptible d’appel en Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci.

(d) an appeal to the Federal Court of Appeal may be made only if, in rendering judgment, the judge certifies that a serious question of general importance is involved and states the question.

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

170. Dans toute affaire dont elle est saisie, la Section de la protection des réfugiés :

170. The Refugee Protection Division, in any proceeding before it,

g) n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve;

(g) is not bound by any legal or technical rules of evidence;

h) peut recevoir les éléments qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision; …

(h) may receive and base a decision on evidence that is adduced in the proceedings and considered credible or trustworthy in the circumstances; and …

Code criminel, LRC 1985, c C‑46

380. (1) Quiconque, par supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif, constituant ou non un faux semblant au sens de la présente loi, frustre le public ou toute personne, déterminée ou non, de quelque bien, service, argent ou valeur :

380. (1) Every one who, by deceit, falsehood or other fraudulent means, whether or not it is a false pretence within the meaning of this Act, defrauds the public or any person, whether ascertained or not, of any property, money or valuable security or any service,

a) est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, si l’objet de l’infraction est un titre testamentaire ou si la valeur de l’objet de l’infraction dépasse cinq mille dollars;

(a) is guilty of an indictable offence and liable to a term of imprisonment not exceeding fourteen years, where the subject-matter of the offence is a testamentary instrument or the value of the subject-matter of the offence exceeds five thousand dollars; or

Loi sur les lettres de change, LRC 1985, c B‑4

16. (1) La lettre de change est un écrit signé de sa main par lequel une personne ordonne à une autre de payer, sans condition, une somme d’argent précise, sur demande ou à une échéance déterminée ou susceptible de l’être, soit à une troisième personne désignée — ou à son ordre — , soit au porteur.

16. (1) A bill of exchange is an unconditional order in writing, addressed by one person to another, signed by the person giving it, requiring the person to whom it is addressed to pay, on demand or at a fixed or determinable future time, a sum certain in money to or to the order of a specified person or to bearer.

Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7

18.1(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

18.1 (3) On an application for judicial review, the Federal Court may

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :

(4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

(5) La Cour fédérale peut rejeter toute demande de contrôle judiciaire fondée uniquement sur un vice de forme si elle estime qu’en l’occurrence le vice n’entraîne aucun dommage important ni déni de justice et, le cas échéant, valider la décision ou l’ordonnance entachée du vice et donner effet à celle-ci selon les modalités de temps et autres qu’elle estime indiquées.

(5) If the sole ground for relief established on an application for judicial review is a defect in form or a technical irregularity, the Federal Court may

 

(a) refuse the relief if it finds that no substantial wrong or miscarriage of justice has occurred; and

Convention relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 150

Article premier

Article 1

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

(b) He has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2229-13

 

INTITULÉ :

SEBASTIAN MAGHANOY NOTARIO c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 JUIN 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 DÉCEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Jeffrey L. Goldman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Martin Anderson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jeffrey L. Goldman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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